vendredi 31 mars 2017

Frénésie du vide.

"Le mot rien est sonné tous les jours par les cloches de Saint-Germain-des-Prés."*

Publié en septembre 2009, mon tout premier texte commençait par ces mots : " Trois mois, jour pour jour...". Il y aura bientôt huit ans... Huit ans de publications irrégulières et inégales de ces petits riens qui, je l'espère, ont tenu la promesse de leur inutilité.

Partons, si tu le veux bien, ami lecteur, d'un constat strictement quantitatif. J'ai commis autant de textes sur ce blog depuis le début de cette année que tout au long des trois précédentes. Comment expliquer une telle frénésie ? La peur du vide ? Une appétence pour ces petits riens dont la lecture peut, je l'espère, être aussi distrayante pour toi que l’écritureje l'avoue, s'avère amusante pour moi ? Enivrant vertigo ou simple   remplissage ? Pourquoi le rythme de publication, qui était plus proche d'un billet tous les six mois, s'est-il soudain accéléré pour dépasser six textes en un mois ? Et si c'était une manière d'annonce d'un sprint qui, à défaut d'être définitif, pourrait quand-même être provisoirement final ? 

Tu me diras qu'une multiplication de riens ne fait, au bout du compte, pas grand-chose. Paradoxe diront certains. Je ne le crois pas. Car si je n'aurai pas l’afféterie de prétendre ne rien écrire, je souhaite en revanche ne faire le lit que de petits riens et j'essaie de le faire bien. Des petits riens qui constituent aujourd'hui un ensemble, fruit d'un effort conséquent mais salutaire auquel j'aurais bien du mal à renoncer. Des futilités qui tentent d'apporter, par une forme de philosophie du "rien, jamais" une manière de réponse au "tout, tout de suite". Au fond, j'essaie d'approcher une pensée du rien en tant que quelque chose et sans me contraindre, pour y parvenir, à raisonner exclusivement par soustraction. Face à la boulimie frénétique, à la recherche de la performance immédiate, d'un tout purement utilitariste qui est la marque de notre époque, j'aime à penser parfois qu'on peut opposer une frénésie du vide, un goût du peu, le désir d'être inutile. 

Ces textes courts, ces jaillissements inspirés par un souvenir ou bien telle ou telle nouvelle puisée dans l'actualité, ne sont soutenus par aucune prétention, juste une aspiration, une inspiration si ce n'est utile, du moins devenue nécessaire au fil du temps qui passe et qui, lui aussi, semble s'accélérer. Mais quel bruit fait donc le temps qui passe ? Peut-être celui du bourdon qui égrène les heures au clocher de Saint Germain, celui-là même qu'évoquait Roger Nimier dans une allégorie où il raillait les "gendelettres germanopratins", renvoyant ces "cloches" à l'inanité de leur message.
Un de mes amis m'a récemment fait grief du caractère par trop politique à son goût de certains de mes textes mais n'est-ce pas au fond toute l'histoire de ma vie que ces aller-retours et cette nécessité parfois de prendre parti, sans pour autant toujours être contraint de prendre à partie ? Un peu de philosophie de la vie quotidienne, un soupçon de politique, un travail de mémoire, beaucoup de rêves et la liberté de pouvoir imaginer le reste, telle est la recette des textes qui nourrissent ce blog.  Il me revient qu'à l'âge de douze ou treize ans, j'avais commencé à noircir quelques pages d'un joli carnet de Moleskine qui m'est assez vite tombé des mains. Aujourd'hui, l'idée même non pas du mais d'un prochain texte m'est devenue une forme de moteur dont le carburant n'est autre que mon désir. Je ne vais plus arrêter...

* Roger Nimier - Les écrivains sont-ils bêtes ? - Recueil de textes publié aux éditions Rivages.

mercredi 29 mars 2017

Rien de trop.

"La seule manière, pour un individu, de demeurer constant parmi des circonstances changeantes, c'est de changer avec elles..."
Sir Winston Churchill - De la constance en politique.

Alors que son engagement avait été annoncé à grand renforts de publicité il y a quelques semaines par l'équipe de campagne du "candidat du mouvement", le Général Soubelet, ancien N°3 de la Gendarmerie a rendu public hier une lettre annonçant sa défection. S'il jette l'éponge c'est parce qu'il est déçu et son argument fait sens : "J’avais besoin de croire qu’une nouvelle façon de faire de la politique était en train de naître (…) Les ralliements successifs tous azimuts et symboliques à bien des égards, à commencer par ceux de l’actuel gouvernement, ne correspondent pas à ma conception du changement".

