samedi 27 janvier 2024

Je ne sais rien

« Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien »
Socrate

La célèbre maxime attribuée à Socrate, "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien", est, au-delà de la formule de style, une assertion philosophique profonde qui souligne la modestie intellectuelle de son auteur et la confirmation de l'ampleur de ses lacunes en tant qu'être humain. Cette affirmation paradoxale de Socrate est au cœur de sa méthode dialectique qui consiste à poser des questions afin d'amener les interlocuteurs à réfléchir sur leurs propres croyances et à reconnaître les limites de leur savoir.

Lorsque Socrate affirme "Je sais que je ne sais rien", il ne prétend pas être dénué de connaissances, mais il aborde la question de la complexité du savoir et la conscience de ses insuffisances dans la compréhension du monde. Cette attitude humble - un coach pourrait dire, "en position basse" - envers le savoir contraste avec l'arrogance de ceux qui pensent tout savoir, souvent aveuglés par leur propre présomption.

La philosophie socratique repose sur la conviction que la sagesse véritable commence par l'acceptation de son propre non savoir, la prise de conscience qu'on ne sait pas. Socrate encourageait ses interlocuteurs à remettre en question leurs propres convictions, à explorer les fondements de leur savoir et à reconnaître les limites de leurs certitudes en cessant d'être dupes de leurs propres pensées. Cette approche, aujourd'hui encore utilisée en coaching et connue sous le nom de maïeutique, consiste à aider l'autre à accoucher de ses idées, à faire émerger une nouvelle réalité à partir de ses propres réflexions, à trouver, en lui-même, les ressources permettant de résoudre ses questionnements et ses problèmes.

L'approche intellectuelle de Socrate trouve également écho dans la pensée philosophique ultérieure, en particulier chez des penseurs tels que René Descartes, qui a formulé le célèbre adage "Cogito, ergo sum" (Je pense, donc je suis). Descartes reconnaissait l'incertitude inhérente au savoir humain et cherchait un point de départ indubitable pour construire sa propre base de connaissances. Cette remise en question radicale a posé les bases du rationalisme moderne et a souligné la nécessité de remettre en question les fondements du savoir humain.

L'idée que nous ne pouvons jamais tout connaître de manière absolue a également été explorée par d'autres écoles philosophiques, et notamment le scepticisme. Les sceptiques, tels que Pyrrhon d'Élis, mettaient en doute la possibilité d'atteindre une certitude absolue dans la connaissance. Ils soutenaient que l'on devait suspendre son jugement et adopter une attitude de doute face aux prétentions dogmatiques. Cette approche sceptique rejoint la perspective socratique en reconnaissant les limites de la connaissance humaine.

L'adage de Socrate résonne tout particulièrement aujourd’hui dans le contexte des progrès de la science moderne. Les découvertes scientifiques successives ont souvent remis en cause et bousculé des idées qu'on croyait établies, montrant ainsi que le savoir est un processus évolutif et dynamique. Les scientifiques reconnaissent l'importance de l'humilité, car même les théories les mieux établies peuvent être questionnées à mesure que de nouvelles données émergent. En outre, le concept de "Je sais que je ne sais rien" souligne l'importance de la curiosité intellectuelle et de l'apprentissage continu. En reconnaissant notre ignorance, nous sommes incités à explorer, à poser des questions et à chercher constamment à approfondir notre compréhension de l’univers qui nous entoure. Cette quête perpétuelle de savoir contribue à la croissance personnelle et à l'évolution de la pensée individuelle et collective.

Cependant, la reconnaissance de notre propre ignorance ne saurait, en aucune façon, justifier le relativisme absolu. Bien que nous ne puissions jamais atteindre une connaissance totale et définitive, cela ne signifie en effet pas que toutes les perspectives se valent. Certains arguments et idées peuvent être mieux étayés par des preuves et une logique solide, et la quête de la vérité exige toujours un engagement envers la rationalité et la recherche honnête et objective de la vérité.

Si l'assertion de Socrate invite à l'humilité, à la réflexion critique et à l'acceptation de l'ampleur infinie du savoir qui reste encore à découvrir, cette maxime incite aussi à la recherche constante, en soulignant la nécessité de rester ouvert aux nouvelles idées tout en reconnaissant les limites de notre compréhension. La philosophie socratique nous rappelle que la quête de la connaissance est un voyage sans fin, qui doit nous permettre d'approcher la vérité, au-delà du voile de nos illusions, mais aussi que l'humilité intellectuelle est l'une des clés pour avancer sur ce chemin.


