jeudi 7 décembre 2023

Du temps pour rien

"Ce n'est pas drôle de ne rien faire quand on n'a rien à faire*"
Jerome K. Jerome


Sais-tu, cher lecteur, ce que signifie l'ociophobie ? Il s'agit de la peur de n'avoir rien à faire, de la peur de l'ennui. Maladie des temps modernes si l'on en juge, d'un rapide regard circulaire dans la rame de métro du soir, par l'immense proportion de nos contemporains hypnotisés par l'écran de leur smartphone. Peu se contentent alors de regarder autour d'eux ou de simplement se laisser aller à rêvasser...

Bien sur, tout porte à se méfier de la neurasthénie, de la mélancolie et de leurs vols de papillons noirs. Mais savoir régulièrement - et l'accepter - accueillir l'ennui lorsqu'il se présente. On dit parfois de certains qu'ils sont "contemplatifs" car ils peuvent se contenter, pendant des heures de regarder le ciel, d'admirer le flux et le reflux des vagues sur le rivage ou simplement trouver que la montagne est belle. En 2016, un article du Journal of Experimental Social Psychology expliquait que ceux qui accueillent l'ennui "sont plus à même de développer des pensées originales".

Comme l’a écrit Jacques Chirac : "le repos est une affaire sérieuse". Car ce temps de repos n'est surement pas du temps pour rien. D'ailleurs, jamais on ne fait vraiment rien. Contrairement aux ordinateurs qu'il suffit de déconnecter de leur source d'énergie pour les éteindre, nous ne pouvons pas "geler" notre cerveau. Même le sommeil est une période complexe d'intense activité neuronale et psychique. Bien qu'endormis, nos systèmes physiologiques, respiratoire et digestif, tout comme notre système cardiovasculaire fonctionnent heureusement, eux aussi, toujours. Même nos tissus corporels se régénèrent et l'on sait aujourd'hui que nos capacités cognitives s'améliorent. Nos sens, bien qu'assoupis, restent d'une certaine façon en éveil. Un bruit, une lumière, un mouvement peuvent suffire à nous tirer des bras de Morphée. Un individu vivant quatre-vingt ans aura, en moyenne, passé vingt-cinq à vingt sept ans à dormir, soit, plus ou moins un tiers de son existence. Un mien ami m'explique pourtant très doctement qu'il dort le moins possible car, dit-il, "c'est du temps perdu, du temps pour rien !" Pourtant, quand on dort, on rêve et cette activité, à elle seule, justifie amplement de s'accorder un temps de sommeil raisonnable. Paradoxe du sommeil paradoxal où le corps est dans une situation de sommeil profond, nos muscles détendus et immobiles, mais où l'activité cérébrale est extrêmement importante - ce qui se traduit physiologiquement par l'observation de mouvements oculaires rapides - moment où interviennent les rêves les plus intenses et les plus visuels, essentiels à notre bon équilibre psychique et à notre créativité.

Au-delà du sommeil, indispensable à la vie, acceptons que chaque moment que nous nous accordons pour rêvasser, buller, bayer aux corneilles, c'est à dire regarder en l'air, dans le vide, contempler, voir même désirer des choses sans intérêt est un moment précieux. Je ne sais pas ce que tu en penses mais moi j'ai plutôt tendance à me méfier de ceux qui me disent ne pas supporter de s'ennuyer. Le temps que nous accordons à des moments ennuyeux, surtout lorsque nous sommes résolument passifs, c'est d'abord celui qui nous permet de prêter attention aux petits riens que nous ne percevons plus. Le temps libre n'est pas celui du vide mais il peut, au contraire, être celui de l'éveil aux petites choses qui naissent de ce que perçoivent nos sens, de ce que nous sentons, mais surtout, nous ressentons. L'ennui n'est-il pas non seulement le plus sur moyen de se reposer mais aussi l'un des plus surs chemins vers l'inventivité ?

Rien plus que l'oisiveté, dit-on, ne nous rapprocherait, avec délice et suavité, de la mort. Est-ce si certain ?


(*) Extrait de Pensées paresseuses.

mardi 14 novembre 2023

Rien n'est simple

On les juge "différents", ils nous font parfois peur, notre société montre même souvent du doigt ceux dont on dit qu'ils "parlent tout seul". Pourtant, as-tu conscience, cher lecteur, du temps que tu passes à soliloquer, à discuter en tête-à-tête avec toi ? Nous passons tous plus du tiers de notre temps éveillé (dit-on...) à nous parler à nous même. Ce "dialogue intérieur" est un aspect normal de la pensée humaine tout à fait commun et partagé qui se fait essentiellement de manière inconsciente. Il est lié à la manière dont nous négocions avec nos propres sentiments, nos dilemmes émotionnels, nos frustrations, et nos convictions.

Nos pensées intérieures nous permettent de réfléchir à nos expériences, nous aident à traiter des informations et à prendre des décisions. Elles reflètent nos émotions, nos motivations profondes et notre compréhension de nous-même et des autres. Mieux appréhender le dialogue intérieur c'est ouvrir une fenêtre sur la réalité du cœur des hommes, en offrant une exploration profonde des pensées, des émotions, et des conflits internes qui caractérisent l'expérience humaine car, bien que nous n'en ayons le plus souvent pas conscience ce dialogue avec nous même est bien toujours présent. 

Certains peuvent faire le choix de le partager dans des textes, d'autres cherchent à l'exprimer au coeur du cabinet de leur thérapeute, enfin beaucoup le gardent pour eux.

Dans la littérature ou la psychologie narrative, le dialogue intérieur est utilisé pour explorer la complexité des expériences humaines. Il offre un accès direct aux pensées les plus intimes d'un personnage, révélant souvent des conflits internes, des luttes émotionnelles et des questionnements profonds. Cela peut contribuer à créer des personnages plus nuancés et réalistes, car cela donne aux lecteurs un aperçu des motivations secrètes qui influencent les actions et les relations des personnages. La réalité du cœur des hommes est celle de ce dialogue intérieur. Elle participe de la révélation de la véritable nature de l'expérience émotionnelle et spirituelle de chacun. Cette réalité profonde est traversée par un large éventail de sentiments tels que l'amour, la douleur, la joie, la peur, et d'autres expériences intimes qui façonnent notre humanité. 

A la lecture  des "petits riens", plusieurs lecteurs de mes amis ont parfois témoigné de leur surprise, tant ce qu'ils y ont trouvé leur paraissait éloigné ou différent de celui qu'il pensait bien connaître. Ce blog m'offre, régulièrement, un champ d'expression de mon dialogue intérieur. Une façon d'exorciser quelques démons, de verbaliser certaines pensées et de partager ce qui me meut et m'émeut. Une illustration sans prétention aucune que, non, rien n'est simple dans le cœur des hommes.

