mardi 23 novembre 2010

Ça tient parfois à trois fois rien...


La scène se passe en 1970, dans la cour de récréation de l'école Saint Jean Eudes, établissement d'enseignement qui accueillait alors les classes élémentaires de garçons de l'Institution Sainte Marie, rue Auguste Mounié à Antony. Un groupe d'élèves est réuni autour de celui qui raconte ses aventures en forêt de Fontainebleau. Fait prisonnier par une troupe de sauvages amazones aux seins nus alors qu'il se promenait le weekend précédent dans les gorges de Franchard avec ses parents, il nous raconte comment la cheftaine de la tribu a fait de lui pendant quelques temps le jouet de sa fantaisie. Comment ses "grandes" d'une quinzaine d'années ont abusé de sa faiblesse en lui roulant des palots baveux, et, entre deux parties de billes nous l'écoutons, en l'enviant, nous conter ses aventures et ce qui constitue à nos yeux de véritables exploits. Le souvenir précis et minutieux de sa capture, celui des tortures indiennes qu'il a subies sans broncher, comment il s'en est sorti, en séduisant la plus belle des guerrières et en jurant de ne jamais révéler le chemin de leur secret repaire donnent le prétexte à d'épiques récits. Autant d'épisodes qui, durant une semaine, vont nourrir nos rêves et animer la récré... Sans doute avait il croisé une troupe de jeannettes pendant la ballade dominicale et familiale... Ah que la vie est belle en ce début des années 70 !

Nous sommes au printemps. Mon voisin, un "hippie" plus âgé que nous, habillé de soieries indiennes, chaussé de Pataugas, et déjà grand fumeur de shilom, m'a offert trois disques pour mon huitième anniversaire ...  

Sweet Smoke - Just a poke

Abbey Road - The Beatles

Abbey Road, dernier album enregistré en studio par les Beatles, Sweet Smoke de Just a poke - un album composé de deux uniques plages de plus de 15 minutes chacune, à la  musique au moins aussi psychédélique et colorée que l'était la pochette de ce groupe américain exilé en Europe ... - et Atom heart mother du Pink Floyd, album de rock progressif déjà marqué par la créativité sonore d'un ingénieur du son nommé Alan Parsons dont le talent génial allait définitivement éclaté trois ans plus tard avec le soin si particulier qu'il allait porter à la production de "The dark side of the moon". Je suis encore très reconnaissant aujourd'hui à ce voisin que je n'ai plus revu depuis qu'il a  décidé un matin de quitter les trottoirs de l'avenue Aristide Briand pour les plages de Goa et  les cimes de Katmandou. Je le remercie de son goût très sur. Il a tôt contribué à m'ouvrir tout grand les oreilles. 
Atom Heart Mother - Pink Floyd
Ces trois 33 tours vont pendant longtemps tourner en boucle sur mon phono. Avec la Soul de Solomon Burke et son Everybody needs somebody to love, un disque de la série "Formidable Rythm'n Blues" du label Atlantic qui appartenait à mon père et que j'ai lui aussi beaucoup écouté, ils constitueront l'amorce de ma collection et ont contribué à me plonger avec délice dans l'univers du Rock'n Roll. Quarante ans plus tard, je suis toujours dans le bain.

Pop Music, Rock'n Roll et Soul, voilà le triptyque fondateur sur lequel j'ai bâti mon propre panthéon musical. Et si mes goûts m'ont ensuite davantage fait pencher du coté des Stones, je suis resté fidèle à "Come together", "Because" ou "Carry that weight" et "Here comes the sun" reste pour moi une ballade essentielle dans l'histoire de la musique populaire. 

Ces trois disques que ma mère regardait comme s'il s'était agi des objets maudits d'un culte satanique, ces trois galettes de vinyle noir avec leurs pochettes reconnaissables entre toutes, je les écoute encore aujourd'hui. Ils ont contribué à changer ma perception du monde.  Ça tient parfois à trois fois rien...


vendredi 8 octobre 2010

L'âge n'y fait rien


Je me souviens qu'enfant je calculais qu'en l'an 2000 j'aurais 38 ans et je trouvais ça vieux. Aujourd'hui, j'en ai dix de plus, et je me sens pourtant encore jeune. Tout est relatif ...

Le 4 janvier 1995, j'avais 33 ans. Nous n'étions pas très nombreux en ce mercredi matin d'hiver à pénétrer dans les locaux vides et froids du numéro 80 de l'avenue d'Iéna. Pas encore branché, le téléphone ne fonctionnait pas et sur le plateau du  3ème étage où nous nous sommes installés dans un grand bureau aux volumes haussmaniens,  André, Jean-Christophe et moi, nous n'avions guère de voisin. A l'exception notable de notre cher Daniel - connu à la Fac sous le surnom de  "m'sieur Milou" -  l'ordonnateur en chef des déplacements du "Grand". Lui était déjà là,  à la manœuvre, prenant des options sur les salles, mobilisant les fédérations amies, louant des autocars, prévoyant les voyages et les transferts du candidat, ses hébergements, la logistique... Il anticipait  même sur la réservation des lieux pour les meetings de l'entre-deux tours. Pourtant les gazettes qui faisaient l'opinion n'en  donnaient pas cher alors de la peau de notre candidat. Certains allaient même jusqu'à prédire une élection dès le premier tour d'Édouard Balladur, c'est dire ! Nous, contre les sondages et les mauvais augures de tout poil, on avait décidé d'y croire à "la France pour tous" portée par Chirac.

Tous les soirs, sur le poste de télévision du bureau, nous regardions sur Canal + les Guignols de l'info en éclusant des Ti'Punchs. Cet apéro improvisé grâce à la bienveillante attention de quelques amis békés qui depuis la Caraïbe nous approvisionnaient généreusement en Rhum, ce moment de détente quotidien que nous offrait Gaccio et Delépine, devinrent le rendez-vous couru des grognards de la Chiraquie, tous amateurs de Rhum des Antilles. On croisait alors, verre en main, Jean-Louis Debré, Jacques Toubon, Roger Romani ou encore Henri Cuq. Avec Henri, au prétexte d'un voyage d'étude du groupe de l'Assemblée, nous avions même devancé l'appel et, à notre manière, anticipé de quelques semaines le début de la campagne à l'occasion d'un  déplacement éclair sur l'île de Mayotte fin 1994 à l'invitation de notre ami Mansour Kamardine. C'était quelques jours avant le voyage officiel que devait effectué le 24 novembre le premier ministre sur cette île française de l'archipel des Comores. Nous avions chargé nos bagages de quelques affiches et de  vieux T-shirts datant de la campagne de 88 récupérés dans les caves de la rue de Lille. Lorsque Edouard Balladur débarqua à l'aéroport de Dzaoudzi, il fut accueilli au cri de "Chirac président" par des femmes mahoraises arborant fièrement sur leur torse la photo de son rival! Le Préfet et le Ministre de l'outre-mer d'alors se souviennent encore sans doute de la colère froide qui s'en suivit.... Nous  n'avions passé que quelques heures sur l'île, j'en ai rapporté le souvenir amusé d'une blague de potaches et le Paludisme. Bien des années après nous en riions encore avec Henri. Il est mort l'an passé, emporté par la fumée de ses éternels cigarillos....

Souvent, dans notre bureau d'Iéna, nous partagions de vrais fou-rires en voyant apparaître à l'écran l'image de la marionnette de notre candidat. Hérissée de couteaux plantés dans le dos. Elle encourageait les français à "manger des pommes".
Et du coup, nous voulions, nous, que chacun puisse en manger des pommes, façon de lutter à notre manière contre la fracture sociale et de bâtir cette "France pour tous" que nous appelions de nos vœux.

Alors on y croyait. On savait qu'on partait de loin, de très loin même, mais on y croyait. Nombreux pourtant étaient ceux qui n'auraient pas misé sur celui que d'aucuns décrivaient alors comme un "has-been". Ils n'imaginaient sans doute pas que cet outsider, ce "cheval de retour" serait non seulement élu, mais même réélu pour un second mandat. Aujourd'hui l'immeuble de l'avenue d'Iéna héberge France Galop, le syndicat des entraîneurs de chevaux. Curieux clin d'œil de l'histoire...

Je me souviens avec émotion du  premier meeting de campagne. C'était au Dôme, à Marseille. Mon ami Jean était venu me chercher à Marignane avec la R25 qu'il avait conservée de son passage place Beauvau. Autant pour m'impressionner je crois que pour passer sans encombre les embouteillages qui comme souvent  ralentissaient l'entrée dans la ville, il avait fait tout le trajet en laissant branchés la sirène deux-tons et le gyrophare. Mon avion était en retard, je suis quand même arrivé avant le cortège du candidat . Et puis, tout soudain, en pénétrant dans cette salle, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Sept mille personnes réunies pour l'occasion, dont un grand nombre de jeunes qui hurlaient à plein poumons d'enthousiastes "Chirac président"! Je suis sorti et j'ai immédiatement téléphoné à Patrick Stefanini, le directeur de campagne resté à Paris, pour  le lui dire. Je me souviens encore du silence au bout du fil qui trahissait son incrédulité. Pourtant ce jour-là, l'affluence, confirmée par les médias, le grand nombre de jeunes présents, marquèrent, j'en suis sur, un tournant dans la campagne.
Plus tard, au bar de l'hôtel Sofitel nous bûmes un verre, avec Renaud, Claude, Daniel et quelques fidèles militants marseillais. Ils nous soutinrent - était ce l'effet de la proximité du vieux port ? - qu'aucun meeting politique n'avait plus depuis longtemps réuni autant de monde dans la cité phocéenne. Nous nous prenions alors à rêver. Je rêve toujours, l'âge n'y fait rien, d'une France pour tous...


dimanche 12 septembre 2010

Jamais rien


Rien, que tchi, macache, walou, que dalle, queud', nib', nada ...
Aujourd'hui, cher lecteur, je ne trouve rien qui mérite de t'être narré !

