lundi 22 mai 2017

Plus de lumière : esquisse de philosophie pour une époque de contradictions.


« Connais-toi toi-même... Et tu connaîtras l'univers et les dieux. »

La phrase figurant au fronton du Temple d’Apollon de Delphes nous enseigne que c’est la sagesse qui est la seule et unique source de tous les biens et qu’elle commence, d’abord, par la connaissance de soi-même. Sans cette connaissance, c'est en vain que l'on peut prétendre au bien véritable, au beau. Seule la connaissance de soi-même permet en-effet la connaissance du sublime; l’accès à la Vérité, au-delà des passions qui, lors qu’elles ne sont pas vaincues par la raison mais subies, sont les plus grands obstacles à l’accomplissement et au bonheur de l’homme. Car la sagesse humaine est affaiblie par l’illusion qui naît d’une pensée à laquelle l’erreur se mêle, comme l’ombre à la lumière.

La beauté ne saurait être mauvaise puisqu'elle nous rend meilleur. Et d'ailleurs, je ne crois pas à la beauté du diable. La beauté est synonyme de bon, de bien, d'harmonie. Avec François Cheng, citons Henri Bergson : "L’état suprême de la beauté est la grâce, or dans le mot grâce, on entend la bonté, car la bonté est la générosité d’un principe de vie, qui se donne indéfiniment. Donc à travers le mot grâce, beauté et bonté ne font qu’un".

Si on associe la beauté de Cheng à la grâce de Bergson, on approche - me semble-t-il - d’une idée de la transcendance. En effet, tout comme la lumière éveille la conscience, elle met aussi en beauté, elle révèle, derrière les ombres et le théâtre des illusions, le meilleur de l'homme. Pour connaître les causes et les idées, seules accessibles, comme le dit Philon d’Alexandrie, aux dieux, l’homme doit s’élever au-dessus de sa condition terrestre, au-delà du perceptible et des possibilités de l'intelligible (au-delà de l’entendement), par une voie que certains qualifient de  transcendantale.

Cette prise de conscience, cette "illumination" peut parfois inspirer un changement des dispositions les plus intimes de l'individu.

Ayant résolu l’opposition qui réside, au cœur du débat traditionnel, entre immanence et transcendance, intérieur et extérieur, ou plutôt ce qui est dehors et ce qui est dedans, fini et infini, relatif et absolu, pour revenir à l’essentiel, pour percevoir l’intention derrière l’expression, c’est à la quête de l’essence qui, comme le dit Frithjof Schuon1 comporte intrinsèquement l’infinitude, que l'homme éclairé est entraîné, en recherchant le principe immuable, dans le reflet qui se cache sous le voile des formes. On se souviendra ici des paroles de Hermann Hesse : « On a peur uniquement quand on n’est pas en accord avec soi-même. Les hommes ont peur parce qu’ils ne sont jamais parvenus à la connaissance d’eux-mêmes (…) de l’inconnu qui est en eux ».

Par un rapide retour à l'actualité du moment, que certains pourraient considérer comme un raccourci, me vient la question de la posture et de la constance en politique. Car, après tout, ce qui se joue en la matière c'est bien aussi la question de la mise en lumière des actes lorsque l'analyse parvient à s’exonérer des ombres trompeuses de la mémoire. Doit-on, pour  affirmer sa fidélité, toujours traîner le poids mort du souvenir d'actes passés ? On fait parfois grief aux hommes politiques - cela a même pu m'arriver, je le reconnais - de changer d'avis, d'opinion, de fidélité. Est-ce si grave ? 

On peut changer d'avis sans vendre son âme au diable! La peur est mauvaise conseillère. La seule crainte de devoir se confronter au reproche d'avoir contredit une affirmation, autrefois énoncée comme une vérité première, peut-elle, seule, tenir lieu de ligne de conduite ? Au fond, n'est-ce pas le sens de toute notre vie que de devoir, hors de toute raison, savoir adapter notre liberté de penser aux circonstances nouvelles en modifiant notre regard, notre point de vue, tout autant que notre action ? "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas..."

La prise de distance, pour tout dire la mise en lumière des actes et des paroles passés d'un homme, peut éclairer d'un jour nouveau son parcours et même faire apparaître une cohérence là où l'on s’échinerait à ne vouloir trouver qu'une forme de reniements et de de contradictions successives. Se connaître c'est évidemment être en accord avec soi-même, mais c'est aussi accepter ses erreurs, son imperfectibilité, sa fragilité; c'est, par-dessus tout, accepter qu'on peut changer d'opinion sans pour autant trahir sa vérité profonde, se sentir en accord avec soi-même sans pour autant sacrifier à la doxa dominante, changer d'avis sans pour autant se contredire. Alors, si l'inconstance ne saurait, évidemment, tenir lieu de morale à l'action, souvenons-nous aussi avec le Président Edgar Faure que ce n'est pas la girouette qui tourne mais le vent, ou, comme le dit si bien le dicton populaire "qu'il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis !"

En notre époque de contradictions, pour mieux éclairer les actes et les paroles, rien ne saurait donner plus de sens que la fameuse supplique finale que Goethe prononça juste avant de mourir : "Mehr Licht". "Plus de Lumière".

1 - Frithjof Schuon - Le Soufisme, voiles et quintessence.