mardi 23 novembre 2021

Un rien décalé

Une ancienne ministre de la République, qui plus est membre d'un Gouvernement de droite, vient de s'exprimer dans la presse pour promouvoir et défendre le mouvement "woke".

Je suis hostile, tant elle est évocatrice de la part la plus sombre de notre histoire contemporaine, à l'idée même de brandir la pureté comme un étendard. Alors, quand certains en font un slogan, au nom d'un prétendu "éveil" des consciences, je ne peux m'empêcher de craindre l'avènement d'une vision strictement binaire, réduite et même manichéenne de l'humanité. D'un côté, les purs, les "éveillés", et, de l'autre qui d'ailleurs ? des impurs qu'il conviendrait de dénoncer, de bannir, de rééduquer et, pourquoi pas, demain, d'éliminer ?

Venue d'outre-Atlantique, une nouvelle idéologie prônant une manière de pureté morale assortie d'une vision complotiste de la société s'installe et se diffuse, notamment chez les plus jeunes. Une nouvelle doxa qui refuse la vérité d'un monde complexe et plus nuancé qu'il n'y parait. En instaurant une forme d'intransigeance, au nom d'une cause considérée comme supérieure à toute autre, ceux qui désormais se croient meilleurs que le reste de l'humanité compromettent, en instaurant un puritanisme hystérisé, la libre expression, le choix et la liberté individuelle. L'essentialisation des différences instaure un climat de défiance, une fragmentation du tissu social, une manière de communautarisme tribal et réducteur, une vision dangereusement intolérante de la société où l'exception récuse une norme qui apparaît de plus en plus indéfendable. 

Plus de place pour le débat ou la confrontation d'idées, qui seuls permettent de se comprendre et d'avancer ensemble, mais une vision purement antagoniste et conflictuelle des rapports à l'autre. Celle d'un corps social atomisé, d'une humanité réduite à des tribus, des clans qui n'auraient plus grand chose à se dire et seraient condamnés à s'affronter pour exister. Or, l'idée même du progrès de l'humanité, celui des Lumières, c'est bien la recherche d'un Tout dépassant la simple addition des parties qui le composent. Quelque chose de plus grand, la quête d'un universalisme mise au service de l'épanouissement individuel.

A vouloir réduire l'individu à son genre, à sa race, c'est l'idée même d'universalité, l'humanité elle-même qui finit par être niée. A vouloir comprendre et réduire la diffusion du savoir à un seul enjeu de pouvoir entre "dominants et dominés", c'est toute idée de quête de la connaissance qui est rejetée. L'individu tout comme l'universel ne seraient que des fictions imposées par une société patriarcale, oppressive et raciste...

L'expérience m'a enseigné de se méfier des idéologies en général, et des "...ismes" en particulier, que je pensais naïvement jetées, pour une grande part, aux oubliettes de l'histoire, mais au risque d'apparaître comme "fragile" aux yeux des tenants du "wokisme" (j'ai longtemps pensé que ce terme faisait référence à l'instrument de cuisine...), ou même d'être réduit à ma simple identité de "Boomer", perçu comme le défenseur inexcusable d'un "pouvoir dominant" abhorré, il m'arrive de plus en plus souvent de regretter de me sentir entièrement à part de notre époque contemporaine et de moins en moins contemporain à part entière. Comme un rien décalé...