Les commentateurs louent, depuis le début de cette campagne sans précédent, l'irrésistible pouvoir d'attraction de M. Macron et égrènent, jour après jour, la litanie des ralliements de ceux qui, oublieux des engagements souscrits, des serments prononcés ou plus simplement de leur amour-propre, ne veulent surtout pas prendre le risque de ne pas en être. A force d'enregistrer le soutien de caciques socialistes et de membres du Cabinet sortant, apparaissant comme celui qui offre la plus astucieuse voie de recyclage d'une gauche si ce n'est en déroute, du moins déroutée, le candidat attrape-tout s'expose au risque de plus en plus avéré de révéler la vraie nature de celui qui pourrait demain engager la France sur le chemin de la marche... arrière.

Les limites - mais y-en-a-t'il encore ? - viennent d'être franchies avec le ralliement, qu'on nous vend pour inconditionnel, de Manuel Valls. Si, si, celui-là même qui fut le - très - autoritaire chef du Gouvernement auquel appartenait M. Macron et qui, candidat à la primaire de la "Belle Alliance Populaire" (sic!), signait alors la charte l'engageant à lier son propre sort à celui des urnes et à apporter son soutien à celui ou celle qui serait désigné comme candidat de la gauche. Et puis, patatras, un autre que lui gagnât et tout soudain le futur devint moins désirable.



Vive la sociale !
Ce n'est pas comme le dit tantôt M. Hamon avec grandiloquence que "la démocratie a pris un coup" mais juste une manière d’écœurement et la nausée qui peuvent gagner l'électeur sincère face à tant de cynisme et aux petits calculs de ceux qui adoptent publiquement le discours du mouvement en espérant secrètement que surtout rien ne change. A l'image de Tancrède, très aristocratique neveu du prince de Salina, le célèbre "Guépard" du roman éponyme de Lampedusa, qui, comprenant la nature des enjeux du risogimento italien, embrasse le combat des républicains et justifie son choix par cette célèbre maxime : "il faut que tout change pour que rien ne change". Autrement dit, les socialistes, pour essayer de sauver ce qui peut encore l'être du quinquennat de M. Hollande, doivent prendre toute leur place dans la campagne de M. Macron pour éviter, à tout prix, de sombrer avec la défaite du candidat officiel de leur parti qui, lui, en est réduit à lancer un appel solennel à "sanctionner (...) ces politiciens qui ne croient plus en rien, et qui vont là où le vent va". Ambiance !

Pour justifier son choix, l'ancien Premier ministre nous ressort pour argument ultime l'antienne du "vote utile", quelle blague !

Les petits calculs rejoignent les grandes ambitions dans le fourre-tout qui naît aujourd'hui de tant d'enthousiasme désintéressé ! Belle photo de famille sur laquelle on reconnait désormais, entre autres, MM. Bayrou et Hue, Mme Pompili et M. Douste-Blazy, MM. Madelin et Valls...! Jamais l'auberge n'aura autant été espagnole.

On m'a autrefois enseigné qu'en matière politique il était préférable de bénéficier d'un surcroît d'abondance plutôt que d'avoir à gérer la pénurie mais, à tous les jours se découvrir de nouveaux amis, c'est désormais le trop plein qui menace la campagne du champion des réformistes, au risque de la confusion. Au risque de l'embolie et de l'immobilisme. 

Rien de trop.

Les derniers vers de la Fable de La Fontaine me serviront aujourd'hui de conclusion :

« …De tous les animaux l'homme a le plus de pente
À se porter dedans l'excès.
Il faudrait faire le procès
Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante
Qui ne pèche en ceci. Rien de trop est un point
Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point. »

mercredi 22 mars 2017

Vertu et tolérance II. Persévérance ou perverse errance ?

Notre démocratie est questionnée. Le Ministre de l'intérieur, en plein état d'urgence et alors même qu'il est institutionnellement en charge de l'organisation, dans moins de cinq semaines, des opérations électorales, a été contraint de démissionner. Si, alors Premier ministre, Edouard Balladur avait instauré une jurisprudence voulant qu'un ministre mis en examen - et pourtant bénéficiant de la présomption d'innocence - soit contraint de quitter le Gouvernement, on en arrive aujourd'hui à cette folle exigence de réclamer la démission dès la simple ouverture d’une enquête préliminaire, enquête dont nous ne devrions même pas avoir à connaître si le principe du secret de l'instruction fixé à l'article 11 du Code de procédure pénale était simplement respecté.

