mercredi 25 septembre 2019

L'IA ou rien ?

Animant hier soir un dîner-débat autour des auteurs, la lecture de l'essai publié sous la forme d'un dialogue entre le Docteur Laurent Alexandre et Jean-François Copé [1] m'a inspiré ces quelques lignes.

"Gnothi Seauthon". Le "connais-toi toi-même" socratique, gravé au fronton du temple d'Apollon à Delphes, m'est apparu comme l'un des sujets majeurs abordés par les auteurs. Ne sommes-nous, au fond, qu'un assemblage de mécanismes biochimiques, demain observés, gérés et, le cas échéant, entretenus et réparés par l'IA, ou l'idée si chère à la pensée humaniste d'un libre-arbitre influencé par nos affects est-elle encore d'actualité?

Après le statut d'observant de l'homme religieux que nous avons longtemps été, celui de citoyen de l'homo politicus, puis d'agent de l'homo economicus, le développement de l'IA nous entraîne-t-il irrémédiablement sur la voie d'une Humanité devant se résumer, d'une part, à une caste d'"homo deus" et, de l'autre, à la masse des "hommes inutiles" ? L'alternative qui s'offre à nous de résumera-t-elle à devoir choisir son camp entre ceux qui seraient prêts à sacrifier progrès et humanisme sur l'autel d'une forme de néo-paganisme aux relents apocalyptiques (les bio-réactionnaires décrits par Laurent Alexandre, tous ceux qui agitent le spectre de la grande disparition et plaident pour la décroissance), et ceux, les autres, qui considéreraient que la mutation de l'espèce a déjà commencé, tous ces adeptes d'une philosophie trans-humaniste et autre "dataïstes" (néologisme emprunté à Yuval Noah Harari [2]) qui considèrent que la technologie toute-puissante surmontera toutes les difficultés ?

Point de troisième voie ? Y-a-t-il encore une place pour d'autres possibles ?

Si l'on y réfléchit, le système démocratique a-t-il encore un sens au moment où Google connaît mieux nos opinions politiques que nous-même, où Facebook est devenu la plus grande base de données personnelles au monde, où Amazon connaît mieux mes goûts musicaux que moi...? L'usage immodéré des outils connectés ne contribue-t-il pas, sous nos yeux, à saper les fondements même de la démocratie représentative ?

Face à un pouvoir technologique désormais concentré entre les mains d'une poignée d'acteurs américains et chinois - alliance improbable des libertariens de Palo-Alto et des néo-communistes de Pékin - aux moyens illimités, y-a-t-il encore une place pour le politique, pour la démocratie et une certaine idée européenne de l'humanisme ? Et comment éviter la "guerre des intelligences" prophétisée par Laurent Alexandre dans un précédent essai [3] ?

Ces interrogations sont au cœur de cet ouvrage qui a le mérite de vulgariser des questions pour le moins complexes.

Si l'approche des deux auteurs est différente, et même parfois antagoniste, ils conviennent ensemble qu'une hypothèse n'est pas nécessairement vérité et que probabilité ne signifie pas fatalité. Au fond, ils nous disent que si l'IA est bien une révolution, le rôle - et même d'une certaine manière - la mission de l'homme politique est d'en anticiper les effets, pas de courir après, pour éviter le scénario catastrophe d'une IA forte qui échapperait à son créateur.

Notre choix ne se résumerait-il qu’à l’IA ou rien ? Ne peut-on imaginer un autre possible, un troisième terme qui ne serait ni l’un, ni l’autre, mais une autre voie, plus équilibrée ? 

Si l’on veut bien suivre un peu les conseils délivrés par Laurent Alexandre à ses enfants dans la lettre qu’il leur adresse en forme de postface à la guerre des intelligences, je cite, « mieux vaut apprendre à décoder le monde qu’à coder des programmes informatiques » car, écrit-il, « l’humanité ne doit pas se transformer sans débat philosophique et politique ». Enfin, il les engagent, et cette morale pourrait être universelle, « à faire un peu de bien au nom d’une morale détachée de Dieu ». Rien à rajouter.


1. L’IA va-t-elle aussi tuer la démocratie ? - JC Lattès - 2019
2. Sapiens – Yuval Noah Harari - Albin Michel - 2015
3. La guerre des intelligences - JC Lattès - 2017

dimanche 8 septembre 2019

Lorsqu'il n'y a plus rien

Quand j'étais môme et que j'explorais chaque recoin de notre village de Cely, je passais beaucoup de temps a errer dans des ruines. Chantier abandonné d'une maison qui n'accueillerait jamais aucun occupant, ancienne gare désaffectée d'une ligne de chemin de fer depuis longtemps délaissée par les voyageurs, cabane de forestiers inoccupée depuis des lustres ou tout simplement tristes vestiges d'une maison tombée dans l'oubli. Chaque ruine m'attirait et me fascinait tout autant qu'elle m'effrayait.

Foin de château ni de manoir hanté mais juste les témoins de la vie passée, de vies passées.

Pour partir en exploration, je me munissais d'un petit panier de pêche en plastique que je passais en bandoulière autour de mon épaule, à l'effet de le garnir - du moins l'espérais-je alors - de tous les trésors que je pourrais découvrir au fil de mes visites alentour.

Et puis, quand j'en avais fini avec les vieilles pierres, j'arpentais les champs de maïs proches de la maison, à la recherche de fossiles ou, le croyais-je alors, de silex taillés. Me voyant revenir de l'une de mes expéditions,  mon père me dit un jour, sur le ton docte de celui qui sait : " tu seras archéologue, mon fils..." (sic!)

Non, je ne cherchais pas là l'imitation d'un quelconque Indiana Jones avant l'heure, mais j'avais déjà le goût de ces petites choses, ces petits riens que l'histoire n'étudie pas. Tout ce qui donne support à l'imagination pour s'envoler et qui permet aux enfants de créer, à partir de pas grand chose, des mondes, voir des univers... Et puis, au-delà, j'aimais, et j'aime toujours, aller à la recherche de ce qu'il reste lorsqu'il n'y a plus rien.