vendredi 27 août 2010

Je suis né....


Je suis né dans l'arrière-cour d'un bistrot. J'aime les bistrots.
Je suis le fruit de deux générations de bistrotiers corrèziens.

Le café-hôtel-restaurant de mon arrière grand-père, le citoyen Porte François - comme il est fait mention sur sa carte du PCF, section des corrèziens de Paris et natifs  - accueillait en fin de semaine les parisiens qui voulait prendre l'air de la campagne. On  venait de loin pour la cuisine d'Eugénie. On mangeait bien à Antony à cette époque. C'était encore une zone très rurale par bien des aspects. Dans le Petit Journal, on décrit encore, en 1922 : "La jolie commune d'Antony" comme "une de celles, dans la banlieue de Paris, où l'agriculture est restée la plus florissante". Dans son auberge, il accueillait noces, bals et banquets ; les clients y jouaient à la coinche et au billard français, et même, dans une grande salle aménagée tout exprès, on donnait alors des séances de Cinématographe !

Pendant ses jours de congés, ma grand-mère Simone, lorsque son travail de vendeuse au rayon garçonnets du magasin du Bon Marché lui en laissait le loisir, servait  pour donner un coup de main à Roger qui, après une solide formation initiale acquise à l'école hôtelière de Clermont-Ferrand et ses premières armes chez Maxim's de Paris et au très luxueux Grosvenor House de Londres, supervisait en salle  pour aider ses parents. A cette époque, on ne chipotait pas sur le Beaujolais. Le Clacquesin, le Byrrh et le Saint Raphaël étaient à la fête plus souvent qu'à leur tour et pour  affronter le coup de feu du dimanche, une aide n'était jamais de trop.

Quelques mois après la fin de la guerre, mon grand-père maternel qui sentait l'avènement de l'ère de l'automobile agrandit l'affaire familiale en lui adjoignant une station-service et se spécialisa, avec la complicité d'amis américains, dans la vente d'articles de caoutchouc : bottes, tuyaux d'arrosage et pneumatiques de marque Firestone figuraient alors aux rangs des produits rares et recherchés. La voiture prit le pas sur la limonade et, dans les années Cinquante, il transforma le tout en un garage Peugeot qui devint très vite une belle et florissante affaire dont il confia la direction à son gendre, mon père. Contraint de mettre un terme prématuré à sa carrière de footballeur professionnel, mon père sut admirablement opérer sa reconversion dans l'automobile et il développa tant et si bien ses affaires qu'il se trouva dix ans plus tard à la tête de  l'une des plus importantes concessions automobiles de France.

J'ai grandi dans une pièce de l'appartement aménagé dans les anciennes chambres de l'hôtel Albuisson qui donnait sur la RN 20. C'était une pièce d'angle, au premier étage, où souvent j'étais réveillé par le tremblement des carreaux de la fenêtre et le souffle rauque de l'hydraulique des freins des semi-remorques qui, empruntant la Nationale, redémarraient après une halte imposée par le feu tricolore qui régulait la circulation à l'angle de la rue du Nord et de l'avenue Aristide Briand. J'aimais alors rester des heures derrière la vitre, espérant voir les bolides de mes rêves traverser à vive allure le théâtre de la rue qui s'offrait à mes yeux. On ne parlait pas encore de limitation de vitesse.

Leclerc à la Croix de Berny
Parfois le 14 juillet, les  Marsouins du régiment de marche du Tchad s'en retournaient avec leurs chars vers leurs casernements de Monthlery en passant devant la maison. Ils faisaient trembler les murs et j'imaginais alors les blindés de Leclerc et de sa 2ème D.B. fonçant à toute allure en direction de Paris, subitement arrêtés dans leur course vers la capitale par une résistance allemande solidement accrochée au carrefour de la Croix de Berny et décidée à défendre farouchement l'accès à la prison de Fresnes. Les durs combats qui s'y déroulèrent et dont la façade de notre immeuble et les volets métalliques des fenêtres portaient encore les stigmates coûtèrent la vie à cinq des compagnons d'armes du héros de Koufra.

Et puis, visible depuis ma chambre, dans l'enfilade, au bout de l'avenue, il y avait l'entrée du stade. C'était bien avant les exploits en "Top 14" des Chabal, Nallet et autres joueurs-vedettes du Racing-Métro 92 au "parc des sports"...


A l'époque de l'US-Métro, on disait "le stade". Il s'y trouvait un restaurant et plusieurs buvettes dont celle du vélodrome qui, pendant un temps, fut tenue par mes grands parents. Car à Berny il y avait un bel anneau de béton où les meilleurs spécialistes de la poursuite derrière moto couraient comme au Vel'd'hiv ou à la Cipale. Avec son revêtement de ciment et ses virages à 45° c'était, avant guerre, l'une des pistes les plus rapides de France. On s'y pressait les jours de grandes courses et on y buvait sec. C'était aussi un temple du noble art où Marcel Cerdan tira plusieurs fois le gant et où, le 13 mai 1945, il l'emporta à la 5ème reprise dans un beau combat contre Jean Despeaux. Ce jour-là, la recette fut exceptionnellement bonne. Mon grand-père se souvenait avec émotion de cette victoire par K.O. du Bombardier Marocain.

Dans ce stade aux installations très complètes, on trouvait même un fronton de Pelote Basque. Véritable complexe sportif avant l'heure, il fut construit dans les années Trente sur l'emplacement de l'ancien champ de courses hippiques de la Croix de Berny. Cet hippodrome oublié fut pourtant, de 1838 à 1848, l'un des berceaux du steeple-chase en France. Les anciennes écuries devinrent des vestiaires.

On y trouvait aussi une très belle piscine en plein air. Un bassin olympique au bord duquel mes parents se sont rencontrés. Ils avaient quinze ans. C'était en 1952. Je suis né 10 ans plus tard...

2 commentaires:

  1. Bonjour. Je viens de lire votre article qui m'intéresse au plus haut point dans la mesure où je travaille depuis deux années à reconstituer l'histoire du vélodrome de La Croix de Berny. J'ignorais qu'il y avait eu des escarmouches avec l'armée Leclerc à cet endroit, et les renseignements d'astomosphère que vous apportez sont touchants et juste. Mon étude sera achevée à la fin de l'année et d'ores et déjà vous pouvez consulter une partie de celui-ci sur mon blog STAYER FR, je vous donne le lien : https://stayer-fr.blog4ever.com/le-velodrome-de-la-croix-de-berny-un-petit-tour-et-puis-s-en-va

    En tant qu'habitant des lieux, il devrait forcément vous intéresser. J'aurai plaisir à connaître vos commentaires et si vous avez des informations que vous souhaiteriez partager, n'hésitez pas. Encore bravo pour ce beau sujet. Cordialement.

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  2. Je vous laisse mes coordonnées : VANWOORDEN. fddf@dbmail.com

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