vendredi 29 septembre 2023

Rien de l'expérience des autres

"L'inconscient est à la fois la force de vie qui nous pousse à répéter les mêmes comportements heureux, et la force de mort qui nous pousse à répéter les mêmes erreurs." J.-D. Nasio


T'es t-il déjà arrivé, cher lecteur, de te dire, à l'occasion d'un échec, fruit de ta propre erreur : "Pourtant, j'aurais dû le savoir ?", ou encore, "Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je savais que j'allais dans le mur, comme X avant moi, pourtant je n'ai rien fait pour changer de trajectoire !"

La phrase "on n'apprend rien de l'expérience des autres" m'a, à l'occasion d'une récente disputation, été assenée comme un précepte, un credo définitif et indiscutable par l'un de mes interlocuteurs. Est-ce si certain ? Notre propre expérience, et notamment celle de nos échecs, est-elle plus efficace en support de nos apprentissages ?

Cette expression me paraît pour le moins pouvoir être discutée et nuancée. En réalité, il est sans doute possible d'apprendre beaucoup de l'expérience des autres, mais cela dépend de plusieurs facteurs, notamment de la manière dont on aborde ces expériences et de la façon dont elles sont partagées.

Apprenons nous de l'expérience des autres ?

Acceptons maintenant de prendre en considération qu'une part importante d'apprentissage se fait par l'observation des expériences vécues par d'autres. Par exemple, en observant les erreurs des autres, on peut éviter de les reproduire, et en s'inspirant de leurs succès, adopter des pratiques plus efficaces, plus performantes. Les conseils et les enseignements d'experts ou de personnes ayant une expérience significative dans un domaine particulier peuvent aussi être extrêmement précieux et nous servir de guide dans nos propres décisions et actions. Les études de cas sont également un moyen courant d'apprendre des expériences des autres dans des domaines tels que la médecine, la psychologie, le coaching professionnel, etc. Elles permettent d'analyser des situations passées pour en tirer des enseignements qui nous serviront dans l'avenir. Enfin - et bien que certains pensent, à l'instar d'un Céline, que "l'histoire ne repasse pas les plats" - l'histoire elle-même est riche d'exemples d'expériences passées, que ce soit au plan des civilisations, de leurs dirigeants ou des individus. Étudier l'histoire devrait nous permettre de comprendre les conséquences des actions passées et nous aider à éviter de répéter certaines erreurs (et bien que les récents développements de l'actualité nous enseignent que ça n'est pas toujours aussi évident pour tout le monde...).

Bien sur, expérimenter des autres peut aussi avoir ses limites. Leurs expériences peuvent avoir été vécues dans un contexte très différent du nôtre, ce qui rend l'application directe des leçons qu'on peut en tirer plus compliquée. D'autre part, les limites des capacités de la mémoire font que les individus peuvent mal interpréter ou déformer le souvenir de leurs propres expériences, ce qui peut conduire à de mauvaises analyses et à des conseils erronés. 

S'il est donc possible d'apprendre beaucoup de l'expérience des autres, cela nécessite un discernement critique et une compréhension des différences de contexte. Il est important de combiner l'apprentissage à partir de l'expérience des autres avec notre propre expérience personnelle pour développer une compréhension complète et équilibrée.

Ok, me diras tu, mais l'apprentissage par l'observation peut il remplacer l'expérience individuelle ?