dimanche 5 novembre 2023

Rien jamais ne fut

Même si elle est intellectuellement séduisante, la phrase "rien jamais ne fut" doit être interprétée de différentes manières en fonction du contexte. Elle peut évoquer des idées tout autant philosophiques que poétiques ou même métaphoriques. Je te livre, ami lecteur, quelques interprétations possibles :
  • Dans une première acception philosophique, cette phrase pourrait évoquer l'idée que rien n'a jamais existé ou que rien n'a de réalité intrinsèque.
  • "Rien jamais ne fut" peut aussi être une expression poétique pour signifier que certaines choses sont éphémères et passagères, que tout est impermanent.
  • Réflexion sur le temps, elle est alors utilisée pour souligner la futilité de certaines choses dans le contexte du temps qui passe. Elle rappelle que le temps efface tout ou que rien ne dure éternellement.
  • Réflexion existentielle, enfin, elle exprime un sentiment de nihilisme, suggérant que tout ce que nous faisons ou vivons n'a finalement ni signification ni valeur intrinsèque.
Le sens de cette phrase peut donc varier en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée et de l'interprétation personnelle de celui qui l'emploie. Attachons nous un instant à son interprétation existentielle. L'affirmation que "rien n'a jamais vraiment existé" (que "rien ne fut"...) reflète une perspective philosophique ontologique radicale qui peut être rattachée à certaines conceptions philosophico-religieuses et à la philosophie de la réalité. Qu'il s'agisse d'une certaine forme de Nihilisme métaphysique suggérant que la réalité elle-même n'a pas de nature intrinsèque, que tout ce que nous percevons comme réel est une construction mentale ou conceptuelle, et que la notion même d'existence est dénuée de sens, remettant en question l'existence même de tout ce qui nous entoure. D'un point de vue mystique ou non dualiste, on peut également soutenir que la distinction entre ce qui existe et ce qui n'existe pas est une illusion conceptuelle. Selon cette perspective, tout est une partie d'une seule réalité indivisible, et donc, rien n'a d'existence autonome. Enfin, certaines réflexions philosophiques portent sur la nature de la réalité et la question de savoir si notre compréhension de l'existence est - au-delà de l'expérience sensible que nous en avons - limitée par nos concepts et nos catégories mentales (entraînant, de facto, une manière de conception culturelle de l'existence). Si ces points de vue peuvent être complexes et profonds, je comprends qu'ils ne sont pas nécessairement acceptés par tout le monde. La question de l'existence et de la réalité - que nous avons souvent abordée sur ce blog - est au cœur de nombreuses discussions philosophiques et métaphysiques, et différentes écoles de pensée offrent des réponses variées. La  perception qu'on en a peut différer d'une philosophie à l'autre et d'une personne à l'autre. Il convient cependant d'essayer d'aller un peu plus loin pour éviter les écueils d'une pensée qui ne serait que "relativiste", une pensée où "tout se vaut", porte largement ouverte à toutes les dérives délirantes et/ou complotistes.

Certaines philosophies ont exploré la piste d'une construction de la réalité par la conscience humaine et des œuvres de fiction telles que Matrix ont largement contribué à populariser l'idée du monde comme représentation. L'idée selon laquelle la réalité procède d'une construction, remettant en cause toute forme de loi naturelle ou de déterminisme (même dans le domaine scientifique), est désormais partagée par nombre de nos contemporains, avec ce qu'elle porte intrinsèquement de dangers et d'écueils. Celui du relativisme et des tentations identitaires notamment. L'idée selon laquelle il n'y aurait pas de vérité, que toutes les représentations se valent, voire que notre représentation personnelle serait largement supérieure à celle des autres, induit le risque du déni de l'Autre, parfois même de sa réification. Choisir ses morts, dans une forme paradoxale d’empathie sélective, est contraire à l'idée d'universalisme des Lumières. Les dramatiques événements qui endeuillent le Proche Orient nous rappellent chaque jour tragiquement que les approches relativistes et identitaires, parce que communautaristes et excluantes, portent en elle les germes du conflit et de la haine.

L'affirmation que "rien n'a jamais vraiment existé" peut aussi parfois être rapprochée d'une forme de sentiment de dépossession, qui fait référence à un état émotionnel où une personne se sent dépossédée, c'est-à-dire qu'elle a le sentiment de ne plus avoir le contrôle sur quelque chose qui lui appartenait ou qu'elle considérait comme sien. Pour certains philosophes idéalistes, comme George Berkeley, la réalité matérielle n'existe que dans l'esprit. Selon cette perspective, rien n'existe en dehors de notre perception, ce qui signifie que tout ce que nous percevons est une construction de notre esprit. Dans ce contexte, l'existence des objets est liée à la perception, et il peut sembler que "rien n'a jamais existé" en dehors de notre esprit. Dans l'existentialisme, il est souvent question de l'absurdité de l'existence humaine et du sentiment de dépossession. Les existentialistes, comme Jean-Paul Sartre, ont exploré le sentiment de vide et d'aliénation. L'idée que "rien n'a jamais existé" pourrait refléter un désespoir existentiel ou un désir de remettre en question les fondements de l'existence.

Le "sentiment de dépossession" pourrait être lié à l'idée que l'individu se sent étranger, séparé ou aliéné par rapport à la réalité ou à lui-même. As-tu, comme moi, déjà pu ressentir cet état émotionnel ? On peut éprouver ce sentiment si on perd ses biens matériels, comme sa maison, sa voiture, ou des objets auxquels on tenait particulièrement. Ce sentiment peut également se produire lorsqu'un individu a le sentiment de perdre une relation importante, comme une amitié, une relation amoureuse, ou encore des liens familiaux ou sociaux. Il peut survenir à la suite d'un deuil, d'une rupture, d'un éloignement, de conflits relationnels ou être la simple conséquence de l'isolement, volontaire ou subi. Il peut également se manifester lorsque quelqu'un perd son sens de l'identité, par exemple, lorsqu'il traverse une période de crise existentielle ou lorsqu'il n'a plus confiance en lui. Dans certains cas, plus pathologiques, le sentiment de dépossession peut résulter de facteurs tels que la dépression, l'anxiété, ou d'autres troubles mentaux qui affectent alors la perception de soi et du monde de celui qui en est 

Pour Friedrich Nietzsche, "il faut savoir se perdre pour un temps si l'on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes"... Pour celui ou celle qui se perd à ne pas exister, la question essentielle est celle du retour à soi et à la croyance que sa vie, la vie - même si nous ne savons pas toujours bien ce qu'elle est - est bien réelle, ici et maintenant, à l'effet de pouvoir en reprendre sinon le contrôle, du moins le cours, une invitation à transcender le passé, à laisser derrière soi les souvenirs, les expériences et les regrets, et à se concentrer sur le présent et l'avenir en rappelant la liberté de l'individu à créer sa propre signification dans un monde apparemment dépourvu de sens intrinsèque, à l'effet d'oublier, enfin, que rien jamais ne fut.

"Nous n'avons jamais été celui que nous croyons (...) nous ne faisons que nous souvenir de ce qui s'est jamais passé." Carlos Ruis Zafon*

vendredi 29 septembre 2023

Rien de l'expérience des autres

"L'inconscient est à la fois la force de vie qui nous pousse à répéter les mêmes comportements heureux, et la force de mort qui nous pousse à répéter les mêmes erreurs." J.-D. Nasio


T'es t-il déjà arrivé, cher lecteur, de te dire, à l'occasion d'un échec, fruit de ta propre erreur : "Pourtant, j'aurais dû le savoir ?", ou encore, "Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je savais que j'allais dans le mur, comme X avant moi, pourtant je n'ai rien fait pour changer de trajectoire !"

La phrase "on n'apprend rien de l'expérience des autres" m'a, à l'occasion d'une récente disputation, été assenée comme un précepte, un credo définitif et indiscutable par l'un de mes interlocuteurs. Est-ce si certain ? Notre propre expérience, et notamment celle de nos échecs, est-elle plus efficace en support de nos apprentissages ?

Cette expression me paraît pour le moins pouvoir être discutée et nuancée. En réalité, il est sans doute possible d'apprendre beaucoup de l'expérience des autres, mais cela dépend de plusieurs facteurs, notamment de la manière dont on aborde ces expériences et de la façon dont elles sont partagées.

Apprenons nous de l'expérience des autres ?

Acceptons maintenant de prendre en considération qu'une part importante d'apprentissage se fait par l'observation des expériences vécues par d'autres. Par exemple, en observant les erreurs des autres, on peut éviter de les reproduire, et en s'inspirant de leurs succès, adopter des pratiques plus efficaces, plus performantes. Les conseils et les enseignements d'experts ou de personnes ayant une expérience significative dans un domaine particulier peuvent aussi être extrêmement précieux et nous servir de guide dans nos propres décisions et actions. Les études de cas sont également un moyen courant d'apprendre des expériences des autres dans des domaines tels que la médecine, la psychologie, le coaching professionnel, etc. Elles permettent d'analyser des situations passées pour en tirer des enseignements qui nous serviront dans l'avenir. Enfin - et bien que certains pensent, à l'instar d'un Céline, que "l'histoire ne repasse pas les plats" - l'histoire elle-même est riche d'exemples d'expériences passées, que ce soit au plan des civilisations, de leurs dirigeants ou des individus. Étudier l'histoire devrait nous permettre de comprendre les conséquences des actions passées et nous aider à éviter de répéter certaines erreurs (et bien que les récents développements de l'actualité nous enseignent que ça n'est pas toujours aussi évident pour tout le monde...).

