dimanche 22 avril 2012

Plus rien à boire...

Croisé un vieux rue de Vaugirard, près de la station éponyme, juste devant le square Adolphe Chérioux. Sanglé dans un froc informe à la couleur improbable, il ne marchait pas, il luttait.
 
Lançant devant lui ses bras l'un après l'autre dans un mouvement  de balancier au rythme métronomique, il luttait pour avancer, il avançait pour survivre... Dans ses mains deux bouteilles d'un mauvais rouge aux goulots desquelles il semblait s'accrocher comme un naufragé de l'asphalte à des bouées de sauvetage. Le regard perdu, le pas hésitant, il avançait. Je me suis demandé jusqu'où, jusque quand...

Tous les matins, il descend de son deux pièces-cuisine crade de la rue du Général Beuret pour aller faire ses courses au Carrefour Market de la rue de Vaugirard. Tous les matins, il met quarante minutes pour franchir les cent-cinquante mètres de trottoirs et d'asphalte qui le séparent du supermarché. Quarante minutes aller, un peu plus pour revenir. L'effort est trop grand ! Et puis il faut lutter pied à pied pour gagner du terrain et parer les attaques perfides des manticores et des amphiptères qui, s'arrachant aux gargouilles du clocher proche de l'église Saint-Lambert, cherchent le chemin des tours de Notre Dame.... Chaque jour il se pisse dessus avant d'arriver chez lui car il ne peut pas attendre d'être rentré ; une heure et demie c'est bien trop long.

Quand il arrive,  il est assoiffé. Totalement déshydraté, il attaque le premier litron de pif. Vite descendu, il s'endort, la tête posée sur les bras, sur la table en formica de la cuisine. A midi, chaque jour depuis près de vingt ans, il est réveillé par un chat qui réclame sa pitance. Jamais le même. On dirait que tous les greffiers des toits de Vaugirard se sont donnés le mot pour venir quémander un morceau de mou ou une improbable pâtée .. Il est bientôt l'heure d'attaquer la deuxième bouteille de Gévéor, juste le temps de l'engloutir goulûment - ça fait bien longtemps qu'il ne déguste plus rien - avant de sombrer dans le sommeil lourd et alcoolisé de l'après-midi.

Quand le soir arrive, il n'y a plus rien à boire. Tant pis ! Il attendra demain. Putain que les nuits sont longues alors, quand les heures qui séparent le crépuscule de l'heure où les commerçants lèveront enfin leurs rideaux de fer s'étendent à l'infini de sa solitude...