mardi 14 novembre 2023

Rien n'est simple

On les juge "différents", ils nous font parfois peur, notre société montre même souvent du doigt ceux dont on dit qu'ils "parlent tout seul". Pourtant, as-tu conscience, cher lecteur, du temps que tu passes à soliloquer, à discuter en tête-à-tête avec toi ? Nous passons tous plus du tiers de notre temps éveillé (dit-on...) à nous parler à nous même. Ce "dialogue intérieur" est un aspect normal de la pensée humaine tout à fait commun et partagé qui se fait essentiellement de manière inconsciente. Il est lié à la manière dont nous négocions avec nos propres sentiments, nos dilemmes émotionnels, nos frustrations, et nos convictions.

Nos pensées intérieures nous permettent de réfléchir à nos expériences, nous aident à traiter des informations et à prendre des décisions. Elles reflètent nos émotions, nos motivations profondes et notre compréhension de nous-même et des autres. Mieux appréhender le dialogue intérieur c'est ouvrir une fenêtre sur la réalité du cœur des hommes, en offrant une exploration profonde des pensées, des émotions, et des conflits internes qui caractérisent l'expérience humaine car, bien que nous n'en ayons le plus souvent pas conscience ce dialogue avec nous même est bien toujours présent. 

Certains peuvent faire le choix de le partager dans des textes, d'autres cherchent à l'exprimer au coeur du cabinet de leur thérapeute, enfin beaucoup le gardent pour eux.

Dans la littérature ou la psychologie narrative, le dialogue intérieur est utilisé pour explorer la complexité des expériences humaines. Il offre un accès direct aux pensées les plus intimes d'un personnage, révélant souvent des conflits internes, des luttes émotionnelles et des questionnements profonds. Cela peut contribuer à créer des personnages plus nuancés et réalistes, car cela donne aux lecteurs un aperçu des motivations secrètes qui influencent les actions et les relations des personnages. La réalité du cœur des hommes est celle de ce dialogue intérieur. Elle participe de la révélation de la véritable nature de l'expérience émotionnelle et spirituelle de chacun. Cette réalité profonde est traversée par un large éventail de sentiments tels que l'amour, la douleur, la joie, la peur, et d'autres expériences intimes qui façonnent notre humanité. 

A la lecture  des "petits riens", plusieurs lecteurs de mes amis ont parfois témoigné de leur surprise, tant ce qu'ils y ont trouvé leur paraissait éloigné ou différent de celui qu'il pensait bien connaître. Ce blog m'offre, régulièrement, un champ d'expression de mon dialogue intérieur. Une façon d'exorciser quelques démons, de verbaliser certaines pensées et de partager ce qui me meut et m'émeut. Une illustration sans prétention aucune que, non, rien n'est simple dans le cœur des hommes.

dimanche 5 novembre 2023

Rien jamais ne fut

Même si elle est intellectuellement séduisante, la phrase "rien jamais ne fut" doit être interprétée de différentes manières en fonction du contexte. Elle peut évoquer des idées tout autant philosophiques que poétiques ou même métaphoriques. Je te livre, ami lecteur, quelques interprétations possibles :
  • Dans une première acception philosophique, cette phrase pourrait évoquer l'idée que rien n'a jamais existé ou que rien n'a de réalité intrinsèque.
  • "Rien jamais ne fut" peut aussi être une expression poétique pour signifier que certaines choses sont éphémères et passagères, que tout est impermanent.
  • Réflexion sur le temps, elle est alors utilisée pour souligner la futilité de certaines choses dans le contexte du temps qui passe. Elle rappelle que le temps efface tout ou que rien ne dure éternellement.
  • Réflexion existentielle, enfin, elle exprime un sentiment de nihilisme, suggérant que tout ce que nous faisons ou vivons n'a finalement ni signification ni valeur intrinsèque.
Le sens de cette phrase peut donc varier en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée et de l'interprétation personnelle de celui qui l'emploie. Attachons nous un instant à son interprétation existentielle. L'affirmation que "rien n'a jamais vraiment existé" (que "rien ne fut"...) reflète une perspective philosophique ontologique radicale qui peut être rattachée à certaines conceptions philosophico-religieuses et à la philosophie de la réalité. Qu'il s'agisse d'une certaine forme de Nihilisme métaphysique suggérant que la réalité elle-même n'a pas de nature intrinsèque, que tout ce que nous percevons comme réel est une construction mentale ou conceptuelle, et que la notion même d'existence est dénuée de sens, remettant en question l'existence même de tout ce qui nous entoure. D'un point de vue mystique ou non dualiste, on peut également soutenir que la distinction entre ce qui existe et ce qui n'existe pas est une illusion conceptuelle. Selon cette perspective, tout est une partie d'une seule réalité indivisible, et donc, rien n'a d'existence autonome. Enfin, certaines réflexions philosophiques portent sur la nature de la réalité et la question de savoir si notre compréhension de l'existence est - au-delà de l'expérience sensible que nous en avons - limitée par nos concepts et nos catégories mentales (entraînant, de facto, une manière de conception culturelle de l'existence). Si ces points de vue peuvent être complexes et profonds, je comprends qu'ils ne sont pas nécessairement acceptés par tout le monde. La question de l'existence et de la réalité - que nous avons souvent abordée sur ce blog - est au cœur de nombreuses discussions philosophiques et métaphysiques, et différentes écoles de pensée offrent des réponses variées. La  perception qu'on en a peut différer d'une philosophie à l'autre et d'une personne à l'autre. Il convient cependant d'essayer d'aller un peu plus loin pour éviter les écueils d'une pensée qui ne serait que "relativiste", une pensée où "tout se vaut", porte largement ouverte à toutes les dérives délirantes et/ou complotistes.

