samedi 8 décembre 2018

8 décembre 2018

Samedi 8 décembre 2018, en la basilique Santa Cruz d'Oran les sept moines trappistes assassinés à Tibhirine au printemps 1996 ont été béatifiés par l'Eglise catholique.

Actualité heureuse pour ceux qui croient aux forces de l'esprit, mais d'abord horrible drame qui puise sa source dans la souffrance toute humaine d'une violence infligée jusqu'au martyre, j'associe cette information à un - très récent - moment agréable (il y en a peu, ces derniers temps...) avec maman qui a bien ri quand elle m'a raconté comment sa gériatre, lui parlant de l'inscription de sa propre fille au collège, lui avait dit sa "fierté" (sic!) de connaître la mère d'un "grand ancien de Sainte Marie" (re-sic!). Alors, nous sommes allés y regarder de plus près et, en effet, à l'article consacré à Sainte Marie d'Antony sur Wikipédia, parmi les quelques "personnalités" (re-re-sic!) citées, nous avons été surpris de voir figurer mon nom... En excellente compagnie, puisque entouré de  Jean Raspail et de Christian de Chergé. Et que pourrait-il bien y avoir de commun, mis à part d'avoir fréquenté le même établissement scolaire, entre un écrivain monarchiste et réactionnaire, au catholicisme très traditionnel, le prieur des moines de Tibhirine, ami de la paix ayant oeuvré sans relâche au dialogue islamo-chrétien, et, un républicain ayant essayé de servir son pays de façon bien modeste, cherchant anonyme, à la spiritualité toute laïque ?

Raspail aime la France, "sa" France, une France royaliste et conservatrice, celle de Jeanne d'Arc et des Bourbons. Il affirme toujours sa nostalgie d'un temps passé et, en popularisant la figure d'Antoine de Tounens, roi de Patagonie, c'est de la grandeur de la France dont il nous parle. N'étant pas monarchiste et certainement bien plus progressiste que cet écrivain de marine, hérault d'un monde ancien et disparu, j'apprécie pourtant, pour sa belle plume et son lyrisme emprunt de nostalgie, son oeuvre, et pas seulement son odyssée patagone.

Le père Christian de Chergé est mort non pas parce que prêtre mais parce que français. c'est en tout cas ce qui transparaît dans les communiqués de revendication attribués à l'époque de l'enlèvement au GIA. Français ayant fait le choix, par amour, d'aller vivre en Algérie, au coeur d'un pays qu'il connaissait depuis l'enfance et qu'il aimait au point - ce sont ses propres termes - "de donner sa vie pour lui". Mais s'il était français de nationalité, il était aussi moine et prêtre et voulait oeuvrer à une meilleure compréhension entre l'Islam et la Chrétienté. Il a notamment créé un groupe d'échanges et de prières avec des membres de la confrérie soufie Alawiya fondée par Sidi Ahmad Mustafa al-Alaoui (dont fut proche Frithjof Schuon, déjà cité ici pour ses travaux sur le soufisme, et qui entretenait une correspondance régulière avec René Guénon) orienté sur l'intériorité et un retour au divin excluant tout activisme religieux extérieur (et, par essence, tout fondamentalisme et tout recours à la violence). Peut-être faut-il aussi y trouver une raison supplémentaire à son assassinat ? Je me reconnais un peu, et très immodestement, dans cette recherche de transcendance qui m'a également conduit à lire Schuon et Guénon...

En ce qui me concerne, je me contente de croire - encore - à notre idéal laïc et républicain.

Si le réel n'est que par ce qu'il est impensable, ce que Paris et d'autres grandes villes de province ont connu aujourd'hui est malheureusement bien réel. Pour ceux qui en douteraient encore, s'en prendre aux symboles de la République et, au-delà, de la Nation, c'est s'en prendre à la République et à la Nation. S'en prendre à un haut-relief de Marianne comme ce fut le cas à l'arc de triomphe la semaine passée ou vouloir, par la force, entrer à l'Elysée, c'est bien s'en prendre à la République et aux valeurs qui la fondent, de Liberté, d'Egalité et de Fraternité.


Quand j'entends sur les plateaux télé certains parler de "violence pacifique" (sic!) ou de "légitime violence" (!!!...), je suis simplement révolté. La première des libertés c'est la sécurité de nos concitoyens. Heureusement que nous avons des forces de l'ordre dont l'engagement républicain est lui, une réalité et qui ne transigent pas lorsque l'essentiel est en cause.

Placée au centre de la place de la Nation à Paris, Marianne c'est tout à la fois la mère patrie, la protectrice et la guerrière. N'en déplaise à ceux de Tarnac, aux comités invisbles et aux obsédés de tous bords de l'insurrection qui vient, à ceux qui pensent que toutes les raisons de faire la révolution sont réunies, heureusement le chaos ne l'a aujourd'hui pas emporté. Pour un républicain sincère, rien ne justifie de s'en prendre à Marianne, rien.

jeudi 29 novembre 2018

Rien sur rien

Fragments: ressource providentielle pour les écrivains ne sachant pas concevoir un livre entier. Pitigrilli (1962)


Je n'écris rien, c'est entendu. Mais, au fur et à mesure que je nourris ce blog, je vois les pages tourner, ce qui vaut sans doute mieux qu'essayer de les remplir. Et s'il apparaît comme une forme d'évidence, paraphrasant Cioran, qu'on ne peut rien écrire sur rien, il est tout aussi clair qu'on peut aisément publier sur des riens. Paradoxale magie de la dématérialisation, ou comment chercher à combler l'angoissant vide de l'existence en embourrant de petits riens un support fondamentalement virtuel. S'essayer à remplir le vide de riens, pour encore mieux appréhender la vanité de l'exercice d'écriture et repousser tout risque de se bouffir d'orgueil...

"La stérilité, docteur, peut-elle être héréditaire ?"

Rapportée récemment par un ami médecin, cette interrogation d'un patient n'a pas manqué de susciter chez moi un questionnement en forme d'écho. Dubitatif et amusé, au moins au début, par le caractère presque absurde de la question, en y réfléchissant davantage je me suis dit qu'à notre époque où les progrès de la science autorisent déjà des hommes techniquement stériles à se reproduire, on pouvait en effet légitimement la poser.

"Il est inélégant de reprocher à quelqu'un sa stérilité, quand elle est postulée, quand elle est son mode d'accomplissement, son rêve..."*

S'il en est, en tout cas, pour qui la question ne se pose certainement pas dans les mêmes termes, c'est ceux qui, soit qu'ils aient fait le choix de se retirer du monde et de se dépouiller des oripeaux de la vie en société, soit qu'ils aient revêtu l'habit, ont choisi le célibat et professent leur chasteté. Dans les couloirs du très catholique collège de mon enfance, on racontait à ce sujet une bien bonne blague que je te livre, cher lecteur, sans aucune arrière pensée moralisatrice. Au confessionnal, un paroissien s'adresse au curé : "pardonnez-moi mon père parce que j'ai pêché". Commentaire de l'abbé, en forme de réponse : "inutile d'être aussi formel mon fils. Appelle-moi papa..."

Rien sur rien. 

(*) Cioran - De l'inconvénient d'être né

mercredi 21 novembre 2018

Anamnèse

Notre route a croisé hier soir, à l'occasion d'une avant-première parisienne du très beau film de Eva Husson, Les filles du soleil, celle de Karl Zero et de son épouse Daisy d'Errata. Cette rencontre a provoqué chez moi une manière d'anamnèse et nombre de souvenirs de l'épopée de Jalons sont alors remontés que je croyais oubliés...

Comme je l'ai déjà ici même relaté, en juin 1984, au moment où la France catholique et bien pensante défilait derrière Mgr Lustiger pour la défense de l'école libre, et bien qu'en bon étudiant de la faculté de droit(e) d'Assas on m'eut sans doute alors attendu ailleurs, j'ai rallié, et l'ai même portée haut, la bannière des "éléments incontrôlés" du GIC Jalons. "Peponne t'es foutu, Don Camillo est dans la rue!", ou encore "oui, oui, oui... non, non, non!", tels étaient les slogans que nous reprenions en coeur derrière Basile de Koch, Frigide, Karl et toute la bande, au grand dam de quelques ouailles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et de leurs coadjuteurs de la fraternité Saint Pie X, égarés près de notre - modeste - cohorte. Aucun de ces ensoutanés ne pouvait alors se douter qu'un jour viendrait où les paroisses appelleraient à rejoindre Frigide Barjot dans son combat pour la défense de la famille traditionnelle et catholique...

Mais revenons aux années 80. L'un de mes grands regrets fut - pour cause de méchante rhinopharyngite - de ne pas voir pu rejoindre la manif' organisée le 13 janvier 1985 contre le froid au métro glacière. D'autres y furent (moins nombreux d'ailleurs d'après les organisateurs que selon le décompte de la préfecture de Police ou ce que pourrait laisser à penser la relation toute en exagération journalistique que fit la grande presse d'alors de cette manifestation) et défilèrent sur le rageur et pourtant si évocateur slogan: "verglas assassin, Mitterrand complice!". Mais ayant eu à subir dans ma chair les conséquences pour ma sphère orl d'un refroidissement dû aux températures polaires qui régnaient alors sur l'hexagone, je n'en fus pas. Dommage.