"Quand ils savent qu’ils ne savent pas,
les gens peuvent trouver leur propre voie."
Lao Tseu - Tao Te King

samedi 20 janvier 2024

Rien ne garantit

"Le malaise que suscite en nous le langage ne diffère guère de celui que nous inspire le réel ; le vide que nous entrevoyons au fond des mots évoque celui que nous saisissons au fond des choses : deux perceptions, deux expériences où s'opère la disjonction entre objets et symboles, entre la réalité et les signes." 
Emile Cioran


La réalité est le fruit complexe d'expériences, de défis et de circonstances. Elle se plie rarement à nos aspirations ou à nos attentes. Pourtant, la quête de la maîtrise du réel est ancrée dans la nature humaine. C'est une entreprise qui transcende les époques et les cultures, la recherche perpétuelle d'un contrôle illusoire sur notre destin ou l'espoir que, passant par la quête du merveilleux ou toute autre croyance irrationnelle, une autre réalité est possible. On peut s'autoriser à penser avec Sylvain Tesson que, « le merveilleux émane du réel. Il n'a pas besoin d'inventions. »1

L'une des raisons pour lesquelles rien ne garantit l'asservissement du réel réside dans la dynamique changeante de la vie elle-même. La réalité est flou, chaotique, constamment en mouvement, et elle échappe le plus souvent à nos tentatives de la saisir. Les circonstances évoluent, les priorités changent, et les événements inattendus peuvent bousculer nos plans les plus soigneusement élaborés. C'est dans cette constante nécessité de devoir s'adapter aux circonstances que réside l'une des principales difficultés à dominer le réel, mais aussi notre capacité à changer de regard sur les choses et à modifier nos comportements.

Quid de la nature subjective de la réalité ? Chaque individu perçoit le monde qui l'entoure à travers le prisme de ses sens, de ses propres expériences, croyances et émotions. Ce filtre subjectif crée une infinie diversité de réalités personnelles, perçues sous différent angles de vues, ce qui rend, de facto, difficile l'établissement de règles absolues et universelles. Ce qui peut être considéré comme une réussite pour l'un peut être perçu comme un échec pour l'autre, soulignant ainsi la relativité inhérente à toute tentative de triompher de la réalité.

La complexité de la réalité est également liée à la nature imprévisible des événements. Personne n'est, par exemple, capable de simplement prévoir avec certitude le temps qu'il fera dans quinze jours. Les facteurs externes, tels que les catastrophes naturelles, les crises en tous genres ou des pandémies, peuvent frapper sans avertissement, et bouleversent le cours de nos vies. Dans ces moments, notre vulnérabilité est mise en évidence, rappelant alors que même les plans les plus élaborés peuvent être balayés par les caprices du destin.

Pourtant, l'aspiration à gouverner le réel est profondément ancrée dans l'histoire de l'humanité. Les avancées scientifiques et technologiques, les réalisations artistiques ou simplement nos croyances dans le progrès sont autant de manifestations de notre désir collectif de transcender les limites imposées par la réalité. La quête de la victoire contre le réel peut également se manifester dans notre constante volonté de comprendre, même l'incompréhensible. Les questions existentielles sur le but de la vie, la quête de la vérité et notre place dans l'univers, nos croyances les plus intimes, reflètent notre désir intrinsèque de transcender les contraintes du réel. Cependant, ces questions demeurent souvent sans réponse définitive, laissant un sentiment persistant d'incomplétude et installant durablement l'incertitude de pouvoir réellement triompher de la réalité.

On peut également considérer la dimension psychologique de cette quête. Nos aspirations individuelles, nos peurs, nos espoirs et nos attentes influencent notre perception de la réalité et notre capacité à y faire face. Les stratégies d'adaptation varient d'une personne à l'autre, et la résilience émotionnelle joue un rôle essentiel dans la lutte contre les affres du destin.

En fin de compte, rien ne garantit la victoire sur le réel, car la réalité elle-même est intrinsèquement insaisissable et souvent indomptable. Cependant, c'est précisément dans cette incertitude que réside la beauté de l'expérience humaine. La recherche de sens, d'intelligibilité et la volonté de transcender les défis de la réalité façonnent notre voyage, nous poussant à explorer toujours plus loin notre potentiel et à élargir nos horizons pour aller au-delà des apparences.