Et puis tout soudain me revient en mémoire le film de Chabrol d'après le roman de Manchette, Nada. L'histoire de cette bande d'anars un peu amateurs qui projettent d'enlever l'ambassadeur des États Unis à Paris. Le ratage qui s'en suit. Michel Aumont  dans le rôle d'un commissaire bien décidé à retrouver, coûte que coûte,  les meurtriers d'un flic tué  dans  l'action. Le carnage final. La violence qui répond à la violence. Pour rien. Nada ! Dans la même veine un peu dénonciatrice, un peu militante des années 70, tu te souviendras sans doute avec moi de "Solo" de Mocky, de sa mise en scène d'une autre bande de jeunes plus ou moins anarchistes, prêts à tout pour faire péter la société. 

Tout faire péter, frapper  le pays de l'Oncle Sam, s'attaquer au cœur de "l'empire du mal" symbolisé par cette nouvelle Sodome qu'est aux yeux d'une partie du monde New York, n'était-ce pas le sens même des attaques lancées contre l'Amérique le 11 septembre 2001 ? Nous sommes nombreux à avoir vécu en direct ces attentats qui restent pour partie encore nimbés d'un halo de mystère. En voyant à la télé le deuxième avion percuter la façade sud-ouest de la tour sud du World Trade Center, j'avais vraiment le sentiment d'assister à une mauvaise série B. Je m'attendais presque à ce que Captain America ou Arnold Schwarzenegger apparaissent à l'écran pour sauver le monde. Mais non. Et l'image que je garde en mémoire est celle d'une pluie de corps tombant lourdement. Les corps de ceux qui voulant échapper aux flammes se jetaient dans le vide par les fenêtres brisées des derniers étages des tours jumelles. Car de super-héros les arrêtant dans leur chute, il n'y en eut pas. En se défenestrant, ceux-là préféraient sans doute choisir  la façon dont ils allaient  mourir plutôt qu'ils ne fuyaient la morsure des flammes.

C'était hier la date anniversaire du plus grand attentat du début du XXIème siècle.  Difficile d'échapper aux commémorations. C'est aussi ce weekend  la fête de l'Huma. Bien que souvent le menu musical de la grande scène du parc de la Courneuve ait fait battre plus que de raison mon cœur de rocker, jamais je n'y ai mis les pieds. Trop réac' sans doute ! Même s'il m'est arrivé de me surprendre à partager un déjeuner avec le rédacteur en chef du quotidien des communistes au dernier étage du siège  historique de Saint Denis ....  C'était avant que le journal - signe des temps de crise que traverse la presse écrite - décide, pour faire face à de graves difficultés financières, de mettre en vente ce témoignage de béton de l'œuvre d'Oscar Niemeyer. Mais c'est une toute autre histoire.

En pensant à la concomitance des dates, je crois que je préfère, même si j'y vois aussi une forme de célébration d'une utopie dévoyée, l'idée d'une fête consacrée à l'humanité que la fixation presque malsaine qu'entraîne, de fait, la commémoration des attentats du 11 septembre. Que l'on doive honorer la mémoire des victimes, c'est une évidence mais  pourquoi commémorer ? N'est ce pas finalement donner raison aux terroristes ? Faire que les fondements nauséabonds de ces attentas résonnent et se perpétuent dans le temps ? On commémore quoi au juste ? La victoire des plans déments de monstrueux fanatiques dont les esprits dérangés ont conçu cette horreur ? 

On feint alors de s'étonner qu'un obscurantiste pasteur de Floride veuille brûler le Coran ou que des prédicateurs évangélistes  dénoncent à New York le projet de construction de "la mosquée de la victoire". Pourtant, leurs prônes délirants s'inscrivent bien dans la logique de confrontation, de violence répondant à la violence, qui puise ses racines dans les fondations de ground zero. Près de dix ans plus tard, les intégrismes de tout bord auraient-ils gagné ? Moi, à l'exception du 14 juillet, de son défilé sur les Champs Élysées, de ses bals popus, des lampions  et des feux d'artifice, je n'aime pas - assurément trop anar ! - les comémos qui donnent souvent  le prétexte  à entretenir les ferments de haine et de fanatisme. Certes il ne faut rien oublier, et surtout pas ceux qui ne sont plus là, mais il faut aussi pouvoir avancer. Opposer aux morts des uns les morts des autres ne résout rien, jamais.
Jamais rien ...


lundi 30 août 2010

Un peu en dehors du jeu


C'est dans la section Athlétisme que j'ai défendu les couleurs bleu et rouge du Métro. A part un peu de Handball en corpo scolaire avec l'équipe de Sainte Marie, je n'ai en effet jamais été très porté sur la pratique des sports collectifs. D'ailleurs, c'est au poste de gardien de but que je me trouvais le plus à ma place; un peu en dehors du jeu.

M. Cheyrouze, notre professeur de sport était également entraîneur au stade. Avec lui, je me suis lancé dans le saut en longueur, le disque et le javelot. Sans doute - le pauvre ! -  croyait-il en mes capacités à rapporter quelque médaille au club. Alors, à l'entraînement intensif succédaient les stages d'hiver à l'École Inter-Armées des Sports de Fontainebleau, l'ancien Bataillon de Joinville. Celui-là même où mon père aurait dû faire son service militaire s'il n'y avait eu cette  malheureuse altercation avec un gradé à la gare de l'Est au retour d'une permission...Tarif : deux ans d'Algérie; fin de carrière prématurée pour lui qui avait été le plus jeune footballeur professionnel de sa génération, sélectionné plusieurs fois en équipe de France espoir. Fin du rêve sans doute. Tout ça pour un salut manqué.

Marie-Christine Debourse
Au stade, notre aînée de quelques années, celle qui nous faisait rêver, que nous regardions avec admiration - et aussi un peu de concupiscence - c'était la plusieurs fois championne de France de saut en hauteur et de pentathlon, Marie-Christine Debourse. Elle était gironde Marie-Christine, alors on guettait ses entraînements pour pouvoir admirer le galbe de ses cuisses lorsqu'elle ôtait son pantalon de survêtement.

Moi, ce que je détestais dans l'athlétisme, c'était les courses de fond. Et puis d'avantage encore, en hiver , les cross-country... J'ai toujours eu horreur de ça et je n'ai d'ailleurs depuis  jamais sacrifié à la mode du jogging. 
Je garde un souvenir particulièrement ému d'un cross couru à Orléans. Ce fut le dernier. J'avais terminé longtemps après les autres concurrents, accompagné par mes camarades de club dans ce qui m'est apparu à l'époque comme un effort surhumain . Ils étaient revenus dans la course pour me soutenir, sous quelques flocons de neige qui commençaient à tomber, car ils sentaient bien que j'aurais pu flancher. Je suis quand même allé au bout. Une fois la ligne d'arrivée passée, à l'orgueil d'avoir terminé malgré tout se mêlait la honte  et une grande reconnaissance envers mes compagnons de club. Je n'ai pas abandonné, je suis arrivé dernier - il en faut bien un  - et ce jour-là, j'ai décidé d'arrêter. Pas seulement l'athlétisme, le sport en général.

C'est mon pote Denis qui m'avait amené à fréquenter le stade. Orphelin très tôt de père et de mère, il vivait avec sa vieille grand-mère près de la station Chemin d'Antony du RER . C'était un colosse breton qui lançait loin le poids et le marteau et qui vouait une passion dangereuse et inconsidérée aux armes à feu. Tellement d'ailleurs que quelques années plus tard il est tombé pour détention illicite d'armes de guerre et trafic. Ce qui lui valut de passer pas mal de temps derrière les barreaux. Il avait été appréhendé sur une bande d'arrêt d'urgence d'autoroute pour cause d'utilisation malencontreuse et , il faut bien le dire, un peu abusive, d'un gyrophare de Police et d'une sirène deux-tons. Il avait un calibre sur lui. Il s'en séparait rarement... En perquisitionnant  le pavillon de la rue des Pivoines, les flics sont tombés sur une véritable armurerie dans la cave. De quoi faire sauter tout le pâté de maison !

Délégué national adjoint des jeunes du R.P.R.
C'est le même Denis qui, la toute première fois, m'entraîna  dans une réunion politique. Lui, ce qu'il aimait c'était le parfum des campagnes électorales. L'odeur de la colle Quelyd pour les affiches. Et puis la bagarre. Les relents de poudre qui parfumaient encore à cette époque les campagnes. Moi j'étais emballé par le ton de l'appel de Cochin. Celui que Chirac avait lancé depuis le lit d'hôpital sur lequel il était cloué par les séquelles du grave accident de voiture qu'il avait eu au volant de sa CX en hiver sur une petite route de haute-Corrèze. C'était en 1979, pour les élections européennes. Nous pensions alors que la France était menacée par un complot fomenté par les tenants du parti de l'étranger (sic !) et nous recouvrions les murs d'affiches de la liste "Défense des Intérêts de la France en Europe". Cette élection se solda par l'un des plus gros échecs du futur Président. Elle marqua aussi mon adhésion au R.P.R.


vendredi 27 août 2010

Je suis né....


Je suis né dans l'arrière-cour d'un bistrot. J'aime les bistrots.
Je suis le fruit de deux générations de bistrotiers corrèziens.