Bien sur, expérimenter des autres peut aussi avoir ses limites. Leurs expériences peuvent avoir été vécues dans un contexte très différent du nôtre, ce qui rend l'application directe des leçons qu'on peut en tirer plus compliquée. D'autre part, les limites des capacités de la mémoire font que les individus peuvent mal interpréter ou déformer le souvenir de leurs propres expériences, ce qui peut conduire à de mauvaises analyses et à des conseils erronés. 

S'il est donc possible d'apprendre beaucoup de l'expérience des autres, cela nécessite un discernement critique et une compréhension des différences de contexte. Il est important de combiner l'apprentissage à partir de l'expérience des autres avec notre propre expérience personnelle pour développer une compréhension complète et équilibrée.

Ok, me diras tu, mais l'apprentissage par l'observation peut il remplacer l'expérience individuelle ?

S'il peut être un complément précieux à l'expérience individuelle, l'apprentissage par l'observation peut difficilement la remplacer complètement. En effet, l'expérience individuelle est souvent nécessaire pour comprendre pleinement un contexte spécifique. Même s'il nous arrive d'avoir observé les expériences d'autres personnes, chaque situation emporte ses nuances uniques qu'on ne peut vraiment comprendre qu'en la vivant soi-même. Dans de nombreux domaines, en particulier ceux qui nécessitent des compétences pratiques, comme, par exemple, la musique, le sport, l'artisanat ou la médecine, etc., l'apprentissage par l'expérience individuelle est essentiel. On ne peut développer ses propres compétences qu'en pratiquant concrètement. La résolution de problèmes complexes et la prise de décision dans des situations nouvelles ou imprévues sont souvent des compétences qui s'aiguisent principalement par l'expérience personnelle. Il est essentiel d'apprendre à faire face à l'inattendu, à gérer l'incertitude et à adapter nos connaissances aux situations uniques auxquelles nous devons faire face. Enfin il est des formes de connaissances, appelées "connaissances tacites". Il s'agit de connaissances pratiques, d'intuitions, de savoir-faire qui ne se développent naturellement qu'avec l'expérience personnelle. Par ce qu'elles sont difficiles à « formaliser », par opposition aux connaissances explicites, elles sont difficiles à transmettre par l'observation seule. 

Cependant, l'apprentissage par l'observation peut être très précieux pour plusieurs raisons : évitement des erreurs, gain de temps et, surtout, élargissement de la perspective. L'observation peut aider à acquérir de nouvelles idées et à mieux comprendre les différentes approches d'un problème ou d'une tâche. En fin de compte, l'apprentissage par l'observation et l'expérience personnelle sont complémentaires. Pour devenir un expert dans un domaine particulier, il est souvent nécessaire de combiner les deux : observer, apprendre des autres, puis appliquer ces connaissances dans votre propre expérience. C'est ainsi que la compréhension approfondie et la maîtrise se développent généralement.

Apprenons nous de nos propres erreurs ?

Sans doute, mais pas toujours. En fait, l'apprentissage à partir de ses erreurs est l'une des méthodes les plus efficaces pour acquérir de nouvelles compétences, améliorer sa compréhension et développer sa résilience. La première étape pour apprendre de ses erreurs est de les identifier et de les reconnaître. Cela nécessite une certaine réflexion et une honnêteté personnelle pour reconnaître qu'on a commis une erreur. Une fois qu''elle a été identifiée, il est essentiel de comprendre pourquoi cette erreur s'est produite et dans quelle occurence ? Quelles décisions/actions ont conduit à l'échec ? Cette étape permet d'acquérir une compréhension plus profonde du problème. Il est ensuite essentiel d'examiner les conséquences de l'erreur. Comment a-t-elle affecté la situation ou les personnes impliquées ? Quelles ont été les répercussions à court et à long terme ? Cette analyse aide à prendre conscience de l'importance de l'apprentissage à partir de ses erreurs. Une fois que l'on a compris les erreurs et leurs conséquences, il convient d'apporter les indispensables corrections pour éviter de les répéter à l'avenir. Cela peut signifier modifier son approche, prendre des décisions différentes ou même développer de nouvelles compétences. L'apprentissage à partir de ses erreurs est un processus continu. On  affine constamment ses compétences et sa compréhension en tirant des leçons de chaque erreur commise, dès l'ors qu'elle est identifiée et analysée. Apprendre de ses erreurs permet enfin de renforcer la résilience, c'est à dire la capacité à surmonter les obstacles et à faire face aux défis avec plus de confiance, en réalisant que, même en cas d'échec, il y a une opportunité d'apprentissage.

Alors, au fond, comment apprend t'on ?

L'apprentissage est un processus complexe qui implique l'acquisition de savoirs, de compétences, des capacités d'analyse, de compréhension et des comportements adaptés. L'ensemble permettant d'accéder à une forme de connaissance. Le processus d'apprentissage peut varier d'une personne à l'autre et d'un domaine à l'autre, mais il existe des principes fondamentaux qui le sous-tendent. Généralement, on apprend d'abord de l'observation et de l'expérience : L'apprentissage commence souvent par l'observation de notre environnement et par l'expérience directe. Nous observons les actions des autres, les résultats de nos propres actions et les interactions avec le monde qui nous entoure. Intervient alors le processus de mémorisation : Une fois que nous avons observé ou expérimenté quelque chose, nous avons besoin de retenir cette information pour pouvoir l'utiliser plus tard. La mémoire joue alors un rôle crucial. Pour aller plus loin, il convient de comprendre l'information reçue : Comprendre le sens et la signification de l'information est essentiel. Cela implique souvent la réflexion, la connexion entre les idées et la contextualisation de l'information nouvellement acquise par rapport à ce que nous savons déjà. Mais seules la pratique, la répétition et l'application permettront l'acquisition des compétences pratiques. L'une des étapes les plus importantes de l'apprentissage consiste en effet à appliquer ce que nous avons appris dans des situations réelles. C'est à travers l'application que nous testons notre compréhension et notre maîtrise. Cela permet de consolider ses compétences. Pour qu'il produise ses effets, un bon processus d'apprentissage requiert d'abord un désir d'apprendre et implique enfin :
  • Curiosité : La curiosité est très souvent un moteur de l'apprentissage qui peut même stimuler l'apprentissage autonome ;
  • Motivation : On est plus enclin à apprendre lorsqu'on est intrinsèquement motivé (par un intérêt personnel) ou extrinsèquement motivé (par l'espoir d'une récompense ou la crainte d'une sanction) ;
  • Feedback : Recevoir un feedback, qu'il soit sous forme de commentaires, d'évaluation ou de résultats, est essentiel pour savoir si nous avons bien appris ou si nous devons ajuster notre compréhension ou nos compétences ;
  • Adaptabilité : L'apprentissage est souvent un processus itératif. Nous adaptons les savoirs acquis et nos compétences en fonction de notre expérience et du feedback que nous recevons. Cela peut impliquer de réviser, de mettre à jour ou de changer nos perspectives et nos comportements ;
  • Continuum : L'apprentissage ne se limite pas à une période de formation ou d'éducation formelle. Il est un processus qui peut nécessiter un temps long.
Tout ça est bien beau, me diras tu, mais un peu théorique. Alors, en guise de conclusion à mon propos, je crois qu'il est important de noter que l'apprentissage à partir des erreurs, celles des autres tout autant que les nôtres, nécessite  une attitude positive à priori. Plutôt que de voir tes erreurs comme des échecs, ami lecteur, je t'invite à les considérer comme des opportunités d'amélioration. Et même si, selon Lacan, l'inconscient est structuré comme un automatisme de répétition, j'attire cependant ton attention sur le fait qu'il est également important, au risque d'échouer immanquablement devant les mêmes épreuves, de ne pas répéter constamment les mêmes erreurs. Car comme l'a écrit Saint Augustin : 
"Errare humanum est, perservare diabolicum !"

mardi 19 septembre 2023

Rien de plus sérieux

"La conversation n’est pas un remplissage du temps, au contraire c’est elle qui organise le temps, qui le gouverne, qui impose ses lois qu’il faut respecter."
Milan Kundera


J'ai profité de l'été pour lire quelques ouvrages de Milan Kundera. Sa célèbre phrase, "Rien de plus sérieux que la légèreté," peut s'interpréter comme indiquant que la capacité de prendre du recul et d'adopter une perspective légère peut être extrêmement importante, voire cruciale, dans la vie, voire même, essentielle à la vie. Elle met en avant l'idée que la légèreté, l'humour et la capacité à ne pas se prendre trop au sérieux peuvent être des outils puissants pour faire face aux défis et aux situations complexes de manière plus saine et équilibrée.

