vendredi 24 décembre 2021

Rien de si caché

Il n'y a rien de si caché qui ne doive être découvert. 
Maître Eckhart


En cette période de fêtes, me revient en mémoire un reportage télévisé réalisé pendant la guerre civile à Damas. Un chauffeur de taxi y témoignait face à la caméra de la terrible expérience de vie quotidienne des syriens. Son propos se terminait par la phrase suivante : « Il n’y a plus de bonheur aujourd’hui. Regardez autour de vous il n’y a que des visages tristes ». Ce que nous dit cet homme c’est que l’espérance elle-même peut parfois être désespérée. Paraphrasant Schopenauer, on pourrait, avec pessimisme, dire que dans ces temps très troublés que nous vivons « on ne peut être béat. Moins malheureux seulement ». Au-delà du terrible drame vécu par les habitants du Levant et des ravages de la guerre, et toutes choses égales par ailleurs, il appert que les désillusions politiques, économiques, philosophiques, spirituelles et même désormais scientifiques sont bien réelles et nombreux sont ceux de nos contemporains qui les partagent. Partout, la souffrance, loin de reculer, semble s’accroître. 

"Nous sommes - nous enseigne Maître Eckhart - la cause de tous nos obstacles". Tous les « ismes » du XIXème et du XXème siècles promettaient à tous une vie plus agréable et un bonheur généralisé. Tout au contraire, nos contemporains n’ont jamais paru aussi déprimés. Les dogmes, les illusions, les modèles et les idéologies ont failli et on est passé de l'utopique promesse du bonheur pour tous à l'étalage quotidien et cathodique d'un malheur généralisé. A bien des égards, la lutte des classes a cédé le pas à la lutte des places. Et si cet échec nous enseigne notamment que le bonheur ne peut pas venir de l’extérieur, alors sans doute pouvons-nous convenir qu'il devra venir de l’intérieur. La joie ne s’achète ni ne se décrète. Le bonheur se nourrit exclusivement des petits plaisirs qui l’alimentent et qui prennent vie en chacun de nous.

Pour chacun d'entre nous, humains, la réalité n'existe que dans le regard que nous portons sur le monde. La réalité des choses nous devient accessible dès lors que nous réalisons que si nous sommes dans le monde c’est en nous qu’il prend couleur et forme. Est-ce que nous nous transformons en transformant notre vision du monde, ou bien transformons-nous le monde en nous transformant ? Peut-être n'y-a-t 'il rien d'autre à faire que d’être soi-même, dans sa réalité primordiale, ici et maintenant, en comprenant qu'il convient d’abord de se réaliser, de se connaître pour mieux se transfigurer, d’accepter que le monde n’existe que par nos yeux et que seul le regard bienveillant et philanthrope que nous lui porterons pourra le modifier et, peut-être, le rendre un peu meilleur. 

Si pour Baloo, l'ours débonnaire du Livre de la jungle "il en faut peu pour être heureux", alors, chassons de notre esprit tous nos soucis et, en ces temps où nous fêtons le retour de la lumière, essayons de prendre la vie du bon côté. Oublier le passé pour être moins déprimé, négliger de penser le futur pour être moins anxieux et apprendre à vivre l'instant présent. Rien de si caché, au fond.

jeudi 9 décembre 2021

Rien à savoir

Un jour qu'un ami mien et cher conseillait à l'une de nos connaissances communes de réfléchir moins mais d'agir davantage, il obtint de l'autre l'étonnante réponse qu'"il allait y réfléchir"... Je laisse aux cliniciens et autres spécialistes de la psychologie des profondeurs le soin d'analyser le sens profond de cette réponse. Peut-être, à l'instar de certains de nos commensaux, n'avait-il jusqu'à cet instant pas su choisir entre l'effort intellectuel que nécessite l'acquisition d'un savoir (comme je l'ai écrit ici même : la bêtise c'est de la paresse) et le douillet confort d'une forme d'indifférence non agissante ? Car, à ce même ami qui lui demandait plus avant dans la conversation si le plus grand mal dont souffrait l'époque était à ses yeux l'ignorance ou l'indifférence, l'autre lui répondit : "Je n'en sais rien et d'ailleurs ça m'est bien égal..."

Faire plutôt que d'y penser ? Après les temps très heureux de ma jeunesse où, à l'issue des trente glorieuses et de leur utilitariste triomphe du "faire", ma génération - pensant devoir tracer les voies d'un humanisme moderne - a généreusement voulu réhabiliter l'"être", nous avons connu ce que d'aucuns ont appelé "la fin de l'histoire", ces folles années où seul comptait l'"avoir".

Nous sommes aujourd'hui entrés de plein pied dans l'ère d'une forme de "paraître" (par-être, être par quelqu'un ou quelque chose ?).

Peu importe d'être ou d'avoir, ni même de savoir ou de faire, dès lors que, grâce (ou, à cause de...) aux réseaux sociaux, à la téléréalité et aux talk shows des chaînes infos, chacun peut prétendre à son quart d'heure de gloire toute warholienne. Toutes prises de parole étant aujourd'hui également traitées, non pas dans une recherche quelconque d'équité mais à l'effet bien compris de ne pas stigmatiser les points de vue minoritaires, chacun peut désormais faire valoir avec pédanterie la vacuité de sa pensée, et peut-être et même surtout briller sur des sujets dont il ignore tout, ou presque... Entretenir un réseau de connaissances est désormais bien plus efficace pour afficher un savoir allégué que de prétendre accéder à la voie de la Connaissance en abdiquant des savoirs réellement acquis.

Sur l'âme humaine, on ne peut rien savoir, il n'y a rien à savoir*.

(*) Mohamed Mbougar Sarr - La plus secrète mémoire des hommes

mardi 23 novembre 2021

Un rien décalé

Une ancienne ministre de la République, qui plus est membre d'un Gouvernement de droite, vient de s'exprimer dans la presse pour promouvoir et défendre le mouvement "woke".

Je suis hostile, tant elle est évocatrice de la part la plus sombre de notre histoire contemporaine, à l'idée même de brandir la pureté comme un étendard. Alors, quand certains en font un slogan, au nom d'un prétendu "éveil" des consciences, je ne peux m'empêcher de craindre l'avènement d'une vision strictement binaire, réduite et même manichéenne de l'humanité. D'un côté, les purs, les "éveillés", et, de l'autre qui d'ailleurs ? des impurs qu'il conviendrait de dénoncer, de bannir, de rééduquer et, pourquoi pas, demain, d'éliminer ?

Venue d'outre-Atlantique, une nouvelle idéologie prônant une manière de pureté morale assortie d'une vision complotiste de la société s'installe et se diffuse, notamment chez les plus jeunes. Une nouvelle doxa qui refuse la vérité d'un monde complexe et plus nuancé qu'il n'y parait. En instaurant une forme d'intransigeance, au nom d'une cause considérée comme supérieure à toute autre, ceux qui désormais se croient meilleurs que le reste de l'humanité compromettent, en instaurant un puritanisme hystérisé, la libre expression, le choix et la liberté individuelle. L'essentialisation des différences instaure un climat de défiance, une fragmentation du tissu social, une manière de communautarisme tribal et réducteur, une vision dangereusement intolérante de la société où l'exception récuse une norme qui apparaît de plus en plus indéfendable. 

Plus de place pour le débat ou la confrontation d'idées, qui seuls permettent de se comprendre et d'avancer ensemble, mais une vision purement antagoniste et conflictuelle des rapports à l'autre. Celle d'un corps social atomisé, d'une humanité réduite à des tribus, des clans qui n'auraient plus grand chose à se dire et seraient condamnés à s'affronter pour exister. Or, l'idée même du progrès de l'humanité, celui des Lumières, c'est bien la recherche d'un Tout dépassant la simple addition des parties qui le composent. Quelque chose de plus grand, la quête d'un universalisme mise au service de l'épanouissement individuel.

A vouloir réduire l'individu à son genre, à sa race, c'est l'idée même d'universalité, l'humanité elle-même qui finit par être niée. A vouloir comprendre et réduire la diffusion du savoir à un seul enjeu de pouvoir entre "dominants et dominés", c'est toute idée de quête de la connaissance qui est rejetée. L'individu tout comme l'universel ne seraient que des fictions imposées par une société patriarcale, oppressive et raciste...

L'expérience m'a enseigné de se méfier des idéologies en général, et des "...ismes" en particulier, que je pensais naïvement jetées, pour une grande part, aux oubliettes de l'histoire, mais au risque d'apparaître comme "fragile" aux yeux des tenants du "wokisme" (j'ai longtemps pensé que ce terme faisait référence à l'instrument de cuisine...), ou même d'être réduit à ma simple identité de "Boomer", perçu comme le défenseur inexcusable d'un "pouvoir dominant" abhorré, il m'arrive de plus en plus souvent de regretter de me sentir entièrement à part de notre époque contemporaine et de moins en moins contemporain à part entière. Comme un rien décalé...

samedi 23 octobre 2021

En rien promission

60, 50, 30 Km/h en ville. 10 km/h dans certaines rues. Et demain, quoi ? Pour aller jusqu'où ? Une vitesse négative ? On finira bien par nous interdire de nous déplacer ou alors - suprême et paradoxale injonction ! - on nous demandera d'avancer en reculant. Tu me diras, ami lecteur, qu'alors le rêve le plus dingue des pires ayatollahs de la théorie de la décroissance pourrait enfin se réaliser. Mieux reculer pour mieux décroître. A force de réduire l'allure, un jour on risque de devoir tout simplement s'arrêter...

