lundi 26 juin 2017

Rien ne sera plus comme hier...

Bonnets rouges, zadistes, nuit debout, sens commun, frondeurs du PS, République en marche, Républicains constructifs et maintenant les progressistes... L'uberisation de la politique est désormais une réalité qui a trouvé, dans les urnes, une concrétisation synonyme de déroute pour les représentants des partis traditionnels aux dernières élections législatives.

Querelle classique des anciens et des modernes, du parti du mouvement face à tous les tenants de l'immobilisme, de la création libre de l'avant-garde face au conservatisme du classicisme? En tout cas, force est de reconnaître que rien aujourd'hui ne ressemble plus guère à ce que nous avons connu hier.

Les électeurs seraient-ils, à l'instar des consommateurs décrits dans les modernes manuels de marketing, devenus des zappeurs dont la fidélité n'aurait d'égal que leur inculture politique, comme ceux dont la voix a pu passer, entre deux tours de scrutin, de la France Insoumise au FN sans barguigner ? 

Le moderne citoyen se moque bien d'avoir sa carte dans un parti politique et s'il est prompt à signer un jour une pétition en ligne, à s'engager le lendemain pour une cause à laquelle il ne connait rien mais qu'il trouve "sympa" ou à défiler pour dire "non", il s'abstient pourtant de voter à l'occasion d'une élection majeure qui engage son avenir pour plusieurs années... Va comprendre!

A l'Assemblée, on annonce aujourd'hui la création possible d'un nouveau groupe politique, situé entre celui du Président et les socialistes. La fragmentation entamée avec les constructifs à droite trouvera-t-elle son pendant à senestre? L'ancien Premier ministre - dont l'élection même est fortement contestée sur sa gauche - n'a pas cru devoir rejoindre le groupe du parti qui fut celui de sa majorité jusqu'à la semaine passée... 

Ce que certains décrivent comme de simples péripéties politiques m'apparaissent comme autant de signes d'une uberisation en marche, caractérisée, en contrepoint du fait collectif d'un groupe majoritaire pléthorique, par l'affirmation d'initiatives individuelles ou numériquement très faibles. Au final, et malgré le poids écrasant de l'ensemble majoritaire, on battra peut être cette semaine au Palais Bourbon le record du nombre de groupes sous la cinquième République. Comme si chacun de ceux qui ne se revendiquent pas de la majorité élue voulait s'assurer son petit "sam'suffit" et s'en contentait.

Recomposition ou décomposition ?

Après les temps héroïques des cathédrales, celui des grandes ambitions collectives et partagées, semble être venu celui du développement des petites chapelles individuelles. Querelles picrocholines et divertissement garantis grâce au mariage du formatage médiatique qui s'impose au discours et d’un accès supposé interactif au plus grand nombre rendu possible par la médiation du Web, mais union et efficacité dans l'action sans doute très fortement fragilisées. Après tout, peut-être ce retour d'un choix plus ouvert est-il annonciateur de l'avènement d'une démocratie plus directe, plus représentative et moins figée? Mais pour ceux qui, comme moi, ont été biberonnés au lait des grands partis qui ont façonné la France de la deuxième moitié du vingtième siècle, pour ceux qui considèrent qu'au-delà des égoïsmes et du tumulte des passions du moment la plus belle des ambitions reste d’essayer de rassembler ce qui est épars, il est bien difficile de s'y retrouver...

Non, décidément, rien ne sera plus comme hier.


dimanche 11 juin 2017

Sous la mer, rien ne bouge...

Printemps 1996, en patrouille quelque part sous la Méditerranée occidentale... A bord d'un sous-marin nucléaire d'attaque de la Marine Nationale portant le nom illustre de son prédécesseur qui fit partie des Forces Navales Françaises Libres et fut fait Compagnon de la Libération.

Jusqu'à cet embarquement, que je dus à la bienveillance de mes collègues marins du cabinet militaire de Matignon, la dissuasion m'était apparue comme un concept pour tout dire assez théorique. Et puis tout soudain, en plongée à bord de ce bâtiment de classe Rubis de la force océanique stratégique, j'ai pu comprendre, bien qu'il ne s'agisse pas d'un SNLE, le sens profond de l'engagement de ces équipages au service de la puissance maritime de la nation. Un engagement qui allie discrétion et force dans le cadre des opérations de lutte anti-sous marine engagées au profit de la dissuasion.