La légèreté ne signifie pas nécessairement l'irresponsabilité ou l'insouciance. Elle peut même, au contraire, être une réponse consciente à des situations sérieuses ou anxiogènes, permettant aux individus de mieux gérer le stress, de maintenir une perspective positive et de favoriser des relations harmonieuses avec les autres. L'équilibre entre la gravité et la légèreté dépend des circonstances, des valeurs personnelles et de la manière dont chacun choisit d'aborder les différents aspects de l'existence. La légèreté peut être une composante essentielle de la vie, tout comme la gravité et le sérieux, elle peut contribuer à une meilleure qualité de vie et à un bien-être général. On a tendance à trop prendre avec gravité des sujets parfois dérisoires alors qu'en réalité il n'y a essentiellement rien de sérieux. Souvent, nous accordons trop d'importance à des sujets qui, en réalité, ne sont pas aussi sévère que nous le pensons. Cette tendance à prendre au sérieux des choses dérisoires peut être attribuée à plusieurs facteurs :
  • Perception individuelle : Ce qui peut sembler sérieux à une personne peut paraître insignifiant à une autre en raison de différences de perspective, d'expérience et de valeurs personnelles ;
  • Stress et préoccupations : Dans un monde souvent stressant, nous pouvons être enclins à réagir de manière exagérée à des problèmes mineurs car ils représentent une manière d'échappatoire à des préoccupations plus importantes ;
  • Pression sociale : La société, la culture, les médias ou les réseaux sociaux peuvent influencer nos perceptions de ce qui est important. Parfois, il est perçu comme socialement essentiel de donner de l'importance à des sujets qui, en réalité, ne le méritent pas ;
  • Mauvaise gestion des émotions : Lorsque nous ne parvenons pas à gérer nos émotions efficacement, nous pouvons réagir de manière excessive à des situations triviales.
Cependant, il est important de noter que même si certains sujets peuvent sembler dérisoires, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils n'ont aucune valeur. Les petites choses de la vie, comme l'humour, les passe-temps et les moments de détente, revêtent une grande importance pour notre bien-être émotionnel et mental. A contrario, il convient parfois de ne pas minimiser l'importance des problèmes qui peuvent sembler mineurs à première vue, car ils peuvent avoir des implications plus profondes dans certaines situations. L'essentiel est de trouver un équilibre entre prendre les choses au sérieux lorsque c'est nécessaire et savoir lâcher prise et profiter des moments plus légers de la vie. Cela peut utilement contribuer à une vie plus équilibrée et satisfaisante. 

Peut-on parler sérieusement de tous les sujets sans pour autant se prendre au sérieux ? Toute conversation impose t'elle ses lois ? La manière dont nous abordons un sujet et la façon dont nous nous comportons lors de la discussion peuvent varier considérablement, même lorsque le thème abordé est d'importance. Voici quelques éléments que je livre, cher lecteur, à ta considération, à l'effet de pouvoir parler sérieusement sans se prendre trop au sérieux :
  • Reconnaître l'importance du sujet : Même si on ne se prend pas au sérieux, cela ne signifie pas qu'on minimise l'importance du sujet. Il est tout à fait possible de discuter sérieusement d'un problème tout en maintenant une attitude ouverte et détendue.
  • Maintenir l'ouverture d'esprit : Etre prêt à entendre les opinions et les perspectives des autres, même si elles diffèrent des nôtres. L'ouverture d'esprit permet une discussion sérieuse et constructive ;
  • Utiliser l'humour avec discernement : L'humour peut être une manière efficace de détendre une conversation sérieuse, d'alléger l'atmosphère et de permettre à chacun de s'exprimer plus librement mais il convient de le faire avec discernement car, comme le dit l'adage, on peut rire de tout mais pas nécessairement avec tout le monde ;
  • Éviter l'arrogance et garder un ton respectueux : Ne pas se prendre au sérieux signifie également ne pas être arrogant ou condescendant envers nos interlocuteurs. Même si c'est parfois compliqué,  il faut s'efforcer de respecter la manière dont l'autre exprime opinions et idées et maintenir un ton respectueux et courtois. Les attaques personnelles ou l'agressivité ne contribuent généralement pas (c'est un euphémisme...) à une conversation productive ;
  • Prendre du recul : Il est parfois utile de savoir prendre du recul et de se rappeler que les sujets sérieux sont souvent complexes et nuancés. Reconnaître cette complexité peut aider à ne pas se prendre trop au sérieux.
En guise de conclusion provisoire, allons une fois encore chercher une citation dans l'œuvre de Milan Kundera : "L'histoire est tout aussi légère que l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain."(*) 

N'oublions jamais, cher lecteur, que la légèreté de l'insignifiance se joue bien souvent du rien.

dimanche 18 juin 2023

Un rien de perversion

Je viens de terminer la lecture du dernier roman d'espionnage(*) publié par le - toujours - très bien renseigné Cédric Bannel. Ayant pour toile de fond l'actualité dans l'Est de l'Ukraine, comme à chaque fois qu'il nous entraîne à suivre une aventure de son agent "Sigma" de la DGSE, son récit est passionnant tout autant que glaçant par son réalisme froid.

Pourtant, en posant ce soir le livre achevé, et en allumant le poste de TV pour prendre connaissance des titres des actualités du jour, un léger malaise m'envahit. Pendant que je prenais plaisir à lire les aventures d'un héros de fiction, des hommes, des femmes, êtres de chair et de sang, se battaient pour leur liberté en Ukraine, y mourant chaque jour, victimes du pire conflit armé qu'ait connu notre continent depuis la seconde guerre mondiale. Un rien de perversion ? Quel plaisir peut-il en effet y avoir à lire une fiction s'appuyant sur une aussi sordide actualité ? 

Je me suis alors souvenu que certains des meilleurs films de guerre et d'espionnage sur le conflit mondial de 39-45 étaient sortit des studios d'Hollywood alors même que, en Europe, en Afrique et dans le Pacifique, les combats faisaient encore rage et qu'au même moment d'aussi illustres réalisateurs que John Ford, Howard Hawks ou Franck Capra s'illustrèrent, en réalisant des films de genre et, pour dire le vrai, d'excellents supports de propagande en faveur de la lutte contre les forces de l'Axe. Alors, toutes choses étant égales par ailleurs, lire aujourd'hui des œuvres qui exposent les crimes des séides et des sbires de la Russie poutinienne au grand jour, même sous un tour romanesque, et qui mettent en valeur le rôle des hommes de l'ombre qui, chaque jour, risquent leur vie pour défendre la nôtre et qui luttent pour notre commune conception de la démocratie, est-ce si malencontreux ?