Moins, voir plus du tout de déplacements, constitue l'amorce d'un programme qui, couplé à la fin annoncée par certains de la maison individuelle, nous annonce une ville toute en verticalité qui ressemblerait à s'y méprendre au Los-Angeles futuriste de Blade Runner. Des tours, d'immenses tours où, dans l'idéal, toute la population serait contrainte de vivre. Plus besoin de se déplacer ! Naître, vivre (ou survivre) et mourir au même endroit constituerait alors la promesse ultime d'une vraie "mobilité alternative" pour une population devenue totalement citadine par la force des choses. Mais une humanité immobile, enfermée dans des cités auto-suffisantes, et, dès-lors condamnée au statu quo, pourrait-elle encore évoluer ou sera-t-elle contrainte à une manière de régression (la fameuse "décroissance" prônée par certains) ? Le changement sans mouvement est-il possible ? De quoi se prendre à rêver, non ?

Madame Hidalgo a fait savoir qu'elle souhaitait s'attaquer, si elle était élue, à la vitesse sur les autoroutes. Un frein supplémentaire à la liberté d'aller et venir. C'est de moins en moins la conscience que nous avons de nos actes qui nous autorise - ou pas - à les commettre, mais la multiplication des interdictions qui nous en empêche. L'homme du XXIème serait-il à ce point inconscient pour que son existence ne puisse plus être conçue qu'encadrée par des règlements et des interdits en tous genres. Nous sommes chaque jour davantage poussés à ne plus rien penser mais à obéir pour ne plus jamais avoir à nous tromper.

La "circulation" et l’espace urbain, vus par Hidalgo

Avant de faire, dire et - bientôt - penser quoi que ce soit, il convient d'abord de prendre garde au respect scrupuleux d'injonctions et interdits en tous genres dont la multiplication finit par rendre incompréhensible les raisons même de leur érection. 

Ni loi, ni ordre c'est l'anarchie mais que serait donc un monde exclusivement régi par des interdits ?

Si la loi sans l'ordre peut être l'annonce de l'avènement d'un arbitraire régime de droits sans devoirs, l'ordre sans loi c'est à l'inverse la promesse d'une dictature des devoirs et, partant, de restriction des droits.

Cette séquence où les candidats à la magistrature suprême multiplient les annonces en tous genres synonymes de nouveaux interdits est très révélatrice de l'évolution globale de notre monde.

Fort heureusement, l'expérience nous enseigne qu'en période électorale, accumulation de promesses ne fait en rien promission. 

mardi 28 septembre 2021

Rien n'est plus terrible

A l'exception de la sphère intime qui, fort heureusement, réserve encore des instants où le bonheur sait faire irruption dans nos vies, les temps ne sont guère heureux. Nul doute qu'il puisse être alors tentant pour beaucoup de se réfugier dans les chimères faussement rassurantes d'une toute puissance promise par un progrès débridé, celui d'une science sans conscience, telle qu'évoquée il y a près de 500 ans par Rabelais. De celles d'une pensée exclusivement rationnelle et scientiste qui autoriserait tous les fantasmes en repoussant l'idée même de transcendance dans les limbes d'une histoire de l'humanité qu'elle croit révolue. 

Selon un récent sondage, si pour 68 % des français "la religion transmet des repères et des valeurs positives", seuls 49 % de nos concitoyens affirment "être croyants". N'est-ce pas la peur de la mort qui pourrait paradoxalement les faire de plus en plus renoncer à Dieu ou même simplement douter de son existence ? Certains de nos commensaux semblent en effet tentés de se tenir éloignés de Dieu, espérant sans doute que, les ignorant, il pourrait, le moment venu, oublier de les rappeler à lui. Pour vivre heureux, vivons caché ! Trop humain, peut-être ?

C'est oublier un peu vite notre condition d'être spirituel et de mortelle créature. Deux qualificatifs qui, à mes yeux, sont au sens propre inséparables. Nous voudrions être libres et humains, oubliant parfois, un peu vite, qu'il n'est de liberté sans respect de certains principes et que c'est d'abord notre qualité d'êtres spirituels qui nous rend libres. La science annonce régulièrement la très prochaine "mort de la mort". Mais vouloir, à tout prix, prolonger la vie pour la vie, n'est-ce pas nier notre humanité elle-même en voulant s'affranchir d'un des éléments majeurs qui la fonde ? Le désir d'éternité ne dément-il pas le désir d'appartenance à une Humanité qui nous dépasse ? Que serait demain un être que les progrès de la science auraient rendu immortel ? Quelle serait encore sa part d'humanité ?

Si notre condition humaine se définit comme celle d'animaux rêveurs et poétiques, au fond qu'avons-nous en commun ?  Le rêve, qui est fondement de notre rapport intime au monde, cette langue intérieure, dans laquelle s'exprime l'inconscient, cette part la plus sacrée enfouie au plus profond de chacun de nous et, bien sûr, la mort, qui n'est autre que l'expérience tangible de la finitude. Certains semblent vouloir, quel qu'en soit le prix, s'en acquitter. Rien n'est plus terrible qu'oublier.

lundi 20 septembre 2021

Mieux vaut ne plus rien lire

Certainement as-tu relevé, comme moi, le nombre désespérément surprenant et toujours exponentiel de conneries que l'on peut lire sur le Net. Entre les attardés du bulbe, les complotistes néo cons, les vrais-faux experts, les illuminés (et pas seulement de Bavière...), les amateurs de chatons et les inconditionnels enfiévrés de tout et n'importe quoi, chacun peut s'exprimer comme bon lui semble et exposer "sa" vérité.

S'il m'arrive parfois d'exprimer ce que je crois, jamais ce blog n'a eu la prétention de révéler une vérité. Il faut être bien prétentieux et même faire preuve d'une forme d'impudence pour oser prétendre détenir ne serait-ce qu'une once de vérité. Et d'ailleurs - comme l'a si justement écrit Pascal - ce qui est vrai ici l'est-il toujours ailleurs ? Ce qui est tenu pour vrai pas les uns l'est de moins en moins souvent pour les autres. La vérité, comme l'horizon, s'éloignerait-elle chaque fois qu'on s'en approche ?

Savoir et connaissance ne font pas toujours bon ménage. Nombreux sont ceux qui, pour mieux comprendre, sont désormais enclins à lire ou à écouter tout et n'importe quoi tant nous sommes, pauvres humains, incapables de supporter l'incertitude et le vide. Se contentant d'emmagasiner un savoir parfois douteux, certains pensent accéder à la connaissance. Ils confondent souvent acte de foi, opinion et expérience du réel et pensent pénétrer la vérité en essayant de trouver des réponses à l'incertitude de l'existence, même et surtout si ces réponses sortent du cadre rationnel. L'absence de toute preuve de ce en quoi ils croient devient à leurs yeux la preuve même de la véracité de ce qu'ils affirment.

Avec les réseaux sociaux, la tentation est grande pour celui qui le souhaite de vivre dans une bulle où tout débat, toute controverse, toute confrontation sont bannis. Qu'il est rassurant de vivre dans un monde dans lequel ne s'expriment exclusivement que des points de vue qui vous plaisent et qui vous affermissent dans vos certitudes ! Il est tellement plus facile de croire uniquement ce qui vous arrange... 

Méfions nous des préjugés, de l'illusion et des opinions dogmatiques ! Alors, en guise de - provisoire - conclusion, ami lecteur, je te livre cette sentence dont tu feras bien ce que tu voudras : Si tu crois tout ce que tu lis, mieux vaut ne plus rien lire.

jeudi 9 septembre 2021

S'oublier un peu pour davantage se souvenir

Les morts des autres sont notre vieillissement, et rien de plus. 

Elias Canetti

Qui d'entre vous, chers lecteurs, se souviendra avec moi du temps des cantonniers et des gardes champêtres ? Quand j'étais enfant, ces deux figures étaient des personnages importants du paysage du village où, chaque été, je séjournais au mois de juillet auprès de mes grands-parents. Nous passions alors presque tout notre temps libre, au grand air, à gambader dans les champs environnants. il n'était pas rare alors de croiser l'un ou l'autre au détour d'un chemin ou d'une route vicinale.

Quand la journée touchait à sa fin, c'est de la lecture des bibliothèques, rose puis verte, que venait parfois l'inspiration pour le scénario des aventures buissonnières du lendemain. Et puis, le dimanche soir nous le consacrions au film que nous regardions en famille sur la première chaîne. Deux des films favoris de mon enfance étaient L'homme de Rio et Les tribulations d'un chinois en Chine. J'aimais le cinéma de Philippe de Broca et le jeu tout en énergie comique de Jean-Paul Belmondo. Et puis, Hong-Kong était encore un orient lointain et fantasmé et Rio, synonyme de musique, de fête et de légèreté. Ces films ont, je le crois, beaucoup œuvré à me donner le goût des voyages et lorsque, bien des années plus tard, j'ai découvert l'une puis l'autre de ces deux villes, j'ai repensé aux aventures picaresques du deuxième classe Adrien Dufourquet et du milliardaire désœuvré Arthur Lempereur. 