Les indignés de mission jugent digne cette démission et, se faisant les interprètes de l'état d'esprit de l'opinion, "n'imaginent même pas comment le Ministre aurait pu tenir" (sic!), parlent de "seule solution possible" et de "suite logique". On peut aussi, en essayant de prendre un peu de recul, à défaut de hauteur, s'interroger sur la nature même du crime qui aurait été commis. Ou faut-il y voir peut-être la mauvaise manière de communication politique d'une majorité perdue et divisée qui, à la fin d'un quinquennat qui se voulait exemplaire mais aura vu cinq ministres contraints de démissionner, renverrait, en se parant du visage nu de la vertu, à leurs supposées turpitudes d'autres éminents personnages publics et justifierait, par un abusant syllogisme, de l'inéluctable évolution du cours d'une affaire par le déroulement d'une autre ? Affaire contre affaire, enquête contre enquête. Politique, politique... Comment un candidat à la Présidentielle, nous disent déjà des commentateurs nourris d'éléments de langage bien orientés, pourrait-il continuer à l'être alors même que le Ministre de l'intérieur, sur la base de soupçons du même ordre, a eu la dignité (!), le jour même des "révélations", de démissionner de ses fonctions ? Même si la ficelle est un peu grosse, l'argument a toutes les chances de porter auprès d'une opinion publique chauffée à blanc. Jamais une campagne présidentielle ne m'est apparue si émétique. 

Question de contexte me diras-tu! Sans doute. Mais, si l'on essaie juste de s'en tenir à une analyse juridique, tout laisse à penser que nous changeons insidieusement de système judiciaire en passant, sans même nous en rendre compte, d'une justice inquisitoire, enquêtant à charge et à décharge dans le secret de son cabinet d'instruction, à une procédure accusatoire, médiatisée et exclusivement à charge, sur le mode anglo-saxon. L'autorité judiciaire serait-elle en passe de s'ériger en véritable pouvoir judiciaire, à même, sans aucun contrôle ni contre-pouvoir d'aucune sorte, d'interférer dans le calendrier électoral ? Au risque, diront certains, d’un gouvernement des juges qui voudraient tout contrôler pour tout maîtriser ? J'ai appris, comme d'autres, que dans une République le souverain était le peuple et que dans notre démocratie représentative, l'expression de cette souveraineté passait d'abord par le suffrage universel. 

Des acteurs de la pièce médiatico-politique qui se joue aujourd'hui vont jusqu'à évoquer - tartufes! - la nécessité d'une "opération mains propres", à l'image du précédent que fut l'opération "mani pulite"1 en Italie. Comme souvent, comparaison n'est pas raison. Car, au fond, de quoi parle-t-on ? Je ne crois pas que la "révélation" des jobs d'été de deux gamines relève de la même logique qu'un système mafieux corrupteur et généralisé, encore moins que la République soit en danger. Calmons-nous et pensons à ces millions de nos concitoyens qui adhèrent, de plus en plus nombreux, aux thèses complotistes généreusement relayées sur les réseaux sociaux et abondamment nourries aux "affaires" du "tous pourris"; tu sais bien, ces pourris dont les photos s'affichaient comme autant de cibles à abattre sur un militant "mur des cons" de triste mémoire !

Si je ne crois pas, comme parfois peut l'écrire tel ou tel éditorialiste en mal de sensationnalisme, qu'on puisse qualifier l'actuelle situation politique de crise majeure, nous vivons cependant un grand moment d’écœurement collectif et, il est vrai que le risque existe que l'obstination dans la persévérance nous entraîne demain dans une perverse errance. 
A force de désacraliser la fonction, les prétendants n'apparaissent plus aux yeux des électeurs pour les héros qu'ils incarnaient hier. La bienveillance ne saurait excuser une indulgence sans limites... 
Là réside sans doute l'actuel danger d'une vertu érigée au rang de valeur suprême qu'elle ne trouve sa justification dans l'écho que lui renvoie une forme ultime chez certain de déni.

Prochaine étape de l'aspiration supposée à une transparence à tout prix : les révélations sur la vie privée. On n'y est pas encore mais on y vient. Crois m'en ! Rien ne manquera plus alors pour justifier la rupture tant désirée par toutes sortes d’extrémistes, pourtant peu exempts de petits tripatouillages et de grandes compromissions; une rupture dont la violence toute purificatrice, nourrie par les discours antiparlementaires, autoriserait, au nom de l’ordre et de la morale, même l'injustifiable. Nul ne pourra dire alors qu'il n'était pas prévenu. Beurk!


(1) Ensemble des enquêtes judiciaires réalisées au début des années 1990 en Italie et visant des personnalités du monde politique et économique qui mirent au jour un système généralisé de corruption et de financement illicite des partis politiques.



lundi 20 mars 2017

Un rien de présomption. Le désir d'être inutile.

