mercredi 22 mars 2017

Vertu et tolérance II. Persévérance ou perverse errance ?

Notre démocratie est questionnée. Le Ministre de l'intérieur, en plein état d'urgence et alors même qu'il est institutionnellement en charge de l'organisation, dans moins de cinq semaines, des opérations électorales, a été contraint de démissionner. Si, alors Premier ministre, Edouard Balladur avait instauré une jurisprudence voulant qu'un ministre mis en examen - et pourtant bénéficiant de la présomption d'innocence - soit contraint de quitter le Gouvernement, on en arrive aujourd'hui à cette folle exigence de réclamer la démission dès la simple ouverture d’une enquête préliminaire, enquête dont nous ne devrions même pas avoir à connaître si le principe du secret de l'instruction fixé à l'article 11 du Code de procédure pénale était simplement respecté.

Les indignés de mission jugent digne cette démission et, se faisant les interprètes de l'état d'esprit de l'opinion, "n'imaginent même pas comment le Ministre aurait pu tenir" (sic!), parlent de "seule solution possible" et de "suite logique". On peut aussi, en essayant de prendre un peu de recul, à défaut de hauteur, s'interroger sur la nature même du crime qui aurait été commis. Ou faut-il y voir peut-être la mauvaise manière de communication politique d'une majorité perdue et divisée qui, à la fin d'un quinquennat qui se voulait exemplaire mais aura vu cinq ministres contraints de démissionner, renverrait, en se parant du visage nu de la vertu, à leurs supposées turpitudes d'autres éminents personnages publics et justifierait, par un abusant syllogisme, de l'inéluctable évolution du cours d'une affaire par le déroulement d'une autre ? Affaire contre affaire, enquête contre enquête. Politique, politique... Comment un candidat à la Présidentielle, nous disent déjà des commentateurs nourris d'éléments de langage bien orientés, pourrait-il continuer à l'être alors même que le Ministre de l'intérieur, sur la base de soupçons du même ordre, a eu la dignité (!), le jour même des "révélations", de démissionner de ses fonctions ? Même si la ficelle est un peu grosse, l'argument a toutes les chances de porter auprès d'une opinion publique chauffée à blanc. Jamais une campagne présidentielle ne m'est apparue si émétique. 

Question de contexte me diras-tu! Sans doute. Mais, si l'on essaie juste de s'en tenir à une analyse juridique, tout laisse à penser que nous changeons insidieusement de système judiciaire en passant, sans même nous en rendre compte, d'une justice inquisitoire, enquêtant à charge et à décharge dans le secret de son cabinet d'instruction, à une procédure accusatoire, médiatisée et exclusivement à charge, sur le mode anglo-saxon. L'autorité judiciaire serait-elle en passe de s'ériger en véritable pouvoir judiciaire, à même, sans aucun contrôle ni contre-pouvoir d'aucune sorte, d'interférer dans le calendrier électoral ? Au risque, diront certains, d’un gouvernement des juges qui voudraient tout contrôler pour tout maîtriser ? J'ai appris, comme d'autres, que dans une République le souverain était le peuple et que dans notre démocratie représentative, l'expression de cette souveraineté passait d'abord par le suffrage universel. 

Des acteurs de la pièce médiatico-politique qui se joue aujourd'hui vont jusqu'à évoquer - tartufes! - la nécessité d'une "opération mains propres", à l'image du précédent que fut l'opération "mani pulite"1 en Italie. Comme souvent, comparaison n'est pas raison. Car, au fond, de quoi parle-t-on ? Je ne crois pas que la "révélation" des jobs d'été de deux gamines relève de la même logique qu'un système mafieux corrupteur et généralisé, encore moins que la République soit en danger. Calmons-nous et pensons à ces millions de nos concitoyens qui adhèrent, de plus en plus nombreux, aux thèses complotistes généreusement relayées sur les réseaux sociaux et abondamment nourries aux "affaires" du "tous pourris"; tu sais bien, ces pourris dont les photos s'affichaient comme autant de cibles à abattre sur un militant "mur des cons" de triste mémoire !

Si je ne crois pas, comme parfois peut l'écrire tel ou tel éditorialiste en mal de sensationnalisme, qu'on puisse qualifier l'actuelle situation politique de crise majeure, nous vivons cependant un grand moment d’écœurement collectif et, il est vrai que le risque existe que l'obstination dans la persévérance nous entraîne demain dans une perverse errance. 
A force de désacraliser la fonction, les prétendants n'apparaissent plus aux yeux des électeurs pour les héros qu'ils incarnaient hier. La bienveillance ne saurait excuser une indulgence sans limites... 
Là réside sans doute l'actuel danger d'une vertu érigée au rang de valeur suprême qu'elle ne trouve sa justification dans l'écho que lui renvoie une forme ultime chez certain de déni.

Prochaine étape de l'aspiration supposée à une transparence à tout prix : les révélations sur la vie privée. On n'y est pas encore mais on y vient. Crois m'en ! Rien ne manquera plus alors pour justifier la rupture tant désirée par toutes sortes d’extrémistes, pourtant peu exempts de petits tripatouillages et de grandes compromissions; une rupture dont la violence toute purificatrice, nourrie par les discours antiparlementaires, autoriserait, au nom de l’ordre et de la morale, même l'injustifiable. Nul ne pourra dire alors qu'il n'était pas prévenu. Beurk!


(1) Ensemble des enquêtes judiciaires réalisées au début des années 1990 en Italie et visant des personnalités du monde politique et économique qui mirent au jour un système généralisé de corruption et de financement illicite des partis politiques.



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