Aujourd'hui la France à rendu un hommage national à Jean-Paul Belmondo. Tout comme des millions de français, j'aimais Bebel. Qui plus est, j'ai eu la chance que mon père et lui jouent ensemble au Football au sein de l'équipe des Polymusclés et qu'ils nourrissent alors une réelle amitié. Quelques fois, il m'est arrivé - inconscient de ma chance - d'embarquer, à ses cotés, à bord de son rutilant cabriolet de l'époque, sur les genoux d'une starlette bronzée, quand il arrivait à mes parents de passer, en bande, des vacances sur la Côte d'Azur. Même si mes souvenirs sont aujourd'hui un peu flous, ma mère me racontait, peu de temps avant que la maladie l'emporte, nos séjours azuréens des années 60 et je comprenais alors, en voyant les étoiles dans ses yeux, combien la vie était légère à cette époque et comme mes parents savaient s'amuser. En roulant sur la corniche, entre Monaco et Saint Jean, ce sont les routes du Corcovado ou du Pic Victoria que j'arpentais assis dans l'auto de mon héros. 

Oubliant un peu ma peine de voir, avec cette disparition, une partie de mon enfance s'envoler définitivement, ce sont mes joies de gosse dont je préfère aujourd'hui évoquer le souvenir. S'oublier un peu pour davantage se souvenir... Merci Bebel et salut l'artiste !

Les Polymusclés dans les années 60, une équipe de légende...
Des mecs, des potes, qui jouaient sérieusement au Foot sans jamais se prendre au sérieux!
Sur cette photographie, on reconnait Michel Creton, Claude Brasseur, Jean-Marie Baudier, Jean-Paul Belmondo, Pierre Vernier, Mario David et Just Fontaine.

mardi 20 juillet 2021

C'est pas rien...

"Time waits for no one"


Les vacances correspondent à une période durant laquelle le temps s'étire. En conséquence, il est donc probable, ou même simplement possible, que ce blog ne soit plus temporairement suivi qu'avec un certain délai, voire que mes divagations blogueuses ne reprennent leur libre cours qu'à mon retour seulement.

Merci d'en tenir compte et de méditer, pour patienter, cette citation de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord : "Quand il est urgent, il est déjà trop tard"...

Ami lecteur, je te souhaite de passer un bel été, de changer d'air et de te détendre, sans urgence aucune. Savoir simplement ne rien faire, c'est pas rien...

lundi 19 juillet 2021

Infiniment rien

« L’homme, enfin, est arrivé au stade où il mérite de disparaître. »
Cioran


La connerie de certains de nos commensaux semble décidément sans fin. Et comme dirait l'autre : "quand les bornes sont dépassées, il n'y a plus de limites..."

En voyant passer - à défaut de les lire - toutes les insanités à propos de la prétendue « dictature sanitaire » (sic !) à laquelle notre République serait désormais réduite, toutes ces « deepfakes » obscurantistes et ces manipulations aux sources obscures qui sont abondamment relayées sur les réseaux sociaux, toutes ces bêtises sans fondement qui sont affirmées, sans honte ni retenue, souvent contre le simple bon sens (mais qu'est-ce que le bon sens me diras-tu ?) et la raison même, et, toutes les nauséabondes comparaisons aux relents dangereusement antisémites qui abondent depuis quelques jours, j’ai vraiment le sentiment que les cons de l’année prochaine ont une génération d’avance et qu’ils ont même sans doute trouvé le moyen de se reproduire… Pauvre humanité !

Au fond, au-delà de l'analyse simplement historique, l’une des leçons que les anthropologues et autres philosophes du futur tireront peut-être de cette crise inédite dans laquelle le monde est plongé depuis dix-huit longs mois, c’est que, prise en sandwich entre le vertige de l’infiniment grand dont notre connaissance s’éloigne au fur et à mesure que nous prenons conscience de l’incompréhensible infinitude d'un univers en expansion et l’angoisse de l’infiniment petit, dont l'actuelle pandémie nous démontre, si besoin en était, que nous sommes encore loin de tout y comprendre, notre pauvre humanité semble de plus en plus se réduire à ce à quoi elle se résume sans doute vraiment : infiniment rien.

dimanche 11 juillet 2021

On n'y voit rien (*)

"Instant'à nez"
Paris - Bourse de commerce - Fondation François Pinault - MMXXI/07/11



(*) Clin d'œil à Daniel Arasse

mardi 22 juin 2021

Rien de grave

Rien ne reste, ni l'amer ni l'aigreur.
Richard Bohringer - C'est beau une ville la nuit


Fallait bien que ça arrive ! Avec les très fortes précipitations qui se sont abattues sur la région parisienne, j'ai eu la mauvaise surprise, en rentrant aujourd'hui à la maison, de découvrir le sous-sol inondé... 

Plusieurs de nos voisins font face au même désagrément. Ô, rien de grave bien sûr ! Quelques centimètres de flotte sale dans des caves et des sous-sols, que du matériel, mais un incident qui vient nous rappeler la puissance des éléments naturels même si, je l'espère, il restera unique.

Les sols de notre rue tranquille, gorgés d'eau, n'arrivent plus à absorber le surplus et, dans ces conditions, les ouvrages hydrauliques qui servent à l'évacuation des eaux pluviales, ne suffisent plus et n'évacuent plus guère. J'en déduis que l'utilisation d'un réseau d'assainissement pour le déversement des eaux pluviales, même en point haut - ce qui est notre cas - ne protège pas totalement contre le risque d'inondation. C'est sans doute un risque à accepter. Et, de toute façon, comment dimensionner les choses pour faire face à un phénomène heureusement rare ? Limites de la culture du risque et du principe de précaution...

Rien ne reste, comme l'a si joliment écrit Bohringer, des moments désagréables. A l'exception de contrariants souvenirs qui, avec le temps, pourront demain faire sourire et même, je le crois, donner un jour le prétexte à en rire. Ni amertume, ni aigreur.

lundi 14 juin 2021

Parler de rien avec tout le monde

As-tu remarqué, ami lecteur, comme la présence ou l'absence d'un simple article peut singulièrement venir modifier la signification d'une phrase ? Ainsi, parler à une personne c'est bien s'adresser à quelqu'un, à un tiers, mais parler à personne c'est parler tout seul ou se parler à soi-même, ce qui est - presque - la même chose.

Certains prennent les choses avec philosophie, d'aucuns se rient de tout, d'autres prennent tout au tragique, d'autres, enfin, prennent au contraire tout à la légère. Les derniers parlent sérieusement pour ne rien dire. 

On dit parfois qu'on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. Mais peut-on rire de rien ? Pourrait-on imaginer rire de rien, avec philosophie ? 

Si on peut se contenter de ne parler de rien à quiconque, nul ne peut en tout cas parler de tout avec personne. On peut soliloquer et parler tout seul - selon certaines études, se parler à soi-même serait plutôt un signe de bonne santé mentale - mais est-il concevable de parler sans s'adresser à personne ? 

Contre la solitude, certains s'inventent des amis imaginaires pour se rassurer. Pourtant, il y a des choses qu'on ne dit jamais à personne, des secrets tellement intimes qu'on a du mal à les partager, même pas avec soi, et puis il y a tellement de choses dont on parle avec tout le monde que c'est peut-être bon au fond de garder cette part d'intimité.

La solution que j'essaie de mettre en œuvre consiste non pas à parler de tout à un ami sorti tout droit de mon imagination mais à écrire, sur tout et rien, surtout des petits riens, à écrire pour parler de rien en m'adressant à tout le monde...

samedi 5 juin 2021

Il n'y a rien

Telle un fleuve de lave incandescente qui ne refroidirait jamais, la haine coule dans les veines de ceux qui, absolument certains de la justesse de leur cause, détestent ceux qui questionnent, qui cherchent et qui doutent, parfois même naïvement. Il en est ainsi de certains "fous de Dieu" qui, pour la "défense" d'une idée dévoyée de la religiosité, sont prêts à tout et vont, au nom d'un Dieu imaginé, d'une religion fantasmée, jusqu'à nier l'humanité, jusqu'à massacrer. Anéantir l'autre au nom de l'Autre ?

Si je ne dirai jamais que je ne crois pas et ne me définis pas comme athée, agnostique est sans doute le mot qui m'est le plus approprié. Je ne rejette pas, bien au contraire, l'idée de transcendance mais le doute m'habite et je crois qu'en effet nous sommes simplement incapables de savoir si Dieu est ou non. 

Certains font le pari de Pascal, moi je doute. On dit d'ailleurs, et c'est presque paradoxal, que le doute nourrit la foi. Il encourage en tout cas certainement une forme d'espérance. J'aime l'idée que si personne ne peut fournir la preuve que Dieu existe, nul ne peut non plus apporter la preuve contraire.

Naïf penseras-tu ? 

