jeudi 7 décembre 2023

Du temps pour rien

"Ce n'est pas drôle de ne rien faire quand on n'a rien à faire*"
Jerome K. Jerome


Sais-tu, cher lecteur, ce que signifie l'ociophobie ? Il s'agit de la peur de n'avoir rien à faire, de la peur de l'ennui. Maladie des temps modernes si l'on en juge, d'un rapide regard circulaire dans la rame de métro du soir, par l'immense proportion de nos contemporains hypnotisés par l'écran de leur smartphone. Peu se contentent alors de regarder autour d'eux ou de simplement se laisser aller à rêvasser...

Bien sur, tout porte à se méfier de la neurasthénie, de la mélancolie et de leurs vols de papillons noirs. Mais savoir régulièrement - et l'accepter - accueillir l'ennui lorsqu'il se présente. On dit parfois de certains qu'ils sont "contemplatifs" car ils peuvent se contenter, pendant des heures de regarder le ciel, d'admirer le flux et le reflux des vagues sur le rivage ou simplement trouver que la montagne est belle. En 2016, un article du Journal of Experimental Social Psychology expliquait que ceux qui accueillent l'ennui "sont plus à même de développer des pensées originales".

Comme l’a écrit Jacques Chirac : "le repos est une affaire sérieuse". Car ce temps de repos n'est surement pas du temps pour rien. D'ailleurs, jamais on ne fait vraiment rien. Contrairement aux ordinateurs qu'il suffit de déconnecter de leur source d'énergie pour les éteindre, nous ne pouvons pas "geler" notre cerveau. Même le sommeil est une période complexe d'intense activité neuronale et psychique. Bien qu'endormis, nos systèmes physiologiques, respiratoire et digestif, tout comme notre système cardiovasculaire fonctionnent heureusement, eux aussi, toujours. Même nos tissus corporels se régénèrent et l'on sait aujourd'hui que nos capacités cognitives s'améliorent. Nos sens, bien qu'assoupis, restent d'une certaine façon en éveil. Un bruit, une lumière, un mouvement peuvent suffire à nous tirer des bras de Morphée. Un individu vivant quatre-vingt ans aura, en moyenne, passé vingt-cinq à vingt sept ans à dormir, soit, plus ou moins un tiers de son existence. Un mien ami m'explique pourtant très doctement qu'il dort le moins possible car, dit-il, "c'est du temps perdu, du temps pour rien !" Pourtant, quand on dort, on rêve et cette activité, à elle seule, justifie amplement de s'accorder un temps de sommeil raisonnable. Paradoxe du sommeil paradoxal où le corps est dans une situation de sommeil profond, nos muscles détendus et immobiles, mais où l'activité cérébrale est extrêmement importante - ce qui se traduit physiologiquement par l'observation de mouvements oculaires rapides - moment où interviennent les rêves les plus intenses et les plus visuels, essentiels à notre bon équilibre psychique et à notre créativité.

Au-delà du sommeil, indispensable à la vie, acceptons que chaque moment que nous nous accordons pour rêvasser, buller, bayer aux corneilles, c'est à dire regarder en l'air, dans le vide, contempler, voir même désirer des choses sans intérêt est un moment précieux. Je ne sais pas ce que tu en penses mais moi j'ai plutôt tendance à me méfier de ceux qui me disent ne pas supporter de s'ennuyer. Le temps que nous accordons à des moments ennuyeux, surtout lorsque nous sommes résolument passifs, c'est d'abord celui qui nous permet de prêter attention aux petits riens que nous ne percevons plus. Le temps libre n'est pas celui du vide mais il peut, au contraire, être celui de l'éveil aux petites choses qui naissent de ce que perçoivent nos sens, de ce que nous sentons, mais surtout, nous ressentons. L'ennui n'est-il pas non seulement le plus sur moyen de se reposer mais aussi l'un des plus surs chemins vers l'inventivité ?

Rien plus que l'oisiveté, dit-on, ne nous rapprocherait, avec délice et suavité, de la mort. Est-ce si certain ?


(*) Extrait de Pensées paresseuses.