samedi 22 septembre 2018

Douter, c'est être raisonnable

Sans illusion aucune sur l'humanité prise dans son ensemble, je suis cependant naturellement enclin à faire confiance aux individus.

L'essai de Frédéric Lenoir - le miracle Spinoza - qu'un ami m'a offert, fait écho au débat sur la laïcité qui agite notre société. Débat récurent me diras-tu que celui qui oppose les tenants d'une pensée spiritualiste (voir même théiste, c'est le cas, je le crois, de Spinoza) aux hérauts de l'adogmatisme libéral - tout particulièrement dans un vieux pays pétri des contradictions nées de sa longue histoire et qui réussit, dans le même temps, la prouesse de s'affirmer tout autant République laïque que fille aînée de l'Église.

En lisant le livre précité, on prend conscience que la question peut même faire débat chez les exégètes de la pensée spinoziste. D'un côté, ceux qui, comme Frédéric Lenoir, affirment que l'oeuvre de Spinoza, fondée sur une métaphysique, serait empreinte d'une forme de (pan)théisme (Dieu est nature) et, de l'autre, ceux qui, à l'instar de Pierre Bayle, défendent la thèse que le philosophe serait le fondateur d'une manière d'athéisme vertueux, précurseur des lumières et tenant d'une pensée humaniste libérée de toutes références religieuses. Le croyant contre l'athée.

Il est possible, je le crois, de réconcilier laïcité sincère et spiritualité revendiquée, c'est même ce à quoi il m'arrive d'essayer de m'employer. Je refuse en effet pour ma part de choisir entre ceux pour qui "tout ce qui est, est en Dieu" et ceux qui affirment que "rien de ce qui est, ne saurait être étranger à l'homme". Une troisième voie est, comme je l'ai déja évoqué ici, non seulement possible mais souhaitable (cf. "Tout ou rien", texte du 16 juillet 2018). Rien n'est pire en effet que d'être pétri de certitudes, rassuré par l'infaillibilité de ses convictions et de ne jamais douter. Entre Thanatos et Eros, je préfère la recherche d'un juste équilibre ordonné, au risque même d'un surmoi pesant, à la simple acceptation résignée du chaos qui naît de l'absence sartrienne de surmoi. Douter c'est ne pas se satisfaire de croire. Et puis, douter c'est d'abord et peut-être surtout douter de soi, apprentissage nécessaire à une certaine évolution. Douter, c'est être raisonnable.

Alors, même si les atrocités du passé n'ont souvent rien à envier à la férocité du présent, même si fanatisme et intolérance semblent malheureusement encore trop bien se porter en ce début de siècle, j'espère encore dans la capacité de l'individu de s'amender, d'aller au-delà des passions humaines, de s'améliorer et, partant, de contribuer au progrès de l'humanité. Rien n'est plus fort que la recherche inlassable de l'unité perdue, au-delà des différences. Croyants ou incroyants, peu importe au fond. Les convictions individuelles ne comptent plus dès lors que nous savons regarder, avec tolérance, dans la même direction et que nous acceptons l'apprentissage du respect de nos différences. Car apprendre, c'est d'abord accepter d'avoir tort. Aller contre soi-même. Sortir. Quitter le confort de ses certitudes, au risque même de se confronter à l'Autre ? Au risque parfois de se rendre compte qu'on peut avoir raison contre une majorité, contre tous ?

Douter c'est enfin comprendre que "tout est si incertain dans la vie qu'on est jamais sûr d'avoir raison"1 et que "si l'on veut avoir raison, réellement raison, il faut commencer par être raisonnable"2.



1. Victor Cherbuliez, in Le roman d'une honnête femme
2. Erik Satie, 15 mars 1924