jeudi 22 avril 2021

Parler pour ne rien dire

"On est toujours le con de quelqu'un (...) et le principal con se trouve en nous-mêmes."
Maxime Rovere - Que faire des cons ?

Au nom du "droit à l'information" et du "principe de précaution", l'empire du bien impose désormais, en tout et pour tout, une forme de dictature de la transparence et d'impératif de prévoyance. Et crois m'en, ami lecteur, on a pas besoin de tout savoir pour être angoissé, ni besoin de se prémunir de tout pour éviter le danger ! Petit-à-petit, insidieusement, une manière de peur en l'avenir s'est installée en moi. Il faut dire que rien n'est fait pour nous rassurer. Et certainement moins que le reste, cette transparence absolue qui s'est imposée, en tous sujets, tout le temps. Ce qui aboutit à ce terrible constat que je te livre sous la forme d'une équation sans inconnue : 

"½ transparence + ½ précaution = connerie2   !"

Plus que tout autre temps, le futur nourrit intrinsèquement le doute. Si tu y rajoutes l'incertitude d'une époque troublée et un sentiment d'impuissance généralisé face à des évènements qui nous dépassent et sur lesquels personne ne semble avoir réellement prise, tu obtiens un cocktail aux vertus énergétiques tout autant qu'anxiogènes à même de nourrir la névrose de plus d'un obsessionnel comme moi. Et le pire c'est que même s'il m'arrive quelques fois d'obtenir des éléments de réponse susceptibles d'éclairer sous un jour nouveau de possibles avenirs moins sombres, le doute subsistera toujours. Retour au point de départ...

Comment une telle obsessionnalité - que tu peux qualifier de connerie - trouve sa place, s'immisce et s'installe dans un esprit à priori normalement doté d'une certaine capacité d'abstraction, d'analyse et de recul ? Comment, pour dire les choses simplement, en suis-je arrivé à être parfois aussi con ?

Jacques Villeret - Le dîner de cons

Certains me reprochent une forme d'affèterie, un dandysme de dilettante, d'autres m'opposent l'inanité de mon discours. Ainsi serais je prisonnier d'un paradoxe empêchant d'opérer un choix clair entre posture et imposture. Pour en sortir, encore faudrait il pouvoir décider ! Le hic c'est que j'ai un peu le sentiment d'être définitivement coincé entre une éthique du détachement et l'esthétique d'une parole vide ?

A trop vouloir n'être esclave de rien, me suis-je moi-même contraint à renoncer parfois à l'intelligence ?

Une question surgit alors, une autre ! : D'où peut bien venir cette inclination qui me pousse à trop souvent parler pour ne rien dire ?


dimanche 18 avril 2021

Ne plus regretter que rien ne bouge

Quand il était minot, c'était un sacré loustic. Un vrai zouave qui ne pensait qu'à faire le cacou. Après avoir mené une vie de patachon, toujours à bâtir des châteaux en Espagne, il avait fini par se ranger des voitures. Revers de la médaille : lui qu'avait toujours pété dans la soie était depuis plusieurs années dans la dèche et il lui manquait toujours dix-neuf sous pour faire un franc. Ceux qui ne l'avaient pas connu avant pensaient même parfois qu'il avait des oursins plein les poches. Il était juste raide comme un passe-lacet. Alors, lui qu'on croisait toujours tiré à quatre épingles était souvent fichu comme l'as de pique.

Ô c'était pas le mauvais cheval, mais faut dire qu'à la fin il courait les baragnes et sucrait un peu les fraises.

Il a fini par avaler son acte de naissance.  Lui qu'avait souvent la danse de Saint Guy a rejoint le grand bal des trépassés. 

Ses amis, dont je fus, l'ont hier accompagné dans sa dernière demeure.

Après le cimetière, comme on avait la fringale et qu'on voulait casser la graine, on a cherché une cambuse. Mais pas question de dîner à la fortune du pot, non ! En l'honneur de celui qui ne becterait plus désormais les pissenlits que par la racine, on voulait faire ducasse et boire comme des Templiers. On allait certainement pas manger avec les chevaux de bois ! On a fini par trouver un bouillon ouvert et c'est reparti comme en quatorze ! Et comme il ne suçait pas que de la glace, avec les potes, pour lui faire honneur, on a fait une bombe à tout casser ! On s'en est jeté plus d'un derrière la cravate et on a mangé à s'en faire péter la sous-ventrière. J'ai fini rond comme un queue de pelle, mes zigues n'étaient pas en reste, tous beurrés comme un petit Lu. On a fait un tel chambard dans le rade qu'était pas plus grand qu'un mouchoir de poche qu'à la fin une mère n'y aurait pas retrouvé ses petits. La tenancière nous faisait un peu la soupe à la grimace quand on a calté. Alors on a fait amende honorable et on a mis les bouts.

Pourquoi est-ce que je te conte cette histoire à la mords-moi le nœud me diras-tu ?