Quelques semaines après que le mur fut tombé, j'ai traversé au volant d'une auto de location le trop fameux point de passage de Checkpoint Charlie sur la Friedrichstraße de Berlin, pour aller rejoindre l'autobahn que nous devions emprunter pour nous rendre en voiture en Pologne, en passant le poste frontière séparant Francfort sur l'Oder de Swiecko. Avec notre regard d'aujourd'hui, il est difficile de réaliser à quel point ce fut pour moi un événement fort et émouvant. Point de transit obligé pour les véhicules occidentaux, Checkpoint Charlie était, jusqu'à l'ouverture de la frontière entre les deux Allemagne, réservé au passage des étrangers, des personnels diplomatiques et aux échanges de prisonniers...

Au fur et à mesure des aller-retours qu’exigeait mon activité professionnelle d'alors vers ce qu'on appelait encore l'Europe de l'est, j'ai pris conscience du caractère très artificiel de la séparation érigée au rang de dogme entre les parties orientales et occidentales de l'Europe, entre les bons démocrates et les mauvais communistes, le bien et le mal. 
Au-delà d'une ambiance particulière qui me plongeait chaque fois quelques années, voir quelques décennies en arrière, de l'odeur si particulière du chauffage au charbon qui planait l'hiver sur des centre-villes aux façades sombres et mal éclairées, du manque due à certaines restrictions encore très palpables dans la vie quotidienne, de cette vision moyenâgeuse de charrettes tirée par un âne sur les larges et vides avenues de la capitale du pays des aigles, du goût d'un Raki imbuvable accompagné d'un improbable pain dont la farine avait été enrichie avec de la sciure, de vertigineuses gueules de bois les lendemains de marathons de négociations arrosés de carafons de Vodka polonaise, du festival Chopin où l'on pouvait à Varsovie entendre jouer toutes les futures stars mondiales du piano, de la tronche patibulaire de certains flics et douaniers qui vous regardaient encore avec le - mauvais - œil d'hier, au-delà de tout, il y avait des hommes et des femmes pour qui tout devenait alors possible et qui n'étaient pas - encore - blasés.

Prague, Budapest, Varsovie, Tirana... On ne parlait pas encore de "hub" aérien, mais j'étais, en ce début des années 90, devenu un habitué des aéroports de Francfort et de Vienne, points de départ naturels de la desserte des capitales du centre et de l'est du continent. Et puis, il y avait Londres et les rendez-vous réguliers dans les bureaux tout neufs de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et Washington où nous négociions avec les banquiers de l'IFC.

Après que nous ayons lié connaissance dans l'environnement lugubre et hostile de l'Albanie de cette époque, Massimo P..., élégant banquier, dirigeant d'entreprise et jet-setteur italien - vice-président de la BERD d'alors - envoyait sa Rolls et son chauffeur me chercher à Heathrow pour me garantir un confort très britannique lorsque je rejoignais nos réunions londoniennes et s'assurait toujours que nous puissions rentrer via Zurich, en classe affaires, sur Swissair, au départ de Rinas. Pas encore trentenaire, je négociais alors des affaires dont les financements complexes et multilatéraux se chiffraient en dizaines de millions de francs, sans très bien mesurer, je crois, ni les réels enjeux, ni peut-être même les risques...

Si nombre de dossiers prospectés se soldaient par un échec, j'ai cependant réussi à finaliser celui de la construction d'un grand hôtel à Varsovie dont j'ai non seulement supervisé le montage financier sur la base d'un crédit-acheteur offert par le Président Mitterrand à la nouvelle démocratie polonaise, mais aussi co-présidé la société dite des hôtels français de Varsovie qui portait l'investissement, un beau bâtiment moderne que j'ai eu le plaisir de voir sortir de terre et de livrer, après de très longs mois de travaux, à son exploitant. Aucun des membres de la hiérarchie parisienne de l'entreprise pour laquelle je travaillais ne pariait alors sur la moindre chance de voir aboutir ce projet et pourtant, fort sans doute d'une forme de désir d'être, à l'effet de prouver que je pouvais le faire, allié à une très improbable audace qui n'est pourtant guère mon penchant naturel, non seulement cet hôtel a vu le jour mais il est toujours présenté aujourd'hui dans les plaquettes qui font la promotion des séjours dans la capitale polonaise comme "le lieu idéal pour les voyageurs d'affaires et les touristes"

A la suite de quoi, considérant, avec un rien de présomption sans doute, que j'avais tout vu (sic!), que je n'avais plus grand chose à prouver dans un domaine auquel rien dans les études que j'avais suivies ne me préparait et dont j'ignorais à peu près tout, le désir d'être inutile a repris le dessus. Démissionnant de mes fonctions d'ingénieur commercial, j'ai quitté la société qui m'employait et, croyant renoncer pour toujours à une vie de voyages consacrée au développement du tourisme, j'ai - en tout cas, pour un temps - changé d'orientation.

mercredi 15 mars 2017

Vertu et tolérance. La sincérité c'est du baratin.

