lundi 14 novembre 2022

Rien de moins

"Dieu a besoin des hommes."
Proverbe


Ce que les hommes croient nouveau, c’est, souvent, ce qu’ils ont oublié.

« Toute époque, selon sa vocation, est une grande époque » pour le philosophe et spécialiste de la subjectivité transcendantale, Edmund Husserl. La décadence annoncée par certains de notre monde post-moderne permettra-t-elle, comme un terreau fertile, l’irruption d’une forme nouvelle de Sacré ? Sommes-nous, comme le suggère Michel Mafesolli, à l’aube d’une ère qui sera marquée par le retour du religieux, de la religiosité, de la spiritualité ? Le restaurant dans lequel travaille mon fils s’est longtemps appelé « le Pub Paul Scarlet ». Il a été tout récemment rebaptisé « La Table d’Emeraude », doit-on y voir l’exemple trivial d’une forme, même inconsciente, de retour du sacré ? Voir...

Que l’on soit athée totalement sceptique, agnostique interrogatif, simple cherchant ou croyant convaincu, nous portons tous en héritage inconscient, enfoui au plus profond, un capital historique de culture, surnaturelle d’abord, religieuse ensuite; une culture sacrale et nourrie de mystère. Sans verser dans une forme de fatum, je ne pense d'ailleurs pas que la somme de tous les efforts de rationalisation ni l'approche strictement positiviste permettent d’oublier ou de désapprendre le bagage civilisationnel que les générations qui nous ont précèdé nous ont légué. 

La vie ne nous autorisant pas le retour en arrière, la meilleure façon d’entretenir la flamme du passé pour éviter qu’elle ne s’éteigne emprunte sans doute la voie du diptyque tradition/transmission. Respecter les traditions héritées du passé en s’efforçant de les maintenir vivantes aujourd’hui à l'effet pour demain, de mieux en assurer la transmission et - peut-être ? - offrir les conditions à une nécessaire et revitalisante transgression, troisième et dernier terme du tryptique (tradition/transmission/transgression) sur lequel repose, selon moi, toute tentative d'approche anagogique.

Certains pensent que rejeter toute transcendance est la seule façon de s’affranchir, de se libérer de ce que Marx nomma « l’opium du peuple ». En revendiquant à tout prix leur liberté, d’aucuns oublient parfois, un peu vite, qu'il n'est de liberté sans respect de certains principes et que c'est d'abord notre qualité humaine d'êtres spirituels qui nous distingue des autres êtres vivants et nous rend uniques dans l'ordre naturel. 

Nous vivons, analysent certains, une "crise du croire" et plus nos contemporains sont incrédules, plus ils semblent paradoxalement se laisser abuser par des discours délirants. C’est bien parce que l'homme du début du 21ème siècle, contrairement à ce qu'a pu prophétiser Malraux, ne sait plus croire, qu’il est enclin à se mettre à croire n'importe quoi. Les temps sont si troublés que trop nombreux même sont ceux qui confondent fausses idoles, religion de l’Amour et amour de la Religion. Si Dieu est Amour, l’histoire nous enseigne malheureusement que les Religions, « porteuses de vérité sans faille», comme l’a écrit Michel Serres, avec leur vision dogmatique et la part d’intégrisme et de haine de l’autre qu’elle entraîne, sont trop souvent cause d’une violence aveugle. 

Pour ma part, je préfèrerai toujours l’Amour à la Religion, car la Religion est une invention des hommes alors que l’Amour est une invention de Dieu !

Contrairement à l’approche scientifique qui, utilisant une forme d’analyse logico-subjective, privilégie la partie sur le tout, l’étude de l’objet d’expérimentation sur celle du sujet, toute quête symbolique, si elle part du « je » s'intéresse avant tout au « nous », au collectif, en considérant que le Tout est supérieur à la somme des parties qui le composent. Le Sacré donne du Sens - en élargissant la réflexion au-delà d'une vision exclusivement rationaliste du monde - en ce qu’il introduit l’expérience existentielle de la globalité du réel, qu’il permet de réintroduire l’idée du Tout, et d’entrouvrir le voile pour apercevoir l’Unité perdue. Retrouver dans les images et les mythes une manière de théologie - de reliance au Sacré - n’est-il pas l’un des objectifs de toute approche spirituelle, de toute quête de sens ? Avant même le concept d’Archétypes popularisé par Carl Gustav Jung, Gaston Bachelard affirmait que les images et les Rites prolongeaient les symbolismes sacrés et les mythologies archaïques. Comme l’a si justement écrit Jean Cazeneuve dans Sociologie du rite : « L’ordre humain ne se suffit pas à lui-même, il n’a de valeurs que par la participation à des archétypes sacrés qui le fondent et le dépassent à la fois. »  Rien de moins.