jeudi 29 décembre 2022

Rien ne vaut rien ?

« Toute vie n’est qu’acide nucléique. Le reste ce sont des commentaires » Isaac Asimov


Si, cher lecteur, je te dis un secret, me promets-tu de surtout le répéter ? En qualité (même ancienne) de juriste, je crois à la hiérarchie des normes, en tant que jeune con ayant pris de l’âge, je crois à une certaine hiérarchie des valeurs, j’adhère aussi à celle des systèmes et ne suis pas contre l’idée de hiérarchiser l’information. Bref! Je ne pense pas que tout se vaut et adhère assez peu à l’idée de relativisme normatif.

A l'école, alternant, au gré de mes gôuts et de mon intérêt pour la matière enseignée, le bon et le mauvais, j'ai malgré tout réussi à  obtenir la moyenne, même si ce fut très souvent par un jeu de notes plutôt contrastées, à l'image de l'analyse de ce que les statisticiens appellent un écart-type assez élevé du contenu de mes carnets de notes. Très bonnes ou très mauvaises, appréciations à l'identique, rarement vraiment moyennes, mais une certaine illusion d'optique entretenue par l'obtention d'une moyenne arithmétique - comme une forme de valeur intérmédiaire - à défaut d'être géométrique... Ni bon, ni mauvais élève, parfois bon, parfois mauvais, cela fit-il pour autant de moi un élève "moyen" ?

Grand chez les petits, petit chez les grands, au fond je me suis toujours senti un peu décalé, partout, jamais vraiment à ma place. En avance ou en retard, conservateur ou progressiste en fonction des sujets, rarement dans le tempo. Pour ma grande malchance je suis très souvent juste pas assez et parfois juste trop… pas vraiment moyen. Rarement dans l'instant. A de certains moments, perdu dans la nostalgie d'un passé souvent fantasmé et, à d’autres, adepte d’une foi inébranlable en l'avenir. Pourtant, jamais je n'ai revendiqué un désir de modifier le monde pour qu'il fut plus conforme au fruit de mon imagination. 

Dans notre étrange société humaine du XXIème siècle, où j'ai l'impression qu'être bien se résume de plus en plus à vouloir être seul à décider de sa place (même chimérique, même impossible), à considérer qu’il n’y a pas de norme, que tous les points de vue sont égaux et que tout est relatif, où se situer ?

Tout nous incline à ne pas dépasser ni être en retrait, juste à être "intégré", anonyme, bien rangé au milieu du troupeau. Et, contrairement à ce que ses promoteurs voudraient faire accroire, l'idéologie anglo-saxonne qui anime une grande partie des plus jeunes éléments de notre société, loin d'être "libératrice", nous y incline irrémédiablement, qui souhaite asservir le monde aux seules causes identitaires. Au nom de la "justice" sociale, de "l'égalité raciale", d'un "inclusisme" qui jette Darwin et la biologie aux orties, on réduit de plus en plus le sujet à quelques attributs identitaires, attributs qu'il convient non seulement d'affirmer (dominant/dominé, gentil/méchant...) pour mieux les gommer mais, rejetant tout à la fois l'humanisme et l'universalisme, tout incite chacun à se fondre dans une masse aux frontières floues et mouvantes - la "communauté" (Sic!). Cette théorie qui fait l'apologie du particulier pour mieux nier l'individu au nom d'une vision du monde globalisante et totalitaire dans laquelle tout se vaudrait, sans plus la moindre idée de hiérarchie - par essence, source d’oppression - repose sur une chimère où la réalité n'aurait plus d'importance, un réel qu’on encouragerait même à tordre pour qu’il fut plus conforme aux fantasmes de chacun.

Alors, tout se vaut-il ? Rien n'a-t'il vraiment d'importance ? Réel ou imaginaire, est-ce vraiment pareil ? A trop avoir théorisé que tout se vaut, le risque pointe, je le crains, de croire que plus rien ne vaut rien.

jeudi 8 décembre 2022

A peine plus que rien

" Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent."
Chamfort

A-conflicuel : Avec cet alpha privatif en préfixe qui construit et exprime la négation, on dit de moi que je suis "diplomate". Jolie formule pour souligner que je n'aime guère les situations conflictuelles que je cherche, aussi souvent qu'il est possible, le moyen d'éviter.

Cher lecteur, je t'invite à te poser la question suivante : Combien de fois as-tu déjà eu le sentiment de devoir faire semblant pour espérer plaire ? Il est rare, dans les relations extérieures au cercle intime, de pouvoir se montrer tel que l'on est. La vie sociale s'y prête encore moins qui, parfois, nous contraint à nous affubler de masques, à nous protéger derrière le voile d'une forme de paraître. On croit naïvement que ça va le faire et, plus souvent, ça rate...

Prenons, si tu le veux, l'exemple de cette fois où j'ai rejoint - au crépuscule des années quatre vingt - dans un restaurant à la mode un mien très vieil et cher ami, alors en compagnie d'un jeune acteur/animateur de radio de talent, à la renommée déjà très prometteuse. Patatras ! Lors même qu'il n'aurait dû s'agir de rien d'autre que d'une rencontre autour d'une bonne table entre potes (les amis de mes amis...), qui plus est de la même génération, du même milieu parisien et, pour tout dire, du même petit monde qui se croyait "branché", ce ne fut, de ma part, que pauses, ennuyeux étalage de platitudes et faux-semblants. Un tel désastre que je m'en souviens encore avec une certaine gêne. Enfin, ayant croisé de nouveau, quelques années plus tard, la route du même comédien avec qui j'avais partagé ce fameux dîner, je ne pus que constater que lui ne se souvenait de rien, pas même de moi d'ailleurs... Pourtant, j'avais cru alors qu'il suffisait d'afficher crânement, dans une forme de "position haute", la bonne connaissance qui était la mienne de quelques groupes à la mode du temps pour retenir son attention, largement émoussée, il est vrai, par les effets d'une excellente et (trop) abondante Vodka russe et glacée. Vanité...

Cela m'évoque d'ailleurs un autre exemple : ne t'est-il, comme moi, jamais arrivé d'avoir le sentiment que tu en savais davantage sur un certain sujet que ton interlocuteur mais, sa position de "sachant" étant solidement établie parmi la société qui le considérait alors, de te résoudre à l'écouter, à faire semblant d'être intéressé, en un mot de te résigner à paraître apprendre quelque chose que mieux que lui déjà tu savais, en enfilant l'humble masque de l'ignorant ? Jamais ? Allons, un petit effort de mémoire... Tu y es, ça te revient ? Faire semblant... Hypocrisie ? Tartufferie ou simple crainte de déplaire ? Pourtant, l'expérience m'a enseigné que si l'adoption d'une "position basse" peut présenter parfois un intérêt évident pour engager une interaction, l'humilité, si elle est ou même si elle paraît simplement affectée, dessert plus qu'elle n'aide à créer le lien recherché.

Alors faudrait-il toujours savoir être soi-même ? Trop fréquemment, en m'échinant à rester, en société, moi même, j'ai la triste sensation de ne pas parvenir à capter l'attention de mon interlocuteur. Faut-il, comme certains de ces comédiens à la timidité légendaire, absolument endosser l'habit d'un autre pour enfin parvenir à parler de soi ? Et, à l'inverse, se démasquer, est-ce vraiment toujours prendre le risque de se découvrir, au risque d'une certaine vulnérabilité ? 

Ces masques de séduction sociale que nous portons et qui nous protègent tout autant qu'ils nous cachent nous aident-ils à devenir quelqu'un ou nous empêchent-ils d'être qui nous sommes vraiment ? Car au fond, qui sommes nous ? A peine plus que rien. A peine. Expression sans alpha privatif cette fois, mais issue de l’adverbe latin ad paene qui signifie "presque, à peu près". A peu près rien.


lundi 14 novembre 2022

Rien de moins

"Dieu a besoin des hommes."
Proverbe


Ce que les hommes croient nouveau, c’est, souvent, ce qu’ils ont oublié.

« Toute époque, selon sa vocation, est une grande époque » pour le philosophe et spécialiste de la subjectivité transcendantale, Edmund Husserl. La décadence annoncée par certains de notre monde post-moderne permettra-t-elle, comme un terreau fertile, l’irruption d’une forme nouvelle de Sacré ? Sommes-nous, comme le suggère Michel Mafesolli, à l’aube d’une ère qui sera marquée par le retour du religieux, de la religiosité, de la spiritualité ? Le restaurant dans lequel travaille mon fils s’est longtemps appelé « le Pub Paul Scarlet ». Il a été tout récemment rebaptisé « La Table d’Emeraude », doit-on y voir l’exemple trivial d’une forme, même inconsciente, de retour du sacré ? Voir...