Invité du matin d'une émission politique diffusée par ma station de radio favorite, le candidat de l'insoumission a proposé d'inscrire à l'ordre du jour de son programme présidentiel une "loi de vertu républicaine" ! La vertu, parlons-en ! Celle d'un Torquemada, d'un Robespierre, d'un Fouquier-Tinville ? 

Moi, les professeurs de vertu m'inquiètent ! Je préfère un médecin qui me soigne, même s'il a une vie dissolue, à un carabin vertueux mais incapable du moindre diagnostic. Pis, je ne me reconnais en rien dans l'austérité morale érigée au rang de valeur suprême par nos voisins social-démocrates du nord de l'Europe. Je me retrouve plus volontiers dans le joyeux bordeau latin. Pour autant, il ne s'agit pas de sacrifier à une forme d'aquoibonisme, ni de  simplement poser le constat que nul n'est incorruptible et s'en contenter. Mais le culte absolu de la vertu, en ce qu'il sous-tend l'idée même d'un ordre moral, est trop souvent totalitaire. En affirmant la promesse d'un "monde meilleur", pour ne pas dire d'un "meilleur des mondes", il porte en lui les germes de la terreur fanatisée et son cortège de massacres commis au nom d’une violence nécessairement juste car purificatrice ! Je me méfie des conséquences des discours intellectuels lorsqu'ils sont violemment inquisitoires, accusatoires, arbitraires et sans nuances.

Pour autant, on ne saurait se satisfaire du simple constat que le mal existe mais que la seule vertu n'est sans doute pas le meilleur moyen d'y faire face. Une voie différente me paraît possible, celle du milieu. Ô je te vois venir, cher lecteur ! En écrivant "milieu", loin de moi l'idée de défendre une approche trop simplement centriste - de celle qui, renvoyant dos-à-dos bien et mal, prônerait une voie différente, une "autre" voie - non, simplement une forme d'équilibre entre le vice et la vertu, une manière d' "entre" ; celui-là même qui permet les transitions et le dépassement, sans les risques inhérents aux ruptures. Entre la force de la vertu et la faiblesse du vice, seule la voie de la tolérance me paraît permettre d'approcher cet équilibre ; ni l'expression de l'indifférence ou de la passivité, ni même une quelconque forme de lâcheté qui ne le dirait pas mais, au contraire, une tolérance empreinte de bienveillance et de compréhension, une tolérance agissante qui pardonne les erreurs et les faiblesses en ce qu'elles sont inscrites au cœur même de l'imperfection de notre humanité ; une tolérance qui ne devrait cependant pas s'imposer comme une trop grande vertu, au risque de tomber dans les travers des vices précédemment dénoncés; une tolérance qui, au-delà, ne saurait cependant, jamais, tout excuser.

30 000 ! Pour passer à un autre sujet, 30 000, c'est le nombre de pages lues (en tout cas c'est ce qu'indique le compteur aujourd'hui) totalisé sur mon blog depuis sa création. Je sais, c'est pas grand chose, rien ou presque, mais ça fait du bien!

Même si je ne suis pas réellement accro aux statistiques, je reconnais que ce simple constat me contente au-delà de ce que je pouvais imaginer (narcisse! diront certains...). Des lecteurs en France bien sûr, en Belgique et en Suisse, mais aussi en Inde, au Mexique et même, en Australie et au Japon (enfin, pour ce qui est du Japon, je crois avoir compris que ce lecteur que j'imaginais nippon (ni mauvais d'ailleurs! Je sais, c'est nul mais il fallait que la fasse...) n'était autre que mon ami Ivan qui, à Tokyo, devait occuper les longues heures de veille causées par le décalage horaire à parcourir la toile. Même si j'ai lu quelque part qu'Amazon rémunérait à la page lue les auteurs publiés sur sa plate forme, je me dis que l'universalité d'Internet a du bon et que pour un modeste blog sans autre ambition affichée que celle d'être inutile (et, c’est vrai, de distraire son auteur), c'est un résultat plutôt sympa...

