vendredi 13 février 2015

Rien d'autre que l'aventure...

(C) France 2 - On n'est pas couché - 7/02/15
Plateau d'ONPC, l'émission télévisée hebdomadaire de M. Ruquier avec pour invité Sylvain Tesson.

L'écrivain voyageur - une catégorie que j'affectionne tout particulièrement - vient y présenter son dernier ouvrage, Berezina. Une invitation à un long et froid périple en side-car, ou comme il le dit avec une certaine poésie, à "motocyclette à panier adjacent" avec, pour passager, Napoléon Bonaparte. Je me souviens, en le regardant, de nos discussions entre amis amateurs de sa plume à la lecture de la dépêche AFP relatant l'accident dont il avait été la victime l'été dernier et de notre inquiétude. Terrible chute en escaladant un chalet, multiples fractures, coma…

Il est là, face aux journalistes, avec sa gueule cassée, son "visage froissé" qui m'évoque en filigranes le souvenir de Maurice Ronet dans le rôle titre du Feu follet, ce film si noir adapté par Louis Malle de l'œuvre de Drieu, et cet air, comme il se décrit lui-même, de "lieutenant prussien de 1870"1 que lui donne la paralysie faciale qui l'affecte, terrible et immuable conséquence de son accident.

Tout au long de l’émission, les deux « chroniqueurs » attitrés ont voulu instruire, à charge, un procès en « réaction ». A aucun moment Tesson n’a cédé un pouce de terrain. Il a défendu sa position, tout comme celle de son père et, en les replaçant dans le lourd contexte émotionnel qui a suivi les attentats de janvier, ses propos sur les Islamistes qui lui sont aujourd’hui reprochés et lui valent une enquête du parquet de Paris pour «provocation à la haine». Récusant le terme même de « dérapage », Sylvain Tesson s’interrogeait de savoir s’il existerait un service de la voirie morale qui tracerait les routes de la bien-pensance ? Alors, beaucoup de bruit pour pas grand chose ? Des propos polémiques dans la bouche d'un journaliste qui s'est toujours lui-même défini comme polémiste, quel scandale! Philippe Tesson ne serait-il pas, au fond, le bouc-émissaire idéal d'une période dominée, comme le dit Finkielkraut, par les démons de l'universalisme et des grandes communions populaires, lui dont le caractère libertaire et le peu de goût pour les extrémités religieuses lui valurent, alors qu’il dirigeait le Quotidien de Paris, d'être pourtant frappé d'excommunication par un tribunal ecclésiastique !

J’ai reconnu en Sylvain Tesson, sans la ringardise ni la bêtise d'un quelconque poujadisme néo-conservateur d'anti modernité que j'apprécie tant chez d'autres, le même désir que Philippe Murray ou Denis Tillinac. Il l'accompagne d'un art consommé de l'esquive, de l'évitement. Cet "escapisme" que je tiens, cher lecteur, pour une grande qualité et qui fut le cœur de la stratégie russe tout au long de la funeste retraite de la grande Armée qui sert de fil conducteur au voyage littéraire auquel il nous convie dans la steppe glacée et les forêts de bouleaux enneigées.

Foin de nostalgie pourtant chez Tesson quand il évoque les horreurs de la guerre mais parce qu'il parle d'Empire, d'honneur et de courage, parce que son écriture transpire sa passion pour la Russie, parce qu'il aime la neige, la vodka et les grands espaces des bords du lac Baïkal, on voudrait lui faire, à tout prix, trouver des excuses à Poutine. Il indique avec justesse qu'il n'est pas possible de juger son action à l'aulne de nos grilles de lecture eurocentristes. On lui rétorque "fascination pour les figures autoritaires", il récuse tout goût pour le césarisme, mais refuse de considérer les affaires d'un pays qui s'étend sur 9 000 kilomètres d'Est en Ouest et couvre neuf fuseaux horaires en les comparant à celles du Luxembourg ou du Liechtenstein...

Je ne connais pas Sylvain Tesson, mais la montagne, Chamonix, Saint Nicolas de Véroce sont autant de lieux qui nous rapprochent, tout comme le goût pour la marche, loin des hommes.

Alors oui, s'il faut fuir les hommes pour ne pas les haïr, il faut savoir partir pour ne pas sombrer dans la misanthropie. Personnellement, je préfèrerai toujours, avec lui, les exploits sur les traces d'un évadé du Goulag, même enjolivés, même un peu fantasmés - surtout fantasmés! - d'un Slawomir Rawicz sur les routes de la liberté2, le "splendide désenchantement" d'un hussard insoumis à tous ceux de mes contemporains qui, parce qu'ils pensent pouvoir tout embrasser du monde par le truchement de l'écran de leur ordinateur, ont cessé d'avoir le goût de lire ou simplement de marcher et "s'enterrent chez eux sans envoyer de faire-part"3. Même sans but, surtout sans raison, sans rien rechercher d'autre que l'aventure, je choisis le marcheur car, comme le dit si bien Tesson, "quelle que soit la direction prise, marcher conduit à l'essentiel"4 .


1.  Interview de Sylvain Tesson publiée dans le Dauphiné du 11/11/2014
2. Slawomir Rawicz - A marche forcée
3.  Petit traité sur l'immensité du monde (2005) 
4.  Aphorismes dans les herbes et autres propos de la nuit (2011)