vendredi 17 juin 2011

Rien à faire

Les voitures, je suis quasiment né dedans. Toute mon enfance, chefs d'atelier, vendeurs ou mécaniciens se sont succédés pour me conduire à l'école au volant... Selon qu'ils laissaient dans l'habitacle une fragrance mêlée de Gitanes et d'huile de vidange ou bien des effluves de Petrol Hahn ou d'un après-rasage Aqua-Velva couvrant à peine des relents de cigarillos bon marchés, je comprenais qu'ils appartenaient à tel ou tel de ces deux mondes que ne séparait pas uniquement la Nationale 20. Car les équipes des Établissements Roger Porte se faisaient face et se toisaient d'un coté et de l'autre de l'avenue Aristide Briand. Sur un trottoir, le service après-vente, l'atelier et les pièces détachées. Sur l'autre, la direction générale et les ventes. Ma mère régnait sur l'un quand mon père dirigeait l'autre...Une forme de résumé du monde avec ses cols bleus et ses cols blancs, son aristocratie et son prolétariat, ses rouleurs de mécanique et ses mécanos, ses hommes et ses femmes...

Pour mon dix-huitième anniversaire mon père m'a offert un petit coupé sport italien. Je n'avais pas encore  le permis de conduire. Alors c'est dans le garage de la rue du Nord qu'au volant de mon Alfa-Romeo Giullietta Coupé GT Veloce 2000 de 1969 je rêvais aux mythiques spéciales du Tour de Corse ou aux étapes de montagne du rallye de Monte-Carlo. Avec mon ami Pierre comme copilote, nous tournions la clé de contact juste pour écouter le ronronnement du deux-litres italien et si nous nous risquions parfois à faire une manœuvre, c'était uniquement sur quelques mètres, d'avant en arrière, lorsque, en fin de semaine, l'atelier était moins encombré...

Cette splendide petite italienne, je n'ai jamais roulé avec ailleurs que dans mes rêves et, sur quelques mètres, dans ce garage.  Je l'ai revendue au frère de l'un de mes amis d'alors, aristo très catholique et très à droite qui fréquentait la faculté de la rue d'Assas. Les rallyes qu'il courait ne dépassaient pas les frontières du seizième arrondissement et ses trophées étaient des filles à papa qui peuplaient le grand amphithéâtre pour y trouver le futur père de leurs nombreux enfants...

Moi, la voiture m'a toujours rendu malade !

A la simple évocation du souvenir d'une lecture en auto, fut-ce seulement quelques malheureuses lignes, j'ai des sueurs froides, la nausée me submerge et la migraine me prend.  Mes parents, les médecins, mon Psy... On a eu beau faire et essayer de me convaincre du contraire, je suis malade en voiture. Alors pouvoir, à l'occasion d'un trajet automobile, faire sa correspondance, signer des parapheurs, ou simplement lire le journal, tout m'est dans l'évocation même insupportable ! Ce handicap, car c'est un handicap, m'aurait à lui seul empêcher de pouvoir avoir le goût ou l'envie de me faire élire quelque part. Rien à faire.