Une autre fois, c'est sur la Seine, à bord d'une péniche, que mon souvenir ancre quelque part du côté du bois de Boulogne, que nous nous étions retrouvés pour y faire la fête, sous un prétexte futile - et en fallait-il un d'ailleurs ? - autour d'un récital donné par Eric Morena et son tubesque bateau bondissant. Quelqu'un d'entre-vous, chers lecteurs, s'en souviendrait-il ? Les trop rares flashes qui me reviennent de cette folle soirée sont encore trop alcoolisés pour que le souvenir puisse en être vraiment précis. Et la fin de la nuit passée rue du Bourg-l'Abbé, aux Bains-Douche, ne contribue sans doute en rien à en améliorer la remembrance.

Épique époque que celle qui fut jalonnée de parodies, de fêtes, d'insouciance. Bien loin du Kurdistan irakien et des courageuses soldates dont la très poignante histoire nous a, pour quelques heures, hier réunis et émus. Si loin...

samedi 17 novembre 2018

Ne rien savoir

J’assistais l’autre jour à l’école militaire à un colloque de l’IHEDN consacré à la question du secret, et à ce qu’il en reste. Sur le secret, sa conservation, et l’incompréhension qui peut en naître en notre époque nourrie au sein de théories complotistes en tous genres relayées et amplifiées par un usage immodéré des « réseaux sociaux », gardons au cœur qu’un mystère peut garder son secret sans pour autant être caché. Ainsi par exemple, à l’instar du secret du sentiment amoureux, le secret du chemin initiatique (quel qu’il puisse être) ne se révèle, je le crois, que dans le cœur de l’initié. Si le curieux peut lire les rituels des sociétés dites secrètes qui s’étalent aujourd’hui sur le Web et permettent, en quelques clics, à celui qui cherche de trouver tout (et son contraire), le vrai secret du mystère de l’initiation réside sans doute dans le cœur de l’initié et, partant, il reste inaccessible au profane.

Comment mieux dire ce secret que le fait E.T.A. Hoffman dans son recueil de contes, au sujet du Don Giovanni de Mozart: « Seul le poète comprend le poète (...) seul l’esprit exalté dans la poésie, qui a reçu l’initiation au milieu du temple, peut comprendre ce que l’initié a exprimé dans son inspiration ». Et bien fol celui qui, au risque de l'étalage d'une érudition superficielle, pense, tel Pic de la Mirandole, percer les mystères par la simple accumulation du savoir. Car, comme le rappelle Hermann Hesse dans l’un de ses très beaux romans d’initiation, Siddharta : « Il n’est pas de pire ennemi du vrai savoir que de vouloir savoir à tout prix, d’apprendre »

Rien à comprendre



13 novembre 2018. Rien ne sera plus jamais vraiment comme avant. Assis dans un Uber, je regarde, par la fenêtre Paris qui s’illumine. Les fêtes approchent, il y a du monde dans les rues, tout va bien. En apparence. Car je viens de m’apercevoir que, devant chaque terrasse de café, je suis submergé par une émotion que j’ai du mal à identifier. Et, tout soudain, je pense à ceux qui ont été fauchés par des balles assassines il y a 3 ans. Déjà...

Véronique voulait que je regarde les reportages qui ont accompagné à la télé le souvenir des attentats. Témoignages pour l’histoire, pour savoir, pour apprendre. Pas pu... Non, je ne souhaite pas en savoir davantage. Ni sur les bourreaux, ni sur leur mode opératoire, ni sur l’intervention héroïque des forces de l’ordre. Seules les victimes comptent. Les morts, bien sûr, mais aussi les blessés, marqués à jamais dans leur chair et dans leur âme, leurs familles et puis tous les autres, ceux qui ont assisté impuissants à toute cette horreur. Ceux pour qui, comme moi, la simple idée de passer devant le Bataclan, de flâner dans le quartier où j’ai longtemps habité, ou d’envisager même de remettre les pieds au stade de France est devenue compliquée… Non, je ne souhaite pas en savoir davantage. Et savoir quoi d’ailleurs ? Pourquoi ? Et s'il n'y avait tout simplement rien à comprendre. Car rien ne justifiera jamais cette folie meurtrière, rien jamais n'autorisera l'oubli. Rien... 




lundi 5 novembre 2018

Rien ne se crée

La référence permanente faite en ce moment à l’ancien monde ne me parait rien d’autre que la version contemporaine de la -  très artificielle - querelle des anciens et des modernes. La ligne de démarcation trace-t-elle vraiment une irréconciliable différence entre progrès et autorité ? En lisant ces jours derniers le roman de Camille Pascal* qui fait le récit des mois d’été chauds et tumultueux qui virent quatre monarques se succéder sur le trône de France, des trois glorieuses jusqu’au couronnement de Louis-Philippe égalité, je n’ai pu m’empêcher de faire un lien avec le très beau Guépard de Visconti. Toutes les révolutions se ressemblent en ce qu’elles s’annoncent toujours avec fracas dans l'ambitieux vent d'un progrès rompant avec le monde ancien, et, souvent se terminent par la modeste brise du conformisme et l'affirmation autoritaire du nouveau pouvoir d'enfants opportunistes. Rien ne se crée, tout se transforme et tout n'est finallement qu'affaire d'imitation, de répétition, de plagiat plus ou moins bien réussi. Le vrai - le seul - génie créatif est, heureusement, suffisamment rare pour qu'on s'en souvienne.

L’Histoire nous enseigne qu’il en est des révolutions comme de la marche du monde lui-même,  "pour que rien ne change, il faut que tout change" comme le dit dans une célèbre réplique un Tancrède exalté mais cynique à son oncle don Fabrizio Corbera, prince de Salina, au moment de partir rejoindre les tricolores du Risorgimento pour faire « sa » révolution.

Apparemment tout semble s’organiser toujours pour que rien ne change. Mais après tout est-ce un mal ? Quand les Orléans succèdent aux Bourbons, est-ce vraiment le succès du progrès contre la réaction, de la supposée audace des modernes au détriment de l'expérience des anciens ? Les prophètes des temps nouveaux l'emporteraient toujours sur les conservateurs d'un passé révolu. Enfin, jusqu'au jour où le temps a passé et que les jeunes cons sont simplement devenus plus vieux. Jusqu'au jour où les présomptueux qui pensaient avoir définitivement réglé le problème de la relation à leurs pères sont eux-mêmes confrontés au questionnement de leurs fils. Au crépuscule de l'ancien monde  répondra toujours l'aube radieuse d'un âge nouveau, dont l'éclat finira, lui-aussi, inéluctablement, par pâlir. Non, décidément, rien ne se crée...


(*) Camille Pascal - L'été des quatre rois - Plon, 2018

mardi 30 octobre 2018

Rien de commun

J'ai vécu les deux premiers jours de la première semaine du mois d'octobre d'une manière très curieuse. Assis à la table d'une salle de réunion, dans un hôtel de banlieue, vide ou presque, avec de parfaits inconnus à qui je n'aurais sans doute jamais eu l'occasion de parler à un tout autre moment et en un autre lieu. Expérience de cette mixité culturelle, générationnelle tout autant que sociale, que l'on cherche souvent à décrire sans y parvenir vraiment tant qu'on ne l'a pas vécue. De celle qui réunit des gens qui n'ont, à priori, rien en commun.

Professions libérales à la retraite, épouse soumise dont on comprend vite qu'elle est ici par procuration, à cause d'un mari, délinquant de la route et récidiviste, qui lui a "pris tous ses" points, chauffeurs de taxi et de VTC, commerciaux stressés, fumeurs de joints et alcooliques, petit apache de banlieue sans illusion, contraint par la justice, et, ton serviteur, ami lecteur, étaient réunis deux jours dans le cadre d'un stage de récupération de points sur leur permis de conduire. Rien de bien original, somme toute, puisque Coline Serreau - je l'ai appris entre temps - a, sur ce sujet, réalisé un film documentaire en 2013. On y croise d'ailleurs - je m'en suis aperçu depuis - l'un de mes camarades de faculté, devenu un avocat de renom, qui reconnaît "avoir toujours eu des voitures puissantes" et être propriétaire "d'une Ferrari et d'une Porsche" (!...). Je crois me souvenir que tu venais déjà à l'université au volant d'un bolide qui faisait rêver nos copines étudiantes... Car le point commun à tous ces "stagiaires", au-delà des différences culturelles et sociales, c'était la vitesse. Une vitesse excessive, parfois assumée, souvent niée, toujours dangereuse... Du genre à rouler à 170 sur une autoroute limitée à 110...

Le cadre du stage a agi sur moi comme une véritable madeleine de Proust. Et pour cause! Le bâtiment abritant l'hôtel était, dans mes jeunes années, la maison où logeaient les frères marianistes qui m'ont enseigné à l'Institution Sainte Marie/La Croix d'Antony. Ayant garé mon auto dans le parc, à l'ombre des grands arbres qui m'avaient vu, tant de fois, courir, sans jamais parvenir à le rattraper, contre le  temps qu'égrenait le chronomètre de notre professeur d'éducation physique (on ne disait pas encore EPS), j'abordais cet exercice avec un sentiment étrange où se mêlaient une forme de nostalgie de l'enfance et une culpabilité, renforcée sans doute, par cette plongée immersive dans mon lointain passé scolaire et religieux. Un peu motivé par la curiosité, je le reconnais, et désireux de recouvrer l'intégralité de mes douze points, je me suis trouvé confronté à la réalité beaucoup plus douloureuse de conducteurs qui, par ce qu'ils n'en avaient plus guère ou même, pour certains d'entre eux, parce que leur permis affichait des valeurs négatives, étaient contraints de passer ces deux jours ensemble. Relativité des choses...