Le café-hôtel-restaurant de mon arrière grand-père, le citoyen Porte François - comme il est fait mention sur sa carte du PCF, section des corrèziens de Paris et natifs  - accueillait en fin de semaine les parisiens qui voulait prendre l'air de la campagne. On  venait de loin pour la cuisine d'Eugénie. On mangeait bien à Antony à cette époque. C'était encore une zone très rurale par bien des aspects. Dans le Petit Journal, on décrit encore, en 1922 : "La jolie commune d'Antony" comme "une de celles, dans la banlieue de Paris, où l'agriculture est restée la plus florissante". Dans son auberge, il accueillait noces, bals et banquets ; les clients y jouaient à la coinche et au billard français, et même, dans une grande salle aménagée tout exprès, on donnait alors des séances de Cinématographe !

Pendant ses jours de congés, ma grand-mère Simone, lorsque son travail de vendeuse au rayon garçonnets du magasin du Bon Marché lui en laissait le loisir, servait  pour donner un coup de main à Roger qui, après une solide formation initiale acquise à l'école hôtelière de Clermont-Ferrand et ses premières armes chez Maxim's de Paris et au très luxueux Grosvenor House de Londres, supervisait en salle  pour aider ses parents. A cette époque, on ne chipotait pas sur le Beaujolais. Le Clacquesin, le Byrrh et le Saint Raphaël étaient à la fête plus souvent qu'à leur tour et pour  affronter le coup de feu du dimanche, une aide n'était jamais de trop.

Quelques mois après la fin de la guerre, mon grand-père maternel qui sentait l'avènement de l'ère de l'automobile agrandit l'affaire familiale en lui adjoignant une station-service et se spécialisa, avec la complicité d'amis américains, dans la vente d'articles de caoutchouc : bottes, tuyaux d'arrosage et pneumatiques de marque Firestone figuraient alors aux rangs des produits rares et recherchés. La voiture prit le pas sur la limonade et, dans les années Cinquante, il transforma le tout en un garage Peugeot qui devint très vite une belle et florissante affaire dont il confia la direction à son gendre, mon père. Contraint de mettre un terme prématuré à sa carrière de footballeur professionnel, mon père sut admirablement opérer sa reconversion dans l'automobile et il développa tant et si bien ses affaires qu'il se trouva dix ans plus tard à la tête de  l'une des plus importantes concessions automobiles de France.

J'ai grandi dans une pièce de l'appartement aménagé dans les anciennes chambres de l'hôtel Albuisson qui donnait sur la RN 20. C'était une pièce d'angle, au premier étage, où souvent j'étais réveillé par le tremblement des carreaux de la fenêtre et le souffle rauque de l'hydraulique des freins des semi-remorques qui, empruntant la Nationale, redémarraient après une halte imposée par le feu tricolore qui régulait la circulation à l'angle de la rue du Nord et de l'avenue Aristide Briand. J'aimais alors rester des heures derrière la vitre, espérant voir les bolides de mes rêves traverser à vive allure le théâtre de la rue qui s'offrait à mes yeux. On ne parlait pas encore de limitation de vitesse.

Leclerc à la Croix de Berny
Parfois le 14 juillet, les  Marsouins du régiment de marche du Tchad s'en retournaient avec leurs chars vers leurs casernements de Monthlery en passant devant la maison. Ils faisaient trembler les murs et j'imaginais alors les blindés de Leclerc et de sa 2ème D.B. fonçant à toute allure en direction de Paris, subitement arrêtés dans leur course vers la capitale par une résistance allemande solidement accrochée au carrefour de la Croix de Berny et décidée à défendre farouchement l'accès à la prison de Fresnes. Les durs combats qui s'y déroulèrent et dont la façade de notre immeuble et les volets métalliques des fenêtres portaient encore les stigmates coûtèrent la vie à cinq des compagnons d'armes du héros de Koufra.

Et puis, visible depuis ma chambre, dans l'enfilade, au bout de l'avenue, il y avait l'entrée du stade. C'était bien avant les exploits en "Top 14" des Chabal, Nallet et autres joueurs-vedettes du Racing-Métro 92 au "parc des sports"...


A l'époque de l'US-Métro, on disait "le stade". Il s'y trouvait un restaurant et plusieurs buvettes dont celle du vélodrome qui, pendant un temps, fut tenue par mes grands parents. Car à Berny il y avait un bel anneau de béton où les meilleurs spécialistes de la poursuite derrière moto couraient comme au Vel'd'hiv ou à la Cipale. Avec son revêtement de ciment et ses virages à 45° c'était, avant guerre, l'une des pistes les plus rapides de France. On s'y pressait les jours de grandes courses et on y buvait sec. C'était aussi un temple du noble art où Marcel Cerdan tira plusieurs fois le gant et où, le 13 mai 1945, il l'emporta à la 5ème reprise dans un beau combat contre Jean Despeaux. Ce jour-là, la recette fut exceptionnellement bonne. Mon grand-père se souvenait avec émotion de cette victoire par K.O. du Bombardier Marocain.

Dans ce stade aux installations très complètes, on trouvait même un fronton de Pelote Basque. Véritable complexe sportif avant l'heure, il fut construit dans les années Trente sur l'emplacement de l'ancien champ de courses hippiques de la Croix de Berny. Cet hippodrome oublié fut pourtant, de 1838 à 1848, l'un des berceaux du steeple-chase en France. Les anciennes écuries devinrent des vestiaires.

On y trouvait aussi une très belle piscine en plein air. Un bassin olympique au bord duquel mes parents se sont rencontrés. Ils avaient quinze ans. C'était en 1952. Je suis né 10 ans plus tard...

vendredi 6 août 2010

Le futur, ou presque...


Le Président, grand amateur de petite reine,  montrait lui-même l'exemple en consacrant chaque matin une heure à pédaler, accompagné de deux membres du SPHP, parfois de son fils Jean, de tel ou tel ministre , ou même d'un visiteur de passage, pour actionner le générateur high-tech situé dans l'ancien jardin d'hiver construit en 1881 dans l'aile ouest du Palais par Jules Grevy; son lointain prédécesseur qui avait décidé d'installer la Présidence de la République dans l'ancien hôtel d'Évreux.

Après la débâcle de la réforme des pensions et le grand remaniement consécutif de l'automne 2010, il fallait trouver des idées, une idée, la Grande Idée....  L'illumination  vint sans prévenir de l'esprit fécond de Kevin Grelot, heureux lauréat du Concours Lépine 2011; grâce à sa géniale invention  il donnait enfin au gouvernement l'occasion d'une vraie relance par la participation de chacun et la contribution de tous : l' "éléctrisanté" était née. En faisant sienne la promotion de cette idée, le Président savait qu'il frapperait un grand coup, un très grand. Le concept en était simple et trouvait son expression dans le slogan conçu par un familier du pouvoir - de tous les pouvoirs d'ailleurs -  pharmacien Montpellierain de renom que sa  mère avait longtemps cru pianiste dans un bordel : " l'énergie partout, par tous ! "

Dans chaque maison, chaque immeuble, chaque école, chaque université, chaque prison, chaque foyer d'immigrés, etc... des centres primaires de production d'énergie étaient installés. Ils devaient permettre à terme à la France d'assurer son indépendance énergétique à la force du mollet. En consacrant  désormais une heure chaque jour au successeur moderne de la Sécu, le "Service Universel Civique de l'Energie", chaque citoyen en âge de pédaler et de servir la Nation fournissait de l'énergie au prix de revient très modique et permettait, dans le même effort,  de résorber par une activité physique saine et productive, le déficit de l'assurance maladie en luttant de façon simple et efficace contre l'obésité, l'excès de cholestérol et toutes les pathologies consécutives à un excès de sédentarité. Seuls les coureurs du Tour de France - s'inspirant du glorieux exemple donné par l'équipe de France de football un an plus tôt en Afrique du Sud - avaient renâclé, au début en tout cas, à devoir faire ce qu'ils considéraient être des heures supplémentaires non rémunérées et avaient menacé de faire grève ... un compromis avait heureusement été trouvé sous une forme élaborée d'annualisation du temps de pédalage.

Poursuivant dans la logique technocratique de la RGPP, de la recherche d'économies, et au nom du développement des synergies et de la rationalisation,  le ministère des sports et de la santé avait vu ses compétences élargies à l'énergie, alors que dans le même temps le ministre de l'intérieur voyait son portefeuille s'agrandir à l'écologie et au tourisme... Le vent de la réforme soufflait de nouveau depuis Bercy.

Tapie dans l'ombre et traquée par la nouvelle police de l'énergie, l'opposition "anti-partousarde" tentait de s'organiser au nom du droit à ne rien faire en dénonçant ce que  le leader charismatique du groupuscule de l'extrême centre, avait baptisé de "S.T.O. des temps modernes". Mais en pure perte, car l'idée faisait son chemin, elle s'exportait, on la copiait, le monde entier s'extasiait devant le génie français retrouvé et déjà le président Chinois, en visite estivale et familiale au Cap Nègre, avait annoncé son intention d'importer le concept. L'orgueil national était restauré, les usines de production de générateurs et de cycles tournaient à plein régime, l'économie repartait, et avec elle la création d'emplois. 2012 s'annonçait comme une belle année...

vendredi 30 juillet 2010

Presque rien


Il était furax l'Alphonse. Tous les plus beaux castors de sa maison étaient là. Que du premier choix. Seul un gonze à l'allure de trader ruiné, un genre de Kerviel aviné, était monté avec une petite ukrainienne en gueulant qu'il allait l'entifler alors que, dans le meilleur des cas, tout ce que la putain pouvait espérer c'était de se faire mollement enviander l'entremichon. Les autres clients semblaient tous déterminer à faire flanelle. Faut dire que les rares hommes présents au bar, bouffeurs d'arlequins en mal de rab', faisaient plus penser à des abonnés des restos du cœur qu'à des habitués des établissements des frères Costes.