Que l’on soit athée totalement sceptique, agnostique interrogatif, simple cherchant ou croyant convaincu, nous portons tous en héritage inconscient, enfoui au plus profond, un capital historique de culture, surnaturelle d’abord, religieuse ensuite; une culture sacrale et nourrie de mystère. Sans verser dans une forme de fatum, je ne pense d'ailleurs pas que la somme de tous les efforts de rationalisation ni l'approche strictement positiviste permettent d’oublier ou de désapprendre le bagage civilisationnel que les générations qui nous ont précèdé nous ont légué. 

La vie ne nous autorisant pas le retour en arrière, la meilleure façon d’entretenir la flamme du passé pour éviter qu’elle ne s’éteigne emprunte sans doute la voie du diptyque tradition/transmission. Respecter les traditions héritées du passé en s’efforçant de les maintenir vivantes aujourd’hui à l'effet pour demain, de mieux en assurer la transmission et - peut-être ? - offrir les conditions à une nécessaire et revitalisante transgression, troisième et dernier terme du tryptique (tradition/transmission/transgression) sur lequel repose, selon moi, toute tentative d'approche anagogique.

Certains pensent que rejeter toute transcendance est la seule façon de s’affranchir, de se libérer de ce que Marx nomma « l’opium du peuple ». En revendiquant à tout prix leur liberté, d’aucuns oublient parfois, un peu vite, qu'il n'est de liberté sans respect de certains principes et que c'est d'abord notre qualité humaine d'êtres spirituels qui nous distingue des autres êtres vivants et nous rend uniques dans l'ordre naturel. 

Nous vivons, analysent certains, une "crise du croire" et plus nos contemporains sont incrédules, plus ils semblent paradoxalement se laisser abuser par des discours délirants. C’est bien parce que l'homme du début du 21ème siècle, contrairement à ce qu'a pu prophétiser Malraux, ne sait plus croire, qu’il est enclin à se mettre à croire n'importe quoi. Les temps sont si troublés que trop nombreux même sont ceux qui confondent fausses idoles, religion de l’Amour et amour de la Religion. Si Dieu est Amour, l’histoire nous enseigne malheureusement que les Religions, « porteuses de vérité sans faille», comme l’a écrit Michel Serres, avec leur vision dogmatique et la part d’intégrisme et de haine de l’autre qu’elle entraîne, sont trop souvent cause d’une violence aveugle. 

Pour ma part, je préfèrerai toujours l’Amour à la Religion, car la Religion est une invention des hommes alors que l’Amour est une invention de Dieu !

Contrairement à l’approche scientifique qui, utilisant une forme d’analyse logico-subjective, privilégie la partie sur le tout, l’étude de l’objet d’expérimentation sur celle du sujet, toute quête symbolique, si elle part du « je » s'intéresse avant tout au « nous », au collectif, en considérant que le Tout est supérieur à la somme des parties qui le composent. Le Sacré donne du Sens - en élargissant la réflexion au-delà d'une vision exclusivement rationaliste du monde - en ce qu’il introduit l’expérience existentielle de la globalité du réel, qu’il permet de réintroduire l’idée du Tout, et d’entrouvrir le voile pour apercevoir l’Unité perdue. Retrouver dans les images et les mythes une manière de théologie - de reliance au Sacré - n’est-il pas l’un des objectifs de toute approche spirituelle, de toute quête de sens ? Avant même le concept d’Archétypes popularisé par Carl Gustav Jung, Gaston Bachelard affirmait que les images et les Rites prolongeaient les symbolismes sacrés et les mythologies archaïques. Comme l’a si justement écrit Jean Cazeneuve dans Sociologie du rite : « L’ordre humain ne se suffit pas à lui-même, il n’a de valeurs que par la participation à des archétypes sacrés qui le fondent et le dépassent à la fois. »  Rien de moins.

mardi 4 octobre 2022

Droit et devoir de rien dire

"Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir". Pierre Dac

Moi qui suis déjà grand-père, je ne connais vraiment rien. Comment puis-je avoir autant si peu vécu ?

Il me revient ce temps - pas très ancien pour un boomer, préhistorique pour les millenials - où l'on pouvait, sans s'en émouvoir plus que cela, rester longtemps sans rien savoir, sans avoir accès à la moindre actualité, vivre sans être l'esclave de l'immédiateté d'une information globale et partagée. Pas de téléphones intelligents, pas d'Internet, même pas d'ordinateurs portables. Pour se donner des nouvelles, on s'écrivait encore des lettres ou des cartes postales, pour connaître la météo du monde, on lisait des journaux, on écoutait la radio et on regardait le journal de 20h00. Nous n'échangions pas sur des sites de tchat, mais nous passions des heures à refaire le monde sur des bancs publics ou attablés dans des troquets. Le savoir n'était accessible au plus grand nombre que dans les bibliothèques que nous fréquentions alors assidument. Elles étaient la source inépuisable de la Connaissance et le lieu physique d'inattendues rencontres où il m'est, très souvent, arrivé de lier connaissance avec des inconnu(e)s (si, si...!), bien avant l'irruption dans nos très ennuyeuses vie (d'avant) des algorithmes et des intelligences artificielles des réseaux sociaux qui évaluent, ex ante, toutes les interactions et, sans lesquels se rencontrer ne serait, pour beaucoup, même plus (aujourd'hui) envisageable.

L'absence durable d'écho en provenance des siens pouvait certes parfois être la cause d'une angoisse sourde mais, à d'autres moments, ne rien savoir de ses proches ni du monde tel qu'il allait a sans doute protégé notre génération du risque de s'inquiéter davantage encore et nous a, j'en suis certain, fait gagner en autonomie ce que la dépendance numérique fait désormais trop souvent perdre à nos contemporains. A dix-huit ans, j'ai, pour la première fois, traversé l'Atlantique. En un mois, je n'ai échangé brièvement qu' à deux reprises au téléphone avec mes parents et, pour apercevoir quelques photos-souvenirs prises avec un mauvais instamatic Kodak, ils durent attendre plusieurs semaines que je me remembre de faire développer les pellicules restées au fond de mon sac. Ni eux ni moi ne s'inquiétèrent alors. Nous vivions sans chaînes. A cette époque révolue, chacun pouvait, avec une certaine décence, et même une forme de pudeur, garder pour lui ses états d'âme, les épisodes de sa vie, celle des autres, ses musiques, ses lectures ou ses films préférés, ou encore sa secrète passion pour les chatons... Qu'en est-il aujourd'hui du droit de rien dire ?

Nul ne peut m'obliger à avoir un avis sur tout. Pourtant, dans les conversations, même les plus banales, beaucoup se croient autorisés à émettre en tout un jugement, le plus souvent sans appel. Bien plus encore s'ils sont ignorants du sujet débattu. Admettre qu'on ne sait pas, qu'en telle ou telle matière on puisse ne pas avoir d'opinion, c'est désormais prendre le risque de passer pour le dernier des cons... Je m'expose plus souvent qu'autrefois à ce danger que d'aucuns pensent mortel en société. Tant pis ! J'ai passé l'âge de jouer à faire semblant... 

Celui qui ne s'exprime pas sur tout, celui qui n'a rien à dire, celui-là trouve t'il encore sa place dans notre monde hyperconnecté ? Longtemps l'humanité - et pour certains c'est trop souvent encore le cas - s'est battue pour obtenir le droit de s'exprimer librement, aujourd'hui, j'en connais qui sont prêts à ferrailler pour recouvrer le droit de se taire, le droit de rien dire. Savoir garder le silence, au risque d'être parfois moqué, au fond, est-ce si grave ? Avec quelques autres, j'ai découvert que l'apprentissage dans le silence - le devoir de rien dire - était parfois le plus sur moyen d'avancer.


dimanche 11 septembre 2022

Rien de noir

« la vie est un bien perdu pour celui qui ne l’a pas vécu comme il aurait voulu» Mihai Eminescu

Un mien ami m'a, cet été, suggéré d'écrire sur mes pensées sombres, ce que parfois certains nomment "idées noires". De celles qui fondent ce que j'appelle pessimisme tempéré, qui m'habite et me meut, et qu'il a tant de peine à comprendre. En ce dimanche qui marque le vingt-et-unième anniversaire des attaques terroristes qui frappèrent tragiquement New York et les Etats-Unis et coutèrent la vie à plus de trois mille personnes, qu'en dire en effet ?

