jeudi 29 novembre 2018

Rien sur rien

Fragments: ressource providentielle pour les écrivains ne sachant pas concevoir un livre entier. Pitigrilli (1962)


Je n'écris rien, c'est entendu. Mais, au fur et à mesure que je nourris ce blog, je vois les pages tourner, ce qui vaut sans doute mieux qu'essayer de les remplir. Et s'il apparaît comme une forme d'évidence, paraphrasant Cioran, qu'on ne peut rien écrire sur rien, il est tout aussi clair qu'on peut aisément publier sur des riens. Paradoxale magie de la dématérialisation, ou comment chercher à combler l'angoissant vide de l'existence en embourrant de petits riens un support fondamentalement virtuel. S'essayer à remplir le vide de riens, pour encore mieux appréhender la vanité de l'exercice d'écriture et repousser tout risque de se bouffir d'orgueil...

"La stérilité, docteur, peut-elle être héréditaire ?"

Rapportée récemment par un ami médecin, cette interrogation d'un patient n'a pas manqué de susciter chez moi un questionnement en forme d'écho. Dubitatif et amusé, au moins au début, par le caractère presque absurde de la question, en y réfléchissant davantage je me suis dit qu'à notre époque où les progrès de la science autorisent déjà des hommes techniquement stériles à se reproduire, on pouvait en effet légitimement la poser.

"Il est inélégant de reprocher à quelqu'un sa stérilité, quand elle est postulée, quand elle est son mode d'accomplissement, son rêve..."*

S'il en est, en tout cas, pour qui la question ne se pose certainement pas dans les mêmes termes, c'est ceux qui, soit qu'ils aient fait le choix de se retirer du monde et de se dépouiller des oripeaux de la vie en société, soit qu'ils aient revêtu l'habit, ont choisi le célibat et professent leur chasteté. Dans les couloirs du très catholique collège de mon enfance, on racontait à ce sujet une bien bonne blague que je te livre, cher lecteur, sans aucune arrière pensée moralisatrice. Au confessionnal, un paroissien s'adresse au curé : "pardonnez-moi mon père parce que j'ai pêché". Commentaire de l'abbé, en forme de réponse : "inutile d'être aussi formel mon fils. Appelle-moi papa..."

Rien sur rien. 

(*) Cioran - De l'inconvénient d'être né

mercredi 21 novembre 2018

Anamnèse

Notre route a croisé hier soir, à l'occasion d'une avant-première parisienne du très beau film de Eva Husson, Les filles du soleil, celle de Karl Zero et de son épouse Daisy d'Errata. Cette rencontre a provoqué chez moi une manière d'anamnèse et nombre de souvenirs de l'épopée de Jalons sont alors remontés que je croyais oubliés...

Comme je l'ai déjà ici même relaté, en juin 1984, au moment où la France catholique et bien pensante défilait derrière Mgr Lustiger pour la défense de l'école libre, et bien qu'en bon étudiant de la faculté de droit(e) d'Assas on m'eut sans doute alors attendu ailleurs, j'ai rallié, et l'ai même portée haut, la bannière des "éléments incontrôlés" du GIC Jalons. "Peponne t'es foutu, Don Camillo est dans la rue!", ou encore "oui, oui, oui... non, non, non!", tels étaient les slogans que nous reprenions en coeur derrière Basile de Koch, Frigide, Karl et toute la bande, au grand dam de quelques ouailles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et de leurs coadjuteurs de la fraternité Saint Pie X, égarés près de notre - modeste - cohorte. Aucun de ces ensoutanés ne pouvait alors se douter qu'un jour viendrait où les paroisses appelleraient à rejoindre Frigide Barjot dans son combat pour la défense de la famille traditionnelle et catholique...

Mais revenons aux années 80. L'un de mes grands regrets fut - pour cause de méchante rhinopharyngite - de ne pas voir pu rejoindre la manif' organisée le 13 janvier 1985 contre le froid au métro glacière. D'autres y furent (moins nombreux d'ailleurs d'après les organisateurs que selon le décompte de la préfecture de Police ou ce que pourrait laisser à penser la relation toute en exagération journalistique que fit la grande presse d'alors de cette manifestation) et défilèrent sur le rageur et pourtant si évocateur slogan: "verglas assassin, Mitterrand complice!". Mais ayant eu à subir dans ma chair les conséquences pour ma sphère orl d'un refroidissement dû aux températures polaires qui régnaient alors sur l'hexagone, je n'en fus pas. Dommage.

Une autre fois, c'est sur la Seine, à bord d'une péniche, que mon souvenir ancre quelque part du côté du bois de Boulogne, que nous nous étions retrouvés pour y faire la fête, sous un prétexte futile - et en fallait-il un d'ailleurs ? - autour d'un récital donné par Eric Morena et son tubesque bateau bondissant. Quelqu'un d'entre-vous, chers lecteurs, s'en souviendrait-il ? Les trop rares flashes qui me reviennent de cette folle soirée sont encore trop alcoolisés pour que le souvenir puisse en être vraiment précis. Et la fin de la nuit passée rue du Bourg-l'Abbé, aux Bains-Douche, ne contribue sans doute en rien à en améliorer la remembrance.