Autres lieux, autres moeurs. La semaine dernière, accompagnant quelques amis d'hier et d'aujourd'hui, j'ai suivi le chemin de Saint Jacques, au départ du Puy en Velay jusqu'à Aumont-Aubrac. Tout autre rapport au temps et à la vitesse puisque nous avons parcouru les 100 kilomètres de ce tronçon en 4 étapes d'une journée, en marchant au total un peu plus de 20 heures. Ce groupe-là était plutôt du genre à cheminer à 5 kilomètres/heure les jours de grand vent. Très belle expérience que je te recommande, ami lecteur, même si, comme moi, tu n'as plus fréquenté depuis longtemps les bancs de la catéchèse des bons pères... La bonne soeur qui nous a accueilli le quatrième et dernier jour à l'étape du pèlerin d'Aumont a quand même essayé de me convaincre que mes efforts n'avaient pas été vains, que les derniers seraient les premiers et que, donc, j'avais accumulé quelques points positifs, à même de faire pencher la balance sur le grand livre du jugement dernier.

D'un côté, quatre points récupérés à l'issue d'un stage sur mon permis de conduire, de l'autre quelques bons points glanés le long des chemins du Gévaudan pour le salut de mon âme de pêcheur. Finalement, qu'il s'agisse d'un stage de deux jours très empreint du ressort des thérapies cognitives et comportementales ou d'une marche de quatre jours à la tradition toute catholique, romaine et apostolique, il s'agissait, à chaque fois, de se refaire la cerise pour se remettre en état d'avancer. Et puis de la maison de l'Abbaye à l'accueil paroissial, j'ai comme qui dirait replongé dans les souvenirs d'une enfance marquée par douze années d'un enseignement très religieux.

Alors, rien de commun ? Et pourtant...




samedi 22 septembre 2018

Douter, c'est être raisonnable

Sans illusion aucune sur l'humanité prise dans son ensemble, je suis cependant naturellement enclin à faire confiance aux individus.

L'essai de Frédéric Lenoir - le miracle Spinoza - qu'un ami m'a offert, fait écho au débat sur la laïcité qui agite notre société. Débat récurent me diras-tu que celui qui oppose les tenants d'une pensée spiritualiste (voir même théiste, c'est le cas, je le crois, de Spinoza) aux hérauts de l'adogmatisme libéral - tout particulièrement dans un vieux pays pétri des contradictions nées de sa longue histoire et qui réussit, dans le même temps, la prouesse de s'affirmer tout autant République laïque que fille aînée de l'Église.

En lisant le livre précité, on prend conscience que la question peut même faire débat chez les exégètes de la pensée spinoziste. D'un côté, ceux qui, comme Frédéric Lenoir, affirment que l'oeuvre de Spinoza, fondée sur une métaphysique, serait empreinte d'une forme de (pan)théisme (Dieu est nature) et, de l'autre, ceux qui, à l'instar de Pierre Bayle, défendent la thèse que le philosophe serait le fondateur d'une manière d'athéisme vertueux, précurseur des lumières et tenant d'une pensée humaniste libérée de toutes références religieuses. Le croyant contre l'athée.

Il est possible, je le crois, de réconcilier laïcité sincère et spiritualité revendiquée, c'est même ce à quoi il m'arrive d'essayer de m'employer. Je refuse en effet pour ma part de choisir entre ceux pour qui "tout ce qui est, est en Dieu" et ceux qui affirment que "rien de ce qui est, ne saurait être étranger à l'homme". Une troisième voie est, comme je l'ai déja évoqué ici, non seulement possible mais souhaitable (cf. "Tout ou rien", texte du 16 juillet 2018). Rien n'est pire en effet que d'être pétri de certitudes, rassuré par l'infaillibilité de ses convictions et de ne jamais douter. Entre Thanatos et Eros, je préfère la recherche d'un juste équilibre ordonné, au risque même d'un surmoi pesant, à la simple acceptation résignée du chaos qui naît de l'absence sartrienne de surmoi. Douter c'est ne pas se satisfaire de croire. Et puis, douter c'est d'abord et peut-être surtout douter de soi, apprentissage nécessaire à une certaine évolution. Douter, c'est être raisonnable.

Alors, même si les atrocités du passé n'ont souvent rien à envier à la férocité du présent, même si fanatisme et intolérance semblent malheureusement encore trop bien se porter en ce début de siècle, j'espère encore dans la capacité de l'individu de s'amender, d'aller au-delà des passions humaines, de s'améliorer et, partant, de contribuer au progrès de l'humanité. Rien n'est plus fort que la recherche inlassable de l'unité perdue, au-delà des différences. Croyants ou incroyants, peu importe au fond. Les convictions individuelles ne comptent plus dès lors que nous savons regarder, avec tolérance, dans la même direction et que nous acceptons l'apprentissage du respect de nos différences. Car apprendre, c'est d'abord accepter d'avoir tort. Aller contre soi-même. Sortir. Quitter le confort de ses certitudes, au risque même de se confronter à l'Autre ? Au risque parfois de se rendre compte qu'on peut avoir raison contre une majorité, contre tous ?

Douter c'est enfin comprendre que "tout est si incertain dans la vie qu'on est jamais sûr d'avoir raison"1 et que "si l'on veut avoir raison, réellement raison, il faut commencer par être raisonnable"2.



1. Victor Cherbuliez, in Le roman d'une honnête femme
2. Erik Satie, 15 mars 1924

dimanche 26 août 2018

Ne rien attendre

On dit que les périodes de rentrée peuvent être source d'angoisse.
Peur de la nouveauté, de l'échec ou simplement de la confrontation à l'inconnu...

En bon anxieux qui se respecte, je m’attends toujours au pire et n’anticipe généralement que le mauvais, que ce soit de manière consciente ou pas. Cette angoisse devant le vide de l’existence peut s'assimiler, je m’en inquiète parfois, à une forme de pessimisme, confinant même, dans les périodes les plus sombres, à une manière de fatalisme.

Pourtant, je ne me reconnais aucunement dans l'idée de ne considérer, comme les stoïciens, la vie qu’au seul prisme du destinisme et je ne veux pas me contenter d’attendre, accroché tel un lichen à son rocher, assujetti aux contingences de la nature et aux aléas de l'univers, que la marche inéluctable d’un destin auquel je serais entièrement soumis fasse son œuvre, en abandonnant toute idée de lutte contre l’adversité. Car penser que tout est écrit et attendre que la chance passe c’est ne rien attendre. Autant guetter la mort !

L'universalité du destin n'exclut en rien l'action individuelle et mieux vaut toujours agir - au risque de l'aventure - pour avancer, quitte à se trouver confronté, par un curieux paradoxe, à défier notre destin mortel, puisque le comble du fatalisme c’est le mépris même de la mort. Notre liberté n'est pas seulement celle qui nous permettrait de réagir aux affres d'un sort déterminé par toutes sortes de causes, mais bien plutôt celle de pouvoir agir pour influer sur le sens même que nous voulons donner à notre vie. Quitte à devoir nous confronter à l'angoisse née du vide qui semble nous séparer des choix que nous pouvons opérer pour agir. L'angoisse ne serait-elle, dès lors, qu'une forme d'expérience de la  liberté ? 

J’ai lu récemment que le corps humain, à l’instar des cucurbitacées, était composé en grande majorité d’eau (jusqu’à 90%...). Notre état d’inquiétude émotionnelle fait donc de nous - de facto - des sortes de grosses courges anxieuses. Des grosses courges, oui, mais des courges libres et agissantes.


Cher ami lecteur, je te souhaite une bonne rentrée.

lundi 13 août 2018

Rien n'est plus cher que nos souvenirs


Après une longue marche autour de la presqu’île de la Revelatta, déjeuner hier au Mara Beach, l’une de ces paillottes nichées au fond d’une baie tranquille dont seule l’île de beauté à le secret. On croit qu’elles ont toujours été là ces cases de plage, tant  – et c’est le cas ici – elles ont fort heureusement souvent su s’intégrer dans le paysage, s’y fondre et n'en rien dénaturer la beauté (sauf, peut être aux yeux de quelques bobos grincheux et autres bio-conservateurs). Pourtant l'administration est là qui veille et que rien ne semble perturber dans ces certitudes et l'assurance de la justesse de son action contraignante et normative, pas même le piteux souvenir de quelque grotesque "action d'éclat" (Boom !) préfectorale...

Au cœur de notre hiver parisien, nous avions été alertés par des amis sur le risque de disparition pour cause administrative qui pesait sur cet établissement. Nous fûmes nombreux alors à nous mobiliser pour que cela n'advînt pas.

J’ai lu ces jours derniers que dans le Var, à Pampelonne, la plage des jumeaux était elle-aussi menacée de fermeture. Que de souvenirs sur cette plage qui était, loin du snobisme du Club 55 ou des exhubérances exotiques d'autres établissements à la clientèle de nouveaux riches, ma préférée lorsque je fréquentais encore le golfe de Saint Tropez... Chaton venait de se lancer dans la peinture, les jumeaux étaient encore deux. Nous y avons fêté quelques anniversaires au mois de mai et nous y avons joué au Backgammon avec Renaud qui terminait ses études de médecine et venait tout juste de s’engager en politique. 