La mémoire, l'imagination et la déconnade comme des outils assumés au service de "l'art d'être inutile" ou comment, avec des souvenirs et un peu de technologie, faire du neuf avec du vieux, en conscience, comme chaque déconneur, que "personne n'ira s'imaginer qu'il s'exprime du fond du cœur ou qu'il croit dur comme fer à ce qu'il raconte !" ... "La sincérité (...) c'est du baratin" (*) . Comme tout "baratineur", j'espère pour ma part ne me situer ni du côté du faux, ni de côté du vrai, bien au contraire ! Ami lecteur, salut ! Et merci !

(*) in De l'art de dire des conneries (On Bullshit) de Harry G. Frankfurt- Mazarine/Librairie Arthème Fayard - 2017.

lundi 13 mars 2017

Du lapsus en politique...

Voulant parler du fait que le programme économique des candidats de l'extrême droite et de la gauche radicale à l'élection présidentielle se ressemblent à s'y méprendre, l'un de mes bons amis évoquait hier midi un "copé-coulé". Joli lapsus linguae ! Encore plus intéressant à analyser lorsqu'on sait que ses propos m'étaient adressés (certains de mes lecteurs apprécieront...). Comment croire alors que le lapsus ne serait que le fruit d'une erreur, somme toute assez mécanique, de simple production lexicale.

Le lapsus partage la même étymologie latine - bien qu'à la signification différente - que le mot labeur. Alors que le mot labor signifie travail ou encore adversité, dans sa forme verbal, labor peut aussi se traduire par trébucher, faire un faux-pas (...). Comme quoi, vouloir clairement exprimer certaines choses est une activité exigeante qui peut demander un effort, et même parfois s'avérer laborieuse, tant l'inconscient est-là pour, malgré le travail de la volonté, permettre à nos désirs refoulés d'émerger.

Un exemple, un seul, puisé dans l'actualité du moment : quand le candidat attrape-tout - si, si, celui qui tout en se revendiquant, je le cite sans déformer ses propos, de "l'inexpérience et l'immaturité en politique" (sic!) - évoquait, en décembre dernier sur un plateau de télévision, certains souvenirs en parlant - avant de se reprendre - de l'époque "où (il) était président de la République (...)". Désir, vous avez dit désir...



vendredi 10 mars 2017

D'accords sur rien.

"Changer de point de vue avec tout son parti, c'est certes faire preuve d'inconstance, mais l'on se sent au moins soutenu par la puissance du nombre. Demeurer constant, alors que le parti modifie son attitude, c'est lancer une sorte de défi blessant. En outre, une telle rupture entraîne un déplacement de tous les rapports personnels et brise de vieilles amitiés"(1).

Nous sommes, paraît-il, sortis de la phase déprimante des primaires. Le décor est planté. Les acteurs vont entrer en scène. Chacun dans son rôle. Le navrant psychodrame de la querelle des ego devrait faire - enfin! - place au spectacle tragiquement exaltant de la vie et de la mort. Bonds, rebonds, faux-bonds, le cirque est permanent. Fait de pseudo-suspens entretenus par des chaînes d'information en mal de sensationnalisme, de vraies rumeurs propagées par les "entourages", de petits espoirs et de grandes déceptions, du flux et du reflux de soutiens qui, à l'image de nos concitoyens, tardent, sous l'influence du dernier "scoop", à se faire une opinion. Tout ça pour ça !

Le choix qu'on voudrait nous imposer entre deux populismes, l'un nationaliste et étatiste, se définissant comme "ni de droite, ni de gauche", et l'autre, mondialiste et libéral, se revendiquant "et de droite, et de gauche", résume-t-il à lui seul les termes de l'alternative ? Le rejet et l'exclusion portés en étendard par la candidate de l'extrême droite, d'une-part et, de l'autre, la séduction d'un candidat attrape-tout qui affirme le caractère "mystique" de la politique ?

Dans ce concert de vent, le centre, comme une manière d'insondable abîme de la vie politique dans ce qu'elle peut avoir de plus déroutant, démontre une fois de plus que si une addition de riens ne produit pas grand chose, leur division peut être la source de grandes spéculations ! Après avoir scellé il y a peu un accord électoral avec les conservateurs, certains parmi les "indépendants",  tergiversent encore et, affichant la grande cohérence de leur pensée, sont désormais tentés par un soutien au camp de ceux des marcheurs qui voudraient mettre leurs pas dans ceux de François Hollande...