Lire une fiction qui s'appuie sur une actualité dramatique peut offrir plusieurs plaisirs et avantages. Je te propose, cher lecteur, quelques points que tu voudras bien considérer :
  • Exploration des émotions : La lecture d'une fiction basée sur une actualité dramatique peut permettre d'explorer et de ressentir les émotions associées à cet événement réel. Cela peut susciter des réactions émotionnelles intenses, offrant une catharsis et une occasion de réfléchir sur les conséquences émotionnelles de l'actualité.
  • Compréhension approfondie : La fiction peut offrir une compréhension plus approfondie de l'actualité en la replaçant dans un contexte narratif. Elle peut donner vie aux personnages et aux situations, permettant aux lecteurs de mieux saisir les enjeux et les dilemmes auxquels chacun d'entre nous peut être confronté.
  • Réflexion critique : Lire une fiction basée sur l'actualité la plus sombre peut inciter à porter une réflexion critique sur les problèmes sociaux et les enjeux politiques qui sous-tendent ces événements.
  • Créativité et imagination : La fiction offre une liberté créative qui peut permettre aux auteurs de présenter des perspectives alternatives, des personnages complexes et des histoires captivantes. Cela peut enrichir l'expérience de lecture en offrant une vision différente de l'actualité et en stimulant l'imagination du lecteur.
  • Sensibilisation et empathie : Lire une fiction basée sur une actualité dramatique contribue, j'en suis persuadé, à sensibiliser les lecteurs à des problèmes auxquels ils pourraient ne pas avoir été exposés auparavant. Cela favorise l'empathie envers les personnes affectées par ces événements et peut même encourager l'action individuelle.
Sans compter que le plaisir ou simplement l'effet provoqué à la lecture d'une fiction basée sur l'actualité la plus pathétique peut considérablement varier d'une personne à l'autre. Lors que certains peuvent  chercher une évasion totale de la réalité, d'autres peuvent trouver de la valeur dans l'exploration de thèmes pertinents à travers la fiction. Chacun a ses propres préférences et motivations de lecture. Une des caractéristiques fondamentales de la fiction est de s'appuyer sur le réel pour l'interpréter et le reconstruire. Les œuvres de fiction puisent souvent leur inspiration dans la réalité. Les auteurs utilisent alors ces éléments réels comme matériau pour créer des mondes imaginaires, des personnages et des situations qui reflètent ou commentent la réalité d'une manière particulière, offrant des perspectives et un angle de vue différents.

La fiction permet enfin de donner un sens et une forme narrative aux expériences et aux idées. En utilisant des éléments du réel, elle peut explorer nos émotions de manière plus profonde et nuancée. En reliant la fiction à la réalité, les auteurs peuvent susciter des résonances chez les lecteurs et les inviter à réfléchir sur des questions essentielles. Relevons, cependant, que la fiction ne se limite pas à reproduire simplement la réalité telle qu'elle est. Les auteurs ont la liberté de manipuler, de déformer ou de réinventer le réel selon leur vision artistique et leur intention narrative. Après tout, n'est-ce pas l'essence même de toute œuvre de fiction que de s'appuyer sur le réel pour l'interpréter et le reconstruire ?



mercredi 14 juin 2023

Rien ne me plaît tant que rien

Véronique me fait fréquemment remarquer que j'attache trop d'importance à l'heure, au temps, aux contraintes du calendrier. Et si le temps n'existait pas ? Et si nous l'avions inventé pour mesurer ce sur quoi nous n'avons aucun contrôle ? Cela remettrait en question notre conception fondamentale de la réalité tant le temps est une composante essentielle de notre expérience quotidienne, influençant nos actions, nos projets et nos interactions avec le monde qui nous entoure.

Si nous considérons que le temps est une simple construction humaine, cela signifie que notre perception de la durée, du passé, du présent et de l'avenir est très largement arbitraire. Les horloges, les calendriers et les unités de mesure du temps deviennent de simples outils que nous avons créés pour ordonner notre existence.

Si l'on croit qu'il n'existe pas, le temps devient une illusion collective, une convention sociale. Nous pourrions imaginer que chaque instant est une éternité en soi, sans division ni succession. Les notions de passé, de présent et d'avenir se dissolvent, et nous sommes confrontés à un continuum intemporel. Cela soulève des questions profondes sur notre compréhension de la causalité et de la responsabilité. Sans le temps comme repère, notre capacité à mesurer les conséquences de nos actions serait remise en question. Le passé et le futur n'auraient plus d'influence sur nos décisions, car chaque moment serait dès lors indépendant et autonome.

D'un autre côté, si nous considérons que le temps est une invention pour mesurer ce qui nous échappe, cela pourrait refléter notre désir de donner un sens et une structure à un monde chaotique, complexe et changeant. Le temps nous permettant alors de planifier, de coordonner et d'organiser nos vies en nous offrant un cadre pour comprendre les processus naturels, l'évolution et les rythmes du monde.

Néanmoins, si nous prenons pour hypothèse que le temps est une création de l'esprit humain, il peut être intéressant de réfléchir à notre relation à cette notion. Nous pourrions même être amenés à remettre en question notre dépendance vis-à-vis du temps, à nous interroger sur notre obsession de toujours vouloir mesurer et quantifier. A toujours vouloir être à l'heure, à la bonne heure pour certains, ou à toujours être en avance ou en retard, pour d'autres. Chacun sa névrose... Peut-être que la réalisation que le temps est une construction nous inciterait à adopter une perspective plus holistique, à apprécier davantage l'instant présent et à vivre pleinement chaque moment, indépendamment de toute notion de passé ou d'avenir. Aujourd'hui, hier, demain : ces notions ont-elles un sens à l'échelle de la relativité de l'espace et du temps de l'univers ?

En fin de compte, que le temps soit une réalité objective ou une invention humaine, il reste un aspect essentiel de notre expérience et de notre compréhension du monde. La question de son origine et de sa nature véritable peut susciter une réflexion philosophique profonde, mais quelle que soit la réponse, notre interaction avec le temps façonne notre existence de manière significative, en donnant à nos vies un rien d'ordonnancement. Dans ma quête des petits riens, qu'est-ce que je recherche au fond ?

Rien ne me plaît tant que rien, cet espace-temps hors du temps. Cette notion paradoxale peut sembler étrange, mais elle résonne profondément en moi. Dans un monde en mouvement, un monde où tout un chacun est en quête de nouveauté et d'excitation, une vie où l'assurance de notre finitude nous donne constamment le sentiment que le temps file et nous échappe, je trouve la voie d'une forme de paix  dans le rien, dans le vide apparent. Car le rien est un espace où le temps n'existe pas, un lieu où l'on peut s'échapper de la frénésie du quotidien, où l'on peut trouver un refuge tranquille. C'est un moment de calme et de quiétude, où l'on peut se déconnecter du bruit du monde et se reconnecter avec soi-même. Dans ce vide, il n'y a pas de contraintes, pas d'attentes, pas d'horaire à respecter ni de pression. Je peux simplement être, sans aucune obligation ni responsabilité. Je peux alors laisser mon esprit vagabonder librement, sans aucune limite. Je peux explorer les recoins les plus profonds de ma créativité, laisser mon imagination se déployer sans entraves et se laisser porter par des petits riens. Les idées se forment et se transforment, les rêves prennent vie. Rien ne me limite, rien ne me retient.

Le rien est une invitation à la contemplation. En accordant une attention particulière au moment présent, en savourant chaque sensation et chaque expérience, nous découvrons la beauté et la richesse qui se cachent dans les petites choses. Nous réalisons que même dans le rien, il y a tout.

Rien mieux que rien ne me permet de me libérer des attentes externes et de me reconnecter à mes propres désirs et besoins. Je peux me débarrasser des pressions sociales et me concentrer sur ce qui est authentique pour moi. Dans ces petits riens, je trouve ma véritable essence, mes valeurs fondamentales. Alors, oui, rien ne me plaît tant que rien. C'est dans ce vide apparent que je trouve la plénitude, la liberté et la joie. C'est dans le rien que je me trouve et que je me perds à la fois. C'est là que je me sens vraiment vivant. Ni le temps, ni l'espace, plus rien ne me limite.

mardi 23 mai 2023

Faire du sens avec du flou

Parce que l'une de ses ambitions, cher lecteur, est de donner à réfléchir, ce blog est, à l'image du misérabilisme français, performatif. En t'invitant à lire, ce blog réalise en effet ce qu'il énonce et démontre, de facto, la distinction en partie illusoire entre parole et action. La dimension performative de la parole et de sa transcription à l'écrit, c'est, au-delà de la représentation, sa capacité à agir sur le réel. Tu as pu, de toi même, vérifier que les assertions que contiennent ces pages ne sont bien souvent ni vraies ni fausses. Elles ne peuvent être évaluées que selon un résultat qu'elles induisent car, la plupart du temps, elles accomplissent l’action à laquelle elles font référence. 