Il portait beau dans son costard gris italien à larges rayures tennis et son T-shirt de soie noire. Il avait encore tout du jeune tombeur qu'il avait été quinze ans plus tôt en arrivant à Paname. Les années avaient passées. Avec elles, il avait troqué ses cheveux  perdus contre quelques kilos de plus, mais sa classe naturelle, celle qui avait fait sa réputation rue Thérèse, elle, était toujours là.

C'était juste après l'élection de Chirac qu'il était arrivé à Paris, l'Alphonse. Sur les photos de jeunesse de "l'ex" il lui ressemblait un peu d'ailleurs. Il l'aimait bien Chirac, surtout le candidat de 95, celui de la fracture sociale. En tout cas, il lui semblait moins bégueule et plus mariole que l'actuel locataire de l'Élysée. Il avait toujours pensé qu'il ne devait pas être le dernier à lever le coude pour s'en jeter un derrière la casquette ce président-là; ni qu'il aurait dédaigné un coup de passage, un de ceux qu'on tire en loucedé au  coin d'un bois, quand maman ne regarde pas. Tout l'inverse de l'autre dingue de petit caporal autrichien, un casque à pointe qui ne buvait pas une goutte de Schnaps, qui s'imposait un strict régime végétarien et qui interdisait, bien avant la mode du moment, qu'on fumât en sa présence; une manière d'hygiéniste qui, anticipant de quelques années sur la mère Richard, avait fait fermer les bordeaux d'outre-Rhin.

L'hiver avait été très froid, l'été tenait ses promesses de chaleur caniculaire. La France était partagée entre les exploits des coureurs du Tour de France et le feuilleton Bettencourt.

Soleil et chaleur en été; quoi de plus normal se disait-il. Sauf  bien sur pour ceux de ses contemporains qui avaient de l'écologie fait le fond de commerce de leur petit turbin, ou pire, cachaient derrière de beaux sentiments affichés comme altruistes et modernes des idées et des concepts qui lui semblaient puer leurs relents de mauvais ragoût au fumet nauséabond... Car avant de monter à la capitale, il avait étudié. Les sciences politiques. A Grenoble.

Alors, sans savoir très bien pourquoi, au moment même où il râlait, en faisant et refaisant mentalement des comptes qui restaient désespérément dans le rouge, le maquereau pensait à ces illuminés qui, anticipant sans doute sur le futur proche décrit dans " l'armée des douze singes" de Terry Gilliam - un film qu'il adorait - avaient récemment mis en danger des vies humaines en commettant des attentats au nom de la "défense des droits des animaux"(sic!). Le matin même, alors qu'il savourait son deuxième petit noir au Père Tranquille, il avait entendu au micro d'une chaîne de radio nationale l'un de ses dingues revendiquer le passage à l'acte et justifier l'action violente en osant  l'écœurante, l'ignoble, l'insupportable comparaison entre l'Holocauste et l'abattage des animaux d'élevage.

Lui qui fréquentait assidûment les louchébems du quartier et se nourrissait avec plaisir de viandes, d'abats et de toutes autres formes de protéines animales , ne se sentait pour autant pas l'âme d'un tortionnaire  ! Depuis longtemps, à l'instar de Churchill, il avait choisi de manger de la viande, de ne pas faire de sport, de fumer des Havanes, d'apprécier un bon single Malt tourbé, un Rhum ambré ou un grand cru bourguignon, l'Alphonse ... Il célébrait la nature, à sa façon, en jouissant, parfois même jusqu'à l'excès, de ses bienfaits.

Il exécrait au plus haut point toute forme d'exercice intégriste de la religion, toute manifestation d'intolérance et de fanatisme. Alors ces dangereux cons qui prônaient la violence pour protéger  l'environnement ! Pourquoi pas justifier le port du Niqab ?

L'abattage, il connaissait pourtant, mais pas avec les filles qui travaillaient pour lui. Il les aimait, à sa manière. Il les protégeait. Car en gagnant sa vie à exploiter celle des autres, il arrivait encore à se donner bonne conscience, l'Alphonse! Surtout en pensant aux conditions de travail auxquelles étaient soumises les trottineuses congolaises et kosovares qui  faisaient le raccroc sur les trottoirs de la Quincampe, véritable concurrence  déloyale qui mettait bien à mal le compte d'exploitation de son clandé des Halles en engraissant des macs géorgiens et qui à elles, pauvres gosses exploitées, ne rapportait presque rien.

Un peu plus loin sur le boulevard, au-delà de Strasbourg-Saint Denis, là où les trottoirs Paris  prennent certains jours les couleurs d'une toile de Majorelle représentant le marché de Bamako, on s'adonnait à une autre forme de racolage. Les rabatteurs des salons de coiffure africains, payés à la commission, harponnaient les black mammas à peine sortie du métro Château d'eau et cherchaient à les entraîner vers tel ou tel bouclard des rues avoisinantes. Depuis peu des petites chinoises, spécialistes des ongles américains et de la french manucure pratiquant aussi, à leurs heures perdues, le massage avec "finition à la main", venaient compléter l'offre de baumes aux vertus défrisantes, tresses et autres extensions capillaires en tout genre.

Les confins de la  rue du faubourg Saint Denis, du passage Brady et de la rue du château d'eau étaient devenus l'improbable frontière entre le Kurdistan, l'Afrique équatoriale et le Sri Lanka. Au fond, il le sentait bien, rien ne serait plus jamais comme avant...




mardi 20 juillet 2010

Portrait d'un ami en forme d'exercice de style


Ces contempteurs le décrivent tel un abuseur qui baliverne allègrement, un friponneau qui à l'image des brocardeurs des temps passés gaminerait sur la toile en espérant provoquer chez ses lectrices l'ébaudissement propice à une séduction facile . Ils se trompent, car lui n'est pas de ces biaiseurs qui chercheraient à ensorceler par leurs mots doux et enjôleurs de chipotières jouvencelles perdues sur cette toile qui de nos jours n'est plus faite de finet.

Si autrefois nous nous rencontrâmes aux rangs de ces clubistes républicains qui dénonçaient alors de notre société la fracture , et même si de loin en loin il nous arrive encore de colluder lorsque la cause nous paraît belle et noble, il ne  revendique  plus aujourd'hui que sa qualité d'imployable brocardeur des moeurs de ses contemporains.

Son babillement dérange les tenants de la bienséance et du politiquement correct ? Tant mieux ! Car en se souvenant de ces dramatistes des temps plus anciens qui à leur heure ont su, eux aussi, déplaire à certains de leurs contemporains et s'attirer du souverain les foudres,  je fais  mienne la prophétie que son oeuvre lui survivra et qu'elle trouvera encore dans longtemps d'ici de fidèles lecteurs.

Il a choisi l'an passé de quitter ce royaume des Maures, où il s'était depuis longtemps exilé, pour rejoindre  ses parents et  vivre auprès d'eux dans la solitude et le démeublement ; pas par souci d'aliénisme ni pour s'attirer la sympathie d'hypocrites larmoyeurs, mais pour y puiser, à la source de ses racines, une nouvelle inspiration.  N'en déplaise aux tartuffes et aux mauvais coucheurs de tous poils, rien ne saurait désormais l'atteindre dans sa tranquille retraite provençale. Pas même les agissements de certain bien-pensant senseur d'outre Atlantique qui a cru pouvoir un temps le dépopulariser et, tel un escroqueur du Net, avait ourdi le méchant complot de faire disparaître ses écrits du réseau. Rien à faire pour l'arrêter, celui là de mes amis est imbrisable. (*)

(*) Portait écrit en utilisant une poignée de mots supprimés de la huitième édition du dictionnaire de l'Académie française (1935) et rassemblés par Joseph Vebret dans ses "Friandises Littéraires" publiées en 2008 aux éditions ECRITURE.


mercredi 16 juin 2010

Ne rien dire ou fermer sa gueule ?

C'est pas parce qu'on à rien à dire qu'il faut fermer sa gueule !


Avec ce très beau titre emprunté à Michel Audiard, ce film réalisé en 1974 sur une idée originale de Christian Clavier, Thierry Lhermitte et Gérard Jugnot, avait toute sa place sur ce blog. Pour le lecteur qui, comme moi je l'avoue, aurait pu oublier ce parangon de comédie comme seul  le cinéma français des années 70 savait en produire, on rappellera que le scénario raconte l'histoire de deux vrais zéros, incarnés à l'écran par Michel Serrault et Jean Lefèvre, qui projettent de faire main basse sur la caisse de retraite de la SNCF. La retraite, déjà, et qui plus est le régime spécial des cheminots... Car c'est bien là où je voulais en venir, cher lecteur :  la retraite.

N'ayant pas, comme certain photographe de renom, d'amie âgée suffisamment fortunée pour la soulager d'un milliard en prévision de mes vieux jours, je suis comme toi, je compte. Et en comptant, je me suis rendu compte qu'au rythme où vont les choses, je devrais encore cotiser une quinzaine d'années avant de pouvoir prétendre à quoi que ce soit, c'est à dire pas grand chose, ou mieux, presque rien. Dans le même temps, d'autres auront la possibilité de partir plus tôt. On attendrait que je les envie, que je les jalouse même. Et bien je n'en ai cure, et même mieux, je trouve ça juste et équitable. Après tout, comme me le disait récemment un mien camarade : "La retraite, je m'en fiche, je l'ai prise avant de commencer à travailler"!

Tant il est vrai que - et j'ai déjà eu l'occasion d'en évoquer quelques bons souvenirs sur ces pages -  ma jeunesse estudiantine m'a surtout permis, à l'instar d'un Baudolino Sorbonnard, de beaucoup m'amuser. Alors la retraite...