La sagesse réside peut-être dans la reconnaissance de notre propre vulnérabilité et dans l'acceptation de l'imprévisibilité de l'existence, une manière de renoncement à vouloir asservir le réel. Plutôt que de chercher une utopique victoire définitive, il peut être plus bénéfique de cultiver la résilience, l'adaptabilité intrinsèquement liée à notre humanité et une forme de gratitude pour chaque succès, même petit, même éphémère. Dans cette approche, triompher du réel devient moins une destination fixe qu'un processus continu d'adaptation et d'apprentissage.

La difficulté, l'imprévisibilité et la subjectivité de la réalité rendent toute tentative de la dompter complètement illusoire. Cependant, c'est précisément dans cette incertitude que réside la beauté de notre parcours. Accepter la réalité dans toute sa complexité, s'adapter aux changements inévitables et trouver un sens même à l'imprévisible sont peut-être les clés d'une forme de sagesse rendant la vie moins difficile à supporter. Enfin, rien ne le garantit.

mercredi 17 janvier 2024

Rien de vraiment nouveau

"Ne t’en vas pas au dehors, rentre en toi-même ; au coeur de la créature habite la vérité."
Saint Augustin


Pour évoquer les racines des métiers de l'accompagnement, qu'il s'agisse de thérapie ou de coaching, on mentionne souvent Socrate et sa Maïeutique et, bien sur, l'influence des pères de la Psychanalyse et de la Psychologie des profondeurs, Freud et Jung. Aujourd'hui, cher lecteur, je t'invite à plonger dans le contexte des débuts du Christianisme et de l'Hermétisme, à la découverte des Gnostiques et de Saint Augustin, et de leur quête de la Connaissance intérieure, une quête qui résonne étrangement avec les principes du coaching contemporain axé sur la découverte de soi et la transformation personnelle.

Dans le contexte du Christianisme naissant, dans les trois 1ers siècles de notre ère, de mystérieuses communautés émergèrent, connues sous le nom de Gnostiques. Les écrits qui nous sont parvenus, dont ceux d'Hermès Trismégiste, dévoilent un monde d'enseignements à caractère hermétique et ésotérique, mettant l'accent sur la connaissance intérieure et la transcendance des limites matérielles. Leurs croyances étaient diverses, mais obéissaient au même fil conducteur : la quête intérieure de la vérité. Les Gnostiques partageaient en effet une conviction profonde en la possibilité d'une connaissance directe et personnelle du divin, une idée qui défiait les canons et les normes de leur époque.  Ils croyaient en une réalité transcendante, au-delà du monde matériel, et cherchaient à éveiller cette connaissance cachée en chaque individu. Leur vision du monde mettait en avant l'idée que la sagesse ultime ne pouvait être trouvée que dans la compréhension profonde de soi-même.

Saint Augustin, l'un des Pères de l'Église, a, quant à lui, influencé la pensée chrétienne avec ses explorations de la nature humaine et la prise de conscience de l'individu comme sujet. Ses confessions autobiographiques reflètent une profonde introspection et une quête constante de sens. Les principes augustiniens de la réflexion sur le soi et la volonté résonnent dans le coaching moderne, où la conscience de soi et la volonté de changement sont des éléments essentiels du processus.

Au fil des siècles, les enseignements des Gnostiques et la pensée Augustinienne ont laissé une empreinte, souvent invisible mais pourtant bien réelle, émergeant parfois de manière inattendue dans les méthodes contemporaines d'accompagnement et de développement individuel. Ce qu'ils nous ont légué résonne tout particulièrement dans le monde moderne, où nos commensaux sont non seulement de plus en plus attentifs aux valeurs, mais aussi davantage en attente de sens et de connexion personnelle. La transformation personnelle n'est pas une création récente, mais une soif intemporelle d'apprendre, de soi sur soi, qui traverse les époques. Les Gnostiques, et leur vision éclairée, ont contribué, à leur manière, à poser les bases de cette recherche en soulignant l'importance de la connaissance intérieure. L'unité existentielle de la pensée de Saint Augustin, avec sa vision de la personne profondément positive, dynamique et ouverte a contribué, elle, à la découverte d' « un être créé mais non encore accompli (...) ». 