Je préfère quant à moi passer pour un naïf attardé que pour un cynique décadent. Et puis même si je n'ai guère de goût pour le syncrétisme, la lecture du prologue de Jean, du Livre des Rois, des gnostiques et de certains évangiles apocryphes nourrit malgré tout une manière de réflexion spirituelle qui s'élabore dans le creuset tout personnel d'une spiritualité délivrée des oripeaux du clergé, de tout dogme et donc de la religion. Une spiritualité laïque ? 

Mais, me diras-tu peut-être, en quoi croire alors si, comme nous l'a enseigné Hermès Trismégiste, "il n'y a rien là où Dien n'est pas".


lundi 31 mai 2021

Plus le goût de rien

Le monde ne vaut pas ce que nous nous sommes imaginés qu'il valait.
Nietszche - Le gai savoir

    Il est des jours où l'on a plus le goût de rien. Des jours sans saveur, sans odeur, sans joie, ni peine d'ailleurs. Des jours qui ont comme un arrière-goût de rien. Ceux dont on voudrait qu'ils passassent plus vite au simple effet de pouvoir encore espérer dans les promesses de l'aube nouvelle du jour d'après. 

En ces journées particulières, la mémoire fait défaut et le souvenir des temps heureux, les visages amis, les petits riens eux-mêmes s'estompent dans les brumes tristes d'un jour dont on voudrait qu'il finisse enfin ! Plus d'une fois, depuis la première période de confinement, ces moments, il m'est arrivé d'en vivre et de penser que, pour une raison inconnue ou inconsciente, le genre humain ne serait plus vraiment mon genre. Il m'est même arrivé alors de questionner l'existence divine et de me demander si, en ces jours où, d'une certaine façon, nous tournons le dos à l'humanité, nous ne reproduisions pas le geste créateur d'un dieu. Car Dieu, nous enseignent la Génèse et le Prologue de Jean, dit oui au monde en le créant mais, l'ayant créé, s'en retire immédiatement, et donc ne lui dit pas oui puis non mais, dans le même temps, oui et non. Oui et Non en même temps...

Heureusement vient la nuit, avec la langueur qui se fait plus douce, le sommeil, le rêve et l'oubli et, le lendemain, avec l'aurore, les ténèbres qui s'estompent et l'espoir renaissant qui fait une fois de plus, une fois encore, son œuvre de vie. La Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue.

Merci, me diras-tu peut-être ? Merci pour cette vision noire, plombée, déprimante, en somme. De rien, te répondrai-je car la lumière succédant à l'ombre laisse toute sa place à l'espérance.

De rien, comme nullement. A ne pas comprendre au sens premier mais bien comme l'abréviation d'une phrase plus longue devenue, par la force des choses, une formule de politesse assez lapidaire. Oui j'accepte ton remerciement, non il n'y a aucune raison de me remercier. De rien...

samedi 15 mai 2021

Penser moins, n’y perdre rien

On annonçait hier que la majorité municipale, cédant à une nouvelle crise d’idéalisme et renonçant définitivement à tout principe de réalité, souhaitait maintenant rendre totalement piétonnier l'ensemble du centre historique de Paris.

Autrefois, certains auteurs comiques voulaient déplacer les villes à la campagne, car l’air y est plus sain. Aujourd’hui les zozos de la mairie de Paris, ceux qui rêvent - mais est-ce si sincère ? - d’un monde débarrassé du Mal, voulant pousser toujours plus avant leur petit avantage idéologique préfabriqué, pensent à déplacer la campagne au cœur de la ville. Sans doute dans le louable dessein d’en assainir l’air ! Comme l’a si justement écrit Philippe Murray, « le moderne ne connait pas la marche arrière »!

La madone des Bobos

Ce que désirent, au fond,  les jusqu’au-boutistes qui gouvernent la ville c’est une forme de purification éthique. Leur Paris rêvé, c'est un Paris entre-soi, un paysage urbain désurbanisé, débarrassé des véhicules à moteur, des vieux, des pauvres et de toute forme de pensée différente, voir un tant soit peu réactionnaire ; une ville délivrée de toute source de pollution, qu'elle soit aérienne, sonore, visuelle ou même le simple fruit d'une conception différente de la vie. Du beau et du bon partout ! Un lieu hédoniste, exclusivement dédié au Bien ! Un espace idéal peuplé de jeunes bobos progressistes, non genrés et vegans, ne se déplaçant plus qu’à trottinette ou à vélo, de magasin bio en commerce équitable, au cœur d’une « réserve écolo » bâtie rien que pour eux, contre les autres, tous les autres ! Pour nous, banlieusards, c’est l’assurance demain d’une manière de congestion généralisée. Ce meilleur des mondes nous promet une thrombose urbaine géante, conséquence du déplacement de tous ceux - les pauvres ! - qui n’ont d’autre choix que celui de bouger pour travailler, faire leurs courses, se soigner, de circuler tout simplement, mais qui ne le pourront plus. Et que dire des Parisiens les plus âgés, des habitants des quartiers populaires, des handicapés, des artisans, des commerçants, des travailleurs... Que dire ? 

Bientôt, au nom de la lutte contre la pollution lumineuse, tu verras qu'ils iront jusqu'à éteindre l'éclairage public. Dès lors un nouveau type de couvre-feu, lugubre et permanent, sera imposé au centre de Paris. Un sombre silence s’abattra sur les rues de la capitale et la ville lumière s’éteindra. Fiat nox !

Sur les conseils - souvent avisés en matière littéraire - de Fréderic Beigbeder1, je lis en ce moment (enfin, me diras-tu !) le Grand Meaulnes. Dans ce très beau et puissant roman, deuxième livre français le plus traduit après le Petit Prince, Alain Fournier décrit une France rurale, un monde révolu qui, pour beaucoup, semble encore avoir un goût d’âge d’or. Pour ma part, je n’ai pas la nostalgie de la France du XIXème siècle, un pays où "des enfants mouraient, au retour de l’école, des conséquences d’une baignade dans un étang malsain"...

Mais, revenons à nos élus parisiens. Ils disent "Vouloir se réapproprier (sic !) la ville et recréer (re-sic !) l'esprit de village à Paris". Dans leur désir campagnifiant2, ils veulent rien moins que nier la ville. Car nier la ville c'est nier l'histoire même, qu'elle a contribué à forger, et imaginer qu'une autre réalité, une alter-réalité, serait possible.

Un autre monde est possible ? Sous couvert de vouloir améliorer la vie du genre humain en pensant la décroissance, les prophètes de malheur qui inspirent les "penseurs" de la mairie de Paris tournent en réalité le dos à la lumière. Leur idéologie qui nivelle et qui, dans une forme dévoyée d’immanence, veut réduire l’homme à l’état de nature, parmi les animaux, le contraint, de facto, à tourner le dos à sa transcendance. L’homme n’est pas un animal comme les autres car c’est un être rationnel, un être pensant dont la pensée est embellie par une espérance qui le dépasse et le transcende.

Alors, si je devais donner un avis, ou même oser un conseil aux édiles parisiens je leur suggérerais de penser moins, ils n’y perdront rien. Et nous y gagnerons en espérance...

1 - Frédéric Beigbeder - Bibliothèque de survie

2 - Néologisme emprunté à Philippe Murray

samedi 1 mai 2021

De tout, faire rien

Nirvana pour tous ! Les rayonnages des librairies regorgent de manuels de vie et de méthodes de développement personnel, livres de gourous auto-proclamés et de bien-penseurs à la mode, distillant enseignements et conseils et promettant à leurs lecteurs une méthode rassurante d'accès à la félicité ou, du moins, à une vie un peu moins malheureuse. Nombre d'entre eux, s'inspirant des préceptes de traditions spirituelles ou philosophiques anciennes venues de l'Orient lointain, promeuvent la voie d'une forme de détachement, de renoncement  au monde. Tout lâcher pour laisser derrière soi le malheur ? Mais peut-on envisager sérieusement se défaire de l'incertitude inhérente à la vie sans renoncer à vivre ? Le bonheur promis comme un idéal rêvé n'est-il pas contraire à la simple raison ?

Pour être pleinement heureux l'homme devrait occulter la vie et de tout, faire rien, au prétexte d'une forme d'idéologie prônant le bonheur à tout prix, une manière d'injonction qui le rendrait obligatoire ? N'est-ce pas là une possible conséquence du gloubi-boulga tout à la fois individualiste et globalisant, hédoniste tout autant que communautariste, d'une époque qui, renonçant aux Lumières et aux Humanités, aurait perdu le sens ? 

S'il peut - ne serait-ce que pour des raisons d'équilibre - parfois s'avérer nécessaire de savoir lâcher prise, la quête d'un utopique bonheur doit-elle, peut-elle, se faire à tout prix ? Ou comment transformer en pas grand-chose, au nom d'un bonheur qui friserait l'indolence, d'une douce indifférence confinant à l'engourdissement, d'immenses espérances, certes potentiellement porteuses de risques et  parfois annonciatrices de malheur mais aussi nécessaires à l'évolution. Quitte à abandonner toute présence au monde, à une réalité du monde qui, c'est vrai, peut nous être désagréable ? Être heureux, disent parfois certains, c'est être pleinement au monde. Mais être dans le monde ne nous entraîne-t-il pas à renoncer d'une certaine manière au bonheur ? Ô, bien sur, pas à ces petits plaisirs, l'ensemble de ces petits riens qui nous rattachent à la vie et peuvent même lui donner sens. Comme l'a écrit le psychiatre et psychanalyste Viktor Frankl1 dans un ouvrage où il témoigne de son expérience de la captivité dans les camps de la mort nazis, la recherche du sens indispensable à tout processus de résilience passe d'abord par l'acceptation responsable de la réalité, même dramatique.