Le souvenir que je garde de la navigation en surface de ce bâtiment de plus de 2 500 tonnes reste associé à la très inconfortable flottaison d'une coque ronde qui roule comme un bouchon de liège ballotté par les flots et au sifflement d'un vent fort et désagréable sur le massif. En revanche, après une courte mais indispensable immersion périscopique et un très impressionnant exercice de plongée rapide, la stabilisation de l'assiette à une profondeur de plusieurs centaines de mètres sous le niveau de la mer me revient comme un agréable moment. Tout soudain, plus un bruit ne vient troubler le silence de la mer, à l'exception des sons, inquiétants je l'avoue pour le néophyte, de la coque épaisse se contractant sous l'effet de la pression. Surtout, plus un mouvement. Ni tangage, ni roulis. Juste un ronronnement discret et une très légère vibration dus au système de propulsion. Bien loin du tumulte de la vie terrienne...

N'eut été l'alternance de lumière rouge et de lumière blanche, les quelques échos du sonar provenant du PCO et les données affichées par les diodes du profondimètre du carré dans lequel une bannette m'avait été assignée, aucun élément extérieur ne me permettait alors de me repérer dans le temps ou l'espace alors même que le sous-marin progressait, à l'aveugle, dans les profondeurs de la Méditerranée, seulement guidé par des sons, des bruits, des ondes. Je me craignais claustrophobe mais ce n'est pas l'enfermement qui m'a le plus marqué, plutôt cette curieuse impression d'être plongé comme "hors du temps", au sein - bien loin de la rue de Varenne - d'un "ailleurs" auquel rien sur terre ne ressemble, auquel rien ne prépare. Drôle de sensation...

En partageant - même pour quelques heures seulement - la vie de ces hommes, condamnés à cohabiter plus de quatre mois en vase clos dans un quotidien marqué par la promiscuité, l'urgence et une forme de vigilance extrême et permanente rythmée par les messages flash reçus par satellite de l'escadrille, on comprend assez vite pourquoi seuls les volontaires sont admis à servir sur un sous-marin.

Je crois déjà l'avoir ici-même écrit, ce qui m'avait alors particulièrement impressionné c'était qu'à 38 ans, j'étais alors déjà plus âgé que le capitaine de frégate qui commandait aux 70 hommes, d'une moyenne d'âge inférieure à 30 ans, de l'équipage rouge qu'accompagnaient, pendant cette mission, quelques nageurs de combat et autres "techniciens" et "experts" embarqués avec moi à Toulon.

Je me souviens avec délice de mon traditionnel baptême de sous-marinier. Je l'ai vécu tel un rituel initiatique bien codifié auquel, depuis, d'autres ont fait écho... Après que le commandant m'eut tendu un grand verre d'eau de mer puisée à - 300 mètres que j'ai du avaler cul-sec, ce fut au tour d'un excellent Saint-Emilion; un grand vin que l'on boit malheureusement d'un trait pour chasser le goût salé laissé dans la bouche par le premier breuvage.

Puis vint le temps des exercices et des simulations de tirs de torpilles et de missiles en direction de cibles qui ignoraient tout du terrible danger qui les menaçaient alors. Le professionnalisme, la concentration sur les manœuvres et le strict respect des protocoles et des ordres, dans cet univers où la "discrétion acoustique" est une règle absolue, marqueront pour toujours ces instants dans ma mémoire. Ce sont des instants qui permettent d'apprécier tout le poids des responsabilités qui pèsent sur les épaules du commandant et de ses hommes et la conscience aiguë qu'ils ont de la puissance de feu terrible que représente le bâtiment à bord duquel ils servent.


Carnet de plongée...
Les ordres reçus de l’État-major à Toulon, la route précise fixée par le commandant conduisirent ensuite le sous-marin jusqu'au large des côtes d'un pays d'Afrique du Nord, dans le cadre d'une mission de surveillance et de renseignement, mais de cela je ne parlerai pas. Comme le disent souvent les marins pour évoquer leurs missions frappées du sceau du secret : "il suffit de lire la presse pour avoir une petite idée du lieu où nous a conduit notre patrouille"...

Plus de 20 ans ont passé et le Rubis sera désarmé cette année. Mais en retrouvant aujourd'hui le livret personnel de plongée sur lequel furent consignés mes - très modestes - "états de service à la mer", je mesure pleinement la chance et le privilège que j'ai eus de pouvoir partager la vie tellement exceptionnelle de ces hommes engagés et discrets dont la seule ambition est de servir.

Si, trop souvent, notre actualité terrienne est chaude et agitée par le tumulte des passions, sous la mer, heureusement, tout est calme, rien ne bouge.