Pour certains - dont il est - la vie, toute tournée vers l'avenir, n'est que projets, plaisirs et absence de  contrainte, de toute contrainte. N'affirme-il pas - par  une manière de lucidité teintée de forfanterie - qu'avec sa compagne, il n'est pas marié depuis 35 ans ? Il me range du côté de ceux dont il pense que les interdits qu'il se sont forgés au fil de l'existence dressent de puissantes barrières intimes qui empêchent parfois leur vie de s'épanouir aussi bien qu'elle le pourrait peut-être. Quel étrange raisonnement (ou plutôt son absence même) conduit à anticiper en toute matière, de préférence, des pensées négatives ? Toujours d'abord considérer le verre à moitié vide 

Parmi les lectures qui ont marqué ma jeunesse, je me souviens du très beau "Qui ose vaincra" de Paul Bonnecarrère, ouvrage qui figurait en bonne place dans la bibliothèque de mon père et qui relatait les exploits des parachutistes de la France Libre. Un titre et une devise qui auraient pu (dû ?) être sources d'inspiration. Une philosophie de l'existence qui enseigne, simplement - certains diront peut-être de façon bien trop simpliste - que celui qui s'autorise à oser, celui-là peut gagner.

S'il m'est heureusement arrivé d'oser, si parfois je me suis permis de vivre mes rêves, d'aller au bout de mes désirs, combien de fois ai-je renoncé par pusillanimité ? Combien de fois ai-je, comme beaucoup, confondu le monde tel qu'il était avec l'interprétation que je m'en faisais ? J'ai trop souvent considéré que l'excès d'optimisme pouvait parfois me mettre en danger, faute de m'être préparé à affronter une situation sont j'exagérais considérablement le caractère complexe ou délicat. Je me souviens parfaitement du lieu où je me trouvais et de ce que je faisais lorsque j'ai appris ce qui se passait de l'autre côté de l'Atlantique. Les images de cette terrible attaque des Twin Towers ont longtemps hanté mes jours et mes nuits. En fonction de notre histoire personnelle, nous ne réagissons pas tous et toutes de la même façon face aux évènements. Certains vont être stimulés par la nouveauté, d’autres vont s’adapter non sans quelques appréhensions et les derniers vont être complètement tétanisés par une situation méconnue. Comment expliquer notre attitude ? Anxiété, peurs, craintes irrationnelles et sentiment d'impuissance forgés au creuset des petits riens qui ont parfois contrarié la réalité subjective de la petite enfance, ou prudent scepticisme, teinté parfois de cynisme, qui ne serait que le fruit amer de l'expérience vécue ?

Cioran écrivit : "La naïveté, l'optimisme, la générosité, - on les rencontre chez les botanistes, les spécialistes des sciences pures, les explorateurs, jamais chez les politiques, les historiens ou les curés (...) On ne s'aigrit que dans le voisinage de l'homme*". Je fais assez mienne cette pensée.

En tout, mon ami, qui est un scientifique, est passionné par la question du "Comment ?" : Comment ça marche ? Comment puis-je faire ? Comment s'y prendre ? Comment faire autrement ?... Cette question, qui est la première de tout travail d'accompagnement depuis la maïeutique socratique est le ressort même de sa grande curiosité en toutes matières. Un élan de vie ?

La question essentielle qui, elle, d'aussi loin que je m'en souvienne, m'a taraudé est celle du "Pourquoi ?" Et peut-être avant tout : Pourquoi la vie, et pas rien ? A quoi bon, au fond ! C'est la question fondatrice, l'élément déclencheur pourrait-on dire, de tout travail thérapeutique, celle qui interroge le ressenti d'une souffrance qui dure et dont on arrive pas à se libérer.

Une pulsion de mort ? Je ne le crois pas, mais peut-être cette "sécurité du pire" décrite par Cioran. Car en regardant dans le rétroviseur, en me souvenant de ma vie, je n'ai pas l'impression d'être passé à coté de la vie et, contrairement à une définition communément admise du pessimisme, je ne crois pas que la somme des maux ait été, dans mon existence, supérieure à celle des biens. Et puis, je n'ai pas choisi. Et même si l'expérience tragique de la vie a amplifié ma tendance à toujours anticiper, en toute circonstance, un résultat indésirable, voir le plus mauvais, au bout du compte cet état d'esprit m'aura souvent réservé de très bonnes surprises. Attendre le pire pour encore mieux jouir du meilleur ? Au fond, le pessimisme tempéré n'incline-t-il pas à une saine vigilance, et, la satisfaction ressentie à l'irruption d'un bien inattendu ne contribue-t-elle pas à ces petits plaisirs qui font le sel même de l'existence ?

"Vous connaissez la fin : tout le monde meurt*". Rien de noir.

mardi 26 juillet 2022

Rien davantage que l'oubli. Archétype.

"C'est toujours un peu délicat pour un homme de parler d'une femme" Sacha Guitry


Si, pour chaque homme, la vie commence dans l’odeur merdeuse des couches et se termine dans la puanteur de la mort, s'il peut nous arriver à tous, à de certains moments de notre existence, de faire face à des situations difficiles qui nous plongent dans la merde, certains, aspirant peut-être à retrouver le nauséabond parfum si particulier des langes de leur plus jeune âge, passent le plus clair de leur temps à vouloir la remuer. Et, si je peux me permettre, cette dernière caractéristique n'est pas spécifiquement masculine...

Lors, celle-là dont je n'évoquerai pas davantage ici le souvenir (faute, peut-être d'en avoir...) relevait plutôt de cette dernière catégorie. Elle était un archétype de ce que l'on qualifiait alors - on le pouvait encore sans crainte d'être taxé de sexisme ! - d'emmerdeuse patentée. C'était ce qu'il est convenu d'appeler une militante. Elle se revendiquait viscéralement d'une gauche socialo-trotskiste aux inspirations libertaires, tout en s'affirmant très scrupuleusement végétarienne, tendance radis-kale. Elle voyait chez tous les hommes - au seul prétexte qu’ils fussent des mâles - de petits Hitler en puissance (oubliant d’ailleurs au passage que le tyran sanguinaire, dénonçant avant l’heure la maltraitante animale et proclamant que "dans le nouveau Reich, il ne devra plus y avoir de place pour la cruauté envers les bêtes"*, rêvait que chaque bon aryen devint végétarien…). Et pourtant, par sa beauté bien sur - mais pas seulement...- elle excellait dans l'art si délicat de se rendre aimable. Et nombreux furent ceux qui l'aimèrent alors...

Tu remarqueras sans doute, ami lecteur, que je parle d'icelle à l'imparfait. Non pas qu'elle fut décédée - en tout cas pas à ma toute relative connaissance - mais parce que je n'ai eu aucun mal à totalement et volontairement effacer la moindre parcelle de souvenir d'un personnage sorti tout droit non de ma mémoire mais de mon imagination. S'échiner à ne pas l'évoquer c'est déjà l'évoquer trop. Elle ne mérite rien davantage que l'oubli.

Alors, puisque la proximité des congés m'autorise, sans culpabilité aucune, à ne rien écrire de plus sur un souvenir totalement fictionnel, je n'en dirai pas davantage et me contenterai de souhaiter à ceux qui partent de bonnes et reposantes vacances et à ceux qui resteront chez eux quelques belles et heureuses journées jusqu'à nos prochaines retrouvailles scripturales. Enfin, aux autres, et notamment l'oubliée volontaire et fantasmée du jour, je n'ai rien de plus à dire...

Bonnes vacances !

*citation rigoureusement exacte du petit caporal autrichien

lundi 18 juillet 2022

Rien à en dire

"Je ne suis pas un spécialiste, mais je pense que..."!!!

Il y a quelques temps de cela, avachi dans mon canapé, écrasé que j'étais par la torpeur estivale, je zappais d’une chaîne info à l’autre et, en une soirée, à quelques minutes d’intervalle, j'ai vu le même éditorialiste/consultant/invité permanent qui, sur un plateau, commentait les derniers développements de la guerre en Ukraine, sur un autre les conséquences politiques pour la rentrée parlementaire du drôle de résultat des élections législatives et, enfin, sur un troisième, l'actualité la plus récente de la pandémie de Covid !

Alors, on est sans doute en droit de s'interroger. Quel crédit en effet accorder à ce qui, malgré le talent de certains journalistes qui animent les débats, s’apparente de plus en plus à des discussions de café du commerce entre prétendus experts qui sont, plus surement, de plus ou moins habiles débateurs, des savants très instruits en toutes matières qui donnent à l'envie leur avis sur des sujets sur lesquels ils n'ont pourtant guère de compétence avérée. 