Pour atteindre une forme d'ataraxie, il est évidemment possible de s'abandonner au principe du bonheur épicurien ou encore de penser avec les stoïciens que le bonheur réside dans la seule vertu et dans le fermeté d'âme, mais être tout à la fois dans le monde et au monde c'est, d'une part, faire de petits riens un tout, en sachant jouir des petits plaisirs du quotidien, dans l'acceptation de notre finitude; c'est aussi supporter l'idée de l'invraisemblable incertitude constitutive de notre existence; c'est, enfin, malgré son caractère éphémère, n'oublier jamais le sens qui réside dans le mystère même de la vie.

Que nous dit au fond cette recherche inconsidérée d'un bonheur absolu autant qu'hypothétique - et sans doute illusoire - sinon une volonté déguisée de renoncement à la vie. De tout, faire rien...

1 - Viktor F. Frankl - Découvrir un sens à sa vie grâce la logothérapie

jeudi 22 avril 2021

Parler pour ne rien dire

"On est toujours le con de quelqu'un (...) et le principal con se trouve en nous-mêmes."
Maxime Rovere - Que faire des cons ?

Au nom du "droit à l'information" et du "principe de précaution", l'empire du bien impose désormais, en tout et pour tout, une forme de dictature de la transparence et d'impératif de prévoyance. Et crois m'en, ami lecteur, on a pas besoin de tout savoir pour être angoissé, ni besoin de se prémunir de tout pour éviter le danger ! Petit-à-petit, insidieusement, une manière de peur en l'avenir s'est installée en moi. Il faut dire que rien n'est fait pour nous rassurer. Et certainement moins que le reste, cette transparence absolue qui s'est imposée, en tous sujets, tout le temps. Ce qui aboutit à ce terrible constat que je te livre sous la forme d'une équation sans inconnue : 

"½ transparence + ½ précaution = connerie2   !"

Plus que tout autre temps, le futur nourrit intrinsèquement le doute. Si tu y rajoutes l'incertitude d'une époque troublée et un sentiment d'impuissance généralisé face à des évènements qui nous dépassent et sur lesquels personne ne semble avoir réellement prise, tu obtiens un cocktail aux vertus énergétiques tout autant qu'anxiogènes à même de nourrir la névrose de plus d'un obsessionnel comme moi. Et le pire c'est que même s'il m'arrive quelques fois d'obtenir des éléments de réponse susceptibles d'éclairer sous un jour nouveau de possibles avenirs moins sombres, le doute subsistera toujours. Retour au point de départ...

Comment une telle obsessionnalité - que tu peux qualifier de connerie - trouve sa place, s'immisce et s'installe dans un esprit à priori normalement doté d'une certaine capacité d'abstraction, d'analyse et de recul ? Comment, pour dire les choses simplement, en suis-je arrivé à être parfois aussi con ?

Jacques Villeret - Le dîner de cons

Certains me reprochent une forme d'affèterie, un dandysme de dilettante, d'autres m'opposent l'inanité de mon discours. Ainsi serais je prisonnier d'un paradoxe empêchant d'opérer un choix clair entre posture et imposture. Pour en sortir, encore faudrait il pouvoir décider ! Le hic c'est que j'ai un peu le sentiment d'être définitivement coincé entre une éthique du détachement et l'esthétique d'une parole vide ?

A trop vouloir n'être esclave de rien, me suis-je moi-même contraint à renoncer parfois à l'intelligence ?

Une question surgit alors, une autre ! : D'où peut bien venir cette inclination qui me pousse à trop souvent parler pour ne rien dire ?


dimanche 18 avril 2021

Ne plus regretter que rien ne bouge

Quand il était minot, c'était un sacré loustic. Un vrai zouave qui ne pensait qu'à faire le cacou. Après avoir mené une vie de patachon, toujours à bâtir des châteaux en Espagne, il avait fini par se ranger des voitures. Revers de la médaille : lui qu'avait toujours pété dans la soie était depuis plusieurs années dans la dèche et il lui manquait toujours dix-neuf sous pour faire un franc. Ceux qui ne l'avaient pas connu avant pensaient même parfois qu'il avait des oursins plein les poches. Il était juste raide comme un passe-lacet. Alors, lui qu'on croisait toujours tiré à quatre épingles était souvent fichu comme l'as de pique.

Ô c'était pas le mauvais cheval, mais faut dire qu'à la fin il courait les baragnes et sucrait un peu les fraises.

Il a fini par avaler son acte de naissance.  Lui qu'avait souvent la danse de Saint Guy a rejoint le grand bal des trépassés. 

Ses amis, dont je fus, l'ont hier accompagné dans sa dernière demeure.

Après le cimetière, comme on avait la fringale et qu'on voulait casser la graine, on a cherché une cambuse. Mais pas question de dîner à la fortune du pot, non ! En l'honneur de celui qui ne becterait plus désormais les pissenlits que par la racine, on voulait faire ducasse et boire comme des Templiers. On allait certainement pas manger avec les chevaux de bois ! On a fini par trouver un bouillon ouvert et c'est reparti comme en quatorze ! Et comme il ne suçait pas que de la glace, avec les potes, pour lui faire honneur, on a fait une bombe à tout casser ! On s'en est jeté plus d'un derrière la cravate et on a mangé à s'en faire péter la sous-ventrière. J'ai fini rond comme un queue de pelle, mes zigues n'étaient pas en reste, tous beurrés comme un petit Lu. On a fait un tel chambard dans le rade qu'était pas plus grand qu'un mouchoir de poche qu'à la fin une mère n'y aurait pas retrouvé ses petits. La tenancière nous faisait un peu la soupe à la grimace quand on a calté. Alors on a fait amende honorable et on a mis les bouts.

Pourquoi est-ce que je te conte cette histoire à la mords-moi le nœud me diras-tu ?

On dit parfois que celui qui meurt riche meurt disgracié. Aucun risque pour notre défunt compère qui n'avait guère de foin dans ses bottes. Non, de fortune il n'en avait pas. Sauf quelques souvenirs dont l'évocation nous donnera l'occasion de boire abondance de canons et de faire bombance, il n'a rien laissé derrière lui, rien. Maintenant qu'il a définitivement fermé son parapluie, c'est sur qu' il ne regrettera plus jamais que rien ne bouge.

mardi 13 avril 2021

Crever à ne rien faire

"... nous préférons crever à ne rien faire. Ce sera de la fatigue de moins..."
Germinal - Emile Zola

On a beaucoup glosé - moi itou ! - sur le recours outrancier aux fake news de certains dirigeants populistes occidentaux. On débat abondamment aujourd'hui, en ville, dans les gazettes, sur les réseaux et sur les plateaux, d'une certaine culture de la délation qui, dopée par les interdits sociaux liés au confinement, s'installerait en France depuis quelques temps. En Chine, il semble qu'on atteint désormais les sommets d'une culture systématique de la désinformation et de la dénonciation. En effet, depuis le début de l’année, la censure, serrant davantage la vis en prévision des commémorations des 100 ans du PCC, sévit contre ceux que la doxa officielle nomme des « nihilistes historiques ». Une hotline permet dès à présent aux bien-pensants, gardiens rouges de l'orthodoxie maoïste, de dénoncer ceux qui contestent l’histoire officielle et critiquent le parti. Bienvenue en 1984 ! 

A l'instar du héros d'Orwell, Winston, tous ceux qui n'accepteront pas d'adhérer à l'injonction d'amnésie collective qui fonde l'histoire officielle du Parti risquent dans les temps qui viennent d'être traqués par la police de la pensée. Seules les  conceptions orthodoxes sont autorisées et mieux vaut dissimuler ses penchants contestataires. Est-ce seulement encore possible à l'heure où plus d'un milliard de caméras scrutent les comportements sociaux des habitants de l'empire du milieu ? A l'heure où, par le recours à la reconnaissance faciale permis par les progrès de l'I.A., chaque citoyen se voit, depuis plusieurs années déjà, attribué une note de "crédit social", en fonction de ses comportements extérieurs... La réalité n'a-t-elle pas déjà dépassé la fiction ? Il semble qu'il n'y ait plus nulle part où se cacher ! Même plus besoin de télécrans, Big Brother est partout.

On a d'ailleurs vu comment, en période d'épidémie, la Chine faisait respecter le principe de distanciation sociale. Certains esprits éclairés, parmi nos très cathodiques professionnels de santé, n'ont rien trouvé à y redire. Bien au contraire, ils auraient souhaité que nos démocrates dirigeants s'inspirassent du modèle de contention sociale généralisée chinois. Faut-il y voir quelque réminiscence de leur jeunesse engagée dans les rangs de la Gauche Prolétarienne ???