En la matière, mon grand père maternel a pourtant longtemps été pour moi une forme de modèle. Retiré des voitures (au sens propre comme au sens figuré) à quarante-cinq ans, je l'ai connu sybarite, rythmant son existence de parties de belote en parties de billard, d'apéros en gueuletons partagés entre amis, de chasses, de pêches, de siestes et de cueillettes ; campagnard et heureux de l'être ; lui, le Titi parisien à la casquette d'apache toujours vissée sur le crâne ; lui le limousin natif du plateau de Millevaches, le fils d'un militant socialiste qui avait choisi le communisme au congrès de Tours, qui, par bravade et pour emmerder son marxiste-léniniste de père, milita au sein de la section S.F.I.O. des usines Citroën ; lui l'ancien apprenti si élégant sur les photographies prises chez Maxim's à Paris ou au Grovesnor House de Londres ; lui dont la fierté était d'être diplômé de l'école hôtelière de Clermont-Ferrand ; lui qui fumait des gitanes sans filtres ; lui qui savait lever le coude et qui aimait la bonne chaire. Certes, il est mort de ses excès mais il a vécu, et tant, et bien. Tellement qu'à vingt ans je m'étais fixé comme une règle absolue de ne pas travailler au-delà de quarante-cinq...

Et puis il y a eu l'exemple de mon père, mort de l'avoir prise, sa retraite. Ou plutôt d'avoir arrêté de travailler. Ces châteaux n'étaient pas en Espagne mais il les rêvait en Riyad, de l'autre côté de la Méditerranée. Lui, le grand sportif qui n'avait jamais été malade, a souffert en une année à peine de tous les maux et s'en est allé sans avoir quitté Antony... Ces deux hommes, beau-père et gendre, reposent aujourd'hui l'un près de l'autre,  comme ils l'avaient demandé, dans un cimetière municipal de cette plaine d'Arbonne-la-Forêt où ils aimaient tant chasser et où ils ne  font  désormais plus rien. Rien pour l'éternité. Ensemble.

Vivons, ami lecteur ! Vivons pour éloigner la grande faucheuse. A l'inverse des futurs pensionnés qui rêvent de retraites heureuses pour pouvoir enfin mourir en bonne santé, je me contente désormais des petits riens que sont projets au jour le jour et menus plaisirs du quotidien. Un an déjà que j'ai quitté un travail matériellement confortable et tellement flatteur pour mon ego;  un an presque jour pour jour après avoir fait des choix que je n'arrive toujours pas à regretter. Je mesure au fil du temps qui passe le prix mais aussi le goût de la liberté. C'est un luxe dont j'ai conscience.
Devais-je ne rien dire ou aurais-je du fermer ma gueule ?

lundi 7 juin 2010

Réécouter Gérard Manset. Rien à raconter...

En 1975, comme de nombreux ados d'alors j'écoutais Gérard Manset chanter "il voyage en solitaire" à la radio le soir venu, au fond de mon lit, seul dans ma chambre. Plus que les paroles, c'est le son si spécial de sa voix, cette façon bien à lui de chanter qui m'emportaient loin, très loin de la rue du nord ; une production très unique dans le paysage artistique français si lisse et policé de l'époque ; une ambiance et un décor musical qui invitaient résolument au voyage. Chanson phare pour ma génération, elle a été redécouverte il y a peu à l'occasion d'une reprise très personnelle et pleine d'émotion enregistrée peu de temps avant sa disparition par Alain Bashung. Ce titre est resté jusqu'à présent le seul véritable tube de Manset, cet artiste à la créativité paraphrène et multiforme. En réaction à cette surexposition que lui, l'ancien lauréat du concours général en dessin, ne souhaitait pas, il publia l'année suivante un album intitulé "rien à raconter". Une manière de pied de nez sans doute à un succès qu'il jugeait un peu déplacé.

Il faut aussi réécouter sur le même album la très belle plage d'ouverture, "Y'a une route" :
"...Y'a une route, c'est mieux que rien..." 

Tous les futurs étaient encore possibles et le voyage plus important que la carrière. Chanter l'errance, le goût des ailleurs et de la découverte, comme il le dit si justement, c'est mieux que rien ; et puis l'évocation des souvenirs, même imparfaite, même brouillonne, surtout brouillonne, c'est  tellement mieux que n'avoir rien à raconter...

J'ai eu 13 ans en 1975, le jour de la naissance de David Beckham. Une semaine plus tôt la même année, la dernière DS sortait des chaînes d'assemblage de Citroën. La fin d'une époque productiviste et insouciante et l'entrée dans le tumulte anxiogène des années quatre-vingt et son marketing triomphant symbolisé par la naissance, quelques mois après, des Sex Pistols et, avec eux,  l'explosion du mouvement Punk.
Malcolm Mc Laren est mort, No Future !

samedi 29 mai 2010

Bucarest ne m'évoque rien

Le seul luxe que m'autorisait mon employeur de l'époque était de pouvoir rentrer d'Albanie en 1ère classe sur le vol de la regrettée Swissair qui reliait alors Tirana à Zurich. Cet avion me permettait, la fin de la semaine venue, de rallier la Suisse et de là, Paris. 
Nous n'étions pas si nombreux à voyager en First au départ de Rinas et le contraste était grand entre les tapis sales et défraîchis des couloirs du Dajti parcourus par des servantes désœuvrées aux fichus à la couleur incertaine servant un Raki tiède et la propreté immaculée d'une cabine helvète servie par des hôtesses accortes qui, à peine étions nous installés, nous abreuvaient de Champagne frais.
Je conservais alors précieusement - fétichisme ? - après chaque vol la petite pince à linge qui nous était offerte avant le repas pour accrocher notre serviette et nous éviter les désagréments d'une tache disgracieuse sur la cravate ou la chemise. Swissair et Austrian étaient les seules compagnies dont j'empruntais alors les vols qui avaient cette aimable attention; qu'elles en soient remerciées. Ce petit objet reste pour moi le symbole de l'attention qui était alors portée au service des passagers. C'était bien avant l'invention des compagnies "low-costs", celles là même qui semblent penser que vols au rabais riment avec droits diminués pour les passagers, mais ceci est une autre histoire dont un jour venu, cher lecteur, je te parlerai peut-être....
A peine la porte de l'appareil était-elle refermée que la page était tournée. Adieu pain rassis et  légumes indigestes. Le vrai luxe était alors synonyme pour moi de vins du Valais, viande  des Grisons, fromages d'Appenzell et chocolat Frigor. Tous les retours vers la mère patrie n'étaient pas aussi glamour...Jamais pourtant, je crois, je n'ai autant aimé prendre l'avion. Encore plus sans doute ce jour où j'ai eu tant de mal à pouvoir embarquer au beau milieu d'une foule de réfugiés hystériques. Les émeutes de la faim troublaient le pays et cet avion qui était le dernier, le seul, à pouvoir décoller encore, nombreux étaient ceux qui voulaient le prendre. C'est le chef d'escale de Swissair , un aimable valaisan rencontré la nuit précédente au bar du Dajti qui, accrochant mon regard au milieu de la foule me désigna du doigt et me tendit un morceau de plastique rouge, carte d'embarquement à usage multiple et Sésame unique et  convoité, qui allait me permettre de quitter l'Albanie. Pourquoi moi ?

Parfois, c'était encore une autre histoire. Il fallait passer par les Pouilles et l'Italie. J'empruntais alors  l'un  des tous premiers vols de la compagnie locale, ADA Air, créée par un homme d'affaires français installé sur place. C'était une époque épique pour l'aviation civile shqiptare. L'unique appareil exploité était un Embraer  Bandeirante brésilien à double turbopropulseur conçu à la fin des années soixante pour désenclaver les villes d'Amazonie ou du Nordeste. Comment cet incroyable avion au passé exotique et tropical avait -il échoué au pays des aigles pour y finir piloté par d'anciens "As" de la chasse albanaise formés par des instructeurs chinois à voler sur des Mig russes? Que dire de l'appréhension qui était la mienne lorsque nous survolions l'Adriatique sans réel plan de vol et sans même savoir si  le contrôle aérien nous laisserait atterrir à Bari. Une autre forme de luxe sans doute ; celle de pouvoir, à peu de frais, éprouver au cœur de l'Europe des années 90 naissantes, les mêmes sensations que devaient avoir connues certains explorateurs de temps plus anciens sur des pistes de fortune tracées aux confins de contrées perdues.

Et puis, un certain vendredi, venant de Durès, j'ai raté l'avion à l'empennage rouge à croix blanche.
J'ai du ce jour-là, en désespoir de cause, me rabattre sur un improbable vol Tirana-Bucarest opéré par la compagnie nationale roumaine. Tout pour quitter l'Albanie et ne pas prendre le risque de devoir passer la fin de la semaine à Tirana, même devoir voler sur un Tupolev TU-134A au nez vitré de la Tarom à destination de la Roumanie à peine sortie des griffes du conducator Ceaucescu.
Je me souviens du sifflement strident des réacteurs, du givre qui s'était formé à l'intérieur même des hublots, de la pressurisation très approximative et de la douleur aiguë à mes oreilles; des filets déchirés en lieu et place des coffres à bagages; des hôtesses peu souriantes et moustachues nous proposant le choix pour unique boisson entre jus de pomme et... jus de pomme ; du repas très sain mais frugal composé de pommes tavelées tirées directement d'un sac en plastique informe. Quel contraste là aussi! Finalement je me suis demandé si j'avais bien fait de choisir de partir. Car même si la destination finale était la même, je crois avoir réalisé ce jour-là que plus que le but c'est le moyen de l'atteindre qui fait l'esthétique du voyage, ou pour le dire plus simplement ce n'est pas la destination qui importe mais le voyage lui-même.
J'ai beau fouillé ma mémoire, chercher, essayer de me souvenir, l'aéroport de  Bucarest ne m'évoque rien. Seul me revient un vague sentiment d'abandon et une grande tristesse. Car à Bucarest je retrouvais les mêmes visages émaciés, les mêmes gueules de bandits des Carpates directement sorties d'un album de Tintin ; les mêmes dents gâtés par le mauvais tabac, l'abus  d'alcools forts et frelatés ; une hygiène incertaine et un régime alimentaire déséquilibré. Bref ! les ravages du national-communisme. Du moins le croyais-je alors...

jeudi 25 mars 2010

C'est pas rien !

