mardi 23 mai 2023

Faire du sens avec du flou

Parce que l'une de ses ambitions, cher lecteur, est de donner à réfléchir, ce blog est, à l'image du misérabilisme français, performatif. En t'invitant à lire, ce blog réalise en effet ce qu'il énonce et démontre, de facto, la distinction en partie illusoire entre parole et action. La dimension performative de la parole et de sa transcription à l'écrit, c'est, au-delà de la représentation, sa capacité à agir sur le réel. Tu as pu, de toi même, vérifier que les assertions que contiennent ces pages ne sont bien souvent ni vraies ni fausses. Elles ne peuvent être évaluées que selon un résultat qu'elles induisent car, la plupart du temps, elles accomplissent l’action à laquelle elles font référence. 

En gros : Dire c'est faire, et c'est plus souvent qu'à son tour, l'une des caractéristiques de ce blog. C'est parfois même essayer de faire du sens avec du flou, même si cela peut, au premier abord, sembler paradoxal, tant le flou est souvent associé à une absence de clarté ou de précision. Cependant, parfois même au risque de l'aporie, il m'arrive souvent de recourir au flou de manière intentionnelle, tant pour susciter un regain d'intérêt que pour ajouter une dimension poétique, mystérieuse, symbolique ou onirique à mes petits textes, en laissant une grande part d'interprétation au lecteur. La quête de sens et l'interprétation varient d'un lecteur à l'autre. Ce qui peut être profondément significatif pour une personne peut ne pas l'être pour une autre. Certains peuvent même trouver du sens dans l'acceptation du flou ou de l'absence de sens.

La question du sens est éminemment subjective. Notre cerveau compose en permanence avec la réalité et goûte particulièrement les validations subjectives. Pour faire simple, nous passons notre temps à essayer de valider subjectivement ce en quoi nous croyons. La croyance devient alors à nos yeux vérité.

Recourir au prisme du flou permet d'aborder différemment notre perception de la réalité ou la nature même de la connaissance que nous en avons. Toute réalité que nous croyons vraie est reconstruite à partir de nos souvenirs et des associations que nous passons inconsciemment notre temps à faire. Contrairement au savoir, que l'on peut résumer au fait de posséder des aptitudes ou des informations acquises par l'étude et l'expérience, la connaissance est beaucoup plus complexe que ce que nous avons tendance à croire et il est souvent nécessaire de prendre le temps d'interpréter pour comprendre, malgré le flou qui peut entourer telle ou telle situation.

La connaissance implique généralement une compréhension approfondie et une intégration des informations dans un contexte plus large. Ce n'est pas seulement le fait de recueillir des observations, mais aussi de les assimiler, de les analyser, de les évaluer et de les relier à d'autres concepts et idées. La connaissance nécessite une réflexion critique et une capacité à esquisser des hypothèses et tirer des conclusions à partir des informations dont nous disposons. Explorer les zones les plus floues permet alors de donner une signification différente aux choses et d'aborder une autre dimension de compréhension, une autre approche de la réalité qui va au-delà de la simple possession d'informations mais permet de les contextualiser et de stimuler une réflexion critique, pour essayer de mieux comprendre le monde qui nous entoure, même dans un environnement flou et instable. Si le savoir est avant tout accumulation d'information, la connaissance, elle, entraîne une transformation.

Et parce qu'on m'a récemment posé la question, oui, ce blog, sans fournir de résolutions faciles ni souvent de réponses claires aux questions qu'il soulève, se veut performatif et aporétique à la fois, tant il me plaît de penser que cette combinaison peut non seulement engager le lecteur de manière active, mais aussi le pousser à réfléchir et à explorer les idées au-delà des contradictions ou de dilemmes apparemment insolubles. Faire du sens avec du flou...

jeudi 4 mai 2023

Un peu de tout, beaucoup de rien

Ordo Ab Chao ?

L’effet papillon est une métaphore qui fut formulée pour la première fois par le météorologue Edward Lorenz et qui peut être résumée par la question suivante : " Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ". L'effet papillon est matérialisé par une chaîne d'événements, sans lien apparent, qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant. 

Et s’il en était de même pour nos vies et, au-delà, pour l’humanité elle-même. Chaque instant porte inscrit en lui sa mortelle part d’incertitude. Comme l’a, avec tant de justesse, énoncé Paul Ricoeur : " Toute mort, même la plus attendue, intervient dans la vie comme une interruption ". Heureusement, les actes de chaque être humain entraînent une chaîne de conséquences imprévisibles qui traversent les siècles et les civilisations, bien au-delà de leur propre disparition.

Chacun de nos actes nourrit le flux que certains appellent le cours du monde. En prendre conscience c’est lutter contre l’illusion de la continuité et accepter la finitude de notre existence terrestre, tout en réalisant que tout n’est que mouvement et que chacun de nos gestes, la moindre de nos actions, contribuent à l’édification du monde sensible. Nous vivons au cœur d’un univers vibratoire, d’une énergie sans cesse mouvante qui se transforme en une multitude de faits et d’actions non nécessairement liés les uns aux autres et qui portent en eux-mêmes leur propre signification.

La vie n’est qu’une construction chaotique et nous n’avons de cesse d’essayer de donner l’apparence de l’ordre à un tumulte fait d’un peu de tout et beaucoup de rien. Un chaos que, parce que nous sommes perpétuellement en quête de sens, nous essayons pourtant d’ordonner tant, plus encore que le vide, la possibilité même du néant, la matière qui se dérobe, le non-sens et l’absence de logique sont pour nous, dans la relation intime que chacun entretient au monde, la source continue d’une angoisse métaphysique que seule la mort vient pénétrer. Citons une fois encore Paul Ricoeur : " La vie, du moins au stade humain, est un paquet de tendances dont les visées ne sont ni claires ni concordantes ; il faut une situation de catastrophe pour que, soudain, sous la menace de l’indéterminé absolu — ma mort —, ma vie se détermine comme le tout de ce qui est menacé ".

La vie : Un peu de tout et beaucoup de rien...