S'il peut être un complément précieux à l'expérience individuelle, l'apprentissage par l'observation peut difficilement la remplacer complètement. En effet, l'expérience individuelle est souvent nécessaire pour comprendre pleinement un contexte spécifique. Même s'il nous arrive d'avoir observé les expériences d'autres personnes, chaque situation emporte ses nuances uniques qu'on ne peut vraiment comprendre qu'en la vivant soi-même. Dans de nombreux domaines, en particulier ceux qui nécessitent des compétences pratiques, comme, par exemple, la musique, le sport, l'artisanat ou la médecine, etc., l'apprentissage par l'expérience individuelle est essentiel. On ne peut développer ses propres compétences qu'en pratiquant concrètement. La résolution de problèmes complexes et la prise de décision dans des situations nouvelles ou imprévues sont souvent des compétences qui s'aiguisent principalement par l'expérience personnelle. Il est essentiel d'apprendre à faire face à l'inattendu, à gérer l'incertitude et à adapter nos connaissances aux situations uniques auxquelles nous devons faire face. Enfin il est des formes de connaissances, appelées "connaissances tacites". Il s'agit de connaissances pratiques, d'intuitions, de savoir-faire qui ne se développent naturellement qu'avec l'expérience personnelle. Par ce qu'elles sont difficiles à « formaliser », par opposition aux connaissances explicites, elles sont difficiles à transmettre par l'observation seule. 

Cependant, l'apprentissage par l'observation peut être très précieux pour plusieurs raisons : évitement des erreurs, gain de temps et, surtout, élargissement de la perspective. L'observation peut aider à acquérir de nouvelles idées et à mieux comprendre les différentes approches d'un problème ou d'une tâche. En fin de compte, l'apprentissage par l'observation et l'expérience personnelle sont complémentaires. Pour devenir un expert dans un domaine particulier, il est souvent nécessaire de combiner les deux : observer, apprendre des autres, puis appliquer ces connaissances dans votre propre expérience. C'est ainsi que la compréhension approfondie et la maîtrise se développent généralement.

Apprenons nous de nos propres erreurs ?

Sans doute, mais pas toujours. En fait, l'apprentissage à partir de ses erreurs est l'une des méthodes les plus efficaces pour acquérir de nouvelles compétences, améliorer sa compréhension et développer sa résilience. La première étape pour apprendre de ses erreurs est de les identifier et de les reconnaître. Cela nécessite une certaine réflexion et une honnêteté personnelle pour reconnaître qu'on a commis une erreur. Une fois qu''elle a été identifiée, il est essentiel de comprendre pourquoi cette erreur s'est produite et dans quelle occurence ? Quelles décisions/actions ont conduit à l'échec ? Cette étape permet d'acquérir une compréhension plus profonde du problème. Il est ensuite essentiel d'examiner les conséquences de l'erreur. Comment a-t-elle affecté la situation ou les personnes impliquées ? Quelles ont été les répercussions à court et à long terme ? Cette analyse aide à prendre conscience de l'importance de l'apprentissage à partir de ses erreurs. Une fois que l'on a compris les erreurs et leurs conséquences, il convient d'apporter les indispensables corrections pour éviter de les répéter à l'avenir. Cela peut signifier modifier son approche, prendre des décisions différentes ou même développer de nouvelles compétences. L'apprentissage à partir de ses erreurs est un processus continu. On  affine constamment ses compétences et sa compréhension en tirant des leçons de chaque erreur commise, dès l'ors qu'elle est identifiée et analysée. Apprendre de ses erreurs permet enfin de renforcer la résilience, c'est à dire la capacité à surmonter les obstacles et à faire face aux défis avec plus de confiance, en réalisant que, même en cas d'échec, il y a une opportunité d'apprentissage.

Alors, au fond, comment apprend t'on ?

