mercredi 20 mai 2015

Rien sans regret...


Livre du moment : Les Œuvres littéraires de Jean-Bertrand Pontalis, éditées par Gallimard dans la collection Quarto.

Surprise à la lecture de l'écriture limpide, exacte, simple et assez unique de ce philosophe, grand lecteur, psychanalyste et écrivain (tardif),  d'y trouver l'écho de certaines réflexions si personnelles. La force, irrésistible, du Verbe. Le langage comme une expression des émotions, au-delà du cours du temps dont nous avons l'illusion qu'il passe... Et cette obsession - hantise, angoisse ? - de la perte et de la disparition, souvent annonciatrice d'une forme de regret, pour ne pas dire, de nostalgie (celle d'un inachèvement ?)

Le regret est parfois défini comme l'émotion qui subsiste à l'objet perdu, le déplaisir d'avoir perdu quelque chose ou la déception de ne pas avoir obtenu une autre. Celle qui, d'une manière ou d'une autre, légitimera le désir qui viendra. Désir d'ailleurs, d'autre, d'autrement (de l'autre qui ment ?). Ou, mieux exprimé par J.B. Pontalis: "Chaque fois qu'on se sépare - d'un lieu, d'une femme, d'un livre après sa publication -, on se sépare de soi même, du même en soi. A notre insu pointe le désir de passer à autre chose"1. Dès lors, le regret porte en lui le désir qui vient et qui sera le moteur des changements. Même, il le rend plus grand. Regret/Désir, Nostalgie/Espoir... Désirer ce qu'on a pas, regretter ce qu'on a plus. Être nostalgique du passé, espérer en l'avenir. Si, comme l'a écrit Marcel Jouhandeau dans son algèbre des valeurs morales, “l'instant n'a de place qu'étroite entre l'espoir et le regret et c'est la place de la vie", notre existence se résumerait-elle à ce dilemme ?

Le regret c'est aussi le chagrin causé par l'absence de celui qui a disparu. Comme l'a si bien écrit Guillaume Apollinaire: "Les hommes ne se séparent de rien sans regret..."2 . Il est vrai qu'en se séparant de quelque chose ou de quelqu'un, on obère une part de soi. Certains vont jusqu'à dire qu'on laisse en arrière le même en soi. L'émotion du regret, cette peine laissée par l'absence n'est que l'expression du souvenir de ce qui restera, de cette part laissée derrière nous.

Le regret, c'est enfin tout autant le déplaisir du souvenir de ce qu'on a fait, pas fait ou omis de faire, cela peut être la répugnance même à faire; à être contraint de faire quelque chose, à regret. C'est, dans le langage commun, faire à reculons, à contre cœur; sans désir de faire (à rebours, pour faire reculer le temps ?). On peut même, dès lors, imaginer avoir des regrets d'avoir fait à regret ?

A l'issue de cette lecture, une question me vient qui pourrait rester sans réponse: comment concilier l'apparent paradoxe du regret d'un âge d'or, d'une jeunesse idéale, du passé révolu, si bien exprimé dans Avant3, et le hors-temps de l'Inconscient - cette ignorance du temps décrite par Freud -, ce Temps sans âge, celui du rêve; sans début, ni fin; sans avant, ni après; sans passé, ni futur; ce Temps qui ne passerait pas ? Et s'il suffisait, pour répondre, de se souvenir que l'avant exprime tout aussi bien le passé que l'avenir comme on dit "aller de l'avant"; quitte à prendre le risque de "la fuite en avant"...


1 - J.B. Pontalis, Fenêtre.
2 - Guillaume Apollinaire, Le flâneur des deux rives.
3 - J.B. Pontalis, Avant.