samedi 23 janvier 2021

Ça compte pas pour rien

Identité et mémoire. C’est dans notre mémoire que les morts vivent. Rien n’excuse l’oubli. Notre identité puise ses sources dans les Lumières et notre histoire, toute notre histoire, qui ont contribué à forger ce qu’on appelle parfois l’universalisme à la française. Notre vision de l'universalisme fondée sur une acception toute particulière du sécularisme, que nous nommons laïcité, est frappée aujourd'hui par une solitude terrible. L’humanisme oublié des Lumières ne fait plus école. La raison recule parfois devant l'absurde et les idéaux des Lumières suscitent même méfiance et doute. 

Rien n’est sans raison. Vraiment ? Objectent certains. Faut-il, doit-on, peut-on tout expliquer ? L'actualité  parait servir les causes les plus folles tant elle semble nous dire qu'une raison qui ne laisserait aucun espace au tragique, à l’inconnu, aux contingences peut être simplement dévastatrice ! Et on doit bien admettre qu'en cette année - de merde ! - 2020, le virus est venu nous rappeler que malgré notre prétention absolue, nous ne maîtrisions pas tout... Alors que croire ? 

Il ne s'agit pour autant pas de céder en tout à l'irrationnel, au risque que seul le faux se révèle. Dans un monde à la complexité tellement anxiogène, de plus en plus accessible mais de plus en plus indéchiffrable, nos grilles de compréhension et d'"interprétation raisonnable" sont confrontées chaque jour à un besoin d'intelligible qui laisse paradoxalement place aux discours les plus fous, aux impostures érigées en "vérités alternatives", aux théories complotistes encourageant la haine de l'autre et le retour des conflits et des déchirures, comme est tragiquement venu l'illustrer la fin de la campagne présidentielle américaine. C'est contre la connerie qu'il faudrait, d'urgence, vacciner nombre de nos contemporains.

Mieux qu'un vaccin, plus qu'une immunité, comme le dit si joliment l'une de mes amies, nous ne serons réellement sauvés que lorsque nous aurons enfin atteint une forme d'humanité collective ! Ça compte pas pour rien.

jeudi 7 janvier 2021

Non, rien...

Lundi 4 janvier 2021 - curieux comme le fait de changer ne serait-ce qu'une unité peut vite donner l'illusion que les choses vont tout de suite aller mieux... - nous avons bien ri, devant notre écran magique, en visionnant sur Netflix (je sais, je sais...) le bilan des douze derniers mois vu par les créateurs britanniques de la série Black Mirror : "Death to 2020" ! Un bilan décalé et irrésistible, que m'avait signalé un mien ami, d'une année terrible qui aura vu s'enchaîner les épisodes, tous plus anxiogènes les uns que les autres, d'une série catastrophe à laquelle personne ne pouvait s'attendre. Même s'il est  vrai que, pris sous un nouvel angle, une tournure plus parodique, les évènements paraissent tout de suite moins insupportables. Cette création tragi-comique vient heureusement nous rappeler également que l'année a été marquée par quelques bonnes nouvelles, dont la défaite de Donald Trump à la Présidentielle américaine n'aura surement pas été la moins savoureuse pour un certain nombre d'entre nous.

Images extraites de "Death to 2020"

Et puis, mercredi 6 janvier... Alors là, malheureusement, nous n'étions plus du tout dans la fiction et il est difficile de croire que, sur le même écran, puissent défiler en boucle les images, bien réelles cette fois, diffusées dans le monde entier, d'un tel déchaînement de violence et de haine, nourri de rancœurs, de frustrations et de délires complotistes et gavé à l'hormone de croissance des fake news de la réalité alternative présidentielle. 

Tout est là pour nous rappeler que le changement d'année tant attendu n'aura été qu'illusion et que ce putain de 21ème siècle a bel et bien commencé le 11 septembre 2001. Ce siècle est dramatique en tous points et chaque jour l’histoire et son cortège de catastrophes le rappellent davantage à notre mémoire. Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 60, vivent aujourd’hui sans doute la période historique la plus tragique de leur vie. Temps d'incertitudes généralisées et de pandémie mondiale, terrorisme et montée des intégrismes, menaces sur le modèle démocratique, bipolarisation exacerbée où chacun s’oppose désormais à l’autre, sans plus jamais prêter la moindre attention à un point de vue différent du sien, en étant certain de son droit et de sa raison, et prêt à les défendre, y compris jusqu’à l’absurde, au ridicule. Un ridicule qui tue ! Absence de recul, de réflexivité, de prise de hauteur et approche trop souvent binaire d'une réalité plus complexe qu'il n'y paraît parfois. Tous les ingrédients du scénario le plus sombre sont réunis. 