On dit parfois que celui qui meurt riche meurt disgracié. Aucun risque pour notre défunt compère qui n'avait guère de foin dans ses bottes. Non, de fortune il n'en avait pas. Sauf quelques souvenirs dont l'évocation nous donnera l'occasion de boire abondance de canons et de faire bombance, il n'a rien laissé derrière lui, rien. Maintenant qu'il a définitivement fermé son parapluie, c'est sur qu' il ne regrettera plus jamais que rien ne bouge.

mardi 13 avril 2021

Crever à ne rien faire

"... nous préférons crever à ne rien faire. Ce sera de la fatigue de moins..."
Germinal - Emile Zola

On a beaucoup glosé - moi itou ! - sur le recours outrancier aux fake news de certains dirigeants populistes occidentaux. On débat abondamment aujourd'hui, en ville, dans les gazettes, sur les réseaux et sur les plateaux, d'une certaine culture de la délation qui, dopée par les interdits sociaux liés au confinement, s'installerait en France depuis quelques temps. En Chine, il semble qu'on atteint désormais les sommets d'une culture systématique de la désinformation et de la dénonciation. En effet, depuis le début de l’année, la censure, serrant davantage la vis en prévision des commémorations des 100 ans du PCC, sévit contre ceux que la doxa officielle nomme des « nihilistes historiques ». Une hotline permet dès à présent aux bien-pensants, gardiens rouges de l'orthodoxie maoïste, de dénoncer ceux qui contestent l’histoire officielle et critiquent le parti. Bienvenue en 1984 ! 

A l'instar du héros d'Orwell, Winston, tous ceux qui n'accepteront pas d'adhérer à l'injonction d'amnésie collective qui fonde l'histoire officielle du Parti risquent dans les temps qui viennent d'être traqués par la police de la pensée. Seules les  conceptions orthodoxes sont autorisées et mieux vaut dissimuler ses penchants contestataires. Est-ce seulement encore possible à l'heure où plus d'un milliard de caméras scrutent les comportements sociaux des habitants de l'empire du milieu ? A l'heure où, par le recours à la reconnaissance faciale permis par les progrès de l'I.A., chaque citoyen se voit, depuis plusieurs années déjà, attribué une note de "crédit social", en fonction de ses comportements extérieurs... La réalité n'a-t-elle pas déjà dépassé la fiction ? Il semble qu'il n'y ait plus nulle part où se cacher ! Même plus besoin de télécrans, Big Brother est partout.

On a d'ailleurs vu comment, en période d'épidémie, la Chine faisait respecter le principe de distanciation sociale. Certains esprits éclairés, parmi nos très cathodiques professionnels de santé, n'ont rien trouvé à y redire. Bien au contraire, ils auraient souhaité que nos démocrates dirigeants s'inspirassent du modèle de contention sociale généralisée chinois. Faut-il y voir quelque réminiscence de leur jeunesse engagée dans les rangs de la Gauche Prolétarienne ???

Je ne peux m'empêcher de penser que pour certains l'application la plus stricte de mesures contraignant l'obéissance des corps, jusque dans les conduites les plus intimes des individus, sera demain la garantie rassurante pour toute machine d'oppression totalitaire d'une absolue servilité des esprits. Que dire alors de ceux qui, chez nous, veulent contrôler les rêves des enfants ?

L'incroyable intuition orwellienne aura-t-elle fini par inspirer les esprits les plus tordus ?

Récemment, ici-même, une jeune maire, inconnue jusqu'alors et dont je préfère oublier le nom, a connu son heure de gloire en expliquant vouloir censurer les rêves des gosses. Elle a osé affirmer, je cite, que "l'aérien ne devait plus faire partie des rêves des enfants." Au-delà de la connerie du propos, on perçoit dans ce type de prise de position une volonté à peine masquée de contrôler la part la plus intime de chacun. Interdire un rêve ! Comme si l'inconscient des gosses pouvait obéir aux injonctions d'une khmère verte !


Au-delà, on peut aussi s'interroger sur ce que dit cette phrase ? Son sens le plus profond : Vouloir interdire le rêve aérien, n'est-ce pas tout simplement vouloir empêcher le rêve prométhéen, renoncer au mythe d'Icare et à ce qu'ils nous disent du progrès ?  

Au début du XVIIe siècle, l'un des pères de la pensée scientifique moderne et penseur de l'empirisme, le philosophe humaniste Francis Bacon, écrivait vouloir “... connaître les causes et les moteurs secrets des choses et élargir la domination de l’homme, jusqu’à permettre la réalisation de toute chose possible”. Sa philosophie peut et doit nous inspirer encore. Si tout progrès porte en effet en lui ses dangers et ses risques, ces mythes nous disent  aussi tout ce que l'humanité peut en attendre de positif dès lors qu'il est mis au service de l'amélioration du mieux-être collectif. 

On reconnaît bien, au fond, dans la volonté déclarée et assumée d'interdire le rêve aérien incarné par Icare le rejet de toute idée de progrès cher à nos écolo-conservateurs. Contre les prophètes de l'apocalypse, les tenants de la collapsologie et de la décroissance, je préfère le mythe prométhéen en ce qu'il nous dit aussi ce que peuvent apporter de bien et de bon aux hommes la connaissance et l’action. Et je choisirai toujours de voler dans mes songes avec Icare, plus loin, plus haut - même au risque de me brûler les ailes - plutôt que de renoncer à mes rêves d'enfant. Ceux-là, au contraire, préfèreront toujours aux risques inhérents à l'action une forme de paresseux renoncement. En décidant de crever à ne rien faire, c'est sur, ils se fatigueront moins.