L'apprentissage est un processus complexe qui implique l'acquisition de savoirs, de compétences, des capacités d'analyse, de compréhension et des comportements adaptés. L'ensemble permettant d'accéder à une forme de connaissance. Le processus d'apprentissage peut varier d'une personne à l'autre et d'un domaine à l'autre, mais il existe des principes fondamentaux qui le sous-tendent. Généralement, on apprend d'abord de l'observation et de l'expérience : L'apprentissage commence souvent par l'observation de notre environnement et par l'expérience directe. Nous observons les actions des autres, les résultats de nos propres actions et les interactions avec le monde qui nous entoure. Intervient alors le processus de mémorisation : Une fois que nous avons observé ou expérimenté quelque chose, nous avons besoin de retenir cette information pour pouvoir l'utiliser plus tard. La mémoire joue alors un rôle crucial. Pour aller plus loin, il convient de comprendre l'information reçue : Comprendre le sens et la signification de l'information est essentiel. Cela implique souvent la réflexion, la connexion entre les idées et la contextualisation de l'information nouvellement acquise par rapport à ce que nous savons déjà. Mais seules la pratique, la répétition et l'application permettront l'acquisition des compétences pratiques. L'une des étapes les plus importantes de l'apprentissage consiste en effet à appliquer ce que nous avons appris dans des situations réelles. C'est à travers l'application que nous testons notre compréhension et notre maîtrise. Cela permet de consolider ses compétences. Pour qu'il produise ses effets, un bon processus d'apprentissage requiert d'abord un désir d'apprendre et implique enfin :
  • Curiosité : La curiosité est très souvent un moteur de l'apprentissage qui peut même stimuler l'apprentissage autonome ;
  • Motivation : On est plus enclin à apprendre lorsqu'on est intrinsèquement motivé (par un intérêt personnel) ou extrinsèquement motivé (par l'espoir d'une récompense ou la crainte d'une sanction) ;
  • Feedback : Recevoir un feedback, qu'il soit sous forme de commentaires, d'évaluation ou de résultats, est essentiel pour savoir si nous avons bien appris ou si nous devons ajuster notre compréhension ou nos compétences ;
  • Adaptabilité : L'apprentissage est souvent un processus itératif. Nous adaptons les savoirs acquis et nos compétences en fonction de notre expérience et du feedback que nous recevons. Cela peut impliquer de réviser, de mettre à jour ou de changer nos perspectives et nos comportements ;
  • Continuum : L'apprentissage ne se limite pas à une période de formation ou d'éducation formelle. Il est un processus qui peut nécessiter un temps long.
Tout ça est bien beau, me diras tu, mais un peu théorique. Alors, en guise de conclusion à mon propos, je crois qu'il est important de noter que l'apprentissage à partir des erreurs, celles des autres tout autant que les nôtres, nécessite  une attitude positive à priori. Plutôt que de voir tes erreurs comme des échecs, ami lecteur, je t'invite à les considérer comme des opportunités d'amélioration. Et même si, selon Lacan, l'inconscient est structuré comme un automatisme de répétition, j'attire cependant ton attention sur le fait qu'il est également important, au risque d'échouer immanquablement devant les mêmes épreuves, de ne pas répéter constamment les mêmes erreurs. Car comme l'a écrit Saint Augustin : 
"Errare humanum est, perservare diabolicum !"

mardi 19 septembre 2023

Rien de plus sérieux

"La conversation n’est pas un remplissage du temps, au contraire c’est elle qui organise le temps, qui le gouverne, qui impose ses lois qu’il faut respecter."
Milan Kundera


J'ai profité de l'été pour lire quelques ouvrages de Milan Kundera. Sa célèbre phrase, "Rien de plus sérieux que la légèreté," peut s'interpréter comme indiquant que la capacité de prendre du recul et d'adopter une perspective légère peut être extrêmement importante, voire cruciale, dans la vie, voire même, essentielle à la vie. Elle met en avant l'idée que la légèreté, l'humour et la capacité à ne pas se prendre trop au sérieux peuvent être des outils puissants pour faire face aux défis et aux situations complexes de manière plus saine et équilibrée.

