vendredi 30 juillet 2010

Presque rien


Il était furax l'Alphonse. Tous les plus beaux castors de sa maison étaient là. Que du premier choix. Seul un gonze à l'allure de trader ruiné, un genre de Kerviel aviné, était monté avec une petite ukrainienne en gueulant qu'il allait l'entifler alors que, dans le meilleur des cas, tout ce que la putain pouvait espérer c'était de se faire mollement enviander l'entremichon. Les autres clients semblaient tous déterminer à faire flanelle. Faut dire que les rares hommes présents au bar, bouffeurs d'arlequins en mal de rab', faisaient plus penser à des abonnés des restos du cœur qu'à des habitués des établissements des frères Costes.

Il portait beau dans son costard gris italien à larges rayures tennis et son T-shirt de soie noire. Il avait encore tout du jeune tombeur qu'il avait été quinze ans plus tôt en arrivant à Paname. Les années avaient passées. Avec elles, il avait troqué ses cheveux  perdus contre quelques kilos de plus, mais sa classe naturelle, celle qui avait fait sa réputation rue Thérèse, elle, était toujours là.

C'était juste après l'élection de Chirac qu'il était arrivé à Paris, l'Alphonse. Sur les photos de jeunesse de "l'ex" il lui ressemblait un peu d'ailleurs. Il l'aimait bien Chirac, surtout le candidat de 95, celui de la fracture sociale. En tout cas, il lui semblait moins bégueule et plus mariole que l'actuel locataire de l'Élysée. Il avait toujours pensé qu'il ne devait pas être le dernier à lever le coude pour s'en jeter un derrière la casquette ce président-là; ni qu'il aurait dédaigné un coup de passage, un de ceux qu'on tire en loucedé au  coin d'un bois, quand maman ne regarde pas. Tout l'inverse de l'autre dingue de petit caporal autrichien, un casque à pointe qui ne buvait pas une goutte de Schnaps, qui s'imposait un strict régime végétarien et qui interdisait, bien avant la mode du moment, qu'on fumât en sa présence; une manière d'hygiéniste qui, anticipant de quelques années sur la mère Richard, avait fait fermer les bordeaux d'outre-Rhin.

L'hiver avait été très froid, l'été tenait ses promesses de chaleur caniculaire. La France était partagée entre les exploits des coureurs du Tour de France et le feuilleton Bettencourt.

Soleil et chaleur en été; quoi de plus normal se disait-il. Sauf  bien sur pour ceux de ses contemporains qui avaient de l'écologie fait le fond de commerce de leur petit turbin, ou pire, cachaient derrière de beaux sentiments affichés comme altruistes et modernes des idées et des concepts qui lui semblaient puer leurs relents de mauvais ragoût au fumet nauséabond... Car avant de monter à la capitale, il avait étudié. Les sciences politiques. A Grenoble.

Alors, sans savoir très bien pourquoi, au moment même où il râlait, en faisant et refaisant mentalement des comptes qui restaient désespérément dans le rouge, le maquereau pensait à ces illuminés qui, anticipant sans doute sur le futur proche décrit dans " l'armée des douze singes" de Terry Gilliam - un film qu'il adorait - avaient récemment mis en danger des vies humaines en commettant des attentats au nom de la "défense des droits des animaux"(sic!). Le matin même, alors qu'il savourait son deuxième petit noir au Père Tranquille, il avait entendu au micro d'une chaîne de radio nationale l'un de ses dingues revendiquer le passage à l'acte et justifier l'action violente en osant  l'écœurante, l'ignoble, l'insupportable comparaison entre l'Holocauste et l'abattage des animaux d'élevage.

Lui qui fréquentait assidûment les louchébems du quartier et se nourrissait avec plaisir de viandes, d'abats et de toutes autres formes de protéines animales , ne se sentait pour autant pas l'âme d'un tortionnaire  ! Depuis longtemps, à l'instar de Churchill, il avait choisi de manger de la viande, de ne pas faire de sport, de fumer des Havanes, d'apprécier un bon single Malt tourbé, un Rhum ambré ou un grand cru bourguignon, l'Alphonse ... Il célébrait la nature, à sa façon, en jouissant, parfois même jusqu'à l'excès, de ses bienfaits.