Si je comprends que les journalistes sont, par définition, des généralistes qui doivent pouvoir évoquer tous les sujets d'actualité, que penser de soi-disant spécialistes à qui il est demandé de commenter doctement tous les sujets du moment ? Une manière d'ultracrépidarianisme semble, depuis quelques années, être devenue la règle pour pouvoir être invité à s'exprimer sur les plateaux des talk shows des chaînes continues (dites) d'information. Nous avons même vu, notamment dans le contexte des débats enflammés suscités par la crise sanitaire, d'éminents scientifiques qui, sortant allègrement de leur champ de compétence mais tout auréolé de leurs prix internationaux, défendaient, avec toute l'autorité que peut parfois conférer la tartufferie, des théories vaseuses - lorsqu'elles n'étaient pas dangereuses - au nom de leur supposé savoir...

En tout cas, ce qui semble relever de plus en plus d'une forme de cuistrerie très assumée m'étonne toujours autant et même, pour tout dire, me contrarie un poil. Mais quel peut donc être le nom de cette contrariété ? Un certain goût pour le rationalisme ? La crainte de l'effet "vu et entendu à la télé" sur mes commensaux ? Peut-être...

Si la contrariété nous affecte lorsqu'une situation inattendue révèle un décalage entre nos attentes et le réel, elle peut aussi être la conséquence d'un décalage entre nos intentions et l'effet produit. Quelle est donc - et en ont-ils une d'ailleurs ? - l'intention de ceux qui, à longueur de journée, s'exprimant très au-delà de leur supposé domaine de compétence, commentent l'actualité et en disent toujours un peu plus, souvent un peu trop, surtout lorsqu'ils n'ont rien à en dire ? Mais qu'il est difficile de reconnaître qu'on est, en telle ou telle matière, parfaitement ignorant...

dimanche 12 juin 2022

Rien sur rien

En parlant de Louis XV, Jules Michelet écrivait : "dans son âme il y avait le rien". Comment interpréter cette phrase ? Evoquait-il, en usant de l'imparfait, un petit rien d'hier ou anticipait-il déjà la nature d'un grand rien qui devrait encore advenir ? Cicéron, lui, nous enseigne "que l'homme n'est rien d'autre que son âme". Comment arriver à te faire partager, ami lecteur, cette mienne passion des riens qui parfois m’anime, tant il est difficile de nourrir un blog dont le thème que je lui ai sciemment imposé n'était rien, pire même, des (petits) riens ?

Il m’est très vite apparu en essayant d'écrire les premiers courts textes qui égrènent ces pages numériques qu’il n’était pas facile de rester simple pour parler de rien. En fait, je me suis fait une manière de philosophie qui consiste à penser qu’on peut parler de rien sans complexe mais qu’il est complexe de parler de rien. Prétentieuse posture, penseras-tu peut-être? Je ne le crois pas. Ambitieuse proposition, c'est certain.

Pourtant, je ne prétends pas y trop penser et avant de commencer à écrire, je ne sais rien de mes textes. Ni le début, ni le plan, ni la fin. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour pouvoir parler de rien, sans trop en dire. 

Au fil de cette plus que décennie écoulée d'existence, très épisodique, du blog des petits riens, j'ai compris qu’en fait on parlait le mieux de rien quand on écrivait sur tout. Alors j'ai couché sur l'écran souvenirs, commentaires sans prétention, courtes fictions ou historiettes du quotidien et anecdotes vécues, rapportées ou parfois même partiellement, voir totalement, inventées. La matière s’est assez vite avérée relativement féconde tant la vie est un patchwork de tous petits riens. Féconde, certes, mais heureusement pas suffisamment pour pouvoir mettre plus de ponctualité à écrire. Mais après tout la rareté, même subie, est-elle si fâcheuse ? Une trop importante somme de riens aurait sans doute conduit à risquer les contours d'un grand tout fait de pas grand-chose ; alors que l'irrégularité de la publication - involontaire, vraiment ? - reste conforme à l'idée d'inscrire ce blog dans la tradition d'une très modeste forme de  chronique du rien. On pourrait presque en tirer la leçon que, pour peu de le faire avec parcimonie, il n'est au fond guère plus difficile d’écrire lorsqu'il n’y a rien à raconter.  

Aujourd'hui, je peux affirmer qu'on peut parler de rien sans complexe. Mais qu'il est difficile de rester simple pour parler de rien ! Heureusement le temps n'est pas encore venu où je ressasserai davantage de souvenirs des petits riens du passé que je ne pourrais encore en vivre de nouveaux, bien réels. Ce jour-là, par moi tant redouté, sera le signe que la nostalgie qui vient aura commencé de s'installer et le temps sera alors venu d'arrêter l'exercice et de ne plus rien écrire. Plus rien. Plus rien sur rien...

samedi 4 juin 2022

Rien sur la mort

Ô que ne suis-je mort il y a dix mille ans et ressuscité entre-temps à trois reprises déjà. Elias Canetti


Comme l'a un jour écrit Woody Allen : "Marx est mort, Freud est mort, Dieu est mort. Et moi-même, cela ne va pas très fort"... Ce qui peut rendre la chose compliquée avec la vie, c’est que ce petit rien qui nous préoccupe tant, porte non seulement en lui la possibilité permanente de la non-vie, mais que ce qui fonde son existence même c'est l’assurance inéluctable de sa finitude. Nous sommes nés pour mourir, et notre première respiration porte en elle la promesse de notre dernier souffle. Déjà, dans la naissance s'annonce le trépas. Sombre et universelle perspective, me diras-tu. D'accord, mais l'espérance...

Comment accepter l’idée que la vie ne serait qu’un chemin - certainement trop court pour certains, peut-être trop long pour d’autres - nécessitant tant et tant d'efforts quotidiens tant il est semé d’embûches, mais une voie sans issue, une route qui ne conduirait nulle part ? Une marche vers le néant, une porte entrouverte sur rien... L'avenir aurait-il un aboutissement ? J'aspire quant à moi à vivre assez longtemps pour connaître ma propre mort.

On dit parfois que le trajet compte bien plus que la destination. Il est néanmoins, en règle générale, plus facile de cheminer dans une certaine direction pour avancer.  Même si, comme l'écrivit Pierre Dac, l'avenir est devant nous et que nous l'aurons dans le dos chaque fois que nous ferons demi-tour. Alors cheminer, oui, mais vers où, vers quoi ? Un futur radieux nous promettent certains, un sombre destin nous annoncent les autres. A l'image de la ligne d'horizon, notre avenir ne s'éloigne-t-il pas au fur et à mesure qu'on s'en approche, jusqu'à même disparaître à la fin ?

Alors l’homme a inventé l’espérance. Pas seulement un quelconque espoir, une possibilité discutable, non, mais bien une foi, religieuse ou philosophique, indiscutable, une croyance absolue en l’assurance d’une vie de l’âme au-delà de la mort. Qu'elle soit physique (la résurrection de la chair) ou seulement spirituelle (le passage de l'âme d'un corps à un autre être), qu'on la nomme palingénésie, résurrection, réincarnation, transmigration des âmes ou métempsychose, l'idée d'une autre vie après la mort est l'un des concepts les plus partagés par les principaux courants de pensée religieuse ou spirituelle. Les grandes religions sont religions de mort en ce sens que le mythe qui, pour l'essentiel, contribue à les fonder réside dans l'espérance - après la vie terrestre - d'un ailleurs, d'un à-venir, d'un Au-delà du néant. Et comment espérer, sinon, de sa vie faire un peu plus que rien, si l’on est, au fond de soi, convaincu que tout est vain et qu’au bout il n’y aura rien ?

La peur de la mort est certainement l'émotion la mieux partagée parmi les hommes. Pour s'en prémunir, d'aucuns la nient et affirment n'y jamais penser, pour d'autres c'est une pensée permanente, obsédante et angoissante. Enfin, il y a ceux qui pensant qu'on peut s'amuser de tout, font de la mort - et souvent de la perspective de  leur propre disparition - un sujet d'en rire. Avec l'humour noir, on touche au rire tragique qui va au-delà même de la mort ! Comme l'a si justement écrit Umberto Eco, seul le rire permet de lutter contre la certitude que, inéluctablement, nous avançons vers la mort. En attendant, et, dans l'entre-temps, « quels tourments, jour après jour, pour être un peu plus que rien »!*







samedi 28 mai 2022

Rien sur la vie - Dystopie

C'est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.
William Shakespeare - Macbeth


28 mai 2023. Après douze mois qui auront été marqués par un triste record en matière d’homicides de masse, la vente et la détention d’armes à feu - hormis celles destinées à la chasse - ont, à l’issue d’un des débats les plus tendus qu’ait connu Washington, été interdites le 1er mars dernier par le Congrès américain. Depuis quelques semaines, les ultras de la NRA, encouragés par les discours enflammés d’un Trump déchaîné, appelaient les patriotes à se soulever pour défendre, je cite, "les libertés fondamentales, leurs droits et la démocratie menacés ! "
En quelques jours, les affrontements armés entre les milices et les forces de l’ordre se sont multipliés et, lors, les statistiques s’affolent. Tant dans les effectifs des représentants de la loi que chez les émeutiers, déjà plusieurs centaines de morts sont à déplorer. Après la mise à sac et la destruction de bâtiments publics, dont plusieurs immeubles de l'ATF, du FBI et de la DEA, le lynchage de personnalités politiques de tous bords - au cri de "tous pourris!" - et de fonctionnaires fédéraux  - "tous collabos!" - la loi martiale a été décrétée par les Gouverneurs de douze états, mais rien n’y fait. Militants d’extrême droite, complotistes, adeptes des thèses Qanon et proud boys sont, cette fois, déterminés à laver dans le sang l’affront subi au Capitole le 6 janvier 2021 et les autorités, quant à elles, bien décidées à ne pas les laisser faire. La confrontation des idées au Congrès a désormais laissé place à l'affrontement des armes dans la rue. Plusieurs États du sud menacent de faire sécession et la Floride a d’ores et déjà unilatéralement proclamé son indépendance, immédiatement reconnue par Poutine, Maduro et Bolsanaro. La spirale de la violence est engagée et nul ne sait comment l'arrêter.