Épique époque que celle qui fut jalonnée de parodies, de fêtes, d'insouciance. Bien loin du Kurdistan irakien et des courageuses soldates dont la très poignante histoire nous a, pour quelques heures, hier réunis et émus. Si loin...

samedi 17 novembre 2018

Ne rien savoir

J’assistais l’autre jour à l’école militaire à un colloque de l’IHEDN consacré à la question du secret, et à ce qu’il en reste. Sur le secret, sa conservation, et l’incompréhension qui peut en naître en notre époque nourrie au sein de théories complotistes en tous genres relayées et amplifiées par un usage immodéré des « réseaux sociaux », gardons au cœur qu’un mystère peut garder son secret sans pour autant être caché. Ainsi par exemple, à l’instar du secret du sentiment amoureux, le secret du chemin initiatique (quel qu’il puisse être) ne se révèle, je le crois, que dans le cœur de l’initié. Si le curieux peut lire les rituels des sociétés dites secrètes qui s’étalent aujourd’hui sur le Web et permettent, en quelques clics, à celui qui cherche de trouver tout (et son contraire), le vrai secret du mystère de l’initiation réside sans doute dans le cœur de l’initié et, partant, il reste inaccessible au profane.

Comment mieux dire ce secret que le fait E.T.A. Hoffman dans son recueil de contes, au sujet du Don Giovanni de Mozart: « Seul le poète comprend le poète (...) seul l’esprit exalté dans la poésie, qui a reçu l’initiation au milieu du temple, peut comprendre ce que l’initié a exprimé dans son inspiration ». Et bien fol celui qui, au risque de l'étalage d'une érudition superficielle, pense, tel Pic de la Mirandole, percer les mystères par la simple accumulation du savoir. Car, comme le rappelle Hermann Hesse dans l’un de ses très beaux romans d’initiation, Siddharta : « Il n’est pas de pire ennemi du vrai savoir que de vouloir savoir à tout prix, d’apprendre »

Rien à comprendre



13 novembre 2018. Rien ne sera plus jamais vraiment comme avant. Assis dans un Uber, je regarde, par la fenêtre Paris qui s’illumine. Les fêtes approchent, il y a du monde dans les rues, tout va bien. En apparence. Car je viens de m’apercevoir que, devant chaque terrasse de café, je suis submergé par une émotion que j’ai du mal à identifier. Et, tout soudain, je pense à ceux qui ont été fauchés par des balles assassines il y a 3 ans. Déjà...

Véronique voulait que je regarde les reportages qui ont accompagné à la télé le souvenir des attentats. Témoignages pour l’histoire, pour savoir, pour apprendre. Pas pu... Non, je ne souhaite pas en savoir davantage. Ni sur les bourreaux, ni sur leur mode opératoire, ni sur l’intervention héroïque des forces de l’ordre. Seules les victimes comptent. Les morts, bien sûr, mais aussi les blessés, marqués à jamais dans leur chair et dans leur âme, leurs familles et puis tous les autres, ceux qui ont assisté impuissants à toute cette horreur. Ceux pour qui, comme moi, la simple idée de passer devant le Bataclan, de flâner dans le quartier où j’ai longtemps habité, ou d’envisager même de remettre les pieds au stade de France est devenue compliquée… Non, je ne souhaite pas en savoir davantage. Et savoir quoi d’ailleurs ? Pourquoi ? Et s'il n'y avait tout simplement rien à comprendre. Car rien ne justifiera jamais cette folie meurtrière, rien jamais n'autorisera l'oubli. Rien... 




lundi 5 novembre 2018

Rien ne se crée

La référence permanente faite en ce moment à l’ancien monde ne me parait rien d’autre que la version contemporaine de la -  très artificielle - querelle des anciens et des modernes. La ligne de démarcation trace-t-elle vraiment une irréconciliable différence entre progrès et autorité ? En lisant ces jours derniers le roman de Camille Pascal* qui fait le récit des mois d’été chauds et tumultueux qui virent quatre monarques se succéder sur le trône de France, des trois glorieuses jusqu’au couronnement de Louis-Philippe égalité, je n’ai pu m’empêcher de faire un lien avec le très beau Guépard de Visconti. Toutes les révolutions se ressemblent en ce qu’elles s’annoncent toujours avec fracas dans l'ambitieux vent d'un progrès rompant avec le monde ancien, et, souvent se terminent par la modeste brise du conformisme et l'affirmation autoritaire du nouveau pouvoir d'enfants opportunistes. Rien ne se crée, tout se transforme et tout n'est finallement qu'affaire d'imitation, de répétition, de plagiat plus ou moins bien réussi. Le vrai - le seul - génie créatif est, heureusement, suffisamment rare pour qu'on s'en souvienne.

L’Histoire nous enseigne qu’il en est des révolutions comme de la marche du monde lui-même,  "pour que rien ne change, il faut que tout change" comme le dit dans une célèbre réplique un Tancrède exalté mais cynique à son oncle don Fabrizio Corbera, prince de Salina, au moment de partir rejoindre les tricolores du Risorgimento pour faire « sa » révolution.

Apparemment tout semble s’organiser toujours pour que rien ne change. Mais après tout est-ce un mal ? Quand les Orléans succèdent aux Bourbons, est-ce vraiment le succès du progrès contre la réaction, de la supposée audace des modernes au détriment de l'expérience des anciens ? Les prophètes des temps nouveaux l'emporteraient toujours sur les conservateurs d'un passé révolu. Enfin, jusqu'au jour où le temps a passé et que les jeunes cons sont simplement devenus plus vieux. Jusqu'au jour où les présomptueux qui pensaient avoir définitivement réglé le problème de la relation à leurs pères sont eux-mêmes confrontés au questionnement de leurs fils. Au crépuscule de l'ancien monde  répondra toujours l'aube radieuse d'un âge nouveau, dont l'éclat finira, lui-aussi, inéluctablement, par pâlir. Non, décidément, rien ne se crée...


(*) Camille Pascal - L'été des quatre rois - Plon, 2018