En gros : Dire c'est faire, et c'est plus souvent qu'à son tour, l'une des caractéristiques de ce blog. C'est parfois même essayer de faire du sens avec du flou, même si cela peut, au premier abord, sembler paradoxal, tant le flou est souvent associé à une absence de clarté ou de précision. Cependant, parfois même au risque de l'aporie, il m'arrive souvent de recourir au flou de manière intentionnelle, tant pour susciter un regain d'intérêt que pour ajouter une dimension poétique, mystérieuse, symbolique ou onirique à mes petits textes, en laissant une grande part d'interprétation au lecteur. La quête de sens et l'interprétation varient d'un lecteur à l'autre. Ce qui peut être profondément significatif pour une personne peut ne pas l'être pour une autre. Certains peuvent même trouver du sens dans l'acceptation du flou ou de l'absence de sens.

La question du sens est éminemment subjective. Notre cerveau compose en permanence avec la réalité et goûte particulièrement les validations subjectives. Pour faire simple, nous passons notre temps à essayer de valider subjectivement ce en quoi nous croyons. La croyance devient alors à nos yeux vérité.

Recourir au prisme du flou permet d'aborder différemment notre perception de la réalité ou la nature même de la connaissance que nous en avons. Toute réalité que nous croyons vraie est reconstruite à partir de nos souvenirs et des associations que nous passons inconsciemment notre temps à faire. Contrairement au savoir, que l'on peut résumer au fait de posséder des aptitudes ou des informations acquises par l'étude et l'expérience, la connaissance est beaucoup plus complexe que ce que nous avons tendance à croire et il est souvent nécessaire de prendre le temps d'interpréter pour comprendre, malgré le flou qui peut entourer telle ou telle situation.

La connaissance implique généralement une compréhension approfondie et une intégration des informations dans un contexte plus large. Ce n'est pas seulement le fait de recueillir des observations, mais aussi de les assimiler, de les analyser, de les évaluer et de les relier à d'autres concepts et idées. La connaissance nécessite une réflexion critique et une capacité à esquisser des hypothèses et tirer des conclusions à partir des informations dont nous disposons. Explorer les zones les plus floues permet alors de donner une signification différente aux choses et d'aborder une autre dimension de compréhension, une autre approche de la réalité qui va au-delà de la simple possession d'informations mais permet de les contextualiser et de stimuler une réflexion critique, pour essayer de mieux comprendre le monde qui nous entoure, même dans un environnement flou et instable. Si le savoir est avant tout accumulation d'information, la connaissance, elle, entraîne une transformation.

Et parce qu'on m'a récemment posé la question, oui, ce blog, sans fournir de résolutions faciles ni souvent de réponses claires aux questions qu'il soulève, se veut performatif et aporétique à la fois, tant il me plaît de penser que cette combinaison peut non seulement engager le lecteur de manière active, mais aussi le pousser à réfléchir et à explorer les idées au-delà des contradictions ou de dilemmes apparemment insolubles. Faire du sens avec du flou...

jeudi 4 mai 2023

Un peu de tout, beaucoup de rien

Ordo Ab Chao ?

L’effet papillon est une métaphore qui fut formulée pour la première fois par le météorologue Edward Lorenz et qui peut être résumée par la question suivante : " Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ". L'effet papillon est matérialisé par une chaîne d'événements, sans lien apparent, qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant. 

Et s’il en était de même pour nos vies et, au-delà, pour l’humanité elle-même. Chaque instant porte inscrit en lui sa mortelle part d’incertitude. Comme l’a, avec tant de justesse, énoncé Paul Ricoeur : " Toute mort, même la plus attendue, intervient dans la vie comme une interruption ". Heureusement, les actes de chaque être humain entraînent une chaîne de conséquences imprévisibles qui traversent les siècles et les civilisations, bien au-delà de leur propre disparition.

Chacun de nos actes nourrit le flux que certains appellent le cours du monde. En prendre conscience c’est lutter contre l’illusion de la continuité et accepter la finitude de notre existence terrestre, tout en réalisant que tout n’est que mouvement et que chacun de nos gestes, la moindre de nos actions, contribuent à l’édification du monde sensible. Nous vivons au cœur d’un univers vibratoire, d’une énergie sans cesse mouvante qui se transforme en une multitude de faits et d’actions non nécessairement liés les uns aux autres et qui portent en eux-mêmes leur propre signification.

La vie n’est qu’une construction chaotique et nous n’avons de cesse d’essayer de donner l’apparence de l’ordre à un tumulte fait d’un peu de tout et beaucoup de rien. Un chaos que, parce que nous sommes perpétuellement en quête de sens, nous essayons pourtant d’ordonner tant, plus encore que le vide, la possibilité même du néant, la matière qui se dérobe, le non-sens et l’absence de logique sont pour nous, dans la relation intime que chacun entretient au monde, la source continue d’une angoisse métaphysique que seule la mort vient pénétrer. Citons une fois encore Paul Ricoeur : " La vie, du moins au stade humain, est un paquet de tendances dont les visées ne sont ni claires ni concordantes ; il faut une situation de catastrophe pour que, soudain, sous la menace de l’indéterminé absolu — ma mort —, ma vie se détermine comme le tout de ce qui est menacé ".

La vie : Un peu de tout et beaucoup de rien...

samedi 1 avril 2023

Rien n'a d'importance

A l'heure où chaque jour nous apporte son lot, amplifié par des réseaux dits sociaux, d'inexactitudes, d'affabulations, de charlatanisme, de "vérités alternatives" et de "fake news", de complotisme et d'impostures, dans sa "liste des gens dont il faut se méfier", un auteur met en garde contre "les vantards de leurs riens."*

Dans sa quête de vérité, le lecteur averti devrait donc, selon lui, prendre garde, en exerçant son esprit critique, à se méfier ou, à tout le moins, à ne pas accorder trop d'importance à ceux qui se vantent de choses insignifiantes ou sans importance réelle. Le besoin égotique de se mettre en valeur, ou une confiance en soi fragile, peut tous nous pousser à exagérer ou à mentir. Mais, après tout, qu'est-ce que la réalité ?

Tu seras sans doute d'accord avec moi pour considérer que la réalité est avant tout un concept subjectif et dépendant de la perspective de l'observateur. Nous percevons le monde par nos sens qui sont autant de filtres qui donnent un sens particulier à la vérité telle que chacun la ressent dans l'expression de "sa réalité". Pourtant, selon certaines théories philosophiques, la vérité est une propriété objective qui peut être attribuée à une proposition ou une déclaration si elle correspond aux faits. Est-ce si certain ?

Pour beaucoup - à commencer par les scientifiques - la vérité n'existe que dans le reflet de l'erreur qui serait la seule chose vraie. On se souviendra que dans la dialectique hégelienne, à partir d'une hypothèse, c'est toujours l'antithèse qui fonde la thèse. Pour le philosophe, lorsqu'une hypothèse est proposée, elle est confrontée à des objections et à des arguments contraires, ou une "antithèse", qui pousse le penseur à repenser son hypothèse et à la développer davantage pour répondre aux objections. Ce processus dialectique peut mener à une nouvelle idée ou une nouvelle "synthèse" qui intègre les perspectives précédemment opposées et pose les fondements d'une manière de vérité.

Toute vérité devrait donc pouvoir être récusable et c'est l'erreur même qui la confirmerait alors. Ce qui est faux n'apparaissant que comme l'autre face indissociable de ce qui est vrai, la vérité ne s'exprimerait que dans une approche duale.

Quant au  mensonge, il n'est le plus souvent qu'une erreur consciente ou, dans les lapsus de parole, une révélation involontaire de l'inconscient et des pensées refoulées.

A la lecture de ce blog peut-être t'est il arrivé, ami lecteur, de parfois te dire qu'on n'était jamais trop méfiant des vantards de leurs riens et de leur expression de la réalité... Mais, après tout, est-ce si grave ? Surtout si l'on veut bien songer qu'en ce samedi 1er avril, au fond rien n'a d'importance.