Les experts et les spécialistes de la société américaine sont désormais convaincus que les hostilités vont se généraliser et évoquent ouvertement le terrible scénario d’une nouvelle guerre de sécession. Après le conflit en Ukraine qui ensanglante l’Europe depuis plus d’un an, la crise alimentaire, l’instabilité sociale, les émeutes de la faim et les troubles politiques qui ont secoué l’Egypte, une partie du  Maghreb et une trentaine d’autres pays, c’est maintenant le spectre de la guerre civile qui menace le continent américain. 

Pourtant, l’adoption d’une législation nationale restreignant la circulation des armes à feu par le Gouvernement fédéral avait été saluée favorablement par une grande partie de la planète. Certains bien sûr craignaient des troubles mais personne ne s'attendait vraiment à une réaction d'une telle violence. C'était oublier un peu vite la réalité sociologique et l’histoire de ce pays-continent, et omettre que les seuls citoyens américains détenaient plus de la moitié des armes appartenant à des civils dans le monde. Comment croire que les choses auraient pu se passer autrement dans un pays où la proportion était en 2019 de plus de 120 armes pour 100 habitants et où le principal parti d’opposition affiche ouvertement et de façon répétée son refus d’une telle législation. C’était oublier que 75 millions d’électeurs avaient apporté leur voix à Trump à l’élection présidentielle de 2020 et que beaucoup de Républicains restent encore aujourd’hui convaincus que la victoire leur a été volée.

Ah ! le Gouvernement liberticide veut interdire aux braves patriotes de détenir des armes, et bien c'est par ces mêmes armes qu'il périra ! 

En invoquant le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique (adopté en 1791...) qui reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice « bien organisée » pour contribuer « à la sécurité d'un État libre »,  nombre de politiciens,  cyniques ou dans les mains des lobbys, n'ont, depuis des années, cessé de revendiquer le droit inaliénable pour tout citoyen américain de détenir des armes.

Il y a un peu plus d'un an, une fusillade dans une école primaire du Texas avait fait 21 morts, parmi lesquels 19 enfants. L'assassin avait 18 ans depuis peu et, alors même qu'il ne pouvait légalement pas encore prétendre à consommer ni acheter d'alcool, il avait pu, dans cet Etat, se porter, pour quelques dollars, acquéreur de deux fusils semi-automatiques et de centaines de munitions. Toujours dans la mesure qu’on lui connaît et n'étant pas à un paradoxe rhétorique près, l’ancien président américain, Donald Trump, s'exprimant, au Texas, devant la convention nationale de la NRA, avait appelé, trois jours après le drame,  à "armer les citoyens" pour "combattre le mal dans notre société", à l’origine, selon lui, de l’effroyable tuerie (sic !). Armer les américains, faire circuler toujours plus d'armes à feu, pour endiguer la violence et éviter les massacres, bon sang mais c’est bien sûr ! Il fallait y penser…

En ce printemps 2023, les américains paraissent prêts à s'entre-tuer, au nom de la liberté, pour les uns, de vivre sans crainte pour leurs enfants et, pour les seconds, de s'armer contre la peur de l'autre. Décidemment, les temps contemporains nous enseignent que les hommes n'ont rien appris sur la vie.

jeudi 19 mai 2022

S'agiter ou ne rien faire ?

« La vie intense est contraire au Tao » Lao Tseu


Nombre de commentateurs glosent sur le temps qui s'est écoulé entre l'élection du Président de la République et la nomination de la nouvelle Cheffe du Gouvernement, et, désormais, sur l'anormale durée (trois jours ont, il est vrai, passé !) pris par icelle pour désigner les membres de son Cabinet. Et tous d'être suspendus à la publication d'une liste de noms...

La tentation du mouvement, au risque même d’une certaine frénésie, voir d'une épuisante agitation, toujours vouloir faire plus, aller plus vite en pensant aller plus loin, tel est le lot très commun de la perception de l'efficacité chez une grande majorité de nos commensaux. Et l'immédiateté de la circulation de l'information, l'absence absolue de recul dans les analyses et les commentaires encouragés par les réseaux sociaux et le traitement, souvent hystérisé, de l'actualité par les chaînes d'information continue accentuent sans doute cette perception d'une manière d'exigence, en tout et pour tout, d'urgence permanente. Mais ce désir de faire, ce que Cioran appelle « tentation d’exister », s'il est mu, au fond, par l'espoir fou de repousser au plus tard possible l’inéluctable issue qui de nous fait des mortels et, partant, des hommes, n’a t’elle pas souvent le paradoxal effet de hâter la fin ? Alors faut-il continuer à s'agiter ou accepter parfois si ce n'est de ne rien faire mais d'au moins laisser un peu plus de temps au temps ?

Sommes nous condamnés à ne prendre conscience de nous-même que dans l’imminence de l'action, même au risque du trop plein, au risque de trop vouloir (en) faire ? Comment, alors que rien ne semble nous y disposer - nous qui passons une bonne partie de notre existence à toujours vouloir faire plus, plus vite - se défaire de l’anxiogène hantise du vide qui habite notre âme, de cette peur du rien qui sans cesse nous tourmente ?

Un proverbe populaire français nous enseigne que "la nuit porte conseil". Et si, plus que tout autre chose, notre bien commun - une part de cette humanité que nous avons en partage - résidait dans la capacité que nous avons tous quotidiennement de ne rien faire, de nous abandonner au repos, de dormir et de rêver ? Qui que nous soyons, il nous est physiologiquement et psychiquement vital de sombrer régulièrement dans les bras de Morphée, et tous, au cœur d’un sommeil dit paradoxal, nous rêvons. Peu, parmi nous, considèrent alors qu'ils lanternent. La nuit appartient à chacun et le secret de nos songes n’est heureusement encore accessible à nul autre qu’à nous-même. Que nous nous souvenions de nos rêves, ou pas, le sommeil est une période d’intense activité cérébrale - d’aucuns disent même que c’est l’inconscient qui parle alors - et, d’une certaine façon, les songes qui peuplent nos nuits nous permettent sans doute, au sens propre, de supporter les pressions de notre quotidien, d'accepter notre sort, de vivre, tout simplement. 

Alors puisque le rêve est unanimement partagé, il m'arrive souvent de me demander à quoi peuvent bien rêver ceux qui nous gouvernent. A quoi donc songe notre Président lorsqu'il dort (peu, dit-on...) ? Et - faisant référence à la plus cruelle des actualités - un autocrate, un dictateur, est-ce que ça rêve aussi ? Même le pire des hommes reste un homme. Philipp K. Dick posa la question de savoir si les androïdes rêvaient de moutons électriques. Les tueurs songent-ils toujours en dormant à leurs crimes ou font-ils encore de doux rêves d'enfants ? Je livre, ami lecteur, à ta méditation cette interrogation qui n'appelle évidemment aucune réponse immédiate en retour...

vendredi 22 avril 2022

Rien d'autre que la démocratie

"Le patriotisme c'est l'amour des siens. Le nationalisme c'est la haine des autres." Romain Gary


Dans l’école Potemkine de Marioupol dont les images sont, depuis hier, abondamment relayées par les médias propagandistes aux ordres du pouvoir moscovite, on peut apercevoir des affiches à l’iconographie tout droit sortie des archives des "studios de création" soviétiques, aux slogans ultra-nationalistes et guerriers. Bon sang mais c’est bien sûr ! La priorité des priorités est bien, avant même l’apprentissage des savoirs essentiels, de délivrer aux enfants un message politique et idéologique ayant pour finalité de leur inculquer les rudiments d’une vérité historique aussi tordue que définitive, une réalité totalement subjective mais qu’on voudrait indiscutable. Au-delà du drapeau de l’Union soviétique brandi sur certains équipements militaires russes, et notamment des chars, depuis le début de l’invasion en Ukraine, dans les territoires "libérés" et désormais parcourus par les troupes tchétchènes, des mercenaire syriens et les supplétifs du groupe Wagner, on voit également fleurir aux frontons des administrations locales des drapeaux rouges frappés de la faucille et du marteau. Ce ne sont plus des envahisseurs qui combattent contre les courageux résistants ukrainiens mais bien des "libérateurs", inscrivant leurs pas dans ceux de la glorieuse armée rouge, qui luttent contre des "nazis". Du moins, à quelques jours maintenant de la date toute symbolique du 9 mai, c'est ce qu'ils voudraient faire croire au peuple russe...