L’accompagnement professionnel repose sur la conviction que chacun détient, en lui, les réponses à ses interrogations. En tant que coach, ma compétence première est de savoir poser les bonnes questions pour guider le client dans la mobilisation de ses ressources, à l’effet de lui permettre de découvrir, en lui, de quoi bâtir ses propres solutions. Tourné vers la découverte de soi, la transformation personnelle et l'autonomisation, le coaching professionnel trouve des parallèles étonnants avec les enseignements des anciens chercheurs de vérité. Les coachs guident les individus vers une compréhension plus profonde de leur être intérieur. La quête de sens, la connexion avec ses propres valeurs, la reconnaissance de ses forces et faiblesses, deviennent des éléments clés du cheminement accompagné dans le but de renforcer l’alignement et d'encourager l’engagement.

Bien qu'il s'agisse d'un processus exclusivement mis au service de la réalisation d'objectifs professionnels, par l'usage de techniques variées le coaching amène les clients à plonger profondément dans leur propre essence, à découvrir des aspects d'eux-mêmes qu'ils n'avaient peut-être jamais explorés auparavant. Les sessions de travail sont des voyages intérieurs, des explorations de soi qui transcendent les apparences extérieures pour faire, parfois, émerger les profondeurs enfouies de l'inconscient. La connexion profonde avec soi-même dans un but d'accomplissement personnel, prônée par les Gnostiques et par l'auteur des "Confessions" préfigure le thème jungien (Carl Gustav Jung parle même de "préconcept")  d'individuation, ce processus de création et de distinction de l'individu, ce cheminement vers un équilibre psychique des différentes instances le composant, au moyen d'une confrontation dialectique du conscient avec l'inconscient. D'une certaine façon, le coaching reprend le flambeau et adapte ces principes anciens et le concept jungien pour répondre aux besoins contemporains du monde professionnel.

Les coachs, garants du cadre de travail, par la création d’un environnement propice au changement, offrent à leurs clients un temps et un espace sécurisés à l'effet de favoriser cette exploration intérieure et de leur permettre de concevoir leurs propres solutions gagnantes. La maïeutique, combinée à l'empathie d'une écoute active et bienveillante, reste pour le coach professionnel une technique éprouvée et toujours aussi efficace pour permettre à son client une mise en mots de ce qu'il a du mal à exprimer, ressentir, ou ce dont il a du mal à prendre conscience. Que nous soyons plongés dans les mystères de l'antiquité ou davantage motivés par les défis de la vie moderne, ce chemin d'individuation professionnelle reste le plus sur moyen de progresser vers soi et de trouver les ressources pour surmonter les questionnements que chacun peut éprouver. Avec la rapidité du développement des Biotechs et de la Bio génétique, les promesses prométhéennes du transhumanisme, l'émergence et les progrès vertigineux de l'Intelligence Artificielle, alors que, sur de nombreux fronts, la technologie avance à pas de géant, le besoin de se reconnecter à notre essence fondamentale devient pour beaucoup plus pressant que jamais. Le monde est inquiétant. Rien de vraiment nouveau...

jeudi 4 janvier 2024

Rien de social

"Nous sommes enfermés dans une « bulle informative », une sorte d’aquarium d’interprétations univoques, de dénonciations de parti-pris (parfois de propos haineux), souvent de fake news ou de théories du complot qui nous confortent dans nos opinions – une prison intellectuelle, réconfortante et excitante, confirmant tous nos avis et nos détestations et nos préjugés" 

Frédéric Joignot, Le Monde, 30 août 2016


Les réseaux (qui n'ont plus grand chose de sociaux) sont devenus des chaines communautaires, l'illustration quotidienne et très concrète d'un entre-soi partial, confortable et inique, qui ne questionne pas, un lieu où le doute n'est plus permis, un espace où la bienveillance, totalement exempte d'une quelconque exigence, n'est désormais plus que complaisance.

Dans l'effervescence quotidienne de nos vies, nous sommes régulièrement confrontés à la délicate question de notre partialité. Nous percevons tous différemment le monde qui nous entoure, et souvent, cette subjectivité est enveloppée dans le voile de notre conviction inébranlable en la justesse de notre propre perception. La subjectivité est profondément ancrée en nous. C'est une manière de lentille à travers laquelle nous filtrons le monde, déformant la réalité selon nos propres perspectives, tissées au fil de nos expériences, renforcées par nos croyances et nos préjugés. La partialité peut parfois même être subtile, se glissant dans les interstices de notre Psyché sans que nous en soyons conscients. Alimentée par nos expériences passées, des préjugés culturels ou des influences sociales, elle forme un prisme déformant à travers lequel nous interprétons les événements.

