samedi 28 septembre 2013

Mieux vaut rire de tout que pleurer pour rien

 
Pour le regretté Pierre Desproges, on pouvait rire de tout, mais pas avec tout le monde.

Je te le demande, ami lecteur : ne vaut-il finalement pas mieux rire de tout avec tout le monde que pleurer pour rien seul dans son coin?

La question, au-delà d'une formule, mérite d'être posée. On peut aussi pleurer de rire, mais c'est une toute autre histoire...

A propos de rire de tout, il me revient en mémoire un fait-divers terrible dont je fus le témoin direct au mitan des années 2000, celui qui impliqua Bérenger Brouns, le traiteur assassin du marché Saint Martin...

Bérenger - un blase pareil, ça ne s'invente pas - tenait son étal au marché couvert, rue du Château d'eau, dans le Xème arrondissement de Paris. A cette époque, j'habitais à quelques encablures , à l'angle de la rue Taylor, et j'avais au marché l'habitude de faire régulièrement mes courses de bouche. En 2005, ce garçon au physique un peu rond, au passé d'ancien marin, a, dans son arrière-boutique, découpé en morceaux son employée, le fils de celle-ci et son petit chien. L'histoire est évidemment affreuse et tragique, mais les circonstances n'ont cessé, par leur caractère grand-guignolesque, d'une certaine façon de m'étonner, et sa narration a parfois suscité chez certains de mes auditeurs un sourire incrédule et parfois amusé.

Tout le quartier s'était longuement apitoyé sur la tristesse de cet homme qui, en cette fin d'hiver, justifiait auprès de tous ses clients sa mine triste et fatiguée par le fait qu'un jour elle s'en était allée sans laisser d'adresse... On sentait bien pourtant, à son récit, qu'il ne pleurait pas seulement l'employée partie.

En effet, Christelle - c'était le prénom de cette jeune femme de 26 ans qui, depuis un an, travaillait à ses côtés - l'avait rendu, lui le père de famille marié depuis 20 ans, complètement dingue d'amour.

Je n'ai rien vu, rien compris, rien su... et il m'est arrivé même de partager un café avec ce charcutier affable et apprécié des autres commerçants que je trouvais fort déprimé et touchant depuis le très soudain et inexpliqué départ de sa vendeuse...

Au bout de quatre mois d'enquête, placé en garde à vue, Bérenger a craqué. Il faut dire que les condés avaient, paraît-il, trouvé dans la cave d'affinage de sa fromagère de femme un sac plastique contenant des effets féminins; surtout, un reporter de Détective avait relevé des traces de sang suspectes, totalement passées inaperçues aux yeux des enquêteurs, sur le chambranle d'une porte du petit logement qu'il louait pour Christelle à proximité du marché. Il a expliqué qu'au cours d'une dispute intervenue un dimanche de février, elle l'avait giflé. Alors, de rage sans doute, il l'a étranglée. Puis il a tué Lucas, le fils, et étouffé le chien. Il a ensuite transporté les corps dans son arrière boutique, les a méticuleusement découpés dans son atelier de charcutier et s'en est débarrassé en les dispersant dans les poubelles du quartier.


Pierre Desproges,
alors procureur du Tribunal des flagrants délires
Son avocat a eu beau plaider le crime passionnel, Bérenger a été condamné en 2007 à trente ans de prison. J'imagine l'exploitation qu'un Desproges aurait pu faire d'un pareil fait-divers au tribunal des flagrants délires. Nul doute qu'il aurait su nous en faire rire, avec une de ses formules bien à lui : "...le meurtrier était un ami de la famille. On frémit à l'idée que ç'aurait pu être un ennemi de la famille".

Aucune trace ne fut jamais trouvée du reste des corps suppliciés. J'ai pour ma part toujours cru (ou cuit, peu importe...) qu'il les avait passés à la moulinette; et comme il faisait des lasagnes à la viande délicieuses qu'il livrait régulièrement à la rédaction d'un célèbre hebdomadaire pour bobo dont les bureaux étaient situés rue René Boulanger, je te laisse imaginer ce que parfois même il m'est arrivé de penser... Sans rire.

jeudi 5 septembre 2013

Protégé de rien...