Vérité alternative, post-soviétisme et nostalgie de l’empire semblent être les fondements du nationalisme néo-expansionniste russe théorisé par Poutine. Jusqu’où, jusque quand ?

Dans quels autres pays que les autocraties et les dictatures voit-on des affiches guerrières aux murs des salles de classe ? Dans quel autre pays les unités militaires utilisent-elles, pour marquer leurs conquêtes, des drapeaux évoquant, avec une forme de nostalgie malsaine, les heures les plus sombres de son histoire ? Je te pose, ami lecteur, la question. Au rang des démocraties, je n’ai rien trouvé…

Alors, puisque dans quelques heures il va nous falloir désigner notre nouveau chef de l'Etat et, au risque de me répéter, en cette époque du retour d'un étendard tragiquement marqué du sang des innocentes victimes ukrainiennes, rien ne peut justifier de céder un pouce de terrain et, plus que jamais, la défense des valeurs démocratiques et humanistes qui fondent notre République, l'Europe et notre civilisation doit l'emporter dimanche. Tout justifie de se rassembler derrière le Président de la République. Tout dans notre histoire nous y engage, tout dans l'actualité du monde nous y oblige, toute dans le projet présidentiel nous y entraîne. Rien d'autre que la démocratie et le rassemblement. Personnellement, j'ai choisi.

samedi 9 avril 2022

Rien plus juste ce qu'il faut

"Certains hommes changent de parti en fonction de leurs opinions, d’autres changent d’opinion en fonction de leur parti.”
Sir Winston Churchill


La France est engagée dans la dernière ligne droite du processus de désignation du Président de la République. Sur internet, sur les réseaux dits sociaux, dans certains cercles, on commence à voir fleurir des prises de position inquiétantes qui accréditent l’idée de la planification d’une fraude électorale massive, l'organisation d’une élection truquée, le risque d’une élection volée... Comme un délirant écho à la fièvre conspirationniste qui accompagna - largement alimentée par les rumeurs propagées par des trolls venus d'ailleurs - l’élection présidentielle américaine de 2020. On se souvient jusqu'où cela avait entrainé les plus dingues.

Taux d’indécision jamais atteint, lassitude démocratique (Sic!), délires complotistes, tous les ingrédients du mauvais scénario d’un mauvais film sont réunis. L’épidémie de Covid n'en finit pas de continuer à sévir, la guerre est aux portes de l’Europe, la conjoncture est tragique, l'économie incertaine, la crise menace, la peur s'étend. Jamais dans la période récente un suffrage ne s'était tenu dans un aussi anxiogène contexte.

Depuis longtemps, et jusqu'au 1er tour de cette élection, on a voulu nous faire accroire que deux camps s'affronteraient que tout semblait opposer. D’un côté il y aurait les grincheux, les complotistes en tout genre, les prophètes de malheur, les mauvais coucheurs et les philosophes rageux et réactionnaires, ceux qui regrettent "la France d’avant" et, de l’autre, les tenants d'un progressisme teinté de "culture" woke, les défenseurs de la théorie du genre, d’une écologie dite "de combat" aux relents néo-païens, les indigénistes, ceux qui prônent en tout le séparatisme et qui revendiquent la (dé)construction du  "monde d’après". On a voulu nous enfermer - et, je l'avoue, j'ai pu parfois me laisser faire - dans ce (non) choix manichéen entre deux partis décrits et vécus comme antagonistes et irréductibles. Mais quand l'Histoire est cruelle et l'essentiel en cause...

Au risque d’apparaître moi-même un tantinet manichéen, en ce qui touche à l’humanité je pensais être l'adepte d’une forme d’approche passablement dualiste des choses. Car, au fond, au-delà de ceux que j’aime, ma famille, mes ami(e)s, je ne reconnais que deux genres qui, fort heureusement, ne sont à mes yeux pas irréductibles : celles et ceux que j'aime quand même et les autres, tous les autres… Tu me diras, ami lecteur, et tu n'auras pas tort, que cela fait trois catégories et non pas deux. Et me voila rattrapé par une forme toute hégelienne de dialectique ternaire. Chassez le naturel... L’âge et l’expérience m’ont enseigné de me méfier de mes propres préjugés et, en introduisant la catégorie de ceux que "j'aime quand même", je me risque à une manière de synthèse entre ceux que j'aime et les autres. Une façon d'"en même temps" affectif. Et, si, souvent, j'ai pensé avec Hegel que c'est la confrontation qui faisait avancer le monde, je suis aujourd'hui convaincu que seule la réconciliation lui permet de le faire dans la bonne direction.

Alors, heureusement, en politique comme en toutes choses, il nous reste l'espérance. Non, rien n’est joué. Rien n’est écrit et la démocratie n’a pas dit son dernier mot. Le pouvoir, le vrai, c'est celui de choisir et l'arme la plus efficace que nous ayons entre les mains est un bulletin de vote. Seul le suffrage ne ment pas. N’en déplaise à tous les néo-cons souveraino-populistes et aux tenants d'une bien-pensance progressiste et moralisatrice aux relents sectaires, la France figure, et l'on devrait quotidiennement s'en réjouir, aux rangs des pays - leur nombre ne cesse malheureusement de diminuer - où liberté et démocratie se conjuguent réellement au quotidien. Ici, la voix de chacun compte et l'on peut librement décider du choix de ses dirigeants. Les plus récents évènements nous enseignent à quel point la liberté est chose fragile et nous obligent.

L'une des leçons que l'histoire retiendra de la campagne pour le 1er tour de l'élection présidentielle qui s'achève c'est que, même à la droite de la droite, on trouvera toujours plus extrême que soi, et que cela peut même contribuer à faire les affaires de certaine blonde candidate... Et que dire du camp d'en face ? On s'est, depuis belle lurette, habitué, dans un ordre d'idée similaire, à la présence totalement anachronique, sur la gauche de la gauche, de candidats se revendiquant ouvertement du Marxisme-Léninisme à la mode Trotski ou dans sa tout aussi tragique version Stalinienne (!!!). Les tenants de la lutte des classes, de la révolution permanente et de la dictature du prolétariat, candidats à une élection libre et démocratique !... La vie politique française est unique en son genre. En ce domaine aussi, le temps de la réconciliation est sans doute venu. Et si la solution était à trouver ailleurs que dans l'affrontement permanent entre deux partis, dans un choix se résumant exclusivement à devoir se positionner "pour" ou "contre" ? Et si, au moment où un certain terrible autocrate moscovite a tragiquement fait le choix d'abolir, sur le sol européen, l'humain dans l'humain, on décidait de s'affranchir, enfin, des idéologies irréconciliables héritées du XIXème siècle pour inventer une nouvelle voie politique, celle, par delà les passions partisanes, de l'ambition collective retrouvée et de la concorde. Comme l'a écrit la philosophe Simone Weil : "Seul le bien est un motif légitime de conservation. Le mal des partis saute aux yeux."*

Peut-être le résultat de la Présidentielle se jouera-t'il à pas grand chose, presque rien ; rien plus juste ce qu'il faut. Et déjà j'entends hurler avec les loups les procureurs en illégitimité. Mais c'est le principe existentiel du scrutin majoritaire qui veut qu'un l'emporte sur l'autre. Même d'une poignée de bulletins.  Le résultat, même s'il est serré, ne saurait, en démocratie, être questionné, et surtout pas en instruisant le procès en illégitimité du vainqueur. La victoire oblige et il appartiendra à celui qui sera désigné par les électeurs de tendre la main et, bien plus que d'ouvrir artificiellement le jeu, de rassembler - au-delà des mots - toutes les bonnes volontés. C'est possible. Alors, plus qu'en réponse à une situation qui l'ordonne, au devoir qui commande ou à des circonstances qui nous contraignent, avec raison, pour la défense des valeurs qui sont les nôtres et qui, je l'espère, rassembleront le plus grand nombre, j'ai choisi.

samedi 2 avril 2022

Rien de magique

“On croit ce que l'on veut croire.” 