Partie de Backgammon 

Il nous est même arrivé (n’est-ce pas Jean et Pierre-Jean?) d’y fêter parfois l’an neuf sur le sable...

Il me revient qu’un jour j'avais croisé sur la plage Marc Cerrone. Impossible dès lors de ne pas évoquer le souvenir de mes 1ers achats d’import US dans la boutique qu’il avait ouverte au centre commercial de Belle Épine. Je lui rendais visite chaque fois que mes parents m’emmenaient y faire des courses. J’y ai découvert le rythme et la soul des tubes de KC & the sunshine band ou encore l’inégalable groove funky d’EWF avec « Fantasy ». La mère de Cerrone, qui habitait alors à Antony dans la rue qui faisait face à notre maison familiale, était coiffeuse dans le salon que la mienne fréquentait. Elles évoquaient parfois son batteur de fils qui, de temps à autre, me faisait rêver en garant sa Porsche 911 devant chez nous lorsqu’il venait en visite familiale. Mais, foin de nostalgie me diras-tu…

La nostalgie tout autant que les souvenirs sont des mensonges qui, dans notre monde, n’existent pas davantage que nos rêves. Pourtant parfois, au détour de l’actualité, ils peuvent prendre la force et la vigueur de l’instant présent en invoquant ce passé qui est dans notre mémoire et qui, comme l’écrit si justement Denis Tillinac dans un éditorial cette semaine, «...nous protège des démons de la désespérance ».

Pas seulement au nom des souvenirs d’un temps passé qui ne sera plus, mais surtout pour toutes les mémoires qui restent encore à écrire, pour lutter contre l'uniformisation, l'ennui et la cafardeuse grisaille que nous réserve trop souvent le quotidien, oui, souhaitons pour l'avenir que, longtemps encore, vivent le Mara Beach et la plage des jumeaux !

Nature défigurée à la Revelatta. Vraiment ?


lundi 16 juillet 2018

Tout ou rien ?

Blanc ou noir, vrai ou faux, intérieur ou extérieur, transcendance ou immanence... La vie doit-elle seulement se résumer à une succession de choix ? L'alternative est-elle aussi simpliste ? Tout ou rien ?

Et si le choix ne se résumait pas à sa plus simple acception binaire. Et si, enfin, on décidait d'être un peu plus nuancé, tout simplement. Et si on renouait avec cette belle idée de l'unité perdue ? 

Pas simplement l'un ou l'autre mais l'un et l'autre. Avec "un" et "autre" qui ne se contenteraient pas de s'additionner mais fusionneraient, au-delà des valeurs du "vrai" ou du "faux" dans un troisième terme qui serait celui de la "possibilité". Oubliant un instant la logique classique bivalente pour laquelle une proposition ne peut être que vraie ou fausse, la logique ternaire nous permet d'aborder la troisième voie de l'inconnu et du possible. Un plus un faisant bien plus que deux et un par un ne se résumant pas à un. Une fusion dans laquelle un par un s'exalterait en un trois rayonnant. Mais pas le "trois" entendu dans l'acception classiquement ternaire du chiffre mais bien dans le sens trinitaire d'un "je" qui parlerait à "tu" de "il", l'un parlant à l'autre d'un tiers absent, insaisissable mais pourtant bien présent, symbole de l'unité plurielle, diverse et pourtant perdue de l'humanité.

Mais, si la vie ne saurait se résumer à devoir opter entre "tout ou rien", à force de vouloir en toutes choses exprimer de la nuance, certains pourront objecter que le risque est grand aussi qu' on finisse par ne plus jamais rien choisir du tout... Nous en sommes pourtant loin, tant notre époque utilitariste voudrait partout voir triompher la pensée causale et dualiste du langage le plus répandu qu'est désormais le langage informatique. Une logique binaire tend à s'installer, mortifère en ce sens qu'elle est, par essence, exclusive du tiers. Plus de place pour les interstices ou les chemins de traverse dans une pensée qui ne s'exprime qu'en bits, succession infinie de "0" et de "1". 

Et certains de décrire notre temps comme celui des "ravages de la binarité"ou de la "forclusion du tiers"*. Un temps où la polémique a remplacé la discussion, où le chroniqueur a pris le pas sur le débatteur, ou le tweet tient désormais lieu de figure de rhétorique. "Si tu n'es pas avec moi, tu es forcément contre moi". Est-ce vraiment si simple ?

En un sens, accepter la figure trinitaire c'est nous accepter nous même et donc renouer avec notre humanité. S'ouvrir au tiers, c'est comprendre et accepter l'autre en nous et, partant, concourir un peu à retrouver au fond de soi la trace de l'unité perdue pour essayer, à notre manière, de réunir ce qui est épars à l'effet de nous unir vers l'uni.


* Cf. les travaux de Dany Robert-Dufour sur les mystères de la trinité

mercredi 27 juin 2018

Plus rien à faire... Vraiment ?

Après une chronique télévisée dans laquelle un célèbre journaliste économique se désolait, ce matin, que nous puissions, au détriment de l'investissement dans l'entreprise être devenus les champions du monde de l'épargne financière, on a pu voir – drôle de proximité - un spot de publicité ventant les mérites d'une automobile dont le curieux slogan est : « ce qui peut vous arriver de mieux... c’est qu’il ne se passe rien !»

Étonnante promesse, surtout lorsque, en pleine coupe du monde de football, elle est associée, par le malheureux concours d'un partenariat commercial, à l’image de l’équipe de France. De là à considérer que ce qui pourrait arriver de mieux en Russie aux joueurs de Didier Deschamps serait qu’à force de thésauriser ils n’arrivent à rien, il n’y a qu’un petit pas...

Drôle d'époque qui préfère le match nul obtenu sans aucune prise de risque, assurant (sic!) la qualification de notre équipe nationale, à une victoire héroïque comme celle des coréens du sud, sortis de la compétition mais glorieux vainqueurs de l'équipe championne du monde; une de celles qui bien sur exposent mais dont le panache suscite longtemps après encore l'admiration des spectateurs. 

Ne serait-ce pas, au fond, une nouvelle conséquence de ce fameux "principe de précaution" qui doit aujourd'hui présider à l'ensemble de nos prises de décision ? Surtout ne jamais prendre le moindre risque et plutôt même ne rien faire que de jamais s'exposer! S'épargner plutôt que de se trop dépenser. Petits calculs ou goût de l'aventure ? (s')épargner ou (s')investir ?

Cela fait déjà presque quatre semaines que j'ai, pour ma part, repris ma liberté et que, choisissant l'inconnu des chemins de traverse, je ne me suis plus rendu, comme je le faisais chaque matin depuis sept ans en ligne droite, jusqu'au bureau que j'occupais au sixième étage du 238 de la rue de Vaugirard... Combien de fois pourtant m'étais-je entendu dire: "reste tranquille, au chaud...", "fais le dos rond...", "ne prend pas de risque..." (Grrr!)

J’ai finalement pris la résolution de ne plus regarder le sol mais de porter haut mon regard pour mieux pouvoir contempler les étoiles. Pour décrocher la lune, c'est toujours mieux que baisser la tête et regarder ses pompes.C'était surtout, je crois, la garantie de pouvoir continuer à croiser, sans gêne, mon reflet dans le miroir de la salle de bains. 

Et puis, mieux vaut parfois avoir la tête ailleurs que de marcher dessus...

Ces quelques jours ont passé très vite et m'ont permis de prendre de la distance et de me tenir éloigné du tumulte et des remous qui ont agité le siège parisien ces temps derniers. Ils ont non seulement constitué des moments propices à la réflexion et à l'introspection mais également l'occasion de nombreuses rencontres, de conversations plus poussées qu'à l'ordinaire, d’arguments échangés et de prises de décisions. Ces moments m'ont aussi donné - ce fut le cas aujourd'hui - la très réconfortante opportunité de retrouvailles avec certains visages amis (ils se reconnaîtront) plus revus depuis trop longtemps... 

Et si ces journées de juin ont réellement été beaucoup plus actives que je ne l'avais envisagé, elles m'ont par dessus tout encore une fois donné le loisir de quelques petits riens qui font le sel de l'existence.
  
Associés au fil du temps, ces petits riens qu'il m'arrive parfois de relater ici et qui, pris dans leur singularité ne pèsent pas grand chose, forment peu à peu collectivement un tout qui, je l’espère, à la fin ne sera pas rien.

Alors, plus rien à faire... Vraiment ?

mercredi 30 mai 2018

Rien ne s'est passé

Émois, excitation, tentation, désir (sans doute) réciproque et puis... rien ne s'est passé.

Il y a presque trente ans, quelque-part en Europe. A l'Est... Une bouteille de mauvais alcool, un quignon de pain rassis, le froid, l'ennui d'un hôtel glauque et presque vide. Avec leur morgue de jeunes diplômés fraîchement promus au sein du service juridique et de la direction commerciale d'une grande entreprise française aujourd'hui disparue, ils étaient venus négocier un contrat compliqué avec des interlocuteurs qui, bien que feignant de découvrir les règles de l'économie de marché, n'ignoraient rien du dessous des cartes et des tentations parfois liées aux grands contrats dont pourtant le socialisme triomphant aurait dû les tenir éloignés.