Je ne peux m'empêcher de penser que pour certains l'application la plus stricte de mesures contraignant l'obéissance des corps, jusque dans les conduites les plus intimes des individus, sera demain la garantie rassurante pour toute machine d'oppression totalitaire d'une absolue servilité des esprits. Que dire alors de ceux qui, chez nous, veulent contrôler les rêves des enfants ?

L'incroyable intuition orwellienne aura-t-elle fini par inspirer les esprits les plus tordus ?

Récemment, ici-même, une jeune maire, inconnue jusqu'alors et dont je préfère oublier le nom, a connu son heure de gloire en expliquant vouloir censurer les rêves des gosses. Elle a osé affirmer, je cite, que "l'aérien ne devait plus faire partie des rêves des enfants." Au-delà de la connerie du propos, on perçoit dans ce type de prise de position une volonté à peine masquée de contrôler la part la plus intime de chacun. Interdire un rêve ! Comme si l'inconscient des gosses pouvait obéir aux injonctions d'une khmère verte !


Au-delà, on peut aussi s'interroger sur ce que dit cette phrase ? Son sens le plus profond : Vouloir interdire le rêve aérien, n'est-ce pas tout simplement vouloir empêcher le rêve prométhéen, renoncer au mythe d'Icare et à ce qu'ils nous disent du progrès ?  

Au début du XVIIe siècle, l'un des pères de la pensée scientifique moderne et penseur de l'empirisme, le philosophe humaniste Francis Bacon, écrivait vouloir “... connaître les causes et les moteurs secrets des choses et élargir la domination de l’homme, jusqu’à permettre la réalisation de toute chose possible”. Sa philosophie peut et doit nous inspirer encore. Si tout progrès porte en effet en lui ses dangers et ses risques, ces mythes nous disent  aussi tout ce que l'humanité peut en attendre de positif dès lors qu'il est mis au service de l'amélioration du mieux-être collectif. 

On reconnaît bien, au fond, dans la volonté déclarée et assumée d'interdire le rêve aérien incarné par Icare le rejet de toute idée de progrès cher à nos écolo-conservateurs. Contre les prophètes de l'apocalypse, les tenants de la collapsologie et de la décroissance, je préfère le mythe prométhéen en ce qu'il nous dit aussi ce que peuvent apporter de bien et de bon aux hommes la connaissance et l’action. Et je choisirai toujours de voler dans mes songes avec Icare, plus loin, plus haut - même au risque de me brûler les ailes - plutôt que de renoncer à mes rêves d'enfant. Ceux-là, au contraire, préfèreront toujours aux risques inhérents à l'action une forme de paresseux renoncement. En décidant de crever à ne rien faire, c'est sur, ils se fatigueront moins.

dimanche 28 mars 2021

Rien à écrire

Aujourd'hui dimanche ma page reste blanche.

Depuis plus d'un an, le calendrier voit se succéder des jours qui ne sont pas fériés mais qui sont marqués, pour beaucoup, du sceau de la maussade routine d'un désœuvrement imposé. 

Tant de choses à dire, mais rien à écrire.

vendredi 26 mars 2021

Rien n'est plus important

Dans les premières séquences du film Mon oncle d'Amérique1 d'Alain Resnais, qui voulait expliquer au début des années 80 les ressorts des comportements humains, le professeur Henri Laborit énonce : "la seule raison d'être d'un être, c'est d'être..." Est-ce si certain ? Quid du mouvement de la vie ?

Cette phrase toute empreinte d'une approche exclusivement ontologique nous renvoie à la question fondamentale du "Qui sommes-nous ?" Elle répond, en quelque sorte, à la question vertigineuse et souvent sans réponse du "Pourquoi sommes-nous ?" Mais est-il si essentiel de comprendre pourquoi nous sommes tels que nous sommes ? Est-il raisonnable (?) de consacrer tant d'efforts à vouloir rechercher dans le passé des causes qui nous échapperont toujours, en obéissant à une seule logique explicative ne se comprenant qu'en termes de causalité, plutôt que de nous efforcer à préparer un futur agissant, l'avènement d'un autre à-venir ? 

Ne faudrait-il pas davantage se poser la question du "Comment ?" Une question qu'il ne faudrait d'ailleurs pas uniquement aborder sous l'angle explicatif d'un enchaînement de raisons pouvant éclairer notre histoire mais bien sous celui plus implicatif, prospectif et ouvrant la voie à l'action, d'un agencement, d'une organisation permettant de devenir ce que nous sommes. En posant cette question, on changerait de plan et on aborderait la question existentielle sous la forme de l'action de l'homme sujet, acteur agissant de sa vie, plutôt que la simple essence de l'homme étant, objet passif de son destin.

Mais est-ce suffisant ? Ne faut-il pas aller encore plus loin dans la recherche du sens, de la raison même d'être ?

A un autre moment du film - à deux reprises d'ailleurs - la voix-off de Laborit dit au spectateur que "nous sommes les autres." A partir de là, il m'apparait que les deux premières questions posées (Pourquoi ? Comment ?) sont insuffisantes à donner un sens à notre existence. En acceptant l'idée que nous sommes l'autre en nous, il faut poser, me semble-t-il, deux autres questions : "Pour qui ? Pour quoi ?" Et, dès lors, ne  plus nous contenter du "Qu'est-ce qui m'a fait tel que je suis ?", ni même du "Où vais-je ?" et "Comment y vais-je ?" mais bien d'accepter l'idée que notre existence serait toute entière guidée par une démarche peut-être davantage métaphysique. L'homme - j'ai déjà eu l'occasion de t'en entretenir - est à mes yeux un être spirituel. Les causes que nous cherchons à l'extérieur, hors de nous, ne sont peut-être que des leurres visant à masquer notre quête existentielle de "supplément d'âme", cette connaissance intime de l'in-connu qui agit en chacun de nous. 

Après tout, rien dans le cheminement n'est plus essentiel que le chemin lui-même. L'action de celui qui chemine dans la vie ne saurait en aucun cas se résumer à son point de départ ni à son but, ni à sa naissance ni à sa mort, mais bien à sa manière singulière d'avancer, ici et maintenant, sur la voie qui ouvrira toujours la porte des possibles en faisant de lui le sujet capable et agissant de son existence, cette somme de petits riens d'un vécu qui toujours lui échappent et qui, mis bout-à-bout, formeraient le Tout d'un être. Pour qui ? Pour quoi ? Rien n'est plus important.

1 - Mon oncle d'Amérique - Alain Resnais, 1980

lundi 22 mars 2021

Perdre du temps à rien

" Tout en nous naît pour être inassouvi. "
    Emile Cioran 

Depuis plus d'un an maintenant, nous sommes nombreux à n'avoir plus que (trop) rarement pu quitter nos logements. Mais si les murs de nos maisons nous enferment, ils nous protègent aussi et peuvent même contribuer parfois à nous rassurer. Les lieux que nous habitons constituent souvent en effet, par leur douce familiarité, un véritable antidote à notre angoisse existentielle et donnent même au poète un espace où donner libre cours à sa fantaisie. Si je m'ennuie parfois d'être confiné, l'isolement ne m'ennuie pas. Le confinement imposé n'a guère entraîné chez moi de souffrance, tant il est vrai que toute ma vie peut m'apparaitre aujourd'hui comme une forme de longue préparation, un entraînement, parfois langoureux, souvent monotone, à cette interminable période de proscription - plus ou moins - volontaire et d'isolement qui, en donnant matière à nos contemporains de penser l'absence totale d'horizon, confine pour beaucoup à une manière de non-existence mais qui, chez moi, a été plus souvent propice à la rêverie. Car, comme l'a si joliment écrit Gaston Bachelard : " la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur..."

Je me suis souvent ennuyé. Alors, lire, écrire, s'ennuyer ! Songer, écouter, regarder, autour de soi et en soi, extravaguer, s'ennuyer ! Penser, s'ennuyer encore... Pour chasser la fastidiosité d'une vie confinée, faire, même peu, même pas grand chose, mais le faire, à l'effet d'occuper, en le remplissant de petits riens, le vide du Grand Tout de l'existence. 

Je regarde avec étonnement ceux qui, plus fous ou plus sages, croyant sans doute moins que l'être est dans le faire, ont adopté une philosophie de vie consistant à ne rien faire, mais à bien le faire. Je ne peux m'y résoudre et préfère me ranger derrière Cioran lorsqu'il écrit que "le plus dur n'est pas de faire quelque chose mais de vivre1."

J'adhère résolument au camp des amoureux du rien et de l'absolu, ceux qui cumulent, dans un temps qu'ils voudraient croire hors du temps, la recherche du même et son contraire. Je suis de ceux qui rêvent la vie dans une forme de dualisme rationaliste, et qui refusent d'opposer Eros et Thanatos, spirituel et corporel, physique et psychique, essence et immanence. Entre les débordements du tout et les contractions du rien, il me paraît que tout n'est rien, et réciproquement.

Plutôt que ne rien faire, j'aime perdre du temps à de petits riens. N'est-ce pas, au fond, le plus sur moyen de rester ouvert à tout, et, dès lors, mieux se préparer à laisser venir le Grand Tout ?