Démosthène


Positif !

Après plus de vingt-quatre mois de pandémie et alors même que nous commencions à envisager une sortie de crise, je m’étais forgé la très solide conviction que j'y échapperai, que le virus m’oublierait, que non je ne serai pas malade. Mais, m’étant sans doute trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne, me voilà, moi aussi, positif. Comme un signe du destin pour venir me rappeler à la réalité cruelle de cette saleté de micro-organisme qui - il y a déjà presque deux ans - a emporté ma mère et, au moment où j'écris ces lignes, d'ores et déjà causé la mort de plus de six millions de nos contemporains. Un signe qui vient surtout souligner, comme s'il en était toujours besoin, notre humaine condition  de mortelle créature.

Pourtant, ami lecteur, j’ai tout (bien ?) fait - du moins le pensais-je - pour tenir éloigné le risque d’être à mon tour infecté par cette saloperie. Et, pour plagier une célèbre campagne de communication de ma jeunesse, contre un autre terrible virus, je croyais naïvement que "le sars cov 2 ne passerait pas par moi !

Scrupuleusement, depuis les premiers signes d'épidémie, j'ai respecté les gestes barrières, le confinement strict et le port du masque. Il me revient d'ailleurs que, quand, dès le mois de février 2020, je portais - instruit par l'expérience de séjours passés en Asie - un masque pour aller faire mes courses au marché, les gens me regardaient de façon un peu étrange. Ils ignoraient alors que, bientôt, tous seraient contraints de sortir masqués.

Au début, emporté que j'étais, par le désir de croire que les progrès de la science nous garantiraient la découverte rapide d'un traitement magique et par le témoignage de miens amis sudistes, j'ai prêté attention au discours définitif et sans nuance aucune du "spécialiste" marseillais. La prise d'Hydroxichlorochine, associée à un antibiotique banalement courant, apparaissait alors comme le miraculeux remède qui allait sauver la planète. Illusion !

Groupe O, Rhésus positif, je me suis ensuite laissé bercer d'illusions un temps par le résultat des "études" qui pointaient du doigt un risque d'infection diminué pour les individus de mon groupe sanguin. Rassuré je le fus un temps, en feignant d'appartenir à une forme de "caste" que je n'avais pas choisie, une "élite" protégée, à son corps défendant, et pour des raisons scientifiques très obscures à mes yeux de néophyte. Comme tant d'autres alors, je ne me suis guère intéressé à l'appendice qui indiquait pourtant clairement que "cette diminution restait (toute) relative..."

Ensuite, vinrent les campagnes de vaccination et la promesse qu'elles portaient de jours meilleurs. Une première dose reçue du vaccin recombinant Oxford/AstraZeneca (si, si, j'en fus et sans effets secondaires aucun), puis, combo parfait disait-on alors, deux doses du vaccin à ARN messager Comirnaty du laboratoire Pfizer. Face au virus, je me croyais devenu presque invincible, en tout cas désormais protégé, tel Captain America, par ce "bouclier vaccinal"...

De confinements, total ou partiel, en couvre-feux, de mesures sanitaires en interdits sociaux, nous avons vécu deux ans dans l'ombre morbide d'une maladie étrange et déroutante et puis - enfin ! - le Gouvernement, à l'approche du Printemps, a levé les mesures barrières. Plus besoin de masque ni de jauge pour accéder aux lieux accueillant du public, réouverture des discothèques, fin du passe sanitaire (ou plus exactement, sa  suspension...). Adieu les contraintes et foin des restrictions ! 

Inutile donc de s'inquiéter puisque, dorénavant, et bien que le régime d'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au trente-et-un juillet, on ne parle plus quotidiennement du virus à la télévision. On n'en parle plus, c'est donc qu'il n'y a plus de risque. Le retour - enfin ! - à une vie "normale" ?  La fin du cauchemar nous était promise. Du moins l'ai-je cru...

Et puis, patatras ! Une petite trace rose sur la bandelette réactive d’un applicateur de test en fait foi : je suis infecté. Et me voila de nouveau enfermé entre les quatre murs d'un bureau devenu, par la force des choses et pour cause d'isolement imposé, salle à manger, chambre à coucher et salon. Ô bien sur, jusqu'à présent les symptômes sont assez légers (même si le mal de gorge est intense et la fatigue inhabituelle) et, sans doute, la triple vaccination me garantit-elle du risque d'une forme gave. Sans doute... 

On croit souvent ce que l'on veut croire. Comme l'a écrit le Psychologue Olivier Houdé* : "...nos jugements et décisions sont le plus souvent dominés par des heuristiques intuitives très rapides, fondées sur des biais cognitifs erronés."
Ce qu'on appelle biais de confirmation est même de tous les biais cognitifs, certainement le plus fréquent. Parce que nous nous croyons intelligents et rationnels, nous refusons la plupart du temps d'accepter que nos croyances perdurent même face à des preuves évidentes, même face à l'épreuve des faits et de la réalité. Nous préférons privilégier la prise en considération des informations qui confirment nos croyances, même les plus irrationnelles. 

Selon l’adage populaire "quand on veut, on peut !..." A l’inverse, l'expérience vécue nous enseigne qu'il ne suffit pas de ne pas vouloir quelque chose pour que cette chose n’advienne pas. Encore une illustration que la pensée magique n’est qu’illusion. Doit-on pour autant en déduire que rien n’est magique ?

mercredi 23 mars 2022

Rien ne subsistera

Si rien ne reste, ou si peu, et que souvent nous croyons avoir oublié, tout toujours perdure quelque part en nous.

Après des mois de lutte contre un étrange et redoutable virus (qui semble, si l'on en croit les nouvelles, n'avoir toujours pas capitulé...), le monde fait désormais face au plus grand risque de conflit armé généralisé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et, une fois encore, une fois de plus, comme victime d'une lointaine et terrible malédiction, l'Europe est le théâtre de cette sanglante confrontation. Pour ceux qui, comme moi, ont cru que la belle idée de la construction européenne était l'assurance d'une paix durablement retrouvée sur notre continent, grande est la désillusion. Pourtant, j'ai la prétention de m'être, depuis longtemps, intéressé aux questions de défense. Ancien auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, j'ai même pris l'engagement de diffuser dans la société et de partager "l'esprit de défense". C'était hier, c'était il y a vingt ans déjà... 

Le thème retenu pour notre cinquante-cinquième session nationale portait sur le risque de "guerres asymétriques". Un an après l'attaque des tours jumelles du World Trade Center, certains de nos intervenants d'alors, affirmant que nous étions entrés dans une nouvelle ère de l'Histoire du monde, anticipaient le risque religieux, la montée des communautarismes, le regain d'une manière de nationalisme 2.0 et les tentations centrifuges qui pourraient les accompagner dans nombre de régions du monde, annonciatrices de confrontations armées d'un nouveau genre à venir, mais tous nous enseignèrent alors que le risque d'un conflit de grande intensité sur le sol européen n'était plus guère retenu comme hypothèse de travail, ni la fédération de Russie comme une potentielle menace… Encore une fois l'Histoire, qui se moque bien des algorithmes, des analyses et des prévisions, a, avec son éternelle malice, donné tord aux experts, aux spécialistes et aux sachants.

Pourtant, ce sont, nous dit-on, les hommes qui font l'histoire, tout comme ils peuvent changer leur vie bien plus que la vie ne les transforme.  Il est plaisant de feindre qu'en modifiant notre vision du monde, nous nous transformerions et que, par voie de conséquence, nous pourrions transformer le monde. Et si pour une fois nous consentions, ami lecteur, à la croyance inverse ? Et si nous n'étions que le fruit de notre histoire et l'humanité toute entière le jouet impuissant d'un fatum qui la dépasse, emportée qu'elle est dans le tourbillon de l'Histoire. Vie et destin...

Souvent, ici, j'ai affirmé la grande méfiance qui est la mienne (depuis une certaine campagne présidentielle de 1995...) des experts et de leurs pronostics. Sous sommes, à coups surs, entrés dans une période de grands périls, bien malin qui pourrait, aujourd'hui, dire où va le monde ?

Alors, pour ma part, je préfère me contenter de la petite (toute petite) histoire de cette modeste littérature du rien qui alimente ce blog depuis bientôt quatorze ans. Et, en relisant certains des textes qui en ont jalonné l'existence toute numérique, je réalise à quel point nos pensées sont influencées par notre environnement, la conjoncture, et qu'ils composent une manière de journal des petits riens, de ceux qui, mis bout-à-bout, font une vie. Le présent fuit, le passé n'est qu'illusion, seul le futur est encore imaginable. Rien ne subsistera sinon des riens. 


vendredi 11 février 2022

Rien d'autre

"Être dilettante, c'est savoir sortir de soi, non peut-être pour servir ses frères humains, mais pour agrandir et varier sa propre vie, pour avoir, au bout du compte, délicieusement pitié des autres, et non, en tout cas, pour leur nuire."  Jules Lemaître


Plus que jamais peut-être, l'heure apparaît, en toutes choses, à l'expertise. 

