mercredi 23 mars 2022

Rien ne subsistera

Si rien ne reste, ou si peu, et que souvent nous croyons avoir oublié, tout toujours perdure quelque part en nous.

Après des mois de lutte contre un étrange et redoutable virus (qui semble, si l'on en croit les nouvelles, n'avoir toujours pas capitulé...), le monde fait désormais face au plus grand risque de conflit armé généralisé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et, une fois encore, une fois de plus, comme victime d'une lointaine et terrible malédiction, l'Europe est le théâtre de cette sanglante confrontation. Pour ceux qui, comme moi, ont cru que la belle idée de la construction européenne était l'assurance d'une paix durablement retrouvée sur notre continent, grande est la désillusion. Pourtant, j'ai la prétention de m'être, depuis longtemps, intéressé aux questions de défense. Ancien auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, j'ai même pris l'engagement de diffuser dans la société et de partager "l'esprit de défense". C'était hier, c'était il y a vingt ans déjà... 

Le thème retenu pour notre cinquante-cinquième session nationale portait sur le risque de "guerres asymétriques". Un an après l'attaque des tours jumelles du World Trade Center, certains de nos intervenants d'alors, affirmant que nous étions entrés dans une nouvelle ère de l'Histoire du monde, anticipaient le risque religieux, la montée des communautarismes, le regain d'une manière de nationalisme 2.0 et les tentations centrifuges qui pourraient les accompagner dans nombre de régions du monde, annonciatrices de confrontations armées d'un nouveau genre à venir, mais tous nous enseignèrent alors que le risque d'un conflit de grande intensité sur le sol européen n'était plus guère retenu comme hypothèse de travail, ni la fédération de Russie comme une potentielle menace… Encore une fois l'Histoire, qui se moque bien des algorithmes, des analyses et des prévisions, a, avec son éternelle malice, donné tord aux experts, aux spécialistes et aux sachants.

Pourtant, ce sont, nous dit-on, les hommes qui font l'histoire, tout comme ils peuvent changer leur vie bien plus que la vie ne les transforme.  Il est plaisant de feindre qu'en modifiant notre vision du monde, nous nous transformerions et que, par voie de conséquence, nous pourrions transformer le monde. Et si pour une fois nous consentions, ami lecteur, à la croyance inverse ? Et si nous n'étions que le fruit de notre histoire et l'humanité toute entière le jouet impuissant d'un fatum qui la dépasse, emportée qu'elle est dans le tourbillon de l'Histoire. Vie et destin...

Souvent, ici, j'ai affirmé la grande méfiance qui est la mienne (depuis une certaine campagne présidentielle de 1995...) des experts et de leurs pronostics. Sous sommes, à coups surs, entrés dans une période de grands périls, bien malin qui pourrait, aujourd'hui, dire où va le monde ?

Alors, pour ma part, je préfère me contenter de la petite (toute petite) histoire de cette modeste littérature du rien qui alimente ce blog depuis bientôt quatorze ans. Et, en relisant certains des textes qui en ont jalonné l'existence toute numérique, je réalise à quel point nos pensées sont influencées par notre environnement, la conjoncture, et qu'ils composent une manière de journal des petits riens, de ceux qui, mis bout-à-bout, font une vie. Le présent fuit, le passé n'est qu'illusion, seul le futur est encore imaginable. Rien ne subsistera sinon des riens.