jeudi 31 août 2017

"You don't owe me nothin', sir..."

2000, NYC, intérieur jour, tôt le matin dans une chambre de l'hôtel Novotel Times Square, je me réveille...

Après m'être habillé pour descendre prendre mon petit-déjeuner, je cherche, pour prendre connaissance de mon emploi du temps du jour, le Time System que j'utilise depuis le début des années 90 et qui, au fil du temps et des saisons qui passent m'est devenu un véritable bureau ambulant; ce gros agenda à la couverture de cuir que j'ai traîné partout, sous toutes les latitudes, par tous les climats et qui ne me quitte jamais. Impossible de le trouver. Mon passeport, mon billet de retour, mon chéquier y sont soigneusement rangés. Je suis à Manhattan. Panique!

Alors j'essaie de me rappeler et de reprendre le fil des souvenirs de la veille...

Début de soirée au piano-bar de l’hôtel Sofitel, à proximité de la cathédrale St Patrick et des bureaux des services français du tourisme aux États-Unis situés dans le bel immeuble du New Yorker. Nous étions convenus de nous y retrouver avec le directeur local d'Air France, qui deviendra, un temps, mon adjoint à Paris. Quelques standards de jazz plus tard, largement arrosés de cocktails et de scotchs bien tassés, la faim se faisait ressentir. Le responsable de notre bureau de New-York nous proposa d'aller dîner downtown dans un endroit qu'il décrivit comme "surprenant". La surprise fut en effet totale...

Fin de soirée, intérieur nuit, lumière tamisée sur fond de Rock lourd, dans une steak house tenue par des bikers à la mine patibulaire, autour d'une bière fraîche et d'un hamburger dont seuls les américains ont le secret. Une cuisine sans fioritures, des boissons (trop) alcoolisées, la fumée des cigarettes et (très) peu de présence féminine. Un peu l'impression - rétrospectivement - d'être plongé dans un épisode de la série Sons of Anarchy.

Ça y est, ça me revient! Je me souviens être arrivé dans ce bar avec mon agenda à la main. En revanche - mettons ça sur le compte du jet-lag et de l'abus d'alcools forts - je ne me rappelle pas du tout être rentré à l'hôtel avec. Merde!  J'ai dû l'oublier chez les bikers. Seul un miracle, me dis-je alors...

Appel au NYPD, branle-bas de combat au Consulat de France. Il faut attendre que le bar ouvre, dans l'après-midi. L'aventure ne me déplait pas même si je suis un peu inquiet de l'utilisation peu conforme aux usages qui pourrait être faite d'un joli passeport de service de la République française.

Et puis le coup de fil salvateur d'une collaboratrice du bureau qui a reçu un appel de la police. Une voiture de patrouille est passée au bar. Il semble qu'ils aient trouvé quelque chose. Vite! un yellow cab, je prépare 50 dollars que je donnerai, le cas échéant, en guise de récompense.

Arrivé devant l'entrée de l'établissement de nuit, qui me paraît beaucoup plus glauque à la lumière du jour, je me glisse entre les Harleys et les Indians garées en épis et je sonne. Des pas trainants, un homme d'entretien latino m'ouvre et me guide jusqu'au bureau du boss. Chemise de bûcheron canadien, perfecto et jeans noir, bottes de moto et bagues à chaque doigt, il est là qui m'attend, un cigare aux lèvres, une canette posée devant lui. Il me demande mon nom, semble satisfait de ma réponse, et sort du tiroir de son bureau en acajou sombre l'agenda que j'avais oublié sur la table de restaurant la nuit précédente. Je suis soulagé et, maladroitement, je le remercie en lui tendant les billets que j'avais préparés - en forme de reward - à cet effet: "Thank you so much. This is for you." Il lève alors les mains et, comme un télévangéliste presbytérien, me dit en me regardant droit dans les yeux: "You don't owe me nothin', sir. That's God's will!"*
 
Le rade recommandé par la très sérieuse NYC bar association était certes le quartier général d'un gang de motards mais il s'agissait en fait du chapitre new-yorkais des "solid rock riders" de la "Christian Motorcyclists Association". Un de ces groupes charismatiques qui œuvrent notamment à l'évangélisation de la communauté motocycliste.


Non seulement j'avais retrouvé mes papiers et mon billet d'avion, mais, sans même que nous le sachions, le barbu tatoué en blouson de cuir et gilet en jeans qui nous avait servi jusqu'à une heure avancée de la nuit avait, tout en nous abreuvant de Coors et de Budweiser, dit des grâces pour le salut de nos âmes de pêcheurs et le patron, au look de chef de bande, qui n'était rien d'autre que le ministre du culte de l'association, n'avait exigé de moi qu'une simple prière en guise de remerciement. L'Amérique c'est heureusement ça aussi...

 
* "Vous ne me devez rien, monsieur. C'est la volonté de Dieu!"

jeudi 17 août 2017

Ne rien faire, mais le faire plus longtemps

Notre nature ayant horreur du vide, et le débat sur le simple fait de ne rien faire - encore plus lorsqu'il s'agit de le faire seul - est tellement ancien qu'il est assez fascinant d'apprendre que non seulement l'oisiveté ne serait pas un vilain défaut mais que, comme le démontrent certaines études médicales récentes, si le repos est indispensable pour "recharger nos batteries", il pourrait être aussi essentiel pour garantir le bon fonctionnement de notre cerveau.

L'absence de stimulation garantirait le repos nécessaire, grâce au passage de notre cortex en mode "par défaut", qui permettrait une meilleure compréhension de notre environnement et favoriserait, par voie de conséquence, l’adaptabilité nécessaire à la survie.

Ce constat tombe fort à propos, car c'est précisément comme ça que nous envisageons, chaque été, notre villégiature calvaise. Se contenter de s'abandonner dans la contemplation des bleus changeant du ciel et de la mer. N'avoir qu'à choisir entre la plage et les rochers, tel bar, telle paillote ou le pagliaghju de Pierrot où nous partagerons un verre - parfois deux - entre amis, dîner sur la plage ou dans un de ces si beaux villages de Balagne, poursuivre la soirée chez Tony ou à l'Eden puis continuer chez Tao, jusqu'au bout de la nuit, au cœur de la fière citadelle génoise si bien chantée par Higelin. Et, enfin, dormir. Dans son lit, sur le sable, les rochers ou même sur le pont d'un bateau. Mais surtout, en faire le moins possible...

Une activité, certes soutenue, mais - Ô combien ! - réparatrice quand la saison des transhumances est venue.

Même dans les grandes cités, comme Paris, la circulation se fait beaucoup moins dense et certains profitent alors des boulevards qui s'abandonnent enfin aux flâneurs, aux amoureux de Paris, à quelques rêveurs et autres touristes qui forment une véritable société de connaisseurs (n'est-ce pas Laura ?...). C'est un peu comme si la ville elle-même profitait de la trêve estivale pour respirer un peu mieux et se refaire une santé en prévision de l'agitation à venir, à la rentrée.

Au risque d'en faire trop à un moment où, précisément, le devoir de farniente est de mise, je vais immédiatement me déconnecter pour mieux pouvoir rouvrir mon bulbeux encéphale en son mode "par défaut", juste à l'effet d'en faire le moins possible, presque rien, et surtout le faire longtemps. Le plus longtemps possible... Alors, à l'issue d'une période de repos que je te souhaite, ami lecteur, allongée et réparatrice, je reprendrai, lorsque le temps des vaines agitations laborieuses sera revenu, le fil de mes pensées errantes.

Bonnes vacances !