(*) Charles Dantzig - Encyclopédie capricieuse du tout et du rien

dimanche 26 février 2023

Rien ne décrit le silence

"Le mot empêche le silence de parler." Eugène Ionesco

Je n'ai jamais compris l'expression "se murer dans le silence". Comme si le silence dressait des murs, qu'il enfermait et était privatif d'une quelconque liberté alors qu'au contraire, à mes yeux, le silence souvent contribue à  libérer ! Et d'abord, la parole qui prend sa source dans le silence qui la précède et la fonde. Puis, dans le fait même de se taire pour mieux recevoir la parole de l'autre. Se taire pour écouter, faire silence pour entendre. On dit même que la liberté se gagne dans le silence de celui qui sait l'observer. Seul notre silence rend la parole possible et, d'une certaine façon, la libère. Pour qu'il y ait échange, celui qui écoute, se tait. Pour bien entendre, il est indispensable que s'installe le silence, comme au spectacle où le lien entre les artistes et le public ne peut s'établir que dans le silence de l'auditoire. Pour laisser éclore la pensée et advenir la parole, nous avons besoin de ce silence qui, pourtant, ne peut être produit. Le paradoxe veut en effet que pour "faire silence", il convient surtout de s'abstenir de rien faire. Le silence ne peut s'épanouit que dans le rien. 

Notre discours nous rend existant aux autres car nous sommes des êtres sociaux. Mais qu'en est-il de ceux qui se taisent ? Et puisqu'on ne peut pas ne pas communiquer, le silence est, pour le moins, partie à la communication. Dans certaines situations, il est même des "silences actifs" (certains psychologues évoquent alors la figure du "passif agressif", celui qui peut aller jusqu'à "attaquer par le silence"...). Qu'on se souvienne, à titre d'illustration, du mutisme de résistance opposé aux soliloques de l'officier allemand, francophile et francophone, par le personnage de la  nièce de la famille dont la maison, au début de la seconde guerre mondiale, a été réquisitionnée par l'occupant dans "le silence de la mer" de Vercors. Le silence serait ainsi parfois utilisé comme une technique de manipulation, à tout le moins comme un mécanisme de protection. Le non-dit peut être plus éloquent que l'exprimé.

Le silence est aussi parfois considéré en philosophie comme l'indice du rien. Le silence pourrait donc également être une voie, un chemin possible, une ascèse dans l'espoir, enfin, d'arriver à être libre, à n'être plus rien. Le silence comme un langage de l'âme, une parole qui donne un cadre à l'intime. On dit alors que rien n'est plus parlant que certains silences, partant, rien ne décrit le silence. Le silence n'existe que par contraste. L'absence de parole de celui qui se tait et, par extension, une absence de sons, l'absence de tout bruit. Le silence ne serait-il alors qu'une absence ? Pourtant, le solfège nous enseigne qu'en musique, il existe sept sortes de silences : La pause, la demi-pause, le soupir, le demi-soupir, le quart de soupir, le huitième de soupir et le seizième de soupir. Il y aurait donc, au moins en art musical, plusieurs nuances de silence. Mais comment nuancer ce qui ne se décrit pas ? Et, ce que nous appelons silence l'est-il vraiment ?

Notre image sonore du monde n'est pas le monde, mais une perception des sons de l'univers rendue partielle en raison des limites physiques de notre sens auditif. Notre oreille n'est en effet sensible qu'à une gamme spécifique de fréquences et d'intensités qui définissent ce qu'on appelle le champ auditif humain. Toutes les vibrations acoustiques qui sortent de ces limites ne sont plus considérées comme des "sons" par nos oreilles. Etres limités, nous ne percevons ni les ultrasons ni les infrasons qui sont pourtant entendus par d'autres espèces. Ainsi, ces sons, pourtant bien réels, l'homme ne les entend pas car ils appartiennent à un plan inaccessible à ses sens. Ce que nous appelons silence est-il donc réellement si silencieux ?

En guise de provisoire conclusion, je voudrais, ami lecteur, te faire, plus qu'un conseil, une libre suggestion : la prochaine fois où tu devras prendre la parole, assure toi d'abord que ton silence ne serait pas plus éloquent. Et souviens toi que tu as le droit de rien dire.

vendredi 17 février 2023

Rien ne dure

"La vraie connaissance est de connaître l'étendue de son ignorance." Confucius


Si les mots "savoir" et "connaissance" sont souvent utilisés de manière interchangeable, leurs significations sont pourtant bien différentes. Le savoir s'acquiert et peut être transmis alors que la connaissance m'apparait, elle, comme le fruit d'un long processus d'apprentissage individuel.

Le savoir peut être défini comme une compréhension ou une information acquise à un instant donné et issue d'un enseignement et de l'expérience d'une pratique. Parce qu’il est en général basé sur des faits concrets, il peut être considéré comme relativement fiable mais il dure jusqu'à ce que l'état des connaissances en la matière évolue et n'infirme le soir ce que l'on pensait encore le matin immuable. Ainsi,  le savoir qu'on peut définir comme une manière d'expertise acquise dans un certain domaine est le fruit de la formation intiale suivie et de l'expérience. Il est souvent l'un des fondements d'une certaine légitimité à prendre la parole.

La connaissance est un terme plus large qui s’inscrit dans une forme de mouvement, un processus d'élaboration personnelle continu qui englobe le savoir en lui adjoignant également une dimension de compréhension et d'identification des interactions et des relations entre les différents éléments qui en sont constitutifs. La connaissance peut également être considérée comme une combinaison dynamique et évolutive entre savoir, compréhension et capacité, pour un individu, à mettre à profit cette réflexion pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions. Plus que le savoir acquis, la capacité à toujours s'adapter aux modifications de l'environnement n'est rendue possible que par la connaissance. Elle conforte la légitimité de celui que la position qu'il occupe conduit à devoir prendre des décisions.

On dit parfois que le savant est celui qui maîtrise parfaitement et dans ses moindres aspects un savoir par essence limité. Mais, le sachant, n'est-il pas celui qui a, au fil du temps, acquis une forme de connaissance aux contours beaucoup plus larges ?

Si l'on considère le savant comme un individu qui a accumulé une grande quantité de savoir et d'expertise dans un domaine donné, il est possible qu'il sache suffisament de choses pour légitimer sa prise de parole dans ce domaine. Cependant, personne ne peut prétendre savoir absolument tout sur un sujet, même celui qui est perçu comme « sachant ». La connaissance est en constante évolution, et il y a toujours des découvertes à faire et des choses à apprendre.

A l'occasion de la pandémie mondiale, on a assisté pendant des mois au défilé cathodique quotidien de scientifiques devenus, pour certains, les chroniqueurs attitrés des chaînes d'information permanente. Depuis bientôt une année et le début de l’invasion russe en Ukraine, ils ont disparu, presque du jour au lendemain, pour laisser leur place encore chaude sur les plateaux à des officiers généraux, réservistes ou en retraite, qui, chaque jour, commentent l’actualité de la guerre et les manoeuvres des assaillants comme des défenseurs. Les treillis ont supplanté les blouses blanches.

Mais de quoi cette surabondance d’experts est-elle le nom ? Une foi inébranlable dans la parole de celui qui est censé savoir ?

Si tout peut, un instant, sembler vrai, la seule réalité c'est que rien ne dure. La connaissance humaine est, au regard d'un Univers infini qui ne cesse de s'étendre, par nature, limitée. Il y aura toujours des mystères et des incertitudes à explorer. A l’instar de l’horizon, on pourrait dire que plus on croit s’en approcher, plus la connaissance nous échappe. Ce que l'on croit savoir et que l'on pense fiable et durable n'est souvent qu'éphémère. Non, vraiment, rien ne dure.

jeudi 19 janvier 2023

Ne rien faire

"Celui qui ne ne veut agir et parler qu'avec justesse finit par ne rien faire du tout."
Friedrich Nietzsche


Ne rien faire est-ce vraiment ne pas agir ? Mieux vaut-il ne rien faire plutôt que de faire mal ? Ne rien faire est-ce dans tous les cas "laisser faire" ?

