Notre
démocratie est questionnée. Le Ministre de l'intérieur, en plein état d'urgence
et alors même qu'il est institutionnellement en charge de l'organisation, dans
moins de cinq semaines, des opérations électorales, a été contraint de
démissionner. Si, alors Premier ministre, Edouard Balladur avait instauré une
jurisprudence voulant qu'un ministre mis en examen - et pourtant bénéficiant de
la présomption d'innocence - soit contraint de quitter le Gouvernement, on en
arrive aujourd'hui à cette folle exigence de réclamer la démission dès la
simple ouverture d’une enquête préliminaire, enquête dont nous ne devrions même
pas avoir à connaître si le principe du secret de l'instruction fixé à
l'article 11 du Code de procédure pénale était simplement respecté.
Les
indignés de mission jugent digne cette démission et, se faisant les interprètes
de l'état d'esprit de l'opinion, "n'imaginent même pas comment le
Ministre aurait pu tenir" (sic!), parlent de "seule solution
possible" et de "suite logique". On peut aussi, en
essayant de prendre un peu de recul, à défaut de hauteur, s'interroger sur la
nature même du crime qui aurait été commis. Ou faut-il y voir peut-être la
mauvaise manière de communication politique d'une majorité perdue et divisée
qui, à la fin d'un quinquennat qui se voulait exemplaire mais aura vu cinq
ministres contraints de démissionner, renverrait, en se parant du visage
nu de la vertu, à leurs supposées turpitudes d'autres éminents personnages
publics et justifierait, par un abusant syllogisme, de
l'inéluctable évolution du cours d'une affaire par le déroulement d'une
autre ? Affaire contre affaire, enquête contre enquête. Politique, politique...
Comment un candidat à la Présidentielle, nous disent déjà des commentateurs
nourris d'éléments de langage bien orientés, pourrait-il continuer à l'être
alors même que le Ministre de l'intérieur, sur la base de soupçons du même
ordre, a eu la dignité (!), le jour même des "révélations", de
démissionner de ses fonctions ? Même si la ficelle est un peu grosse,
l'argument a toutes les chances de porter auprès d'une opinion publique
chauffée à blanc. Jamais une campagne présidentielle ne m'est apparue si émétique.
Question
de contexte me diras-tu! Sans doute. Mais, si l'on essaie juste de s'en tenir à
une analyse juridique, tout laisse à penser que nous changeons insidieusement
de système judiciaire en passant, sans même nous en rendre compte, d'une
justice inquisitoire, enquêtant à charge et à décharge dans le secret de son
cabinet d'instruction, à une procédure accusatoire, médiatisée et exclusivement
à charge, sur le mode anglo-saxon. L'autorité judiciaire serait-elle en passe
de s'ériger en véritable pouvoir judiciaire, à même, sans aucun contrôle ni
contre-pouvoir d'aucune sorte, d'interférer dans le calendrier électoral ? Au
risque, diront certains, d’un gouvernement des juges qui voudraient tout
contrôler pour tout maîtriser ? J'ai appris, comme d'autres, que dans
une République le souverain était le peuple et que dans notre démocratie
représentative, l'expression de cette souveraineté passait d'abord par le
suffrage universel.
Des
acteurs de la pièce médiatico-politique qui se joue aujourd'hui vont jusqu'à
évoquer - tartufes! - la nécessité d'une "opération mains propres", à
l'image du précédent que fut l'opération "mani pulite"1 en
Italie. Comme souvent, comparaison n'est pas raison. Car, au fond, de quoi
parle-t-on ? Je ne crois pas que la "révélation" des jobs d'été de
deux gamines relève de la même logique qu'un système mafieux corrupteur et
généralisé, encore moins que la République soit en danger. Calmons-nous et
pensons à ces millions de nos concitoyens qui adhèrent, de plus en plus
nombreux, aux thèses complotistes généreusement relayées sur les réseaux
sociaux et abondamment nourries aux "affaires" du "tous
pourris"; tu sais bien, ces pourris dont les photos s'affichaient comme
autant de cibles à abattre sur un militant "mur des cons" de
triste mémoire !
Si je ne
crois pas, comme parfois peut l'écrire tel ou tel éditorialiste en mal de
sensationnalisme, qu'on puisse qualifier l'actuelle situation politique de
crise majeure, nous vivons cependant un grand moment d’écœurement
collectif et, il est vrai que le risque existe que l'obstination dans la
persévérance nous entraîne demain dans une perverse errance.
A force
de désacraliser la fonction, les prétendants n'apparaissent plus aux yeux des
électeurs pour les héros qu'ils incarnaient hier. La bienveillance ne saurait
excuser une indulgence sans limites...
Là
réside sans doute l'actuel danger d'une vertu érigée au rang de valeur suprême
qu'elle ne trouve sa justification dans l'écho que lui renvoie une forme ultime
chez certain de déni.
Prochaine
étape de l'aspiration supposée à une transparence à tout prix : les révélations
sur la vie privée. On n'y est pas encore mais on y vient. Crois m'en ! Rien ne
manquera plus alors pour justifier la rupture tant désirée par toutes sortes
d’extrémistes, pourtant peu exempts de petits tripatouillages et de
grandes compromissions; une rupture dont la violence toute purificatrice,
nourrie par les discours antiparlementaires, autoriserait, au nom de l’ordre et
de la morale, même l'injustifiable. Nul ne pourra dire alors qu'il n'était
pas prévenu. Beurk!
(1)
Ensemble des enquêtes judiciaires réalisées au début des années 1990 en Italie
et visant des personnalités du monde politique et économique qui mirent au jour
un système généralisé de corruption et de financement illicite des partis
politiques.
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