Une fois de plus, ces tenants d'un "moderne réformisme" résolvent leur dilemme intrinsèque en tentant de démontrer que rien n'empêche de cheminer dans la même direction en étant - à l'instar de MM. Bayrou, Hue et Madelin  - d'accords sur pas grand chose; bien au contraire. Un simple "syndicat d'intérêts" comme le dénonçait le Président Beaufort par la voix de Jean Gabin, en évoquant le projet de Cabinet de "large union nationale" (déjà!) proposé par le jeune député Chalamont, incarné par Bernard Blier, dans le film le Président (2).



Tu me diras, cher lecteur, que pour bien avancer, mieux vaut peut-être ne pas trop regarder l'un vers l'autre mais plutôt fixer, ensemble, la même direction; quitte à prendre le risque de rester sur des voies parallèles, sans jamais se croiser, sans jamais se confronter. A l'inverse de la formule de Blaise Pascal qui décrivait l'univers comme un espace dont "le centre serait partout et la circonférence, nulle part", j'ai pour ma part un peu l'impression que le centre - à mille lieues de ce milieu auquel pourtant il aspire - ne trouvera bientôt plus, au sein d’un univers politique aux limites de moins en moins clairement définies, sa place nulle part.


(1) Winston Churchill - Réflexions et aventures
(2) Le Président - film de 1961 réalisé par Henri Verneuil, adapté d'un roman de Georges Simenon et dialogué par Michel Audiard.

dimanche 5 mars 2017

Rien n'est le fruit de la perfection.

En ce maussade et gibouleux dimanche de mars, j'ai choisi, bien calé au fond d'un canapé, de parcourir un exemplaire d'une traduction française du Yi King appartenant à Véronique.

Rien de tel que de se plonger dans ce grand livre chinois de la sagesse, fruit de la combinaison de la doctrine duale taoïste du Yin et du Yang avec "les cinq états de transformation",  pour se remettre la tête à l'endroit en cette période de désarroi et de grandes incertitudes, conséquences déprimantes des primaires. 
Ex perfecto nihil fit. Rien n'est le produit de la perfection. En lisant cette phrase en incipit de la préface de cette édition de 1968 du livre des transformations, j'ai immédiatement fait un lien - une association, presque, au sens analytique - avec la  formule magique qui rend compte du grand mystère, au cœur du secret des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale, également devise ésotérique de l'Écossisme : Ordo ab chaoRien n'est le fruit de la perfection, l'ordre naît du chaos. l'ordre qui naît du bruit et de la fureur, du Tohu-bohu originel. Ou comment percevoir, au-delà de la multiplicité chaotique, l'unicité des lois constantes et universelles; comprendre l'harmonie de l'univers pour établir l'ordre en soi-même. 

Ex perfecto nihil fit. Cette locution  latine me fait également davantage percevoir le sens de la maxime populaire qui veut que le mieux soit l'ennemi du bien. Inutile en effet de vouloir, en tout, faire mieux, toujours. Mieux faire, pour être le meilleur; pour tenter d'atteindre je ne sais quelle perfection... Une perfection qui, au fond, resterait stérile. Une perfection qui, bien que souvent parée de toutes les vertus, pourrait même, à l'image de la société idéale et du meilleur des mondes promis et promus par tous les régimes totalitaires, s'avérer au final dangereuse...

Mais revenons à l'énergie du Tao, à ces transformations silencieuses décrites par François Jullien dans un livre que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ici-même. Penser - comme ce grand spécialiste de la philosophie chinoise nous y invite - l'existence comme une mutation continue; invisible certes, silencieuse, mais continue; où la vie, sur tous les plans, n'est plus conçue que comme un jeu de transitions ininterrompues. Une perception du monde dans laquelle il faut accepter qu'un contrairepour qu’il puisse s’inverser en son contraire, le contient déjà et l’implique en lui.

J'apprécie cette approche philosophique représentée par le symbole bien connu du Yin et du Yang, en ce qu'elle trace, au-delà d'un raisonnement simplement dualiste - celui de l'opposition du blanc et du noir, du bien et du mal, du passé et du futur, de l'intérieur et de l'extérieur... -  les voies de la perception d'un "entre". Cet "entre", invisible mais bien présent, qui non seulement réconcilie passivité et activité mais, au-delà, permet la jonction et la transition entre plusieurs états, sans ressentir le besoin de se poser les questions de savoir ni où ni quand commence l'un et où se termine l'autre; comprenant enfin, au-delà de l'approche trop souvent ontologique de la pensée grecque, en se libérant de l'être comme acte, de la stricte causalité d'un agent agissant, que les limites que nous croyons percevoir n'existent peut-être que parce que nous nous les imposons. Non, décidément, rien n'est le fruit de la perfection.

mercredi 1 mars 2017

La bêtise, c'est de la paresse.