Relisant ces jours derniers l'énorme (à tout point de vue, 1173 pages en poche...)  livre de Vassili Grossman, j'ai révisé mon point de vue sur la littérature russe contemporaine et la Vodka.

Un grand, un très grand livre. Une forme de "guerre et paix" contemporaine ayant pour toile de fond la bataille de Stalingrad, les camps de la mort et le goulag. Un condensé de ce que la révolution industrielle, les idéologies du XIXème et le productivisme du XXème siècle ont produit de pire. La forme la plus aboutie du meurtre de masse industrialisé. A mettre entre toutes les mains, à lire et à relire...

Lorsque Jean-Claude m'en avait recommandé la lecture il y a quelques années j'étais totalement passé à coté. Alors pour ça et pour le reste (?...), merci Jean-Claude ! Si tu lis ces lignes, tu te reconnaîtras.

Aujourd'hui je comprends mieux la véritable passion que certains éprouvent pour ce livre; l'oeuvre d'une vie; le roman d'un siècle. Tant il est vrai que l'écriture de Grossman emporte tout. Car il a été le témoin direct et un acteur de la "mère des batailles", lui, le vivant parmi les morts; il a été le premier journaliste a rentré dans Treblinka et à décrire l'horreur concentrationnaire; l'un des premiers à pénétrer aux cotés des troupes soviétiques dans Berlin. Mais il a aussi osé décrire et comparer la nature totalitaire des régimes soviétique et nazi. Lui l'écrivain communiste, il a dénoncé la dictature stalinienne. Lui, le thuriféraire, le serviteur zélé du régime, il s'est révolté et a voulu témoigner. Et de quelle manière !

Et puis il y a l'histoire du livre lui-même. Définitivement perdu, du moins le croit-on, saisi par les sbires du K.G.B. ; des copies clandestines miraculeusement retrouvées, et, enfin, un livre publié en Suisse.

Pourquoi la Vodka me demenderas-tu, cher lecteur ? Mais précisément parce qu'en Russie littérature et Vodka font si bon ménage qu'elles me semblent aussi indissociables que le grand tout et les petits riens qui composent cette chronique bloguesque. Alors, partageant, l'une des expressions favorites du locataire de l'Elysée, je te dirais, en guise de conclusion, vie et destin, crois- m'en, "c'est pas rien !"

dimanche 14 mars 2010

Une écuelle vide ou rien dedans...

C'est en 1990 que j'atterrissais pour la première fois sur la piste de béton préfabriqué de Rinas (l'aéroport de Tirana ne s'appelait pas encore NëNë Tereza, en hommage à Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, sans doute la plus célèbre des femmes albanaises; connue dans le monde entier pour avoir créé sous le doux nom de mère Teresa, à Calcutta, la congrégation des Missionnaires de la charité).  Air France était l'une des seules compagnies occidentales à oser encore (mais pour peu de temps…) s'aventurer en cette véritable terra incognita qu'était au cœur de l'Europe l'Albanie d’alors. Il fallait oser en effet se poser sur cette piste improbable au milieu des poules, des moutons et des gosses qui couraient en tous sens et ne semblaient devoir s’égayer au tout dernier moment que devant la puissance des réacteurs hurlants.

Le chauffeur d'un mien compatriote (un peu aventurier, un peu introduit dans certains cercles du pouvoir parisien d’alors, un peu marchand de tout, et surtout d'armes) qui m'avait attiré dans ce pays m'attendait à la sortie de l'aérogare. Il ne fut pas difficile de le reconnaître. Une seule voiture stationnait sur le parking : la R25 limousine de mon hôte ; noire, hérissée d'antennes, immatriculée en France, totalement décalée dans ce décor aux figurants à la mine patibulaire, portant la traditionnelle coiffe masculine de feutre blanc, dignes d’apparaître au détour des aventures de Tintin et d' Ubu roi réunis.

Premières images du "pays des aigles", premier contrôle routier dès la sortie de la zone aéroportuaire (il y en aura 3 ou 4 le long des 17 kilomètres qui séparent Rinas de Tirana...) De très jeunes militaires, Kalachnikovs de fabrication locale sous licence chinoise en bandoulière, connaissant visiblement bien « la » voiture qu’ils devaient contrôler mais surpris de ce passeport français ; de ce visa au petit numéro d’ordre ; et tout au long de la route, alignés au cordeau, des milliers de bunkers et de blockhaus en bêton, certains se faisant même face, signe tangible de la paranoïa d'une époque où le régime d’un pays alors totalement fermé au monde ne savait même pas d'où viendrait l'ennemi, ni même qui il pouvait être, mais était sur qu'un jour il attaquerait (quoi ? qui ? pourquoi ?..) Les Albanais ont nommé "champignons" ces verrues. Je ne pus m'empêcher de penser à l'immense gaspillage de béton qu'avait entraîné la construction de ces abris inutiles dans un pays qui manquait de tout, et d'abord de logements.

Premier contact avec la capitale. Une avenue large et vide de toute circulation à l’exception d’une charrette tirée par un âne famélique (la possession d'automobiles était alors strictement réservée aux seules autorités du pays) Et puis soudain, au détour d'une rue, la vision surréaliste d'un bus vert et blanc de la RATP, pas même repeint, bondé comme un tortillard de la banlieue de Bombay, et sur lequel figurait encore, signe parfaitement lisible de ses origines, le N°39 de la ligne Issy-les-Moulineaux/Gare du Nord. Un choc !

Installation à l'hôtel Dajti, vieux bâtiment décati à l'allure mussolinienne, héritage de l'occupation italienne et des ambitions colonisatrices du comte Gian Galeazzo Ciano, que le groupe français pour lequel je travaillais alors avait décidé de rénover pour le transformer en palace de rang international. Le froid, une nourriture infecte, un pain rassis au mauvais goût de sciure (mais la boulangerie de l’hôtel était la seule qui fonctionnait encore à cette époque à Tirana) et la découverte, pour se réchauffer un peu, de l'alcool local, le Raki, une eau-de-vie de prune très fermentée, très populaire en Albanie; mon crâne en garde un souvenir ému. Première nuit, mauvaise; veillé par les indicateurs de police présents partout et jusque dans les étages vides et sombres de ce fantôme d'hôtel .

Premier rendez-vous avec une autorité albanaise, le ministre des finances doit nous retrouver au bar du Dajti vers 11h00. Je découvre alors la réalité de la toute relativité du temps... Vers 15h00, une vision étrange s'offre à moi. Un bonhomme sans âge, vêtu d'un costume à l’évidence taillé du côté de Wunan dans les années 70, casquette Mao vissée sur la tête, larges lunettes fumées à la Jaruzelski et, détail saugrenu terminant le "total look Shqiptar", des pinces à vélo.... Car ce personnage important de la nomenklatura de l'ère post-Hodja était venu jusqu’à moi au guidon de sa bicyclette chinoise de fonction...

Ce premier voyage, ce fut aussi celui de la rencontre avec un très improbable Consul de France, terré dans son appartement du quartier réservé aux légations étrangères, protégé derrière des cartons de bouteilles de bière amoncelés et qui emplissaient le moindre espace encore disponible de son petit appartement. Stigmates d’une terrible dépendance alcoolique d’une diplomatie française à l’haleine chargée et au delirium tremens avancé. Souvenir fugace du malaise qui ne m’a pas quitté de tout ce tragique rendez-vous où en guise de petit déjeuner, je n’ai eu le choix qu’entre une assiette vide, un verre de Whisky, du Raki ou de la bière tiède; et dont le seul et obsessionnel sujet de conversation n’aura été que de définir le montant de la "commission" que ce fonctionnaire seul - et désespérant dans sa solitude désespérée - aurait pu être en droit d’exiger (?!!!...) si l’opération venait à se réaliser. Était-ce la déliquescence de ce pays qui déteignait sur lui ou n’était-il, cet ivrogne en fin de parcours, que le symbole terrible des espoirs fous et délirants que faisaient naître alors les rêves d’une économie de marché sauvagement libérale et totalement décomplexée ? Pourquoi m’en suis-je souvenu ?

Je voulais alors partir, quitter au plus vite ce pays que je n’imaginais pas alors fréquenter plusiers années et où je finirais même par me faire des amis; au rang desquels le cher Besnik Mustafaj, poète, homme politique, diplomate et écrivain dont l'un des plus célèbres romans s'intitule "Le vide". Je comprends aujourd’hui à quel point l'Albanie de cette époque symbolisait ce célèbre proverbe populaire "J'aime mieux mon écuelle vide que rien dedans". Tant il est vrai qu'il vaut mieux être dans le besoin et le savoir que posséder une chose en apparence et en être en réalité démuni.

lundi 22 février 2010

Oxymores, réalité virtuelle et vivant souvenir


Joli mot de la langue française que celui d'oxymore, cette forme d'expression qui permet de mettre côte-à-côte des mots aux sens opposés. Quelle richesse de la langue, quelle liberté aussi, celle qui autorise le mariage de tout et son contraire, du grand tout et des petits riens; la contradiction dans la cohabitation entre les mots eux-mêmes.