Certaines philosophies ont exploré la piste d'une construction de la réalité par la conscience humaine et des œuvres de fiction telles que Matrix ont largement contribué à populariser l'idée du monde comme représentation. L'idée selon laquelle la réalité procède d'une construction, remettant en cause toute forme de loi naturelle ou de déterminisme (même dans le domaine scientifique), est désormais partagée par nombre de nos contemporains, avec ce qu'elle porte intrinsèquement de dangers et d'écueils. Celui du relativisme et des tentations identitaires notamment. L'idée selon laquelle il n'y aurait pas de vérité, que toutes les représentations se valent, voire que notre représentation personnelle serait largement supérieure à celle des autres, induit le risque du déni de l'Autre, parfois même de sa réification. Choisir ses morts, dans une forme paradoxale d’empathie sélective, est contraire à l'idée d'universalisme des Lumières. Les dramatiques événements qui endeuillent le Proche Orient nous rappellent chaque jour tragiquement que les approches relativistes et identitaires, parce que communautaristes et excluantes, portent en elle les germes du conflit et de la haine.

L'affirmation que "rien n'a jamais vraiment existé" peut aussi parfois être rapprochée d'une forme de sentiment de dépossession, qui fait référence à un état émotionnel où une personne se sent dépossédée, c'est-à-dire qu'elle a le sentiment de ne plus avoir le contrôle sur quelque chose qui lui appartenait ou qu'elle considérait comme sien. Pour certains philosophes idéalistes, comme George Berkeley, la réalité matérielle n'existe que dans l'esprit. Selon cette perspective, rien n'existe en dehors de notre perception, ce qui signifie que tout ce que nous percevons est une construction de notre esprit. Dans ce contexte, l'existence des objets est liée à la perception, et il peut sembler que "rien n'a jamais existé" en dehors de notre esprit. Dans l'existentialisme, il est souvent question de l'absurdité de l'existence humaine et du sentiment de dépossession. Les existentialistes, comme Jean-Paul Sartre, ont exploré le sentiment de vide et d'aliénation. L'idée que "rien n'a jamais existé" pourrait refléter un désespoir existentiel ou un désir de remettre en question les fondements de l'existence.

Le "sentiment de dépossession" pourrait être lié à l'idée que l'individu se sent étranger, séparé ou aliéné par rapport à la réalité ou à lui-même. As-tu, comme moi, déjà pu ressentir cet état émotionnel ? On peut éprouver ce sentiment si on perd ses biens matériels, comme sa maison, sa voiture, ou des objets auxquels on tenait particulièrement. Ce sentiment peut également se produire lorsqu'un individu a le sentiment de perdre une relation importante, comme une amitié, une relation amoureuse, ou encore des liens familiaux ou sociaux. Il peut survenir à la suite d'un deuil, d'une rupture, d'un éloignement, de conflits relationnels ou être la simple conséquence de l'isolement, volontaire ou subi. Il peut également se manifester lorsque quelqu'un perd son sens de l'identité, par exemple, lorsqu'il traverse une période de crise existentielle ou lorsqu'il n'a plus confiance en lui. Dans certains cas, plus pathologiques, le sentiment de dépossession peut résulter de facteurs tels que la dépression, l'anxiété, ou d'autres troubles mentaux qui affectent alors la perception de soi et du monde de celui qui en est 

Pour Friedrich Nietzsche, "il faut savoir se perdre pour un temps si l'on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes"... Pour celui ou celle qui se perd à ne pas exister, la question essentielle est celle du retour à soi et à la croyance que sa vie, la vie - même si nous ne savons pas toujours bien ce qu'elle est - est bien réelle, ici et maintenant, à l'effet de pouvoir en reprendre sinon le contrôle, du moins le cours, une invitation à transcender le passé, à laisser derrière soi les souvenirs, les expériences et les regrets, et à se concentrer sur le présent et l'avenir en rappelant la liberté de l'individu à créer sa propre signification dans un monde apparemment dépourvu de sens intrinsèque, à l'effet d'oublier, enfin, que rien jamais ne fut.

"Nous n'avons jamais été celui que nous croyons (...) nous ne faisons que nous souvenir de ce qui s'est jamais passé." Carlos Ruis Zafon*