dimanche 12 juin 2022

Rien sur rien

En parlant de Louis XV, Jules Michelet écrivait : "dans son âme il y avait le rien". Comment interpréter cette phrase ? Evoquait-il, en usant de l'imparfait, un petit rien d'hier ou anticipait-il déjà la nature d'un grand rien qui devrait encore advenir ? Cicéron, lui, nous enseigne "que l'homme n'est rien d'autre que son âme". Comment arriver à te faire partager, ami lecteur, cette mienne passion des riens qui parfois m’anime, tant il est difficile de nourrir un blog dont le thème que je lui ai sciemment imposé n'était rien, pire même, des (petits) riens ?

Il m’est très vite apparu en essayant d'écrire les premiers courts textes qui égrènent ces pages numériques qu’il n’était pas facile de rester simple pour parler de rien. En fait, je me suis fait une manière de philosophie qui consiste à penser qu’on peut parler de rien sans complexe mais qu’il est complexe de parler de rien. Prétentieuse posture, penseras-tu peut-être? Je ne le crois pas. Ambitieuse proposition, c'est certain.

Pourtant, je ne prétends pas y trop penser et avant de commencer à écrire, je ne sais rien de mes textes. Ni le début, ni le plan, ni la fin. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour pouvoir parler de rien, sans trop en dire. 

Au fil de cette plus que décennie écoulée d'existence, très épisodique, du blog des petits riens, j'ai compris qu’en fait on parlait le mieux de rien quand on écrivait sur tout. Alors j'ai couché sur l'écran souvenirs, commentaires sans prétention, courtes fictions ou historiettes du quotidien et anecdotes vécues, rapportées ou parfois même partiellement, voir totalement, inventées. La matière s’est assez vite avérée relativement féconde tant la vie est un patchwork de tous petits riens. Féconde, certes, mais heureusement pas suffisamment pour pouvoir mettre plus de ponctualité à écrire. Mais après tout la rareté, même subie, est-elle si fâcheuse ? Une trop importante somme de riens aurait sans doute conduit à risquer les contours d'un grand tout fait de pas grand-chose ; alors que l'irrégularité de la publication - involontaire, vraiment ? - reste conforme à l'idée d'inscrire ce blog dans la tradition d'une très modeste forme de  chronique du rien. On pourrait presque en tirer la leçon que, pour peu de le faire avec parcimonie, il n'est au fond guère plus difficile d’écrire lorsqu'il n’y a rien à raconter.  

Aujourd'hui, je peux affirmer qu'on peut parler de rien sans complexe. Mais qu'il est difficile de rester simple pour parler de rien ! Heureusement le temps n'est pas encore venu où je ressasserai davantage de souvenirs des petits riens du passé que je ne pourrais encore en vivre de nouveaux, bien réels. Ce jour-là, par moi tant redouté, sera le signe que la nostalgie qui vient aura commencé de s'installer et le temps sera alors venu d'arrêter l'exercice et de ne plus rien écrire. Plus rien. Plus rien sur rien...

samedi 4 juin 2022

Rien sur la mort

Ô que ne suis-je mort il y a dix mille ans et ressuscité entre-temps à trois reprises déjà. Elias Canetti


Comme l'a un jour écrit Woody Allen : "Marx est mort, Freud est mort, Dieu est mort. Et moi-même, cela ne va pas très fort"... Ce qui peut rendre la chose compliquée avec la vie, c’est que ce petit rien qui nous préoccupe tant, porte non seulement en lui la possibilité permanente de la non-vie, mais que ce qui fonde son existence même c'est l’assurance inéluctable de sa finitude. Nous sommes nés pour mourir, et notre première respiration porte en elle la promesse de notre dernier souffle. Déjà, dans la naissance s'annonce le trépas. Sombre et universelle perspective, me diras-tu. D'accord, mais l'espérance...

Comment accepter l’idée que la vie ne serait qu’un chemin - certainement trop court pour certains, peut-être trop long pour d’autres - nécessitant tant et tant d'efforts quotidiens tant il est semé d’embûches, mais une voie sans issue, une route qui ne conduirait nulle part ? Une marche vers le néant, une porte entrouverte sur rien... L'avenir aurait-il un aboutissement ? J'aspire quant à moi à vivre assez longtemps pour connaître ma propre mort.

On dit parfois que le trajet compte bien plus que la destination. Il est néanmoins, en règle générale, plus facile de cheminer dans une certaine direction pour avancer.  Même si, comme l'écrivit Pierre Dac, l'avenir est devant nous et que nous l'aurons dans le dos chaque fois que nous ferons demi-tour. Alors cheminer, oui, mais vers où, vers quoi ? Un futur radieux nous promettent certains, un sombre destin nous annoncent les autres. A l'image de la ligne d'horizon, notre avenir ne s'éloigne-t-il pas au fur et à mesure qu'on s'en approche, jusqu'à même disparaître à la fin ?

Alors l’homme a inventé l’espérance. Pas seulement un quelconque espoir, une possibilité discutable, non, mais bien une foi, religieuse ou philosophique, indiscutable, une croyance absolue en l’assurance d’une vie de l’âme au-delà de la mort. Qu'elle soit physique (la résurrection de la chair) ou seulement spirituelle (le passage de l'âme d'un corps à un autre être), qu'on la nomme palingénésie, résurrection, réincarnation, transmigration des âmes ou métempsychose, l'idée d'une autre vie après la mort est l'un des concepts les plus partagés par les principaux courants de pensée religieuse ou spirituelle. Les grandes religions sont religions de mort en ce sens que le mythe qui, pour l'essentiel, contribue à les fonder réside dans l'espérance - après la vie terrestre - d'un ailleurs, d'un à-venir, d'un Au-delà du néant. Et comment espérer, sinon, de sa vie faire un peu plus que rien, si l’on est, au fond de soi, convaincu que tout est vain et qu’au bout il n’y aura rien ?

La peur de la mort est certainement l'émotion la mieux partagée parmi les hommes. Pour s'en prémunir, d'aucuns la nient et affirment n'y jamais penser, pour d'autres c'est une pensée permanente, obsédante et angoissante. Enfin, il y a ceux qui pensant qu'on peut s'amuser de tout, font de la mort - et souvent de la perspective de  leur propre disparition - un sujet d'en rire. Avec l'humour noir, on touche au rire tragique qui va au-delà même de la mort ! Comme l'a si justement écrit Umberto Eco, seul le rire permet de lutter contre la certitude que, inéluctablement, nous avançons vers la mort. En attendant, et, dans l'entre-temps, « quels tourments, jour après jour, pour être un peu plus que rien »!*