Il exécrait au plus haut point toute forme d'exercice intégriste de la religion, toute manifestation d'intolérance et de fanatisme. Alors ces dangereux cons qui prônaient la violence pour protéger  l'environnement ! Pourquoi pas justifier le port du Niqab ?

L'abattage, il connaissait pourtant, mais pas avec les filles qui travaillaient pour lui. Il les aimait, à sa manière. Il les protégeait. Car en gagnant sa vie à exploiter celle des autres, il arrivait encore à se donner bonne conscience, l'Alphonse! Surtout en pensant aux conditions de travail auxquelles étaient soumises les trottineuses congolaises et kosovares qui  faisaient le raccroc sur les trottoirs de la Quincampe, véritable concurrence  déloyale qui mettait bien à mal le compte d'exploitation de son clandé des Halles en engraissant des macs géorgiens et qui à elles, pauvres gosses exploitées, ne rapportait presque rien.

Un peu plus loin sur le boulevard, au-delà de Strasbourg-Saint Denis, là où les trottoirs Paris  prennent certains jours les couleurs d'une toile de Majorelle représentant le marché de Bamako, on s'adonnait à une autre forme de racolage. Les rabatteurs des salons de coiffure africains, payés à la commission, harponnaient les black mammas à peine sortie du métro Château d'eau et cherchaient à les entraîner vers tel ou tel bouclard des rues avoisinantes. Depuis peu des petites chinoises, spécialistes des ongles américains et de la french manucure pratiquant aussi, à leurs heures perdues, le massage avec "finition à la main", venaient compléter l'offre de baumes aux vertus défrisantes, tresses et autres extensions capillaires en tout genre.

Les confins de la  rue du faubourg Saint Denis, du passage Brady et de la rue du château d'eau étaient devenus l'improbable frontière entre le Kurdistan, l'Afrique équatoriale et le Sri Lanka. Au fond, il le sentait bien, rien ne serait plus jamais comme avant...




mardi 20 juillet 2010

Portrait d'un ami en forme d'exercice de style


Ces contempteurs le décrivent tel un abuseur qui baliverne allègrement, un friponneau qui à l'image des brocardeurs des temps passés gaminerait sur la toile en espérant provoquer chez ses lectrices l'ébaudissement propice à une séduction facile . Ils se trompent, car lui n'est pas de ces biaiseurs qui chercheraient à ensorceler par leurs mots doux et enjôleurs de chipotières jouvencelles perdues sur cette toile qui de nos jours n'est plus faite de finet.

Si autrefois nous nous rencontrâmes aux rangs de ces clubistes républicains qui dénonçaient alors de notre société la fracture , et même si de loin en loin il nous arrive encore de colluder lorsque la cause nous paraît belle et noble, il ne  revendique  plus aujourd'hui que sa qualité d'imployable brocardeur des moeurs de ses contemporains.

Son babillement dérange les tenants de la bienséance et du politiquement correct ? Tant mieux ! Car en se souvenant de ces dramatistes des temps plus anciens qui à leur heure ont su, eux aussi, déplaire à certains de leurs contemporains et s'attirer du souverain les foudres,  je fais  mienne la prophétie que son oeuvre lui survivra et qu'elle trouvera encore dans longtemps d'ici de fidèles lecteurs.

Il a choisi l'an passé de quitter ce royaume des Maures, où il s'était depuis longtemps exilé, pour rejoindre  ses parents et  vivre auprès d'eux dans la solitude et le démeublement ; pas par souci d'aliénisme ni pour s'attirer la sympathie d'hypocrites larmoyeurs, mais pour y puiser, à la source de ses racines, une nouvelle inspiration.  N'en déplaise aux tartuffes et aux mauvais coucheurs de tous poils, rien ne saurait désormais l'atteindre dans sa tranquille retraite provençale. Pas même les agissements de certain bien-pensant senseur d'outre Atlantique qui a cru pouvoir un temps le dépopulariser et, tel un escroqueur du Net, avait ourdi le méchant complot de faire disparaître ses écrits du réseau. Rien à faire pour l'arrêter, celui là de mes amis est imbrisable. (*)

(*) Portait écrit en utilisant une poignée de mots supprimés de la huitième édition du dictionnaire de l'Académie française (1935) et rassemblés par Joseph Vebret dans ses "Friandises Littéraires" publiées en 2008 aux éditions ECRITURE.