Contradiction. Comme cette "réalité-virtuelle" qui nous permet de trouver sur la toile un espace d'expression où tout n'est rien; rien qu'illusion numérique, chimère analogique, un support sans chair d'où, comme je l'ai déjà dit, les écrits d'aujourd'hui s'envolent à l'image des paroles d'autrefois (cf. "Scripta volant" du 5/10/09). Pourtant, il me faut bien admettre que ce rien technologique peut favoriser l'expression des souvenirs, activer une mémoire qui pouvait sembler morte. Car ce sont les lettres, les mots qui se forment et les phrases qui s'enchaînent qui donnent du sens et qui tissent un réel pourtant sans support physique.

Les quelques semaines récemment passées à rechercher sur le Net des traces de chansons que je croyais oubliées, de morceaux que nous écoutions et sur lesquels, au Bus Palladium, nous dansions dans les années 80, m'ont conduit à écrire ce texte. La première expression qui m'est en effet venue en surfant sur le site des amateurs de la musique du Bus fut celle de "vivant souvenir"; rejoignant en cela le poète Federico Garcia Lorca pour qui "rien n'est plus vivant qu'un souvenir".

Or, je croyais que le souvenir n'était qu'une évocation, une impression qui demeurait en mémoire d'un passé révolu. Comment dès lors pourrait il être vivant ? Pourtant, à chaque écoute, l'envie me vient de danser, de chanter, et les sensations sont bien réelles, vivantes, présentes, tellement même que je peux parfois sentir vivre ce passé... N'est ce pas finalement vivre que se souvenir ? Ces chansons, ces petits riens qui me reviennent en mémoire, je les entends, et, dès lors, tout me revient. Les images, les odeurs, les sons, les visages... D'un petit rien se forme un tout. Un tout vivant, évocateur, loin du monde virtuel; une manière de réalité.

Alors puisque ce sont ces airs dansants qui, en l'espèce, ont activé ma mémoire, quoi de mieux pour conclure que ces vers extraits d'une belle chanson du plus célèbre des fumeurs de Gitanes :

"On se souvient de rien, et puisqu'on oublie tout, rien c'est bien mieux, rien c'est bien mieux que tout".

vendredi 12 février 2010

Il suffit souvent d'un rien


Les championnats de "Air Guitar" n'existaient pas et pourtant nous étions nombreux en ce  milieu des années 80 rue Fontaine (où il y a foule, n'est ce pas Gainsbourg...) qui dansions sur la piste du Bus au rythme du meilleur de la musique de l'époque en nous accompagnant d'une invisible Fender Startocaster ou d'une Gibson Les Paul transparente !

Assis à notre table favorite, dans l'ambiance enfumée des boîtes d'alors, au plus près de la piste nous observions les danseurs en sirotant des Whisky-coca, des Vodka-orange, ou des Gin-Get les soirs de grande soif. Flight jacket Schott, Jean's Levis 501 foncés, ceintures mexicaines aux grosses boucles argentées et Santiags achetées chez Cowboy Dream aux Halles pour les garçons; T shirts blancs et Bandanas aux couleurs vives de chez Fiorucci sous un Perfecto noir, Jeans slim fit à revers larges et chaussures vintage à talons aiguilles pour les filles.

Le très entrainant "Howzat" - que j'ai longtemps cru être interprété par Genesis - d'un groupe australien au nom improbable de glace à l'eau, la grandiose version Claptonienne de l'hymne  de J.J. Cale "Cocaine", l'énorme "Goin' back to my roots" de Lamont Dozier, "Solsbury Hill" de Peter Gabriel, "Dreams" de Molly Hatchett ou encore l'héroïque "(I want you) Show me the way" d'un Peter Frampton qui faisait littéralement chanter sa guitare... Les titres et les morceaux s'enchainaient et les riffs nous emportaient au-delà du grand Océan, au-delà du Continent, au bout de la route 66, vers cette Californie fantasmée et le Rock FM des Doobie Brothers et de Steely Dan.

Quand la fête était finie, en échange de quelques francs nous achetions, avec la complicité de Josy, à la porte de la cabine du D.J., une cassette qui allait tourner dans la voiture des copains jusqu'à l'usure complète d'une bande magnétique finissant avalée par le lecteur, mais qui aurait encore évoqué pendant soixante minutes le souvenir de tant de soirées festives. Parfois, quand la nuit devenait jour,  il m'arrivait de partager un sandwich shawarma ou une dernière cigarette sur le trottoir avec Bruno le portier (on ne disait pas doorman à cette époque, et on l'appelait entre nous "Nobru"...) au petit matin avant de repartir, ivre de musique, vers la banlieue sud de mes jeunes années. Autre époque de ma vie nocturne dont les souvenirs me reviennent aujourd'hui. Une période moins insouciante, moins adolescente, plus noire, plus Rock; déjà annonciatrice des heures plus sombres de l'âge adulte; d'autres fêtes, d'autres têtes. Michel, Manuela, Lydie... vous en souvenez vous ?

Ces souvenirs sont encore bien vivants et, si par un incroyable malheur ils venaient à s'émousser, la liste de lecture "Bus Palladium Tribute" qui n'a cessé de s'enrichir depuis lors et passe en boucle sur mon i-pod et le talent unique de Nicolas Lespaule pour ranimer la flamme chaque samedi soir à la radio seraient là pour les réveiller. Il suffit souvent d'un rien...

dimanche 17 janvier 2010

Privilège ou vanité...


Ce matin je retrouve, et avec quelle joie, Albert de Paname sur Facebook.

Alors, comme Tristan à la fin des années 80, je suis de bonne, bonne, bonne humeur ce matin, y’a des matins comme ça...

Tellement de souvenirs remontent. Et surtout des bons !

Nos points de repère nocturnes s’appelaient alors Les Bains, la Nouvelle Eve, le Royal Lieu, le Palace et autre Balajo... Une chanson un peu ridicule,  un air de Mambo sur lequel nous dansions me revient en tête (Elle ne l'a jamais quitté en fait et pourtant cela doit remonter à une soirée au Privilège en 1983 ou 84...) : "Mange des tomates mon amour, mange des tomates tous les jours, ça donne bonne mine, c'est plein de vitamines, vitamines ABC, c’est bon pour la santé ! »

Ils n’avaient pourtant pas tous bonnes mines les danseurs d’alors ; et les vitamines de synthèse qu’ils consommaient c’est souvent dans les toilettes qu’ils allaient les prendre ….

Toutes les nuits n’étaient pas de pleine lune, mais une étoile filante prénommée Pascale illuminait de sa grâce la piste du Privilège lorsqu’elle dansait sur des airs latino-américains enchaînés par Albert, ou au rythme de la Disco endiablée programmée par Guy Cuevas.

Pascale nous a quitté, victime d’un abus de « vitamines » cité Bergère. Elle est morte dans la rue, à la porte du Privilège. Etait-ce une de ces nuits de la pleine lune ? Du titre éponyme de ce film qui la rendit célèbre, et qui illustra dans la série des dictons et proverbes une belle maxime champenoise : "Qui a deux femmes perd son âme, Qui a deux maisons perd la raison." Eric Rohmer est mort aussi…

Pourquoi cette évocation des soirées d’Albert me renvoie-t’elle à Pascale Ogier et Eric Rohmer? Sans doute le cinéaste a-t-il su toucher le cœur de cette génération à laquelle nous appartenions. Celle qui avait connu le Punk et sa philosophie « no future », le disco, ses paillettes et ses fêtes, la new puis la cold wave, et les fêtes mises en musique par Albert, maître de cérémonie incontesté de sets qui savait mixer comme personne les mélodies de Dario Moreno et les derniers morceaux à la mode de Joe Jackson ou de Kid Créole & ses Coconuts.

J’ai eu la chance d’être au Palace un certain mois de décembre et d’y assister à un concert mémorable de Serge Gainsbourg, avec les choristes des Wailers, les musiciens de Bob Marley et Peter Tosh, et plus particulièrement Sly Dunbar et Robby Shakespear à la rythmique.

J’étais là aussi pour un incroyable et totalement destroy  concert des Undertones interrompu avant la fin par une bagarre générale entre punks pleins de Valstar et de mauvais speed et skinheads défoncés à la colle à bois… Là encore, au Centre Ville, un endroit branché des Halles et gay avant l'heure dont le barman aristo nous avait pris en affection et nous offrait plus de cocktails que nous ne pouvions en payer, un soir de baston avec des skins qui s’étaient armés sur un chantier voisin de fers à béton et qui voulaient à tout prix entrer... Nous sortions avec mes amis Michel et Philippe d’un Cinéma voisin où nous avions vu le film des Clash. Ce soir là nous nous sommes un peu pris nous aussi pour des rude boys engagés dans une « white riot »… La rue du Bourg l’Abbé avec un Pacadis déchiré, dans l’attente d’un regard ou d'un geste de Marylin pour pouvoir entrer… Jenny Bel Air et le vestiaire du Palace, et puis son fumoir du premier où tout, ou presque, était autorisé… Et puis surtout les nuits dans les sous-sols de la rue du Faubourg Montmartre; ce sentiment, pour quelques grammes de matière plastique, d’appartenir, grâce à la carte que nous avait donné Fabrice, à une forme de noblesse de la nuit. Celle du Privilège. Vanité…

Tous ces souvenirs me reviennent en vrac. Mais ils sont pourtant là, bien présents et tellement vifs à ma mémoire. Et Albert - pourquoi plus que d’autres ?- en fait partie. La mémoire est comme çà, faite de grandes choses et de petits riens…

vendredi 15 janvier 2010

Presque rien. Initiation à l'Uchronie


Le 17 juillet 1453, une escouade de l'armée du roi de France se heurte à un corps expéditionnaire anglais sur les bords de la Dordogne, près du village de Castillon. Cette petite bataille assez peu connue, presque rien en fait, marque la fin de la guerre de Cent Ans.