Ils sont partout ! Et ils nous emmerdent...

Les pédants, les fats, les sentencieux et les pompeux, tous ces faux savants qui font profession de ne rien ignorer sur rien m'épuisent. Rarement, il faut bien dire, une conjoncture comme celle que nous avons traversée au cours des deux dernières années leur aura autant fourni l'opportunité de faire étalage de leur suffisance. C'est bien simple, quelque soit le sujet, ils ne se contentent jamais de questionner ni de conjecturer mais - du haut de leur supposé savoir - ils possèdent, toujours ils affirment et surtout, pas un instant, ne doutent.

En cet instant, te vient-il, ami lecteur, l'image familière d'un ou l'autre de ces importuns ? Si, si, réfléchis, nous en connaissons tous... Je voulais illustrer mon propos par un exemple bien réel, vécu hier en regardant mon poste de TV, mais je me suis ravisé. Ce serait encore lui donner une publicité qu'il ne mérite à mes yeux pas.

Bon, voilà, l'écriture de ce texte rapide en forme de coup de gueule m'a, pour quelques instants, soulagé. Pour ma part, depuis une certaine campagne présidentielle de 1995, je me garde des experts, ces grands sachants qui toisent ceux qui n'en sont pas et je ne crains pas de revendiquer, en de très nombreux points, une manière de dilettantisme. Mais qu'ils sont fatigants ceux-là qui prétendent tout savoir, et rien d'autre.

jeudi 3 février 2022

Croire à rien

"L'on n'a jamais cru tant de choses que depuis que l'on ne croit plus en rien."
Emmanuel de Las Cases

Au-delà d'un bon mot du mémorialiste de Sainte-Hélène, cette maxime, écrite par celui qui joua dans les tous derniers instants de l'Empereur le rôle de secrétaire particulier, me semble assez prodromique tant elle pourrait, près de deux siècles après, parfaitement s'appliquer à une part de plus en plus importante de nos contemporains que l'éloignement de toute spiritualité incline aisément à tout croire, même et surtout, l'incroyable. Je m'explique : A trop vouloir rompre avec l'essentiel, le risque est grand de se perdre dans l'accessoire, et surtout un dangereux accessoire de pacotille...

A force d'exclure toute idée de transcendance, toute spiritualité, alors que nous sommes fondamentalement des êtres spirituels, les mêmes qui rejettent un passé qu'ils refoulent autant qu'ils contestent un présent qu'ils exècrent s'étonnent de ne plus avoir foi en l'avenir ! Mais comment espérer - pour vivre - quand on ne croit plus en rien ?

On peut avoir une présence au monde critique, manier le doute, considérer que l'image que nous nous faisons de la réalité naît d'une forme de construction de notre esprit, tout en conservant - ce qui est mon cas - un regard d'enfant, un regard qui accepte de s'émerveiller et ne rejette pas l'idée même d'une manière de transcendance ; mais sans pour autant sombrer dans le grand n'importe quoi d'une forme de prêt-à-penser spirituel teinté de folklore new-age ni s'égarer dans les méandres de - trop rarement - séduisantes mais - très souvent - délirantes, thèses complotistes ou même céder aux sirènes de théories en "-isme" à la mode ou à une quelconque "post-vérité".

Après que, dans les temps modernes, l'homme a, en toutes choses, voulu rationnaliser en systématisant l'esprit critique, dans notre époque de post-modernité les croyances les plus folles, les théories les plus absurdes, encouragées dans leur développement par l'émergence des réseaux sociaux et l'immédiateté du partage de "l'information" (sic !) font leur grand retour.

Parce que l'homme du 21ème siècle, contrairement à ce qu'a pu prophétiser Malraux, ne sait plus croire, il est enclin à se mettre à croire n'importe quoi. Dans un monde où tout se vaut, il défend son droit de croire, même les pires conneries, au nom de sa liberté de conscience, trop souvent confondue avec la liberté d'opinion. Et, malheureusement, face à ce retour en force d'un imaginaire délirant, soutenu et amplifié par une technologie à la prolifération hors de contrôle, la raison elle-même ne suffit plus à nous fournir les armes pour y répondre. Comment en effet raisonner le déraisonnable ?

Comme l'a écrit G.K. Chesterton, "quand les hommes cessent de croire en Dieu, ils ne croient pas pour autant à rien. Ils se mettent, au contraire, à croire n'importe quoi."

mercredi 5 janvier 2022

Comme si de rien n'était (Bis)

Les nouveaux donneurs de leçons, ces néo-sachants qui occupent plus souvent qu’à leur tour l’antenne des chaînes d'information, nous enseignent chaque soir sur ce qu’ils ignoraient encore le matin même.

Un ignorant qui parle très fort à plus d’audience aujourd’hui qu’un savant qui doute. Au risque d’oublier que la science n’est pas une opinion mais qu’elle se démontre dans les faits, la caisse de résonance des réseaux sociaux et de médias engagés dans une course effrénée à l'audimat, rend égales toutes les prises de parole, d'où qu'elles viennent. Désormais, et comme jamais depuis deux siècles au moins, le complotiste et le scientifique sont mis sur un même plan et, au nom d’une forme de relativisme, nombreux sont ceux qui pensent que la parole de l’un vaut bien celle de l’autre. Alors, soutenir des croyances totalement délirantes, même contre la raison, souvent contre la science elle-même, est désormais considéré comme une opinion qui, à ce titre, non seulement a voix au chapitre et accès aux médias, mais qui doit être défendue, au risque de générer les plus stupides des mouvements, de justifier les plus absurdes des combats, au risque même parfois des plus dramatiques conséquences. "Les cons ça ose, tout, c'est même à ça qu'on les reconnait!" Comment mieux dire les choses que dans cette réplique culte prononcée par Lino Ventura et écrite par Michel Audiard pour les Tontons flingueurs.

Mais comment les en blâmer quand, dans certaines facultés et écoles de grand renom, on semble encourager les étudiants à discuter l’enseignement de leurs maîtres, à déconstruire l'histoire au nom de leur "liberté d'opinion", à remettre en cause les faits - qui pourtant, m'a-t 'on autrefois enseigné, sont têtus - lorsqu'ils viennent heurter leurs croyances…

Au moment où certains - une petite minorité - assument, en mettant systématiquement en doute la science, en niant la réalité de faits objectifs et en propageant les plus gros bobards, en donnant foi aux plus délirantes infox, d'emmerder la majorité de ceux qui voudraient pouvoir vivre normalement, ou, à tout le moins, plus libres qu'ils ne le sont aujourd'hui. Au moment où les équipes médicales sont, en soins intensifs, quotidiennement confrontées à des choix éthiques terribles, étant parfois contraintes, pour sauver une vie de prendre le risque d'en sacrifier une autre. Au moment où - et la campagne présidentielle ne fait que commencer... - les polémiques succèdent déjà aux polémiques, peut-on, doit-on continuer à se taire et à faire comme si de rien n'était ? Certes, il est peut-être des mots qu'un Président ne devrait pas prononcer, des mots qui dès lors ont pu choquer. Fort heureusement je ne suis président que de moi-même et, au risque de passer pour le plus populiste des populistes, j'ose le dire : qui emmerde qui et quand emmerdera-t'on enfin les emmerdeurs ?

J'assume de le dire, comme l'an passé, après le pathétique épisode de l'assaut sur le capitole dont nous célèbrerons demain le malheureux 1er anniversaire, j'emmerde ceux qui, au nom de leur prétendue et sacro-sainte liberté d'opinion - qui est pourtant souvent aliénée par le choix qu'ils font de croire, même l'incroyable -  décident ou, pour les plus pervers ou les plus retords, affectent de cuider même les plus délirantes folies, les idéologies les plus mortifères, les plus énormes conneries, et voudraient nous soumettre à leurs vérités et à leurs conséquences, même les plus irresponsables, même les plus terribles. Je les emmerde d'autant plus qu'ils ont choisi, pour certains, de le faire au prix de la vie des autres. Liberté est devenu un mot-valise au nom duquel aujourd'hui les inepties les plus excessives sont claironnées et relayées partout. On rappellera que le "délit de diffusion de fausse nouvelle" est pourtant toujours une infraction dans notre droit pénal...

J'dis ça, j'dis rien...