Complexifiée par le parasitage d'intermédiaires en tous genres, la discussion sur les termes de la transaction promettait de s'éterniser. En tout état de cause, impossible de reprendre leur avion pour rentrer comme convenu le soir venu à Paris... Alors, une nuit de plus à l'hôtel. Dîner rapide dans un restaurant au deux-tiers vide, d'assiettes à demi remplies de denrées à moitié périmées (gestion de la pénurie oblige). Longue soirée passée au bar à vider une bouteille d'alcool local au goût anisé en se racontant leurs vies. Ils se connaissaient à peine.

Et puis l'heure est venue d'aller se coucher... 

Recherche d'un mauvais premier sommeil. Relents d'alcool. Migraine.

A deux heures, n'y tenant plus, au prétexte de la recherche d'un médicament, il toque à la porte voisine, qui s'ouvre immédiatement. Elle ne dormait pas non plus. Ils se font face. Elle est pieds nus. Ils portent tous deux des pyjamas de marque, totalement incongrus en ces lieux. Deux petits lits parallèles, une table miteuse, une chaise bancale et des rideaux sales. Rien de très sexy...

Après lui avoir donné un comprimé de paracétamol ou d'aspirine (?), elle lui propose de rester. Il accepte.

Chacun s'étend sur son lit et la discussion reprend. Plus profonde. Plus intime. 

Malgré l'espace qui sépare leurs deux couches, ils n'ont jamais été si proches.

A sept heures, la pâle lumière d'un soleil d'hiver allume la chambre. C'est déjà le matin. La nuit s'en est allée et avec elle la fantaisie d'un instant. 

Je n'en ai jamais nourri le moindre regret, juste un peu de nostalgie teintée encore aujourd'hui d'une très légère - ce qui la rend presque agréable - frustration.

Le passé n'est pas rien, pourtant rien ne s'est passé. 

lundi 28 mai 2018

Rien n'est plus important

Pour les idéologues de l'utilitarisme, la parole devrait être le vecteur exclusif de la transmission d'informations utiles. Concentrées, concises et, si possible, précises. Et si, au contraire, on rétablissait l'art subtile de la conversation ? Ces "paroles en l'air", ces mots qui expriment juste un avis, fut-il minoritaire, futile ou même inexact. Même chose pour l'écriture. Ecrire pour le simple plaisir d'écrire, en amateur, en dilettante. Revendiquer l'inanité de l'exercice, sans chercher à vouloir transmettre quelque information utile que ce fut. Mais essayer de le faire le mieux possible car, au fond, rien n'est plus important à mes yeux que de m'appliquer à faire sérieusement des petites chose inutiles.

S'astreindre à mettre un peu de futilité dans nos actes les plus graves, en ne se prenant jamais trop au sérieux, et mettre de l'application à faire le plus sérieusement possible les choses les moins directement utiles. Ecrire pour des raisons intrinsèques à l'acte d'écriture. Ne pas chercher à monnayer ni convaincre, ni même prouver quoi que ce soit. Mais juste inventer des univers de mots pour oublier un monde de maux, en essayant de donner du relief, même aux épisodes les plus mornes de l'existence.

Ces petits exercices sans grande conséquence que n'accompagne aucune intention de faire oeuvre de littérature et dont le seul risque est de se dévoiler un peu sont devenus au fil du temps une activité dont je mesure pleinement le caractère autotélique. Est-ce grave ? Je ne souhaite  pas sérieusement me poser la question. C'est sans doute le meilleur moyen de n'y apporter qu'une réponse légère.

mercredi 23 mai 2018

Ne plus rien faire

Véronique me dit souvent que je n'ai aucune mémoire. Elle n'a pas totalement tort. Mais au fond, est-il si important que tel souvenir nous échappe, que tel autre puisse être le seul fruit de notre imagination ou qu'un autre encore ne fasse la part belle qu'à ce que nous voulons bien nous rappeler ?

Si certaines de mes historiettes te paraissent à dormir debout, saches, cher lecteur, qu'elles m'ont souvent été inspiré dans des périodes d'éveil, lors même que j'étais allongé.

Le travail de mémoire est exercice d'écriture, et pas l'inverse. Chercher de la matière pour nourrir l'écrit. Quelle qu'elle soit. Car le verbe est bien une matière. C'est même, pourrait-on dire, une matière première. La "materia prima" des alchimistes. Celle qui précède tout puisque, comme l'énonce le prologue de Jean : "Au commencement était le Verbe".  Cette matière brute qu'est le Verbe en pensée, il nous appartient de le transformer et de lui donner, en agençant les signes qui construiront des mots, qui eux-mêmes composeront des phrases qui, se succédant, donneront, elles, corps au texte, la forme que nous voulons. A l'instar de la prime essence, notre imagination est à l'origine d'un monde auquel nous donnons forme et que nous essayons de manifester par l'écrit. L'écriture comme un révélateur de l'être en soi, comme un miroir de l'âme ?

Et ça n'est pas le moindre paradoxe de l’exercice que d'essayer d'ordonner le chaos de l'imaginaire par l'entremise des conventions et des règles très précises auxquelles obéissent les systèmes d'écriture. Ordo ab Chao.

Si une part de nos vies se passe à nous raconter à nous-même, consciemment ou pas, des histoires, il arrive parfois que nous éprouvions le besoin d'en raconter aux autres. Cette envie, rare et exaltante, je l'ai ressentie. Elle s'appelle désir d'écrire. Et peu importe si notre prose est porteuse, ou pas, d'une part de vérité ("d'après une histoire vécue"!) puisque rien d'autre n'est plus vrai à nos yeux que ce qui existe dans le secret intime de nos pensées les plus profondes. Ne plus rien faire ou prendre le risque de faire ce qu'on ne sait pas faire. Je prends mon risque. Et j'essaie, de temps à autre, d'écrire...

vendredi 18 mai 2018

Rien n'y fera

Ce blog a la prétention de n' apporter jamais la moindre réponse. Aucune. Rien. Est-ce si grave ?

Si j'écris, c'est d'abord pour essayer de partager les questions et réflexions qui naissent dans l'espace de création intime de mon silence intérieur. Spicilège sans autre ligne directrice que le chaos de mon imagination. Tentative d’ordonnancement de miscellanées le plus souvent pas très sérieuses. Pensée transformée en langage, exprimée dans une langue encadrée par des règles qui permettent, en la trahissant toujours un peu, de la traduire en signes d'écriture. Écrits sans autre intérêt, au fond, que celui d'avoir été couchés sur une feuille n'ayant elle-même guère de substance puisque j'ai choisi un support digital et dématérialisé.

Malgré son inanité,  mais sans autre risque que celui de peut-être regretter plus tard ce que j'écris maintenant, je continue de publier.

Ma grand-mère s'en est allée hier. Plus d'un siècle s'était écoulé depuis sa naissance. Née Badin, devenue Porte par les liens du mariage, Simone, orpheline de père à trois ans pour cause d'épidémie de grippe espagnole, aura connu ses arrière-petits enfants et fait le lien entre quatre générations de la famille. Cruel revers de cette longévité, au-delà d'un cercle familial de plus en plus restreint, sa compagnie intime comptait plus de fantômes que de vivants.

Avec son départ, autant redouté qu'annoncé, une porte s'est définitivement refermée. Elle seule établissait un pont entre ceux qui étaient nés au 19ème siècle, et dont elle faisait partager le souvenir, et ceux qui, nés au 21ème, porteront, je l'espère  encore longtemps, sa mémoire.

Il y a quarante-huit heures, elle évoquait avec moi la cicatrice encore vive de l'injustice d'une claque infligée par sa belle-mère alors qu'elle séjournait avec ma mère dans la maison des parents de son mari à Felletin. La seconde guerre mondiale avait commencé. Les allemands approchaient de Paris. Roger, pour les éloigner de la violence du conflit, avait expédié sa famille aux pieds du plateau de Millevaches, dans la Creuse, en les confiant aux bons soins d'une mère dont la rudesse de caractère n'était visiblement pas une légende. Plus de soixante-dix ans plus tard, c'est le souvenir de cette gifle et de ses larmes, toujours aussi vif, qu'évoquait la vieille dame au crépuscule de sa longue et riche existence.

Quels ressorts intimes pouvaient rendre le souvenir, somme toute assez anecdotique d'un simple soufflet d'humeur, encore assez cruel pour que les larmes lui viennent immédiatement aux yeux en l'évoquant ? De quelles secrètes humiliations était-il l'invisible invocateur ? Nous ne le saurons jamais. Leur mémoire, avec elle, s'en est allée...

J'aurais dû, si j'avais su - mais aurais-je pu ? - la faire parler plus tôt. Lui faire raconter, à l'effet de pouvoir ensuite tenter de rédiger quelques lignes. Au-delà de la tristesse que les mots ne sauraient seuls exprimer pleinement, le regret s'installe et avec lui la certitude qu'il faut, dès qu'on peut, écrire. Ecrire ne serait-ce qu'au nom d'un devoir de transmission.

Alors, tant que la petite lucarne ouverte sur un horizon de souvenirs nourris d'imaginaire ne sera pas refermée, je continuerai de m'essayer à l'écriture. Rien n'y fera...

jeudi 10 mai 2018

Rien. Jamais plus

Combien de fois ai-je été tenté de prononcer ces quelques mots : "Je le promets. Rien. Jamais plus..." Aurait-il convenu de feindre d'y croire ? Et pourquoi ?

