vendredi 8 octobre 2010

L'âge n'y fait rien


Je me souviens qu'enfant je calculais qu'en l'an 2000 j'aurais 38 ans et je trouvais ça vieux. Aujourd'hui, j'en ai dix de plus, et je me sens pourtant encore jeune. Tout est relatif ...

Le 4 janvier 1995, j'avais 33 ans. Nous n'étions pas très nombreux en ce mercredi matin d'hiver à pénétrer dans les locaux vides et froids du numéro 80 de l'avenue d'Iéna. Pas encore branché, le téléphone ne fonctionnait pas et sur le plateau du  3ème étage où nous nous sommes installés dans un grand bureau aux volumes haussmaniens,  André, Jean-Christophe et moi, nous n'avions guère de voisin. A l'exception notable de notre cher Daniel - connu à la Fac sous le surnom de  "m'sieur Milou" -  l'ordonnateur en chef des déplacements du "Grand". Lui était déjà là,  à la manœuvre, prenant des options sur les salles, mobilisant les fédérations amies, louant des autocars, prévoyant les voyages et les transferts du candidat, ses hébergements, la logistique... Il anticipait  même sur la réservation des lieux pour les meetings de l'entre-deux tours. Pourtant les gazettes qui faisaient l'opinion n'en  donnaient pas cher alors de la peau de notre candidat. Certains allaient même jusqu'à prédire une élection dès le premier tour d'Édouard Balladur, c'est dire ! Nous, contre les sondages et les mauvais augures de tout poil, on avait décidé d'y croire à "la France pour tous" portée par Chirac.

Tous les soirs, sur le poste de télévision du bureau, nous regardions sur Canal + les Guignols de l'info en éclusant des Ti'Punchs. Cet apéro improvisé grâce à la bienveillante attention de quelques amis békés qui depuis la Caraïbe nous approvisionnaient généreusement en Rhum, ce moment de détente quotidien que nous offrait Gaccio et Delépine, devinrent le rendez-vous couru des grognards de la Chiraquie, tous amateurs de Rhum des Antilles. On croisait alors, verre en main, Jean-Louis Debré, Jacques Toubon, Roger Romani ou encore Henri Cuq. Avec Henri, au prétexte d'un voyage d'étude du groupe de l'Assemblée, nous avions même devancé l'appel et, à notre manière, anticipé de quelques semaines le début de la campagne à l'occasion d'un  déplacement éclair sur l'île de Mayotte fin 1994 à l'invitation de notre ami Mansour Kamardine. C'était quelques jours avant le voyage officiel que devait effectué le 24 novembre le premier ministre sur cette île française de l'archipel des Comores. Nous avions chargé nos bagages de quelques affiches et de  vieux T-shirts datant de la campagne de 88 récupérés dans les caves de la rue de Lille. Lorsque Edouard Balladur débarqua à l'aéroport de Dzaoudzi, il fut accueilli au cri de "Chirac président" par des femmes mahoraises arborant fièrement sur leur torse la photo de son rival! Le Préfet et le Ministre de l'outre-mer d'alors se souviennent encore sans doute de la colère froide qui s'en suivit.... Nous  n'avions passé que quelques heures sur l'île, j'en ai rapporté le souvenir amusé d'une blague de potaches et le Paludisme. Bien des années après nous en riions encore avec Henri. Il est mort l'an passé, emporté par la fumée de ses éternels cigarillos....

Souvent, dans notre bureau d'Iéna, nous partagions de vrais fou-rires en voyant apparaître à l'écran l'image de la marionnette de notre candidat. Hérissée de couteaux plantés dans le dos. Elle encourageait les français à "manger des pommes".
Et du coup, nous voulions, nous, que chacun puisse en manger des pommes, façon de lutter à notre manière contre la fracture sociale et de bâtir cette "France pour tous" que nous appelions de nos vœux.

Alors on y croyait. On savait qu'on partait de loin, de très loin même, mais on y croyait. Nombreux pourtant étaient ceux qui n'auraient pas misé sur celui que d'aucuns décrivaient alors comme un "has-been". Ils n'imaginaient sans doute pas que cet outsider, ce "cheval de retour" serait non seulement élu, mais même réélu pour un second mandat. Aujourd'hui l'immeuble de l'avenue d'Iéna héberge France Galop, le syndicat des entraîneurs de chevaux. Curieux clin d'œil de l'histoire...

Je me souviens avec émotion du  premier meeting de campagne. C'était au Dôme, à Marseille. Mon ami Jean était venu me chercher à Marignane avec la R25 qu'il avait conservée de son passage place Beauvau. Autant pour m'impressionner je crois que pour passer sans encombre les embouteillages qui comme souvent  ralentissaient l'entrée dans la ville, il avait fait tout le trajet en laissant branchés la sirène deux-tons et le gyrophare. Mon avion était en retard, je suis quand même arrivé avant le cortège du candidat . Et puis, tout soudain, en pénétrant dans cette salle, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Sept mille personnes réunies pour l'occasion, dont un grand nombre de jeunes qui hurlaient à plein poumons d'enthousiastes "Chirac président"! Je suis sorti et j'ai immédiatement téléphoné à Patrick Stefanini, le directeur de campagne resté à Paris, pour  le lui dire. Je me souviens encore du silence au bout du fil qui trahissait son incrédulité. Pourtant ce jour-là, l'affluence, confirmée par les médias, le grand nombre de jeunes présents, marquèrent, j'en suis sur, un tournant dans la campagne.
Plus tard, au bar de l'hôtel Sofitel nous bûmes un verre, avec Renaud, Claude, Daniel et quelques fidèles militants marseillais. Ils nous soutinrent - était ce l'effet de la proximité du vieux port ? - qu'aucun meeting politique n'avait plus depuis longtemps réuni autant de monde dans la cité phocéenne. Nous nous prenions alors à rêver. Je rêve toujours, l'âge n'y fait rien, d'une France pour tous...