A la lecture d'un très récent sondage de l'IFOP(*), je découvre avec stupeur que 20% des jeunes français de 18 à 24 ans croient que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, un sur cinq que la terre est plate et que 59% affirment croire en au moins une superstition à caractère occulte . N'y-a-t 'il rien à faire ? Faut-il ne rien faire ? Peut-on, en conscience, continuer à laisser fleurir de telles croyances irrationnelles au prétexte que toutes les opinions se vaudraient ?

Paul Watzlawick, l'un des pères de l'école de Palo Alto, a postulé qu'on ne pouvait pas ne pas communiquer. Et s'il en était de même de nos actions ? Pouvons-nous vraiment ne pas agir ? Qu'elle fût consciente ou inconsciente l'inaction ne serait-elle pas tout simplement une autre manière d'agir, même et surtout de, parfois, mal agir ?

Il est courant de penser que "ne rien faire" signifie ne pas agir, mais en réalité, il existe de nombreuses formes d'action qui peuvent être considérées comme un non-agir. Sans même évoquer la résistance passive, forme d'inaction très militante, il est convenu que prendre le temps de se détendre et de se reposer est une forme d'action qui peut s'avèrer nécessaire pour maintenir sa bonne santé mentale et physique. De même, la réflexion et la méditation peuvent également être considérées comme des formes d'action car elles permettent de clarifier ses pensées et ses sentiments, ce qui peut bien souvent faciliter la prise de décision, et donc l'action qui en découlera. Ainsi, pour Cioran, l'inaction ne signifiait pas l'indifférence ou l'apathie, mais plutôt un choix conscient de vivre de manière plus authentique et libre. Dans son livre "De l'inconvénient d'être né", Emile Cioran a écrit que l'inaction était un choix conscient de ne pas se mêler des affaires du monde, et de ne pas se laisser entraîner par les passions et les désirs. Il présente l'inaction comme une forme de liberté par rapport aux obligations et aux responsabilités imposées par la société.

Derrière l'inaction physique se cacherait donc parfois une action consciente de l'esprit, une volonté de non-agir volontaire et choisie. Il peut, par exemple, s'agir de décider de ne pas prendre un appel téléphonique, de ne pas répondre à un e-mail qui ne nous parait pas urgent ou de ne pas participer à une réunion qui ne nous apparait pas indispensable. Mais si cela peut permettre de consacrer plus de temps et d'énergie à des tâches plus importantes et significatives, cela peut aussi nous faire prendre le risque de passer à côté de quelque chose qui pourrait s'avérer essentiel. Si ne rien faire peut impliquer que l'on prend le temps de réfléchir, de se reposer, de se détendre et de se recentrer, si cela peut aider à clarifier les pensées, à résoudre des problèmes et à améliorer la performance dans divers domaines, tels que le travail et les relations personnelles, l'inaction peut aussi, par lâcheté, absence de volonté ou simple procrastination, plutôt inconsciente le plus souvent, parfois entraîner des conséquences plus ou moins graves. 

Décider de ne rien faire peut donc être le fruit d'un choix conscient, mais un choix dont il faut savoir assumer les conséquences. Si Friedrich Nietzsche a écrit sur la "paresse active" ou "paresse créatrice" qui consistait, selon lui, à choisir de ne pas agir dans certaines situations, plutôt que de se laisser entraîner par la pression sociale ou les conventions morales, il a, dans le même temps, critiqué l'idée de la "paresse passive" qu'il décrivait comme l'inaction découlant d'une apathie ou d'une résignation face à la vie. En somme, pour Nietzsche, l'inaction doit être choisie de manière consciente, en tant que moyen de cultiver la créativité et la liberté personnelle, plutôt que comme une forme d'évitement ou de résignation. 

En fait, si prendre une pause pour se reposer peut évidemment améliorer la concentration et la productivité au travail, ne rien faire c'est aussi parfois malheureusement laisser place à la progression de la connerie et de l'obscurantisme. Un exemple de ce crétinisme qui vient peut être donné par une autre réponse des plus jeunes de nos concitoyens qui, dans le même sondage précédemment cité, affirment n'être que 33% à estimer que la science "apporte à l'homme plus de bien que de mal". Ils étaient plus de la moitié à le penser il y a 50 ans... Qu'avons-nous fait - ou pas ! - pour en arriver là ? Pouvons-nous nous contenter, sans agir, de constater dans les chiffres le retour de la superstition et de l'ignorance ?

On dit parfois qu'l est préférable de ne rien faire plutôt que de faire mal. Est-ce si certain ? Ne rien faire ne signifie alors pas être passif ou inactif, mais plutôt de choisir de ne pas agir dans certaines situations pour éviter de prendre le risque de causer davantage de dommages. Avons-nous, avec les plus jeunes d'entre-nous, été lâches ou simplement indifférents ?

Certes, "ne rien faire", ne pas intervenir, ne signifie pas nécessairement rester inerte, être insensible aux évènements ou ne pas avoir le souci des autres. Au contraire, cela peut même permettre dans certains cas de mieux comprendre les besoins de l'autre et de mieux lui venir en aide. Ainsi en va-t-il très certainement de l'"attention flottante" chère aux psychanalystes, concept utilisé pour décrire une forme d'attention à la parole de l'autre qui permet d'être attentif à plusieurs niveaux de conscience à la fois, et qui peut être liée à la créativité et à l'imagination, mais aussi sans doute constituer un moyen pour l'Analyste de se protéger en se tenant suffisamment à distance de la réalité de son patient dans ce qu'elle peut avoir de plus angoissant. Mais, dans le contexte généralisé de disparition du raisonnement critique et de nivellement de l'expertise, à trop s'éloigner du réel, à trop "faire l'autruche", à force de refuser d'admettre l'évidence, on prend le risque pour notre société d'un réveil brutal car trop tardif.

La crise sanitaire et ses confinements successifs ont fourni le terreau propice à un essor sans précédent des théories complotistes ou des contre-vérités scientifiques les plus dingues relayées par des réseaux sociaux devenus la source exclusive d'information pour une majorité de jeunes. Dans un contexte de défiance généralisée envers tout ce qui apparait comme l'expression d'une autorité verticale, désormais, tel ou tel  "influenceur" populaire sur le réseau social à la mode est considéré par de nombreux jeunes comme un canal d'information plus fiable que les médias traditionnels et ses prises de position, autant définitives que souvent irraisonnées, prennent à leurs yeux, plus que les paroles d'experts reconnus, le caractère de vérités révélées et indépassables. L'expression d'une réalité malheureusement souvent sans constat mais qui peut prendre, sans autre fondement, valeur de dogme et qui forge, pour ceux-là, les contours d'une vérité qui lui est conforme. Toujours selon le même sondage, souscrire à la thèse selon laquelle "L’assaut du Capitole en janvier 2021 a été mis en scène pour accuser les partisans de Donald Trump" a par exemple un nombre d’adeptes (24% en moyenne) deux fois plus élevé chez les utilisateurs pluriquotidiens de TikTok (29%, preque un tiers de cette tranche d'âge) que chez les non-utilisateurs (19%). Croire que la terre est plate peut alors, sans le moindre doute, devenir la norme pour 20% de nos concitoyens agés de 18 à 24 ans et, plus grave encore, l’idée selon laquelle on peut avorter sans risque avec des plantes est, elle, partagée par 25% des jeunes interrogés...

On l'aura compris, à l'heure des "fake news" et de l'émergence d'une forme de "post-vérité", le non acte est-il encore un choix possible ? L'inaction est souvent synonyme d'un temps de réflexion face à une situation donnée, un temps qui permet d'en peser les options et de choisir ce qui nous semble être la meilleure voie d'action, mais gardons en tête que si prendre le risque de faire mal peut causer des dommages irréparables, tant pour soi-même que pour les autres, ne rien faire ou tarder à agir peut aussi entraîner des regrets, des remords et des conséquences terriblement négatives à long terme. Ne rien faire est-il encore vraiment une option ?