Avec l'expérience, en toutes choses, les serments d'abstinence et les annonces de renoncement me paraissent aussi vains que les assurances d'éternelle fidélité...

Ce blog ne prétend à d'autre utilité que celle d'être. Combien de fois me suis-je déjà dit, comme sous la forme d'une promesse à moi-même : "encore un dernier texte et j'arrête" ! Pourtant, comme ces super héros de Marvel qui, malgré les blessures, la fatigue, le doute et l'ingratitude des hommes, chaque fois se relèvent, je continue et à l'instar d'Ovide "je poursuis opiniâtrement une inutile étude"; et ma petite entreprise, exclusivement inspirée par une manière de fantaisie à l'ambition d'être résolument improductive, continue d'emprunter les chemins les moins utilitaristes, en posant autant de questions auxquelles le plus souvent je ne cherche pas à apporter la moindre réponse. Renoncement.

Certains affirment que la sérénité résiderait dans l'absence de doute, je crois à l'inverse que rien n'est plus dangereux pour l'humanité que les certitudes inébranlables et les dogmes qui interdisent toute remise en cause. Seul celui qui accepte le questionnement, même s'il révèle une part d'humanité, une fragilité qui peut être évidemment source d'angoisse, celui-là seul témoigne de l'utilité de l'inutile.

Nietzsche a-t-il pensé son gai savoir en termes utilitaristes ? "Celui qui renonce", nous enseigne-t-il, "aspire à un monde supérieur, il veut poursuivre son vol plus haut et plus loin que tous les hommes de l'affirmation"*.

La lutte contre la barbarie du quotidien qui menace l'existence même de la civilisation et, plus généralement, toute quête de transcendance supposent d'abord l'apprentissage d'une manière de futilité, de vanité des choses, l’acceptation de notre propre finitude. La condition indispensable pour tracer la voie qui mène à l'élévation impose d'approcher de l'inutile. Encore faut-il accepter de vivre avec le vide et savoir composer avec des riens. Savoir renoncer pour mieux accéder aux profondeurs par superficialité ?

En guise de conclusion du jour, je citerai Théophile Gauthier : "ce qui est utile pour l'un ne l'est pas pour l'autre". Tout est dit. Ou rien. C'est selon...

mercredi 2 mai 2018

Spécialiste de rien

Aujourd'hui, j'ai eu 56 ans. Aux yeux de ma grand-mère, qui prend, à chacune de mes visites, un malin plaisir, à 103 ans révolu, à me présenter comme tel aux infirmières et autres aide-soignantes, je reste l'enfant de sa fille, son "petit-fils". Un très jeune homme. Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer la figure de l'une des plus grandes aventurières françaises du vingtième siècle. Ayant d'abord entamé une carrière de cantatrice, tout à la fois femme du monde, libertaire et féministe, elle est devenue, dans la deuxième partie de sa vie, femme au monde, infatigable voyageuse et, sans doute, l'une des anarchistes la plus honorées par la République.

En devenant la première européenne à pénétrer et séjourner dans la capitale du Tibet, alors interdite aux étrangers, Alexandra David Néel est allée chercher l'aventure à l'âge de 56 ans. Née en 1868, elle est morte en 1969. Illustrant parfaitement l'aphorisme de Jean Michel Ribes,"La tragédie c'est d'être encore jeune quand on est vieux", elle demanda en 1968 à l'administration gaulliste le renouvellement de son passeport. Sait-on jamais...

Elle était franc-maçon de Rite Écossais, bouddhiste et théosophe. La quête du sacré, qui tenait une place importante dans sa vie, rendait ses voyages également, et d'abord sans doute, intérieurs. Elle était avant tout curieuse et motivée par une soif d'absolu, celle qui porte à toujours repousser les limites, à aller voir se qui se cache au-delà de l'horizon. Si possible en empruntant les chemins de traverse les plus improbables, en fuyant son ordinaire, en voulant mettre de la distance entre soi et son quotidien. Bien que la psychologie nous enseigne que la fuite ne résout rien et que la prise de distance n'éloigne pour autant pas le sujet de ses difficultés, que nos problèmes ne restent pas derrière nous mais qu'ils sont autant de fardeaux qui accompagnent le voyageur, le désir de prise de distance est inhérent même à la soif d'aventure, au goût des voyages, à celui des nouveaux départs.

Distance avez-vous dit...

Une distance d'autant plus grande, s'agissant d'Alexandra David Néel, qu'elle voyageait le plus souvent masquée, grimée, déguisée. Comme si tout dans ses aventures n'était qu'illusion et ses voyages l'expression d'une volonté de fuir la réalité, ou de la travestir. On peut tout autant considérer, comme le fit en son temps Pierre Loti, que chaque voyage est une occasion de changer d’apparence et de se déguiser pour, en entrant littéralement dans la peau d'un autre, mieux apprécier l'altérité. Le travestissement comme une clé ouvrant une porte vers l'autre, une porte à l'Autre ?

Moi qui ne suis ni théosophe, ni bouddhiste, et encore moins anarchiste mais qui revendique fièrement être curieux en tout mais spécialiste de rien, il m'arrive de chercher l'inspiration dans ces exemples (ou encore dans le courage physique d'un Sylvain Tesson, dont j'ai déjà ici-même évoqué l'admiration que je porte à ses grands talents d'écrivain et d'aventurier) pour puiser la force - ce qui j'en conviens n'a rien d'aventureux - à l'effet, au même âge que la "dame de Digne" avait lorsqu'elle est entrée à Lhassa, de m'aider à simplement changer de chemin, à choisir l'inéprouvé, au lieu de toujours privilégier la routine, pour oser la voie d'une entreprise totalement nouvelle et inconnue.

On dit que tout est toujours possible à ceux qui osent, comme si se lancer sur des chemins ignorés était la garantie de tracer sa voie vers une vie nouvelle, une vie meilleure. Pourtant, l'aventure n'est rien d'autre que ce qui doit arriver (ad ventura) et elle peut tout autant être synonyme de mauvais sort que de bonne fortune, de bon ou de mal heur. "Nomen est omen". Le nom dit tout. Ou rien...

mercredi 25 avril 2018

Ne plus rien penser ?


Séjour en Écosse. La visite d'un pays tout à la fois proche et dépaysant qui m'a donné en tous points l'impression profonde de privilégier l'être au paraître. Une terre où la nature est encore partout présente dans une géographie spectaculaire qui associe régions sauvages, Lochs et Glens, terres et eaux.

Les eaux de la mer du Nord ou de l'océan Atlantique, des Lochs, des torrents, des lacs et des rivières, sans oublier l'eau de source, indispensable ingrédient dans la réussite d'un bon single malt Scotch Whisky.

Toute cette eau m'inspire aujourd'hui une réflexion sur la "Voie" (nourrie du souvenir de la lecture de quelques lignes de sagesse chinoise).

Aux sources du Taoïsme, Lao Tseu enseigne en effet qu'il faudrait accepter de voir l'existence comme l'eau qui coule. Être comme l'eau, c'est à dire laisser la vie aller, s'exonérer de toute volonté, en abandonnant toute forme, toute particularité, toute spécificité au bénéfice d'un "grand Tout". Accepter de ne plus être en quoi que ce soit l'auteur de quoi que ce soit, mais que l'ordre naîtrait du Tout, que la fin s'imposerait à nous, que nous ne serions pas fondement mais simplement conséquence du chaos issu de la séparation primordiale; qu'il conviendrait de rechercher en tout une manière d'équilibre de l'univers, même si ce dernier nous dépasse en tout point. Que la conscience de l'ordre des choses serait l'acceptation qu'elles sont simplement comme elles sont et que nous n'aurions aucune prise sur elles.

Une voie commune au-delà des volontés individuelles. Un ordre du monde qui n'en serait pas la somme mais irait au-delà de leur simple addition pour se dissoudre dans une volonté collective, expression d'une manière d'"Unité primordiale" retrouvée. Un monde naturel qui s'opposerait au monde des idées ?


Oublier son moi pour accepter que nous ne pourrions pas imposer notre ordre mais que nous ne serions que le fruit de quelque chose qui nous dépasse et nous transcende, un ordre naturel des choses, un "au-delà du visible", cet "axis-mundi" d'où tout partirait et où tout reviendrait, et dont il conviendrait, pour en prendre réellement conscience, de ne plus lui prêter attention pour "transformer le voile qui recouvre la lumière en miroir"

En rédigeant ces quelques lignes, je me rends compte que j'exprime une forme de pensée personnelle qui n'est rien d'autre que l'expression même de mon individualité; une praxis totalement à contre courant des fondements de la philosophie Taoïste. Car, pour respecter la "Voie de l'harmonie", celle du Yin et du Yang, sans doute en fait conviendrait-il de ne plus se poser la moindre question, de ne plus chercher à savoir pourquoi ou comment, de ne plus opposer blanc et noir, oui et non, être et non-être; ne plus rien savoir; accepter de se libérer d'abord de soi pour mieux se perdre, définitivement. Revenir à un état naturel. Régresser jusqu'à ne plus être, sans pour autant renoncer à être. Se fondre dans un entre-deux, un intervalle qui, comme un silence en musique ou le vide en architecture, participerait de l'oeuvre, en contrepoint, par l'absence même de son ou de construction. Un vide qui serait un plein, un silence qui ne générerait aucune angoisse et qui seraient perçus comme une absence évocatrice de la présence, indispensables à la compréhension de l'origine d'un espace ou d'un son (forme d'"être en puissance" pour paraphraser Bachelard ?) ou, comme l'a écrit Lao Tseu, que "c'est ce qui manque qui donne la raison d'être".