Qu'en aurait-il été si les Anglais avaient gagné la guerre?

Imaginons un instant que le sort fut différent et que la paix scellée à l'issue de l’épisode sus-évoqué marque la victoire de l'aristocratie anglaise sur la noblesse de France. La capitale que les royaumes unifiés se choisissent est Paris; la langue officielle de la Cour (partant, de ses futures possessions et colonies) est le français. Pas de guerre de succession d’Espagne, pas de Révolution française, pas d'humiliation nationale à Waterloo (ultime revanche de Wellington sur la défaite de 1453...). Les Royaumes Unis forment l'ensemble le plus riche et le plus prospère en Europe. Ses émissaires sillonnent la planète, ses vaisseaux voguent vers de nouveaux mondes. Un Empire est né.

Nous sommes maintenant en l'an 1860 de cette uchronie. Une guerre de frontière au sud de la Nouvelle France a été évitée de peu. Pendant quelques heures, les redoutables amazones dahoméennes dépêchées par la Métropole depuis leur casernement d'Abomey ont assiégé La Nouvelle-Orléans et ont fait face aux bataillons d'Amérique des Royaumes Unis dirigées par le général de corps d'armée Boulanger. Seule l'intervention des aéronefs du Duc d'Anjou aura permis d'éviter le pire en semant la panique parmi les dromadaires et les éléphants des régiments de cavalerie lourde des assiégeants, ce qui favorisera une sortie et une percée décisive du corps d'élite des troupes royales de marine. Cet épisode marque la limite de l'expansion septentrionale de la vaste colonie établie par le royaume de Béhanzin 1er, roi du Dahomey et auto proclamé empereur des Africains de l'ouest, sur le sol du nouveau monde. On aura en tête qu'avec le soutien des troupes arabo-mauresques du Califat de Cordoue, le royaume du Dahomey étend désormais son empire sur chaque rive de l'océan Atlantique et gouverne une partie du monde depuis son vaste Palais en sa capitale d'Abomey. Ce 24 septembre 1860, le Cheikh Abd-el-Kader, plénipotentiaire dépêché par l'empereur sur le nouveau Continent, signe un traité de paix mettant fin à plusieurs années de tension et d'escarmouches. Des frontières sont établies, des ambassades dépêchées. Le français restera langue officielle d'un territoire s'étendant de l'Alaska à la Nouvelle-Orléans, la monnaie, la Livre Tournois, la capitale de la Province étant, quant à elle, définitivement établie à Québec.

A la fin des années 30 du Vingtième Siècle, les Royaumes Unis vivent une période de grande agitation politique. La question de l'indépendance de la Septimanie donne lieu à des débats passionnés. A Paris, capitale politique, tout comme à Londres, capitale économique et financière de l'Empire, la presse fait ses gros titres sur les menées séparatistes biterroises encouragées par le gouvernement Babouviste de la République de Catalogne en son siège de Perpignan. La tension est vive. Des attentats ont été commis au nom de la Liberté Septimanienne et la gendarmerie royale a payé un lourd tribu à la cause irrédentiste. A l'issue d'un référendum populaire d'initiative locale, Béziers décide d'une formule d'autonomie/association et le Comte de Montpellier est, en présence de tous les princes de sang et de nombreuses délégations étrangères, couronné vice-roi de cette Province à l'occasion d'une très belle cérémonie en la basilique royale de Vias.

En 1981, le Prince de Galles, Comte de Paris et héritier de la double couronne, défraie la chronique en épousant secrètement pendant ses vacances au "Club Caraïbe" de l'île de la Tortue, une vedette de Cinéma, jeune aristocrate mahométane désargentée d'origine Maltaise. La question de la succession est immédiatement ouverte et le Pape, depuis son palais d'Avignon, se doit d'intervenir pour rétablir l'ordre au sein de l'Église et de l'empire. Le roi, contraint d'agir, décide d'éloigner son fils de la capitale et lui donne mandat pour inspecter les possessions lointaines des Royaumes. La Princesse se languit, de l'ennui naît l'envie et bientôt les amourettes de la belle Dinah avec un garde du corps du Prince portant Kilt et Tartan s'étalent à la Une du "Soleil Royal" ; certes le plus trash des tabloïds parisiens mais un de ces médias qui font l’opinion. Le scandale éclate. La Princesse est répudiée. L'héritier pour sa part est obligé d'avouer au grand jour des amours contre nature avec des indigènes amérindiens. Le Pape, cette fois, condamne et on évoque même la possibilité d'un procès en excommunication contre le successeur des deux Trônes. Au sein de l'Église un schisme couve. Au nom de la tolérance et de l'ouverture certains évoquent la création d'une "Église Anglo-Galicane". Mais heureusement l'affaire se calme avec la décision du Roi de pardonner à son fils et de promulguer une Charte établissant les sodomites dans leurs droits comme égaux des hétérosexuels. La jeune Princesse répudiée trouve refuge auprès des Alaouites de Fès et les grands Ulémas de Belgrade et de Trieste appellent ouvertement au Djihad pour laver l'affront fait à l’Islam. Le grand Turc menace, au nom de la défense de la vraie Foi, de dépêcher ses janissaires à la tête de ses troupes Greco-Albanaises. La guerre est là qui fait vaciller sur un socle que tous croyaient inébranlable la « Pax Francia » établie depuis maintenant plus de 5 siècles sur le monde. Pour la première fois, certains échotiers et éditorialistes, notamment asiatiques, évoquent un risque de surpuissance et dénoncent un monde uni polaire dirigé depuis Paris. Les Ayatollahs de Qom en profitent pour jeter à bas le régime ami du Shah de Perse et instaurer un État théocratique. Le monde est au bord du gouffre et partout la violence s'installe. On évoque le spectre d'un conflit mondial.

Les Assassins de la forteresse d'Alamut, galvanisés par les discours du vieux Cheikh de la montagne, porteront bientôt partout le feu et la désolation. Une vague de terreur étend désormais son ombre inquiétante. De grands périls menacent. La folie des hommes et son cortège de malheurs semblent devoir entraîner le monde vers sa perte.

Quelle terrible époque, instable et inquiétante, nous aurions connue alors. Il n’en est heureusement rien. Cela s’est joué à peu de choses. Presque rien ...

mercredi 13 janvier 2010

Plagiats ....

Je m'apprêtai à publier ici même un texte intitulé "le saigneur des agneaux" et là, patatras, je découvre qu'il est déjà pris et qu'un pastiche burlesque du roman homonyme de Tolkien a été publié sous ce titre. Déception meurtrie de l'auteur de ces lignes ! Quoi ? Comment ? Un autre aurait eu la même géniale idée, et avant moi qui plus est ! L'audacieux, le malhonnête, en un mot, le plagiaire.

Mais après tout être traité de plagiaire, est-ce si infamant ? Car il en va des textes comme du reste d'un monde où comme l'a si justement écrit M. de Lavoisier : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

Régulièrement on voue aux gémonies tel ou tel, y compris parfois un ministre de la République, pris la main dans le sac du plagiat. Mais qui peut vraiment se vanter de ne subir aucune influence ? Ne passons nous pas notre temps à (souvent mal) imiter les maîtres qui nous ont enseigné ? A répéter, mais c'est l'art de la pédagogie me direz vous, des leçons parfois mal apprises...

Il me vient à ce moment précis l'agréable souvenir de lecture d'un joli petit essai de Jean-Luc Hennig qui si ma mémoire ne me fait pas trop défaut s'intitulait "Apologie du plagiat". En substance il disait :

"Ayez le courage de vos plagiats. Ne vous laissez pas abuser par les sirènes des censeurs, des puritains, des professionnels de l'indignation vertueuse. Vous volez des droits d'auteur ? Foutaises ! En fait, vous ne volez rien du tout, vous faites circuler les textes, vous êtes un passeur de mots, vous ne vous les réservez pas, vous les distribuez."

Avec l'avènement du Net, est-ce la mort de l'Auteur qui est annoncée ? Sans doute pas et les textes ont encore de beaux jours devant eux. Avec ou sans emprunts (grand ou petit), influences, imitations (volontaires ou pas) ou simple don de mimétisme, ils sont nombreux ceux qui au fil de l'histoire des lettres se sont inspirés de leurs aînés ou de leurs contemporains. La toile leur donne juste un peu plus de facilité puisque, sans ciseaux ni glu, ils coupent et collent à volonté. Mais qui peut vraiment se targuer de faire acte de création ? Combien sont ils les vrais génies créatifs ? Bien sur il faut préserver les droits intellectuels des auteurs sur leur oeuvre, mais il faut aussi transmettre et faire passer. Rien ne serait pire en effet qu'un monde de bibliothèques réservées aux seuls bibliophiles et aux rats éponymes qui, sous couvert de conservation, se réserveraient le savoir et, tels le moine du "Nom de la Rose" interdiraient par tous moyens aux non-initiés d'accéder à la connaissance. Certains parmi nos contemporains jouent aujourd'hui le rôle des copistes des abbayes du Moyen-âge et contribuent à transmettre et donc à diffuser le savoir. Plagiat n'est pas piraterie.

Pour autant, faut-il "célébrer le pastiche" comme nous le demandait Pierre Assouline dans le magazine Lire ? Pour ma part, c'est plutôt le Pastis que je veux fêter et au risque de plagier un célèbre dandy chanteur, comme moi, amoureux de la Balagne, plaçant au-dessus de tout l'amitié, amateur de single malts et de gros Vitoles je conclurai par ces mots : "On nous cache tout, on nous dit rien. Plus on apprend plus on ne sait rien. On nous informe vraiment sur rien."