La conviction de la justesse de notre propre perception agit, au-delà, comme un catalyseur qui intensifie les effets de la partialité. Nous avons tous tendance à croire que notre manière de voir les choses est la plus objective, la plus juste. C'est un mécanisme de défense naturel qui renforce notre confiance en nous-mêmes, mais qui est également un frein puissant à l'acceptation de l'autre. Tout dogme, toute idéologie, chaque "isme" qui nous convint de détenir la vérité, entrave notre capacité à écouter et à comprendre les autres perspectives.

Imagine maintenant, ami lecteur, deux personnes qui sont témoins du même évènement. Elles l'interprètent de manière différente en raison de leur angle de vue et pour toutes les raisons que nous avons précédemment évoquées. Les versions qu'elles donnent de cet évènement sont différentes, parfois divergents et peuvent, sous certaines conditions, devenir même antagonistes. Si chacun est également convaincu de la justesse incontestable de sa propre perception, nous ne sommes pas loin d'une impasse. Le dialogue devient difficile, voire impossible, car la conviction de l'un s'oppose à celle de l'autre. Et de la confrontation - saine - des idées, on peut alors rapidement passer à l'affrontement, voire la violence.

C'est là que résident les problèmes potentiels. Les relations humaines sont tissées de fils fragiles, et l'intolérance combinée à la conviction intransigeante de l'exactitude de nos positions crée des tensions invisibles qui peuvent se transformer rapidement en  incompréhensions pouvant déboucher sur la violence. Les malentendus se multiplient, les jugements hâtifs se substituent à la compassion, et la diversité des perspectives qui s'exprime dans la confrontation d'idées raisonnables qui fonde le débat devient rapidement l'expression dogmatique de points de vue irréconciliables, reposant sur des croyances plus que sur des faits, source de division plutôt que d'enrichissement.

La conscience de nos propres préjugés et la volonté de les questionner sont les premiers pas vers une perception plus nuancée du monde et l'acceptation de l'autre en soi. Cela demande une humilité intellectuelle, une capacité à reconnaître que notre vision du monde n'est qu'une parmi d'autres, influencée par notre éducation, notre milieu et nos propres expériences de vie. La conviction que nous avons sur notre propre intellection des choses ne doit pas constituer un dogme indépassable. Seul le doute et le questionnement régulier de  la justesse de notre point de vue peuvent favoriser l'échange et la compréhension. En accueillant avec bienveillance l'expression des expériences et des idées des autres, nous élargissons notre propre horizon d'entendement du monde. Remettre en question notre partialité, cultiver la tolérance envers les perspectives différentes et adopter une approche attentive face à la complexité, en se départissant autant que possible de nos préjugés,  nous permet, en embrassant la diversité des expériences humaines, de mieux appréhender le monde et de tisser des liens plus forts, transcendant les barrières invisibles de l'arbitraire. 

En guise de conclusion, je te rappellerai, cher lecteur, que les réseaux dits "sociaux" trouvent d'abord leur origine dans le besoin de raffermir les liens au sein d'une même communauté. Ainsi en va-t-il de Facebook, créé il y a vingt ans déjà (c'était en 2004), par Mark Zuckerberg avec quatre de ses camarades d'Harvard, pour répondre aux besoins sociaux des étudiants de cette université. Un réseau d'abord à usage de renforcement communautaire. Les algorithmes qui régissent aujourd'hui nos vies sur le Net établissent un certain nombre de règles pour nous présenter du contenu qui correspond à nos goûts, nos intérêts, le lieu où nous nous trouvons, notre langue, nos habitudes de consommations, les idées que (nous ou) nos relations expriment... à l'effet de nous présenter un environnement correspondant à ce en quoi nous croyons et en ce à quoi nous aspirons. Les réseaux, quitte même, pour les besoins de la cause, à ce que, en ne sélectionnant que des informations exclusivement partiales, et par essence partielles, la technologie promeuve une forme de "vérité perturbée" destinée à renforcer les croyances de leurs membres, créent une forme de "bulle cognitive" au sein de laquelle nos convictions, loin d'être challengées, ne peuvent être que renforcées et qui nous enferment plus qu'elles ne nous libèrent... Rien de très "social" en somme.