En voyant hier soir les émeutiers envahir le Capitole et s’en prendre à l’un des principaux symboles de la démocratie américaine, je n’ai pu m’empêcher de penser au choc que j’avais ressenti ce jour de décembre 2018 où une stèle représentant Marianne, et donc la République, avait été brisée à coups de marteaux à l’intérieur de l’Arc de triomphe. Ce jour-là, la haine aurait pu tout emporter sur son passage , et avec elle notre Démocratie, puisqu’on sait désormais que la question du recours au feu, c’est à dire au tir à balles réelles, s’est posée pour la hiérarchie policière, tant la violence à laquelle devait faire face les forces de l’ordre place de l’Etoile était inédite et extrême. Sans vouloir faire un parallèle osé, j'y perçois les mêmes germes de la haine de l'autre, d’une  manière de violence nihiliste et du rejet absolu de toute forme de pensée libre et exprimée dans un cadre démocratique.

Pour en revenir aux Etats-Unis : Comment imaginer que le Président élu d'un des plus grands états de la planète puisse encourager la croyance en une réalité parallèle portée par des miliciens suprémacistes arborant ostensiblement des signes nazis, alliés à des dingues qui professent l'existence d'un vaste complot pédophile mondialisé, ou qui croient à la réalité d’un pouvoir reptilien caché ou d’Illuminati dominant le monde et qui instrumentaliseraient le terrorisme et joueraient de la santé de l'humanité pour mieux imposer leur règne dans l’ombre sur une terre plate ? Au secours !

Le symbolisme c’est du réel. Briser les icônes, s’en prendre aux images, aux symboles, c’est attaquer les fondements de la démocratie même ! Le débat dont j'ai ici exalté les vertus semble avoir vécu. Nos contemporains ne se parlent plus que pour s'invectiver. Ils vivent désormais dans des mondes totalement différents et parallèles. Le relativisme s’est généralisé et vérité de l’un n’est plus du tout vérité de l’autre. Comment pourra-t-on réconcilier des visions de plus en plus antagonistes et dont les seuls points de rencontre semblent désormais se résumer au monde virtuel des réseaux sociaux et, demain, à une réalité devenue le théâtre absurde et tragique d’un affrontement mortel et définitif ? 

Comment auraient été traités les événements d'hier par les scénaristes de "Death to 2020" s'ils étaient intervenus quelques jours plus tôt, l'an passé ? Sans-doute par une forme subtile de dérision comique. Ils nous auraient alors rappelé qu'il est salutaire de vouloir rire de tout. Peut-être ? Autrefois, c'était au siècle dernier, il  n'y a pas si longtemps, le rire mettait tout le monde d'accord. Désormais, la censure progresse et une nouvelle forme d'ordre moral voudrait imposer son idéal déviant et mortifère à ceux qui veulent encore simplement vivre.

Nous sommes le 7 janvier aujourd'hui. Il y a cinq ans, deux dingues fanatisés faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et semaient la mort parmi la rédaction. Ces deux-là ne supportaient plus qu'on puisse penser, vivre et aimer rire !

L'un des enseignements majeurs de notre époque apagogique et déglinguée c'est que certains voudraient nous imposer de ne plus pouvoir rire de tout, de ne plus rire du tout, pour mieux nous contraindre à croire les plus délirantes folies, les idéologies les plus mortifères, les plus ineptes conneries, pour nous soumettre à leurs vérités, même au prix du sang et de la vie. Ce que je retiens de ces trois jours c'est qu'il faut se dépêcher de rire, de rien, de tout, tant que nous le pouvons encore, mais qu'on ne peut certainement déjà plus le faire avec tout le monde.

Quoi ? Non, rien...