Du 27 décembre 1974 au 1er janvier 1975, se déroula le quinzième Congrès International des Pueri Cantores (*) à Rome. C'était sous le Pontificat de Paul VI; le vent réformateur du concile Vatican II soufflait encore sur l’Église catholique. Ce rassemblement de manécanteries venues du monde entier avait une saveur toute particulière puisque son organisation coïncidait avec les célébrations de l'ouverture de l'Année sainte. C'était une époque où mes doutes étaient encore vaguement tempérés par ce qui subsistait encore de ma foi d'enfant et où, avec la Maîtrise de Sainte Marie d'Antony dont j'étais au rang des Alti, nous avions pris le train pour un long voyage de 21 heures (si, si, cher lecteur; c'était bien avant les records de vitesse du TGV...!) nous menant de la ville lumière à la ville aux sept collines. Nous n'y allions pas nous, comme Max Lambert et Pierre Bizet, dit "le séminariste", pour y récupérer le magot d'un demi-milliard en or, enterré près d'une petite chapelle des environs de Rome...

Les petits chanteurs de Sainte Marie, à Rome, 1974

Mais je m'égare. L'Année sainte ne saurait en effet se résumer à un film de Jean Girault, fut-il excellent... Elle est d'abord, pour les Catholiques, une année durant laquelle  l'indulgence plénière, c'est à dire une rémission pleine et entière de toutes les peines dues en raison des péchés est traditionnellement accordée à certaines conditions, aux rangs desquelles figure le pèlerinage de Rome. Sans le savoir, en allant au Vatican pour y recevoir la bénédiction du Pape, pour qui nous avons chanté dans la chapelle Sixtine et la Basilique Saint Pierre, j'ai bénéficié de cette immense faveur. Si cette année-là, sans même m'en rendre compte, j'ai été sauvé de tout, je dois à la vérité de reconnaître que je n'ai malheureusement été protégé de rien...

Au risque de choquer mes amis croyants, ce séjour à Rome reste, dans ma mémoire, surtout évocateur de souvenirs en grande part profanes dont le rapport au prétexte religieux de ce beau voyage n'est - au mieux - que très lointain. A l'instar du réveillon du nouvel an et des meubles et vieux objets qui, symboles de l'année terminée,  s'envolaient dans un ballet fascinant par les fenêtres des immeubles romains en ce soir de la "Capodanno". On encore du goût unique de ces premières pâtes "al dente" que des bonnes sœurs à Cornette nous servaient comme le veut la tradition culinaire italienne, en primi piatti, à chaque repas au réfectoire du couvent où nous logions... Des cyprès se détachant sur le bleu du ciel ensoleillé et si lumineux de l'hiver du Latium ...

D'un moment d'éternité lorsque nous avons chanté, sous le plafond peint par Michelangelo, dans la chapelle Sixtine... Du tube au titre imprononçable d'Adriano Celentano - "Prisencolinensinaiciusol" - qu'on entendait alors en boucle sur les radios italiennes... De Saint Louis des français, aussi, et d'une messe chantée par l'ensemble des chorales françaises en l'honneur du Président de la République, protecteur de cette basilique romaine (Ô tempora...)... Assise, enfin, et une rencontre fraternelle avec de vieux Franciscains pour qui le vœu de pauvreté ne m'a pas semblé pas être un vain mot...

De tous ces petits riens qui font des souvenirs et que je garde précieusement en mémoire, de tous ces petits riens qui m'ont durablement donné le goût et l'amour de l'Italie. Quelques mois plus tard j'assistais à mon premier concert Rock. La bénédiction papale n'aura pas suffi à me tenir longtemps éloigné de cette musique du diable. Heureusement, je n'ai été protégé de rien...

(*)  La Fédération Internationale des Pueri Cantores est une Association internationale de Droit Pontifical réunissant les fédérations nationales de manécanteries.