lundi 10 juillet 2017

Gaieté surprenante des petits riens


"Je ne sais si vous dites vrai, ou non; mais vous faites que l'on vous croit."
Dom Juan - Molière - Acte II, scène 2.

Tel un moderne Dom Juan, pour séduire, le Président philosophe a parlé.

Comme d'autres, je me suis demandé à quoi M. Macron pouvait bien faire référence en évoquant, dans son discours devant le Congrès du Parlement, la "gaieté surprenante des commencements" (?) car comme le dit si justement M. Nunez, "Ne cherchez pas. Nous n'avons pas la mémoire ni des origines ni des commencements1.

Faisait-il allusion à J.-B. Pontalis - auteur chéri de... l’auteur de ces lignes (cf. ici-même mon post du mercredi 20 mai 2015) - et son amour des commencements 2 ? Ce qui fait, dans les écrits du psychanalyste, la joie du lecteur que je suis, c'est l'évocation désordonnée des lieux et des événements - "C'était quand déjà ?" - autant de résultats d'une mémoire très certainement influencée par le présent. Autant de commencements qui résonnent presque comme autant de débuts de vies différentes, mais qui sont aussi synonymes de séparations et sans-doute tout autant de fins.

Évoquait-il, avec plus de légèreté, "la première gorgée de bière (et autres plaisirs minuscules)" de Philippe Delerm - Cette multitude de petits riens qui font et défont l'existence d'un être et qui, racontés, font comme une petite musique de mots qui semble venir de l'intérieur ? Ou bien faut-il y trouver une référence au "gai savoir" - cet art des troubadours et des trouvères de "faire gaia chanso", de composer à partir de petits riens - de Friedrich Nietzsche et à sa conception d'une existence au tragique affirmé mais d’une vie retrouvée, comme réconciliée avec elle-même, affirmant sa préférence de la gaieté à la joie ?

Le plus étonnant dans la phrase du Président est sans-doute le recours à l'adjectif surprenante. Pourquoi cette surprise ? Introduirait-il une forme implicite de critique de ce que certains décrivent comme le mythe des commencements ?

En relisant quelques-uns des textes que j'ai publiés sur ce blog au long de ces neuf dernières années, je réalise - avec une certaine surprise d'ailleurs - qu'ils donnent une image étrange, presque impressionniste, par cette forme qui se dessine à la longue et est le fruit du collage de nombreuses tranches de vie(s) et, souvent, de commencements qui défilent sans logique ni temporalité. Des tranches de vie(s), certes, mais dont rien n'indique qu'aucune ne soit vraie. Des petits riens associés pour essayer de produire quelque chose comme un cuisinier accommoderait les restes pour en faire un plat goûteux.

Des commencements, certes, mais assez peu de fins...

Prends, cher lecteur, l'exemple de la politique. Après plus de trente ans d'engagement, il m'arrive encore de l'envisager presque comme un passe-temps tant j'y ai, avec l'âge, mis de la distance et relativisé les enjeux. Et si j'y ai consacré une grande partie de mon temps, j'y aurais, au final, mis assez peu de passion ; mon esprit, certainement, mon cœur, beaucoup plus rarement. Pourtant, je suis toujours engagé, à défaut d'être enragé, tant je me surprends parfois à encore y prendre quelque plaisir, même bref, même petit, souvent pas grand-chose, presque rien.

1 - Laurent Nunez - L'énigme des premières phrases - Grasset, 2017.
2 – J.-B. Pontalis – L’amour des commencements – Folio, 1986
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lundi 3 juillet 2017

Une polémique pour rien ?

"Une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien"...

Avec cette phrase au premier abord assez curieuse, prononcée devant un parterre d'entrepreneurs la veille de la réunion du Congrès du Parlement à Versailles, le Président de la République pouvait-il vraiment faire l'économie d'une polémique ?

Le simple choix du verbe être, introduisant un axe résolument ontologique à cette sentence, n'était, à minima, pas très judicieux et sans-doute le débat aurait-il été moins vif si le Jupitérien souverain s'était contenté d'évoquer "ceux qui n'ont rien". Car l'utilisation de ce verbe introduit, de fait, une négation même de l'humanité, refusant la simple idée que l'on puisse être sans avoir, que l'homme puisse exister sans réussir. La réussite matérielle comme un accomplissement ? Alors faut-il, pour réussir, "avoir quelque chose" ou plutôt "être quelqu'un"

La force paradoxale de cette phrase est telle qu'elle pourrait laisser entendre que, pour être, l'humain est condamné à réussir. En creux, elle laisse accroire que celui qui ne réussit pas ne serait pas (humain) et serait donc renvoyé à une qualité différente (inférieure ?). Pourtant, si n'être rien c'est être parti de pas grand chose pour aboutir finalement nulle part, je ne crois pas que l'aspiration à être (simplement humain) saurait seulement se résumer au vouloir posséder, à une simple course à l'avoir.

De qui parle M. Macron ? En évoquant "les gens qui réussissent" (et quoi d'ailleurs ?) il crée un curieux distinguo en faisant le tri - quoi de plus normal dans une gare, me diras-tu, ami lecteur... - entre ceux qui auraient et d'autres qui ne seraient pas.  L'accomplissement d'une vie peut-il se résumer à la seule aulne de la réussite matérielle ? C'est en tout cas une vérité de notre époque que pour "être", l'homme moderne désire toujours plus "avoir".

Si le choix entre les verbes Être et Avoir, avoir ou être, constitue une autre forme du débat au moins aussi classique que la querelle des anciens et des modernes à laquelle le Président fait souvent référence, avec ce débat-ci le danger est grand de susciter quelques questionnements légitimes, tant existe le risque de constater une fois encore que l'attitude (la "réussite") centrée sur la simple possession (l'"avoir") produit presque nécessairement un désir de puissance, et donc, de domination de ceux qui auraient tout sur ceux qui ne seraient rien. La certitude d'avoir réussi, d'être "arrivé" (oui mais sur quel quai ? Dans quelle gare ?), ne porte-t-elle pas en elle les germes d'une illusion de toute-puissance risquant de conduire au sentiment de supériorité sur les autres ? 

Au-delà du fait que, dans cette phrase, on peut distinguer deux temporalités opposant le "ici et maintenant" de l'être, au "futur" de l'avoir, considéré comme une réussite - le simple fait d'affronter ceux qui réussissent et qui, dès lors,  jouissent de la sécurité de l'avoir, à ceux dont le nom est "rien" - ceux dont la personne-même devient l'équivalent du nom qui les qualifient, c'est à dire "rien" - suffit, il me semble, à introduire le désir de domination des uns sur les autres et la violence qui en est toujours le corollaire. 

Au fond, le véritable héros qui traverse ce hall de gare décrit par le Président est-il celui dont le but est de satisfaire son orgueil de réussir par la conquête d'un toujours plus ou celui qui a le courage d'abandonner tout ce qu'il a pour se rendre disponible à l'Autre ? 

On pourrait alors, en guise de conclusion très provisoire, et revenant sur des textes déjà publiés ici-même, faire contrepoint aux propos de M. Macron en évoquant la simple joie d'être (faisant référence à la joie de la vie éveillée de Maître Eckhart), pour l'opposer au plaisir d'avoir, on pourrait même dire, à la jouissance d'avoir (celle qui naît de la seule satisfaction très hédoniste d'un désir de réussite). 

Alors, une polémique pour rien ? Vraiment ?...