lundi 26 décembre 2016

Non, rien de rien...

"Tu ne seras jamais heureux si tu continues à chercher en quoi consiste le bonheur et tu ne vivras jamais si tu recherches le sens de la vie."
Albert Camus

Psychologie positive, printemps de l'optimisme, bouquins et conférences en tous genres, stages de "réenchantement de la relation au travail", d'épanouissement individuel ou promesse de "mieux-être" (...) dans un monde sacrifiant au culte de l’hédonisme où tout est marchandise, la promesse du bonheur est devenue un marché comme un autre si l'on en croit un dossier publié récemment dans le supplément du Monde(1).

N'étant ni scientifique, ni philosophe, encore moins journaliste, tout cela pourrait m'être  parfaitement indifférent si, dans ce domaine comme dans d'autres, l'influence d'une forme de comportementalisme ne me semblait sous-tendre cet engouement autour de la notion même d'optimisme. "Je veux donc je peux" - véritable promesse auto-réalisatrice - est en quelque sorte le nouveau mantra des tenants contemporains de la célèbre méthode d'auto-suggestion du docteur Émile Coué. Malgré les progrès fulgurants de l'informatique et des neurosciences, vouloir croire que le cerveau est un ordinateur, que la mise en œuvre d'une "reprogrammation mentale " installant "une pensée positive" suffirait à garantir le bonheur des individus c'est peut-être oublier un peu vite que l'homme ne peut se limiter à sa seule partie consciente, qu'il n'est pas une machine ou un androïde dont l'on pourrait à sa guise programmer l'humeur en passant sous silence les facteurs affectifs et les émotions! 

Chaque jour nous apporte son lot de nouvelles désespérantes sur la nature profonde de l'homme et de l'humanité... C'est malheureusement souvent chez les gens qui en auraient le plus besoin que la psychologie positive peut faire - aux dires de certains spécialistes n'ayant pas encore sacrifié à une forme de physicalisme à la mode - le plus de dégâts.

Et pourquoi d'ailleurs prôner à tout prix une approche, assez matérialiste, nécessairement positive et volontairement optimiste ? J'ai appris, avec le temps, à me contenter d'une forme de pessimisme - sans l'ennui qu'on lui accole traditionnellement, mais, au contraire, assorti d'une envie de vivre et de jouir née de l'admiration de la création et d'un amour presque contemplatif de la nature -  qui ne réserve, de fait, que de bonne surprises. N'attendant rien de bon de la vie ou de mes contemporains, chaque petite joie de l'existence n'en est que mieux appréciée à sa juste valeur. Même si cette valeur est toute relative, j'en conviens.

Vous avez dit heureux ? Comme un imbécile ? 

Un ami milanais m'a un jour enseigné que le secret de la joie de vivre de ses compatriotes résidait justement dans le fait qu'ils savaient cultiver un véritable "art de la joie" et se satisfaire des petits contentements apportés par les plaisirs du quotidien, quand les français - comme l'exprime si bien Jules Renard dans son journal: "le bonheur c'est de le chercher" - nourriraient, eux, leur insatisfaction et leur frustration dans la quête intellectuelle d'un bonheur illusoire et indéfinissable.
Plaisir de l'action opposé à une forme déprimante de conscience d'être ? Simple philosophie hédoniste s'opposant à  une forme d'approche ontologique du bonheur ? Historiette pour sourire me diras-tu, cher lecteur, sans doute mais nourrie d'un fond de sagesse populaire transalpine.

Ne faut-il pas, au fond, se contenter de ces moments de joie que la vie nous réserve parfois et abandonner l'idée de la recherche du bonheur à tout prix (à tous prix...) ? Ce serait le gage d'une forme de détachement. Mais doit-on pour autant, comme Schopenhauer, croire que la véritable sérénité ne peut être atteinte que par l'extinction des pulsions et du désir - tribut que je ne suis pour ma part pas prêt à payer ? Non, rien de rien ne justifiera jamais de vouloir abandonner toute volonté, tout désir, il est vrai, tour à tour manque et souffrance, passion ou inclination, mais aussi source de joie et de création. Désir, source de nos émotions qui est, en ce qu'il nous tend,  le moteur même de nos vies. Désir de désir et désir de l'Autre qui au fond nous rend tellement humains.


(1) Peut-on encore être optimiste ? M - le Magazine du journal le Monde – N° 275 - samedi 24 décembre 2016



mercredi 21 décembre 2016

Un rien trop d'enthousiasme...

Les réseaux sociaux ont tourné en dérision le grand élan d'emphase lyrique, frôlant presque l'hystérie, de l'un des candidats à l'élection présidentielle qui, en conclusion d'un discours fleuve tenu à l'occasion d'un meeting le 10 décembre dernier, s'est un peu laissé emporter au risque, pour gagner quelques voix, d'y perdre la sienne. A l'image de cette scène insolite de mots hurlés devant une foule en liesse, certains  observateurs de la vie publique sont  même allés jusqu'à évoquer une forme d'épectase! Pourtant, foin de destin à la Félix Faure ou de transports funestes comme ceux du Cardinal Daniélou.

Trop près du divin, au sens classique et étymologique du mot enthousiasme, peut-être. Un rien transporté et extatique, sans-doute! Survolté, c'est certain! Personnellement, ces hurlements un peu surjoués de fin de discours m'ont plutôt fait marrer et j'ai trouvé qu'ils étaient davantage le signe d'un apprentissage trop rapidement expédié et d'une absence très marquée d’exercices de travaux pratiques en matière de salles des fêtes à moitié vides, de tribunes improvisées, d’improbables estrades et de préaux ventés...

Pourtant, en y réfléchissant un peu plus, il m'est apparu que l'ancien étudiant en philosophie avait peut-être aussi puisé une source d'inspiration auprès de certaines sectes gnostiques du début du christianisme, dont l'union au divin s'exprimait souvent dans une transe hystérique et hallucinée. Un peu comme  les adeptes d'Adelphius abandonnaient toute activité de labeur pour consacrer leur vie à la prière, à l'image d'un "Parfait" messalien, l'ancien inspecteur des finances a renoncé à sa carrière dans la haute fonction publique pour se concentrer désormais sur la conversion des électeurs;  avec son mouvement "en marche!", il voudrait entraîner ses partisans à bouger, comme les Euchites qui allaient, de lieu en lieu, sans attache, au seul service de leur foi nouvelle. Ayant claqué la porte des palais du pouvoir en place, se présentant en dehors des partis, en dehors du cadre contraignant d'une élection primaire, ce candidat apparait, comme ces derniers le prônaient, indifférent à toute forme de discipline.

Si ces gnostiques prétendaient - à l'image des Derviches tourneurs soufis - entrer en communication avec Dieu par l'extase, Emmanuel Macron, puisque c'est de lui dont il s'agit,  est apparu comme possédé par la divinité et saisi de ce qui ressemblait bien à une forme de transe. Alors, emportement du débutant enflammé par une salle conquise, calcul cynique de communiquant zélé ou seulement un rien trop d'enthousiasme ?...