dimanche 26 février 2023

Rien ne décrit le silence

"Le mot empêche le silence de parler." Eugène Ionesco

Je n'ai jamais compris l'expression "se murer dans le silence". Comme si le silence dressait des murs, qu'il enfermait et était privatif d'une quelconque liberté alors qu'au contraire, à mes yeux, le silence souvent contribue à  libérer ! Et d'abord, la parole qui prend sa source dans le silence qui la précède et la fonde. Puis, dans le fait même de se taire pour mieux recevoir la parole de l'autre. Se taire pour écouter, faire silence pour entendre. On dit même que la liberté se gagne dans le silence de celui qui sait l'observer. Seul notre silence rend la parole possible et, d'une certaine façon, la libère. Pour qu'il y ait échange, celui qui écoute, se tait. Pour bien entendre, il est indispensable que s'installe le silence, comme au spectacle où le lien entre les artistes et le public ne peut s'établir que dans le silence de l'auditoire. Pour laisser éclore la pensée et advenir la parole, nous avons besoin de ce silence qui, pourtant, ne peut être produit. Le paradoxe veut en effet que pour "faire silence", il convient surtout de s'abstenir de rien faire. Le silence ne peut s'épanouit que dans le rien. 

Notre discours nous rend existant aux autres car nous sommes des êtres sociaux. Mais qu'en est-il de ceux qui se taisent ? Et puisqu'on ne peut pas ne pas communiquer, le silence est, pour le moins, partie à la communication. Dans certaines situations, il est même des "silences actifs" (certains psychologues évoquent alors la figure du "passif agressif", celui qui peut aller jusqu'à "attaquer par le silence"...). Qu'on se souvienne, à titre d'illustration, du mutisme de résistance opposé aux soliloques de l'officier allemand, francophile et francophone, par le personnage de la  nièce de la famille dont la maison, au début de la seconde guerre mondiale, a été réquisitionnée par l'occupant dans "le silence de la mer" de Vercors. Le silence serait ainsi parfois utilisé comme une technique de manipulation, à tout le moins comme un mécanisme de protection. Le non-dit peut être plus éloquent que l'exprimé.

Le silence est aussi parfois considéré en philosophie comme l'indice du rien. Le silence pourrait donc également être une voie, un chemin possible, une ascèse dans l'espoir, enfin, d'arriver à être libre, à n'être plus rien. Le silence comme un langage de l'âme, une parole qui donne un cadre à l'intime. On dit alors que rien n'est plus parlant que certains silences, partant, rien ne décrit le silence. Le silence n'existe que par contraste. L'absence de parole de celui qui se tait et, par extension, une absence de sons, l'absence de tout bruit. Le silence ne serait-il alors qu'une absence ? Pourtant, le solfège nous enseigne qu'en musique, il existe sept sortes de silences : La pause, la demi-pause, le soupir, le demi-soupir, le quart de soupir, le huitième de soupir et le seizième de soupir. Il y aurait donc, au moins en art musical, plusieurs nuances de silence. Mais comment nuancer ce qui ne se décrit pas ? Et, ce que nous appelons silence l'est-il vraiment ?

Notre image sonore du monde n'est pas le monde, mais une perception des sons de l'univers rendue partielle en raison des limites physiques de notre sens auditif. Notre oreille n'est en effet sensible qu'à une gamme spécifique de fréquences et d'intensités qui définissent ce qu'on appelle le champ auditif humain. Toutes les vibrations acoustiques qui sortent de ces limites ne sont plus considérées comme des "sons" par nos oreilles. Etres limités, nous ne percevons ni les ultrasons ni les infrasons qui sont pourtant entendus par d'autres espèces. Ainsi, ces sons, pourtant bien réels, l'homme ne les entend pas car ils appartiennent à un plan inaccessible à ses sens. Ce que nous appelons silence est-il donc réellement si silencieux ?

En guise de provisoire conclusion, je voudrais, ami lecteur, te faire, plus qu'un conseil, une libre suggestion : la prochaine fois où tu devras prendre la parole, assure toi d'abord que ton silence ne serait pas plus éloquent. Et souviens toi que tu as le droit de rien dire.

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