Au final, il faudrait, pour être pleinement au monde, accepter la disparition de sa singularité. Ne plus rien être pour revenir au Tout. 

Bien que je trouve séduisante la poursuite des entre-deux et les chemins de traverse ("Le vrai voyageur n'a pas de plan établi et n'a pas l'intention d'arriver" - Lao Tseu) qui conduisent parfois à nous rapprocher de l'unité perdue, je pense fondamentalement que si nous sommes au monde c'est en chacun de nous qu'il prend couleur et forme, que tout est déjà ici, qu'il n'y a pas d'ailleurs et que le monde existe d'abord et avant tout dans le regard que chacun d'entre-nous porte sur lui.

Des goûts, je le confesse, un rien sybarites me font préférer à la vie distillée comme l'eau chinoise, l'eau de vie de distillation écossaise, et ma réflexion me portera toujours à privilégier, je crois, la liberté individuelle et l'épanouissement personnel plutôt que la quête d'un improbable bonheur collectif, concept auquel je ne souscrits pas plus d'ailleurs qu'au semblable inconscient cher à Carl Jung, malgré le penchant certain que j'ai pour une grande partie de l'œuvre du théoricien de la psychologie des profondeurs.

Alors, en guise de conclusion provisoire j'aimerais, en matière de philosophie du quotidien, associer  plutôt le "Carpe Diem" d'Horace, traçant une perspective nettement plus humaniste que les sagesses orientales du contemporain de Confucius, au précepte socratique porté au fronton du temple de Delphes: "Connais-toi toi même...".

 Ne plus rien penser ? Ne plus rien dire ? Ne plus rien écrire ?... Aïe!

jeudi 12 avril 2018

Rien ne distingue vraiment un roman d'un agenda

Au début des années 80, je croyais - naïvement me diras-tu peut-être - que la cause des moudjahidines qui luttaient en Afghanistan contre "l'oppresseur soviétique" méritait qu'on s'y intéressât et même qu'on la soutienne. Il m'est arrivé, lors, d'organiser à la mairie de Puteaux  ou au théâtre d'Antony une réunion de soutien aux "freedom fighters", mêlant allègrement dans une forme de syncrétisme anticommuniste auquel je croyais à cette époque où un rideau de fer coupait encore l'Europe et le Monde en deux, les militants de Solidarnosc des chantiers navals de la Baltique et les pachtounes enturbannés de la vallée du Pandjchir. Mon panthéon personnel allait alors de Lech Waleza, en passant par Vaclav Havel, jusqu'au commandant Ahmad Shah Massoud. Ils avaient à mes yeux un point commun essentiel : jour après jour, ils enfonçaient  de mortelles épines dans les pieds de l'ogre moscovite... Rien ne distinguait alors pour nous la lutte des afghans de Kaboul de celle des polonais de Dantzig. La religion, peut-être ? Ou bien au contraire, était-ce, au delà de leur anticommunisme de circonstance, une forme de religiosité qui peut-être les rapprochait ?

Je parcourais récemment l'un de mes anciens agendas. J'ai réalisé tout soudain que rien ne le distinguait vraiment d'un roman, n'était-ce la couverture en moleskine indispensable à tout bon semainier. En effet, comme dans les ouvrages de fiction, c'est en prose que, jour après jour, on y inscrit ce que l'on doit faire. Comme dans un roman, il y a un début et une fin mais, à la différence de la fiction, ce sont toujours les mêmes; on y trouve aussi des personnages à foison - les habituels, les familiers, mais aussi parfois de nouveaux qui apparaissent puis disparaissent au gré des rendez-vous et des aléas de l'existence -, des allers et des retours, de l'action, des rebondissements; moins de suspense peut-être mais tout autant d'émotion... Comme dans toute bonne nouvelle, on peut laisser de côté un agenda puis y revenir, reprendre le cours de sa lecture, se replonger dans les souvenirs qu'évoquent les quelques lignes, et même plus souvent les quelques mots rédigés à la va-vite sur des feuillets quadrillés. Le livre est, comme l'agenda, tout à la fois contenu et contenant. L'un comme l'autre sont des produits complexes constitués d'idées soutenues par des mots mis en ordre, eux-même portés par un assemblage de feuilles dans lequel interviennent à la fois du papier, de l'encre, des éléments d'ordre textuel et typographique et parfois même d'ordre artistique, le tout prenant l'apparence d'un objet. Mais, cher lecteur, je m'égare. Revenons, si tu veux bien, aux combattants de la liberté si chers à M. Ronald Reagan...

Timbre commémoratif nord-coréen de 1985
C'est en consultant l'un de ces vieux calepins que je retrouve la mention d'un voyage effectué en avril 1985 en Jamaïque.

J'avais séjourné au pays des Rastas à l'occasion de la Conférence Internationale de la Jeunesse organisée avec le soutien actif des réseaux internationaux de l'AFL-CIO en réponse - pour ne pas dire, en réaction - au rassemblement de la jeunesse heureuse organisé à Pékin en mai de la même année et au festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui devait se tenir à Moscou au mois d'août suivant, eux-même organisés par les pionniers des mouvements de jeunesse communistes. Tout le monde a aujourd'hui oublié que l'année 1985 fut proclamée par l'Organisation des Nations Unies "Année Internationale de la Jeunesse". Et si, ami lecteur, je devais encore te convaincre du sérieux de cette affaire onusienne au beau slogan de "Participation, Développement et Paix", je te rappellerais que le président désigné du comité d'organisation de cette année internationale s'appelait Nicu, Nicu Ceauşescu, fils chéri du grand et très populaire démocrate, le Conducator roumain Nicolae Ceauşescu. C'était une époque de guerre froide. Une époque où le monde encore bipolaire s'organisait autour d'une forme d'équilibre de la terreur. Les conférences répondaient aux festivals, les manifestations aux rassemblements, les guerres populaires de libération aux mouvements pour la Liberté, les réformistes aux révolutionnaires, les forces du bien à l'empire du mal. C'était simple. Manichéen.

A Kingston, dans ce grand hémicycle de circonstance, notre délégation avait pour voisine immédiate la représentation afghane et dans cette improbable conférence des tropiques j'ai pu discuté avec Massoud. Grand et beau souvenir que celui de la rencontre avec cet érudit francophone, ayant étudié au lycée français Isteqlal de Kaboul, venu plaider sous les manguiers de Kingston la justesse de sa cause. Celui qui avait rejoint dès 1973 la clandestinité et qui ayant survécu à sept attaques majeures soviétiques s'était vu décerner le titre de "Lion du Panjshir" siégeait parmi nous, simplement, écoutant patiemment les dithyrambes de jeunes occidentaux sûrs d'eux et de leur combat qui croyaient lui rendre hommage mais ne comprenaient rien à ce qui se tramait vraiment du côté de Kaboul. Aucun d’entre-nous tous n'aurait pu alors imaginer que son assassinat marquerait bien des années plus tard le début d'une autre guerre aux contours moins nets, aux frontières moins claires, une guerre qui bientôt verrait couler le sang de jeunes soldats français, une guerre qui allait bientôt porter le fer et l'horreur terroriste jusque dans le cœur du territoire national.

La simple évocation de cette belle âme justifierait à elle-seule mon soutien affirmé de l'époque aux "freedom fighters"et puis en y réfléchissant bien, l'agenda que depuis Moscou, Bucarest, Cuba ou Pyongyang certains essayaient d'imposer à une jeunesse éprise de bons sentiments teintés d'internationalisme et de marxisme-léninisme n'était peut-être, au regard des jours sombres que nous avons depuis lors vécus, finalement rien d'autre qu'un beau roman, une belle histoire...

mercredi 11 avril 2018

Toujours aller plus loin ?

Depuis la prime enfance, on nous a enseigné qu'en toutes circonstances il fallait, dans ses rapports humains, savoir garder la mesure et, pour ne pas dépasser les limites auxquelles la politesse nous oblige, prendre garde de ne jamais trop forcer le trait ou d'exagérer, au risque d'aller trop loin.  

Bref ! Qu'il fallait savoir se retenir d'abuser, de trop tirer sur la corde ! Jamais ne dépasser  les bornes ! Et surtout pas " pousser mémé dans les orties"...

Mais à force de retenue, n'ai-je au fond pas été souvent empêché ? N'ai-je pas moi-même érigé et consolidé des obstacles pour mieux observer les règles de la bienséance, dressé les murailles du savoir-vivre qui me paraissaient infranchissables et qui, comme autant d'écrans et de voiles, ont rendu plus long, plus dure et parfois même totalement impraticable la route ?

J'en suis alors arrivé au moment où je m'interroge sur le sens de ces barrières qui m'ont, trop souvent, empêché d'aller voir au-delà des limites que je m'imposais, de cheminer plus avant, de progresser, et même peut-être, sur certains points, tout simplement de mûrir.

Certaines portes - pas toutes ! - sont bonnes à enfoncer, certaines certitudes - ou absences de certitudes - à bousculer et l'évolution est une course contre le temps qui doit savoir s'affranchir des haies de l'habitude et du conformisme.