La légèreté ne signifie pas nécessairement l'irresponsabilité ou l'insouciance. Elle peut même, au contraire, être une réponse consciente à des situations sérieuses ou anxiogènes, permettant aux individus de mieux gérer le stress, de maintenir une perspective positive et de favoriser des relations harmonieuses avec les autres. L'équilibre entre la gravité et la légèreté dépend des circonstances, des valeurs personnelles et de la manière dont chacun choisit d'aborder les différents aspects de l'existence. La légèreté peut être une composante essentielle de la vie, tout comme la gravité et le sérieux, elle peut contribuer à une meilleure qualité de vie et à un bien-être général. On a tendance à trop prendre avec gravité des sujets parfois dérisoires alors qu'en réalité il n'y a essentiellement rien de sérieux. Souvent, nous accordons trop d'importance à des sujets qui, en réalité, ne sont pas aussi sévère que nous le pensons. Cette tendance à prendre au sérieux des choses dérisoires peut être attribuée à plusieurs facteurs :
  • Perception individuelle : Ce qui peut sembler sérieux à une personne peut paraître insignifiant à une autre en raison de différences de perspective, d'expérience et de valeurs personnelles ;
  • Stress et préoccupations : Dans un monde souvent stressant, nous pouvons être enclins à réagir de manière exagérée à des problèmes mineurs car ils représentent une manière d'échappatoire à des préoccupations plus importantes ;
  • Pression sociale : La société, la culture, les médias ou les réseaux sociaux peuvent influencer nos perceptions de ce qui est important. Parfois, il est perçu comme socialement essentiel de donner de l'importance à des sujets qui, en réalité, ne le méritent pas ;
  • Mauvaise gestion des émotions : Lorsque nous ne parvenons pas à gérer nos émotions efficacement, nous pouvons réagir de manière excessive à des situations triviales.
Cependant, il est important de noter que même si certains sujets peuvent sembler dérisoires, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils n'ont aucune valeur. Les petites choses de la vie, comme l'humour, les passe-temps et les moments de détente, revêtent une grande importance pour notre bien-être émotionnel et mental. A contrario, il convient parfois de ne pas minimiser l'importance des problèmes qui peuvent sembler mineurs à première vue, car ils peuvent avoir des implications plus profondes dans certaines situations. L'essentiel est de trouver un équilibre entre prendre les choses au sérieux lorsque c'est nécessaire et savoir lâcher prise et profiter des moments plus légers de la vie. Cela peut utilement contribuer à une vie plus équilibrée et satisfaisante. 

Peut-on parler sérieusement de tous les sujets sans pour autant se prendre au sérieux ? Toute conversation impose t'elle ses lois ? La manière dont nous abordons un sujet et la façon dont nous nous comportons lors de la discussion peuvent varier considérablement, même lorsque le thème abordé est d'importance. Voici quelques éléments que je livre, cher lecteur, à ta considération, à l'effet de pouvoir parler sérieusement sans se prendre trop au sérieux :
  • Reconnaître l'importance du sujet : Même si on ne se prend pas au sérieux, cela ne signifie pas qu'on minimise l'importance du sujet. Il est tout à fait possible de discuter sérieusement d'un problème tout en maintenant une attitude ouverte et détendue.
  • Maintenir l'ouverture d'esprit : Etre prêt à entendre les opinions et les perspectives des autres, même si elles diffèrent des nôtres. L'ouverture d'esprit permet une discussion sérieuse et constructive ;
  • Utiliser l'humour avec discernement : L'humour peut être une manière efficace de détendre une conversation sérieuse, d'alléger l'atmosphère et de permettre à chacun de s'exprimer plus librement mais il convient de le faire avec discernement car, comme le dit l'adage, on peut rire de tout mais pas nécessairement avec tout le monde ;
  • Éviter l'arrogance et garder un ton respectueux : Ne pas se prendre au sérieux signifie également ne pas être arrogant ou condescendant envers nos interlocuteurs. Même si c'est parfois compliqué,  il faut s'efforcer de respecter la manière dont l'autre exprime opinions et idées et maintenir un ton respectueux et courtois. Les attaques personnelles ou l'agressivité ne contribuent généralement pas (c'est un euphémisme...) à une conversation productive ;
  • Prendre du recul : Il est parfois utile de savoir prendre du recul et de se rappeler que les sujets sérieux sont souvent complexes et nuancés. Reconnaître cette complexité peut aider à ne pas se prendre trop au sérieux.
En guise de conclusion provisoire, allons une fois encore chercher une citation dans l'œuvre de Milan Kundera : "L'histoire est tout aussi légère que l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain."(*) 

N'oublions jamais, cher lecteur, que la légèreté de l'insignifiance se joue bien souvent du rien.