1- Cioran - Divagations, NRF/Gallimard 2019

lundi 15 mars 2021

Il suffit d'un rien (bis)

On entend parfois dire, dans une forme de truisme frappé au coin de ce qui semble à beaucoup être une manière de bon sens, qu'il n'est rien de tel que de voyager pour voir du pays. Pourtant l'esprit de l'homme est ainsi fait qu'il le porte parfois bien loin dans le temps et l'espace. On pourrait même dire que nous ne sommes réellement présent que là où le désir profond de notre âme ou la puissance de nos songes nous entraînent.

Depuis un an, à l'exception notable des vacances estivales, j'ai très peu quitté les murs de la quasi-cellule qu'est devenu mon bureau, ou alors c'était pour me déplacer d'une pièce à l'autre, dans la maison. Certains pourraient être tentés de penser que, pendant toute cette période, si nous avons été tenus éloignés du monde, c'est le monde qui est venu jusqu'à nous, tant nous sommes, plus que jamais auparavant ne l'avait été l'humanité, des êtres "connectés". Mais ça n'est pas de village global que je souhaitais t'entretenir, mais bien plutôt de voyages immobiles.

Plus simplement, quand je convoque le souvenir des douze derniers mois, j'ai l'impression d'avoir tout fait sauf du sur-place. Et, à l'effet qu'il ne puisse y avoir la moindre méprise entre nous, cher lecteur, entends-moi bien, je ne cherche pas ici à décrire une expérience de décorporation ni même l'un de ces voyages astraux chers à certains ésotéristes. Pas d'extase chamanique, ni transe, ni usage intempestif de produits psychotropes dans mes expériences intérieures. Et d'ailleurs, je ne crois ni à la décorporation ni au don d'ubiquité et j'ai bien trop peur de l'addiction pour user des drogues à la mode. Je me contente d'un verre de bon vin de temps à autre. 

Non, plus simplement, en relisant quelques-uns des courts textes que j'ai rédigés au long de ces temps confinés, je m'aperçois que l'écriture a constitué un très sûr moyen de déplacement vers d'autres lieux, d'autres temps, d'autres mondes. Une autre vision de la réalité du monde. Un autre monde... Comme une prise de conscience encore plus explicite que la carte n'est pas le territoire.

Un air entendu, une image aperçue, quelques mots d'un texte sont parfois plus utiles à nos transports qu'un billet de train, d'avion, une pilule ou un champignon. Même digitalisée, même distanciée, tant que nos esprits restent libres, la vie reste la vie.

Il suffit souvent d'un rien pour stimuler une imagination qui ne demande qu'à se mettre à l'œuvre. Et si on partait ?

mardi 2 mars 2021

Rien et tout

Au midi des terres australes il n'est rien, rien que le vide de l'espace intersidéral,

Au septentrion des banquises boréales, c'est tout un univers en expansion qui s'étale.

Ecrit en pensant à Serge Gainsbourg (2 avril 1928-2 mars 1991)




lundi 1 février 2021

Si proche de rien

Mardi 30, 2ème mois de la 13ème année du Grand Confinement. Ça pourrait être pire...

La nouvelle est tombée, relayée largement par toutes les chaînes d'infocon du groupe NETBOOK, géant mondial des médias né de l'absorption de FACEBOOK par NETFLIX: Depuis ce matin, renforçant le décret général ayant rendu obligatoire, sauf rares et très circonstanciées exceptions, le recours au télétravail et ayant banni tout enseignement présentiel, et, au-delà de la mesure de respect strict des frontières communales que l'armée, renforcée parfois par des paramilitaires municipaux zélés, déployée sur tout le territoire, est chargée de faire appliquer depuis un an dans le cadre d'une énième règlementation européenne d'exception sanitaire, il n'est plus possible de s'éloigner, au risque de se faire "neutraliser" par des représentants de la force publique autorisés à tirer sans sommation, à plus de 300 mètres de son domicile sans être muni d'une autorisation en bonne et due forme, d'une attestation sanitaire officielle ou pour des raisons d'urgence absolue (et de toute façon, ne sont plus seuls autorisés à accueillir du public que les hôpitaux, les pharmacies et les dispensaires) et revêtu d'une tenue NRBC complète à usage unique et muni d'un respirateur homologué. A l'exception des achats en ligne, même les courses essentielles sont interdites - tu me diras, toutes les boutiques sont depuis longtemps fermées... - et le ravitaillement en besoins indispensables à la survie et en nourriture, principalement lyophilisée et obligatoirement stérilisée, est exclusivement assuré en régie par les services communaux ou confié à quelques astucieux concessionnaires. Et tant pis pour ceux qui avaient fait le choix pour vivre de s'isoler un peu en restant à l'écart de la société...

Un voisin sortant ses poubelles

Chaque mercredi et chaque samedi matins sont, intercalés entre le lundi consacré aux ordures ménagères et le vendredi aux déchets recyclables et au verre,  désormais réservés au ramassage des dépouilles, assuré par le très officiel  C CADO,  le "Service de Collecte des Cadavres à Domicile " dont les agents, reconnaissables à leurs combinaisons intégrales rouges à respirateur intégré, sont, pour beaucoup de nos concitoyens devenus, alors même que nul n'a aperçu leurs visages toujours dissimulés derrière le masque qu'ils ne quittent jamais, des figures plus familières que celles de leurs amis dont le souvenir à leur mémoire s'estompe ou de leurs voisins qu'ils n'aperçoivent plus que rarement. 

En effet, pour faire face au volume de décès et au risque sanitaire, il n'est plus question d'autoriser quelque cérémonie funéraire que ce soit. Les dépouilles des défunts sont donc ramassées, sur le lieu du décès, deux fois par semaine et immédiatement transportées dans des "centres de traitements humains" (en fait, d'anciennes usines de valorisation des déchets reconverties à la va-vite et rebaptisées pour satisfaire au politiquement correct) pour y être incinérées. Les SDF retrouvés morts n'on pas cette chance dont les cadavres sont pris en charge sur place par des "unités mobiles de traitement rapide", vite rebaptisées "escadrons de la mort" et identifiables de loin à l'odeur pestilentielle et méphitique qui les accompagne. La mort, avec ses remugles fétides et toute son infâmie, nous est d'une certaine façon redevenue familières et domestique.

Les services de "deuil express" et "mort tranquille", les deux nouveaux géants digitaux américain et chinois d'assistance personnelle au deuil sans obsèques, dont les campagnes de publicité largement diffusées sur les écrans de tous nos appareils connectés et le marketing agressif sur nos smartphones de dernière génération promettent "une rapide résilience" par "un travail de deuil accompagné, efficace et définitif en quelques clics", ont maintenant supplanté les cérémonies funéraires, qu'elles fussent religieuses ou laïques, et les anciennes entreprises de pompes funèbres qui ont complètement disparu. Il est même question, depuis peu, que certains cimetières puissent être réformés, comme ce fut le cas au moment de l'extension de Paris au XIXème siècle. Des promoteurs peu regardant y voient la promesse d'un foncier rapidement disponible et peu onéreux. A quoi bon en effet conserver la trace physique des défunts puisque plus personne ne peut se rendre sur leurs tombes pour s'y recueillir. Plus question, évidemment, de déposer les ossements dans les catacombes, mais, construction rapide de nouveaux centres de traitement pour totalement éliminer les reliques, dépollution des sols, arasement et valorisation. De nouveaux programmes immobiliers sortiront très vite de terre. L'économie de la mort est florissante.

Alors que près de 15 % de la population européenne a disparu, ceux qui ont jusqu'à présent survécu ne vont pas nécessairement tous bien. Et l'on n'évoquera même pas ici les autres affections et maladies aux conséquences potentiellement mortelles qui ont continué à affecter nos contemporains, et peut-être même à en décimer davantage, en raison des difficultés physiques d'accès aux soins.

Après les grandes vagues de suicide collectif entrainées par les prônes des prophètes de l'apocalypse dans les dix-huit mois qui ont suivi le constat d'inefficacité des politiques vaccinales et la décision de recourir à un confinement permanent généralisé, il a fallu faire face à l'épidémie tout aussi inquiétante d'un état dépressif durable et largement répandu, notamment chez les plus jeunes. L'échelle de Cyrulnik est devenue l'indicateur d'aide au diagnostic le plus utilisé. C'est la mesure des larmes qui détermine désormais scientifiquement l’usure de l’âme. Tout individu dépassant les normes légales en matière de pleurs peut être déclaré "moralement usé" et soumis, par arrêté préfectoral, à la camisole chimique domiciliaire. Déjà légalement contraints de rester chez eux pour obéir aux mesures sanitaires générales de privation de liberté, les "usés", comme on les appelle communément, sont dorénavant enfermés dans la prison de leur propre corps, en permanence sédatés par les cocktails de drogues chimiques puissantes qu'ils sont contraints d'ingurgiter. Les protocoles de traitement de toutes les autres pathologies mentales ont été considérablement simplifiés par le recours à cette législation nouvelle et, les malades ne nécessitant plus guère d'hospitalisation, de nombreux hôpitaux psychiatriques, à l'instar des palais des congrès, centres de conférence et autres multiplex cinématographiques, ont été reconvertis en centres de soins intensifs et de réanimation. Une grande partie des patients psy est, à défaut d'être prise en charge, largement "traitée" chimiquement à domicile. Ne sortant plus de sa torpeur artificielle que pour satisfaire ses besoins physiologiques vitaux, 30 % de la population est désormais plongée dans un état de semi-hibernation.