Paraphrasant Sir Winston Churchill, on pourrait considérer que, face au travail, il y a trois sortes d'hommes : ceux qui se tuent à la tâche, ceux que leur boulot ennuient à en mourir et ceux pour qui le travail est la source inépuisable d'une mortelle angoisse. Classification mortifère d'un âge d'or malheureusement très probablement révolu où le plein emploi était la norme... Comment ranger aujourd'hui ceux qui rêveraient de pouvoir travailler et dont la moderne angoisse naît des conséquences d'un chômage de masse devenu quasi-chronique et d'une mortelle neurasthénie liée à l'absence d'emploi ? Et, au-delà, quid des paresseux ? Où classer ceux pour qui la question du travail ne se pose de fait jamais tant ils y répugnent, ceux pour qui le manque d'envie de faire, ou plutôt l'envie même de ne rien faire est toujours la plus forte ?

Travailler pour vivre, vivre pour travailler ou vivre sans travailler ?

Il me revient, avec délice, des images du film "Alexandre le bienheureux" dans lequel Yves Robert dépeignait en 1967 la vie d'un paysan bonhomme mais un peu falot qui décidait, après le décès de son épouse tyrannique et acariâtre, de faire le choix de s'accorder - en s'installant dans une forme de procrastination définitive  - le repos qu'il pensait mériter. La prestation de Philippe Noiret dans le rôle titre ne fut sans doute pas pour rien dans le charme que ce film opérât sur moi, tant j'ai aimé l'élégance naturelle et le jeu tout en "cool attitude" de ce formidable acteur. Éloge de la paresse influencé par la pensée de Paul Lafargue(*) ou dénonciation avant l’heure des travers d'une époque - celle des "trente glorieuses" - qui annonçait l'arrivée d'un productivisme caricatural ?
Alexandre et le "système D"
d'un partisan du moindre effort
qui, à l'instar de Bartleby,
 travaille à ne plus travailler.

Bien que cette comédie champêtre et tellement française, marquée par une forme de philosophie un rien subversive et libertaire, puisse être, d’une certaine façon, lue comme une manière de prologue au mouvement du printemps de 1968, je n'arrive cependant à la trouver ni provocatrice, ni désagréable, tant le thème du film est abordé avec la poésie habituelle de son réalisateur et le personnage principal rendu si sympathique par son sybaritisme assumé et bon-enfant. Je préfère pour ma part me souvenir avoir ri de bon cœur aux efforts déployés par le héros qui, sous le prétexte de s'exonérer du fardeau du travail, cherche à échapper en réalité à toutes contraintes, à une forme de destin tout tracé et à recouvrer sa liberté; ce qui le poussera à la fin, en allant au bout de sa logique, jusqu'à paresser en amour aussi.

Pour autant, je me revendique comme appartenant à une tradition pour qui le travail reste une valeur aussi essentielle que peuvent l'être l'ordre et le progrès. Le travail notamment en ce qu'il permet seul à l'homme de s’élever au-delà de sa condition et d'accéder à la connaissance.

Car, s'il est souvent synonyme de contrainte et même d’une certaine forme de douleur, vaut-il mieux faire le choix reposant de l'inactivité, au risque de l'abrutissement, contre celui du travail, au risque du surmenage intellectuel ? Inutile de vouloir, à tout prix, faire toujours ce que l'on aime, il faut, le plus souvent, savoir se contenter d’aimer ce que l'on fait. Par-dessus tout, je ne pense pas que l'homme moderne puisse s'exonérer du labeur tant l'effort, seul, permet de lutter contre l’imbécillité. J'ai récemment trouvé cette amusante maxime dans une livraison de 1843 du très Saint-Simonien Magasin pittoresque  : "la paresse est la bêtise du corps, la bêtise est la paresse de l'esprit". Autrement exprimée, et de manière plus simple, par Jacques Brel - pourtant, lui aussi, libertaire assumé - dans cette jolie formule : "la bêtise, c'est de la paresse". 



Se contenter de vivre, d'aller bien, ou mal d'ailleurs, sans se poser la moindre question. Ou dit encore différemment : accepter que sa vie se résume à pas grand chose, à trois fois rien. Se contenter de ça et considérer que ça suffit!  Quelle vie de con! Quelle tristesse! Même si, avec fatalisme, on pourrait dire pour se consoler, en s'inspirant cette fois des paroles d'une chanson de Maurice Chevalier, qu'une vie (de con) "c'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien du tout" !

(*) Le droit à la paresse - manifeste social de Paul Lafargue, paru en 1880.