lundi 25 septembre 2017

Rien d'autre qu'illusion...

Passant ce matin devant un abribus, j'ai relevé que chacune des 9 personnes - hommes, femmes, jeunes et vieux - qui y étaient présentes avait le visage penché sur l'écran de son téléphone. Neuf têtes baissées comme en signe de soumission à la machine, neuf taches lumineuses formées de leurs figures éclairées par le halo pâle des écrans Led. Vision déprimante d'une société trans-humaine et connectée attendant son autobus dans le petit matin.

Dans son besoin frénétique d'hyperactivité, l'homme urbain post-moderne ne peut plus accepter la simple hypothèse de ne rien faire. Ou plus exactement, d'avoir simplement le temps de laisser son esprit vagabonder au gré de ses pensées et de son imagination, sans support, sans béquille numérique; pour échapper au monde sensible et accéder au règne de l'idée. 

Par peur sans doute de la solitude ou pour, à l'inverse, s'y réfugier, par crainte de manquer quelque chose (oui mais quoi?), du temps perdu (pour qui?), par souci d'imitation aussi ou par simple - et mauvaise - habitude, dès que nous le pouvons - et moi le premier - nous plongeons dans un univers digital dont le support est un miroir où nous nous oublions.

Introduisant un voile supplémentaire, l'image pixelisée dont nous ne pouvons plus nous passer, loin d'ouvrir ou d'élargir notre regard, fait pourtant écran à notre vision du monde. Pour reprendre mon exemple du matin, aucun des personnages aperçu ne regardait autour de lui, aucun n'avait la perception directe des autres ou des choses qui l'entouraient. Qu'il est loin le temps où l'on savait prendre son temps à le perdre, à surtout ne rien faire. Si, si ! Rien ! Car rien, ça peut être bien...

En disant cela, je ne m'exonère pourtant pas, tant il est vrai que le décompte du temps passé sur les écrans qui jalonnent mon quotidien suffirait à lui seul à comprendre que je suis certainement affecté du même mal. Mais après tout - paradoxe des paradoxes - c'est aussi par la voie digitale que j'ai choisi de m'exprimer et de t'acheminer, cher lecteur, ces quelques lignes; d'écrire, même au risque de donner l'impression parfois de parler pour ne rien dire; prouvant s'il en était besoin que ce monde numérique n'est finalement pas si différent de celui qui nous entoure. Depuis Platon et sa caverne, chacun sait en effet que la vie n'est rien d'autre qu'illusion.

Seule l'interrogation permanente, le doute et une manière de scepticisme questionnant me permettent de m'exonérer du monde sensible pour essayer d'accéder à une autre forme de réalité; même si elle est parfois dérangeante, même si le prix à payer est de bousculer le confort illusoire des habitudes. La connaissance du monde intelligible est à ce prix. Seul le travail sur soi permet de changer radicalement notre perception des choses et des êtres en convertissant notre regard pour nous libérer des voiles de l'illusion, percevoir le monde tel qu'il est, comprendre qu'il n'est de réalité que dans le domaine des idées et, partant, renouer avec l'espérance.

Une raison supplémentaire de se revendiquer d'un pessimisme de raison, tempéré d'un optimisme par passion.