Mais si la liberté seule autorise la transgression des règles et permet d'entrevoir une voie vers la vérité, il ne saurait pourtant être question dans mon esprit de renverser tous les totems, de fouler aux pieds tous les tabous ni même d'interdire d'interdire. Pour avancer sur le chemin de la recherche de la vérité, encore faut-il accepter une forme d'ordonnancement et le respect de certains usages, une manière d'othopraxie qui rend seule possible la vie en société.

Car si la transgression libère, seule une progression harmonieuse et ordonnancée permet d'approcher de la connaissance de sa singularité. Et, alors que le joli mois de mai s'annonce, et, avec lui les "célébrations" en tous genres du cinquantenaire de 68, je continue à croire que tout ne se vaut pas et que, comme aurait pu le dire un mien ami poète et grand amateur des aventures du commissaire San-Antonio, si la transgression autorise presque tout, on ne saurait - dans le seul dessein de toujours aller plus loin - pour autant "sucer Gégé dans les orgies" ! (petit clin d’œil à la filmographie - ô combien ! - jouissivement transgressive de Bertrand Blier).

vendredi 6 avril 2018

"Personne d'autre". Un rien de mélancolie

Françoise Hardy était hier matin l'invitée sur Europe 1 de Patrick Cohen (Si! Si! il m'arrive d'écouter M. Cohen. Je l'ai même parfois entendu sur France Inter...) à l'occasion de la sortie de son nouvel et vingt-septième album, "personne d'autre".

Expliquant pourquoi elle avait adapté le titre d'un groupe de rock indépendant finlandais assez underground ("Sleep" des Poets of the fall), dont j'ignorais à peu près tout jusqu'à ce jour, elle indiquait qu'elle n'avait jamais su résister à une belle mélodie. Je suis comme elle et je constate, moi aussi, que les belles mélodies que je préfère sont souvent des titres au tempo lent et mélancolique. Et, crois-moi, cela n'a rien d'antinomique avec mon goût très immodéré pour le Rock, et même souvent pour le Rock que les riffs de guitares saturées et les "line up" de rythmiques grasses rendent assez inaudible aux non initiés et, pour tout dire, impropre même à la consommation de certain(e) de mes proches. Mais je l'affirme, on peut aimer le Rock le plus dur - celui des longs solos de six cordes, qui sent la bière, la sueur et le cuir - et les ballades acoustiques, les douceurs aux belles harmonies vocales, de celles qui ont des faux airs de pop suave pour midinettes.

A preuve, les groupes de Metal, de Hard-Rock ou de Blues-Rock sudiste sont très souvent d'excellents mélodistes et leurs ballades, fréquemment du caviar à se mettre entre les oreilles. Qu'on se souvienne du "Stairway to heaven" de Led Zep', "Behind blue eyes" des Who, de "Dust in the wind" de Kansas, de l'excellent "More than words" du groupe de Nunno Bettencourt, Extreme, dont on vient de fêter le 25ème anniversaire, du "Dreams" des barbus confédérés de Molly Hatchett ou bien, davantage Brit' Pop, du "Don't dream it's over" de Crowded House, sans oublier l'inégalé "Angie" des Stones ou encore - c'est, je l'avoue, l'un de mes titres favoris - du "Maybe tomorrow" des rockeurs gallois de Stereophonics (choix établi de façon spontanée et presque automatique,dont j'assume la totale subjectivité, sans l'idée aucune d'établir un quelconque classement).


Je suis éclectique et en cherchant aussi du côté du Hip-Hop et des musiques urbaines, je t'assure, cher lecteur, qu'on découvre des perles mélodiques, bien loin de la caricature de certaines éructations rappeuses. Je recommande tout particulièrement aux plus dubitatifs d'entre-vous l'écoute de "Same drugs" de Chance the Rapper, "All along" de Kid Cudi ou encore les compositions douces et mélodieuses de Arrested development ou De La soul.


Aujourd'hui Jacques Higelin est mort. Que dire ? Il est déjà trop tard...
Tant de souvenirs me reviennent. Depuis ma chambre adolescente jusqu'aux bœufs improvisés chez Tao. Les mots sont dérisoires pour exprimer la peine et j'en connais du côté de la citadelle de Calvi qui doivent avoir le cœur bien gros... Alors pour conclure, je te propose une formidable ballade du groupe The The. Avec elle, on pourra toujours essayer de se consoler en considérant que dans le Rock, comme ailleurs, l'amour restera, heureusement, toujours le plus fort. Champagne!

"Love is stronger than death".



mercredi 4 avril 2018

Un rien d'égarement... totalement désorienté

Quand tu ne sais plus quelle route éviter pour ne plus suivre des chemins qui ne mènent nulle part. Quand la question du bon ou du mauvais sens t'amène à te faire du mauvais sang sur la direction à suivre. Quand les panneaux semblent ne plus vouloir rien indiquer et que les signes eux-mêmes deviennent indéchiffrables, tu en arrives parfois à te dire que tu as dû, à un moment ou un autre, prendre la mauvaise voie. Et tu crois, dur comme fer, que tu n'es en rien responsable si tu as fait le mauvais choix ni si, en conséquence, tu t'es trompé d'orientation.

Comme un égarement issu d'une manière de grand dérangement, l'automobiliste exaspéré d'un jour que tu es a tôt fait alors de rendre seul responsable de sa divagation le bordel qui règne dans les gares et qui l'égare.

Grévistes, Gouvernement, syndicalistes, fainéants en tous genres, automobilistes ignorant des règles de la conduite urbaine, piétons, cyclistes et les autres, tous les autres avec, portent, à tes yeux, une part de responsabilité majeure dans les errements successifs qui ont fini par te perdre. 

Pourtant, nous sommes, à chaque instant de notre vie, libre de nos choix et le cheminot en lutte ne saurait être tenu pour unique responsable de notre propre déroute. A défaut de suivre des pistes qui nous perdent, nous pouvons toujours nous arrêter, nous retourner, comme le disait Pierre Dac, "pour avoir notre avenir dans le dos", faire demi-tour ou même simplement accepter le déconcertant écart qui peut être à la source d'un salutaire dépaysement, d'une autre voie, de celles qui nous rapprochent enfin de l'inutile.

Cette vision diagonale, ce "pas de coté"  - déjà évoqué ici-même - qui nous fait prendre la tangente et autorise un autre point de vue sur le monde, comme un terme médian conférant une vision duale et équilibrée qui, cessant de préjuger que le choix ne se réduit qu'à une alternative entre un bon ou un mauvais chemin, n'oppose plus les contraires mais les réunit en les rendant complémentaires. Et comprendre enfin que si sur l'échiquier le fou seul est contraint à la diagonale, la Reine comme le Roi tirent un atout majeur de cette option dont ils disposent l'un comme l'autre pour leurs déplacements.

Alors, les erreurs de parcours sont-elles autant d'occasions manquées ou, au contraire, des portes ouvertes sur d'autres lointains ? 

Un rien d'égarement et me voilà - enfin ! - totalement désorienté.

vendredi 30 mars 2018

Rien n'est plus compliqué... (Questions)

Certains définissent l'écriture comme une école du silence. Est-ce si juste ?

Si nous écrivons c'est d'abord pour circonscrire le manque, juguler l'absence, combler le vide. Tous les vides. Même, et peut-être surtout, par des petits riens.

L'écriture est parole mais elle n'est pour autant pas comparable à celle qui est proférée oralement. Nous écrivons lorsque nous ne parlons pas. Quand, pour une raison ou une autre, nous ne pouvons pas, quand nous sommes empêché de parler pour nous exprimer, pour échanger et, simplement, nous ouvrir à l'autre. N'avons-nous pour autant rien à dire ? Derrière le mot se cache souvent un silence encore plus parlant.

"Le mot empêche le silence de parler" écrivait Eugène Ionesco mais ne doit-on pas plutôt considérer que l'écriture est un silence, un silence exprimé, un silence mis en signes et, donc, un silence, en quelque sorte, parlé ? Un silence parlant ? Voir même parfois hurlant ? L'écriture, comme une forme d'expression du silence.

Si le silence traduit dans les rapports humains l'incommunicabilité entre les êtres et renvoie l'autre au néant, le silence de l'écriture n'exprime-t-il pas ce qui est indicible et, partant, ne dit-il pas bien mieux que le verbe la réalité du monde tel que nous la percevons mais une réalité à la manifestation tellement intime que nous sommes incapables de la rendre intelligible à autrui ou simplement de la révéler en paroles ?

Apagogie ? Peut-être. Mais l'inanité de l'écriture ne témoigne-t-elle pas au fond de l'absurdité de l'existence ?

Vraiment, rien ne m’apparaît plus absurde ni plus compliqué que d'essayer de communiquer pour établir un rapport à l'autre. Surtout si, comme le suggère Emmanuel Levinas, s’ouvrir à l’autre c’est "l’écouter, lui parler et s’adresser à lui en prêtant attention à son dire et pas seulement à son dit [1]". Percevoir le signifiant derrière le signifié. Essayer d’entrevoir l'intention par-delà les mots employés ou l’attitude. Entrevoir l'Autre. Cet Autre dont nous sommes divisé, séparé et dont l'image nous renvoie, comme en miroir, le terrible constat que si les choses sont si difficiles c'est peut-être d'abord parce que nous sommes séparé d'avec nous-même

[1] Emmanuel Levinas - Totalité et Infini : Essai sur l’extériorité - Le Livre de Poche.