Et malgré toutes les mesures prises, la litanie des morts quotidiennes (16 666 pour la seule journée d'hier) est là pour nous rappeler que rien ne semble pouvoir enrayer, malgré l'hubris et l’orgueil toujours aussi démesuré des mandarins qui gouvernent désormais de facto le monde, la progression d'un virus qui a dores et déjà décimé un quart de la population mondiale et dont les mortelles et incessantes mutations sont rapportées sur les réseaux du seul Dark Web, presque en temps réel, par quelques scientifiques rebelles, dingues et parfois géniaux, mis au ban de leur communauté.

Si demain sera un autre jour, l'humanité, elle, n'aura jamais été si proche de rien.



samedi 23 janvier 2021

Ça compte pas pour rien

Identité et mémoire. C’est dans notre mémoire que les morts vivent. Rien n’excuse l’oubli. Notre identité puise ses sources dans les Lumières et notre histoire, toute notre histoire, qui ont contribué à forger ce qu’on appelle parfois l’universalisme à la française. Notre vision de l'universalisme fondée sur une acception toute particulière du sécularisme, que nous nommons laïcité, est frappée aujourd'hui par une solitude terrible. L’humanisme oublié des Lumières ne fait plus école. La raison recule parfois devant l'absurde et les idéaux des Lumières suscitent même méfiance et doute. 

Rien n’est sans raison. Vraiment ? Objectent certains. Faut-il, doit-on, peut-on tout expliquer ? L'actualité  parait servir les causes les plus folles tant elle semble nous dire qu'une raison qui ne laisserait aucun espace au tragique, à l’inconnu, aux contingences peut être simplement dévastatrice ! Et on doit bien admettre qu'en cette année - de merde ! - 2020, le virus est venu nous rappeler que malgré notre prétention absolue, nous ne maîtrisions pas tout... Alors que croire ? 

Il ne s'agit pour autant pas de céder en tout à l'irrationnel, au risque que seul le faux se révèle. Dans un monde à la complexité tellement anxiogène, de plus en plus accessible mais de plus en plus indéchiffrable, nos grilles de compréhension et d'"interprétation raisonnable" sont confrontées chaque jour à un besoin d'intelligible qui laisse paradoxalement place aux discours les plus fous, aux impostures érigées en "vérités alternatives", aux théories complotistes encourageant la haine de l'autre et le retour des conflits et des déchirures, comme est tragiquement venu l'illustrer la fin de la campagne présidentielle américaine. C'est contre la connerie qu'il faudrait, d'urgence, vacciner nombre de nos contemporains.

Mieux qu'un vaccin, plus qu'une immunité, comme le dit si joliment l'une de mes amies, nous ne serons réellement sauvés que lorsque nous aurons enfin atteint une forme d'humanité collective ! Ça compte pas pour rien.

jeudi 7 janvier 2021

Non, rien...

Lundi 4 janvier 2021 - curieux comme le fait de changer ne serait-ce qu'une unité peut vite donner l'illusion que les choses vont tout de suite aller mieux... - nous avons bien ri, devant notre écran magique, en visionnant sur Netflix (je sais, je sais...) le bilan des douze derniers mois vu par les créateurs britanniques de la série Black Mirror : "Death to 2020" ! Un bilan décalé et irrésistible, que m'avait signalé un mien ami, d'une année terrible qui aura vu s'enchaîner les épisodes, tous plus anxiogènes les uns que les autres, d'une série catastrophe à laquelle personne ne pouvait s'attendre. Même s'il est  vrai que, pris sous un nouvel angle, une tournure plus parodique, les évènements paraissent tout de suite moins insupportables. Cette création tragi-comique vient heureusement nous rappeler également que l'année a été marquée par quelques bonnes nouvelles, dont la défaite de Donald Trump à la Présidentielle américaine n'aura surement pas été la moins savoureuse pour un certain nombre d'entre nous.

Images extraites de "Death to 2020"

Et puis, mercredi 6 janvier... Alors là, malheureusement, nous n'étions plus du tout dans la fiction et il est difficile de croire que, sur le même écran, puissent défiler en boucle les images, bien réelles cette fois, diffusées dans le monde entier, d'un tel déchaînement de violence et de haine, nourri de rancœurs, de frustrations et de délires complotistes et gavé à l'hormone de croissance des fake news de la réalité alternative présidentielle. 

Tout est là pour nous rappeler que le changement d'année tant attendu n'aura été qu'illusion et que ce putain de 21ème siècle a bel et bien commencé le 11 septembre 2001. Ce siècle est dramatique en tous points et chaque jour l’histoire et son cortège de catastrophes le rappellent davantage à notre mémoire. Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 60, vivent aujourd’hui sans doute la période historique la plus tragique de leur vie. Temps d'incertitudes généralisées et de pandémie mondiale, terrorisme et montée des intégrismes, menaces sur le modèle démocratique, bipolarisation exacerbée où chacun s’oppose désormais à l’autre, sans plus jamais prêter la moindre attention à un point de vue différent du sien, en étant certain de son droit et de sa raison, et prêt à les défendre, y compris jusqu’à l’absurde, au ridicule. Un ridicule qui tue ! Absence de recul, de réflexivité, de prise de hauteur et approche trop souvent binaire d'une réalité plus complexe qu'il n'y paraît parfois. Tous les ingrédients du scénario le plus sombre sont réunis. 

En voyant hier soir les émeutiers envahir le Capitole et s’en prendre à l’un des principaux symboles de la démocratie américaine, je n’ai pu m’empêcher de penser au choc que j’avais ressenti ce jour de décembre 2018 où une stèle représentant Marianne, et donc la République, avait été brisée à coups de marteaux à l’intérieur de l’Arc de triomphe. Ce jour-là, la haine aurait pu tout emporter sur son passage , et avec elle notre Démocratie, puisqu’on sait désormais que la question du recours au feu, c’est à dire au tir à balles réelles, s’est posée pour la hiérarchie policière, tant la violence à laquelle devait faire face les forces de l’ordre place de l’Etoile était inédite et extrême. Sans vouloir faire un parallèle osé, j'y perçois les mêmes germes de la haine de l'autre, d’une  manière de violence nihiliste et du rejet absolu de toute forme de pensée libre et exprimée dans un cadre démocratique.

Pour en revenir aux Etats-Unis : Comment imaginer que le Président élu d'un des plus grands états de la planète puisse encourager la croyance en une réalité parallèle portée par des miliciens suprémacistes arborant ostensiblement des signes nazis, alliés à des dingues qui professent l'existence d'un vaste complot pédophile mondialisé, ou qui croient à la réalité d’un pouvoir reptilien caché ou d’Illuminati dominant le monde et qui instrumentaliseraient le terrorisme et joueraient de la santé de l'humanité pour mieux imposer leur règne dans l’ombre sur une terre plate ? Au secours !

Le symbolisme c’est du réel. Briser les icônes, s’en prendre aux images, aux symboles, c’est attaquer les fondements de la démocratie même ! Le débat dont j'ai ici exalté les vertus semble avoir vécu. Nos contemporains ne se parlent plus que pour s'invectiver. Ils vivent désormais dans des mondes totalement différents et parallèles. Le relativisme s’est généralisé et vérité de l’un n’est plus du tout vérité de l’autre. Comment pourra-t-on réconcilier des visions de plus en plus antagonistes et dont les seuls points de rencontre semblent désormais se résumer au monde virtuel des réseaux sociaux et, demain, à une réalité devenue le théâtre absurde et tragique d’un affrontement mortel et définitif ? 

Comment auraient été traités les événements d'hier par les scénaristes de "Death to 2020" s'ils étaient intervenus quelques jours plus tôt, l'an passé ? Sans-doute par une forme subtile de dérision comique. Ils nous auraient alors rappelé qu'il est salutaire de vouloir rire de tout. Peut-être ? Autrefois, c'était au siècle dernier, il  n'y a pas si longtemps, le rire mettait tout le monde d'accord. Désormais, la censure progresse et une nouvelle forme d'ordre moral voudrait imposer son idéal déviant et mortifère à ceux qui veulent encore simplement vivre.

Nous sommes le 7 janvier aujourd'hui. Il y a cinq ans, deux dingues fanatisés faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et semaient la mort parmi la rédaction. Ces deux-là ne supportaient plus qu'on puisse penser, vivre et aimer rire !

L'un des enseignements majeurs de notre époque apagogique et déglinguée c'est que certains voudraient nous imposer de ne plus pouvoir rire de tout, de ne plus rire du tout, pour mieux nous contraindre à croire les plus délirantes folies, les idéologies les plus mortifères, les plus ineptes conneries, pour nous soumettre à leurs vérités, même au prix du sang et de la vie. Ce que je retiens de ces trois jours c'est qu'il faut se dépêcher de rire, de rien, de tout, tant que nous le pouvons encore, mais qu'on ne peut certainement déjà plus le faire avec tout le monde.

Quoi ? Non, rien...