Quelques semaines après que le mur fut tombé, j'ai traversé
au volant d'une auto de location le trop fameux point de passage de Checkpoint
Charlie sur la Friedrichstraße de Berlin, pour aller rejoindre
l'autobahn que nous devions emprunter pour nous rendre en voiture en Pologne,
en passant le poste frontière séparant Francfort sur l'Oder de Swiecko. Avec
notre regard d'aujourd'hui, il est difficile de réaliser à quel point ce fut
pour moi un événement fort et émouvant. Point de transit obligé pour les véhicules
occidentaux, Checkpoint Charlie était, jusqu'à l'ouverture de la frontière
entre les deux Allemagne, réservé au passage des étrangers, des personnels
diplomatiques et aux échanges de prisonniers...
Au fur et à mesure des aller-retours qu’exigeait mon activité professionnelle d'alors vers ce qu'on appelait encore l'Europe de l'est, j'ai pris conscience du caractère très artificiel de la séparation érigée au rang de dogme entre les parties orientales et occidentales de l'Europe, entre les bons démocrates et les mauvais communistes, le bien et le mal. Au-delà d'une ambiance particulière qui me plongeait chaque fois quelques années, voir quelques décennies en arrière, de l'odeur si particulière du chauffage au charbon qui planait l'hiver sur des centre-villes aux façades sombres et mal éclairées, du manque due à certaines restrictions encore très palpables dans la vie quotidienne, de cette vision moyenâgeuse de charrettes tirée par un âne sur les larges et vides avenues de la capitale du pays des aigles, du goût d'un Raki imbuvable accompagné d'un improbable pain dont la farine avait été enrichie avec de la sciure, de vertigineuses gueules de bois les lendemains de marathons de négociations arrosés de carafons de Vodka polonaise, du festival Chopin où l'on pouvait à Varsovie entendre jouer toutes les futures stars mondiales du piano, de la tronche patibulaire de certains flics et douaniers qui vous regardaient encore avec le - mauvais - œil d'hier, au-delà de tout, il y avait des hommes et des femmes pour qui tout devenait alors possible et qui n'étaient pas - encore - blasés.
Prague, Budapest, Varsovie, Tirana... On ne parlait pas encore de "hub" aérien, mais j'étais, en ce début des années 90, devenu un habitué des aéroports de Francfort et de Vienne, points de départ naturels de la desserte des capitales du centre et de l'est du continent. Et puis, il y avait Londres et les rendez-vous réguliers dans les bureaux tout neufs de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et Washington où nous négociions avec les banquiers de l'IFC.
Après que nous ayons lié connaissance dans l'environnement lugubre et hostile de l'Albanie de cette époque, Massimo P..., élégant banquier, dirigeant d'entreprise et jet-setteur italien - vice-président de la BERD d'alors - envoyait sa Rolls et son chauffeur me chercher à Heathrow pour me garantir un confort très britannique lorsque je rejoignais nos réunions londoniennes et s'assurait toujours que nous puissions rentrer via Zurich, en classe affaires, sur Swissair, au départ de Rinas. Pas encore trentenaire, je négociais alors des affaires dont les financements complexes et multilatéraux se chiffraient en dizaines de millions de francs, sans très bien mesurer, je crois, ni les réels enjeux, ni peut-être même les risques...
Si nombre de dossiers prospectés se soldaient par un échec, j'ai cependant réussi à finaliser celui de la construction d'un grand hôtel à Varsovie dont j'ai non seulement supervisé le montage financier sur la base d'un crédit-acheteur offert par le Président Mitterrand à la nouvelle démocratie polonaise, mais aussi co-présidé la société dite des hôtels français de Varsovie qui portait l'investissement, un beau bâtiment moderne que j'ai eu le plaisir de voir sortir de terre et de livrer, après de très longs mois de travaux, à son exploitant. Aucun des membres de la hiérarchie parisienne de l'entreprise pour laquelle je travaillais ne pariait alors sur la moindre chance de voir aboutir ce projet et pourtant, fort sans doute d'une forme de désir d'être, à l'effet de prouver que je pouvais le faire, allié à une très improbable audace qui n'est pourtant guère mon penchant naturel, non seulement cet hôtel a vu le jour mais il est toujours présenté aujourd'hui dans les plaquettes qui font la promotion des séjours dans la capitale polonaise comme "le lieu idéal pour les voyageurs d'affaires et les touristes".
A la suite de quoi, considérant, avec un rien de présomption sans doute, que j'avais tout vu (sic!), que je n'avais plus grand chose à prouver dans un domaine auquel rien dans les études que j'avais suivies ne me préparait et dont j'ignorais à peu près tout, le désir d'être inutile a repris le dessus. Démissionnant de mes fonctions d'ingénieur commercial, j'ai quitté la société qui m'employait et, croyant renoncer pour toujours à une vie de voyages consacrée au développement du tourisme, j'ai - en tout cas, pour un temps - changé d'orientation.
A la suite de quoi, considérant, avec un rien de présomption sans doute, que j'avais tout vu (sic!), que je n'avais plus grand chose à prouver dans un domaine auquel rien dans les études que j'avais suivies ne me préparait et dont j'ignorais à peu près tout, le désir d'être inutile a repris le dessus. Démissionnant de mes fonctions d'ingénieur commercial, j'ai quitté la société qui m'employait et, croyant renoncer pour toujours à une vie de voyages consacrée au développement du tourisme, j'ai - en tout cas, pour un temps - changé d'orientation.
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