Printemps 1996, en patrouille quelque part sous la Méditerranée occidentale... A bord d'un sous-marin nucléaire d'attaque de la Marine Nationale portant le nom illustre de son prédécesseur qui fit partie des Forces Navales Françaises Libres et fut fait Compagnon de la Libération.
Jusqu'à cet embarquement, que je dus à la
bienveillance de mes collègues marins du cabinet militaire de Matignon, la
dissuasion m'était apparue comme un concept pour tout dire assez théorique. Et
puis tout soudain, en plongée à bord de ce bâtiment de classe Rubis de la force
océanique stratégique, j'ai pu comprendre, bien qu'il ne s'agisse pas d'un
SNLE, le sens profond de l'engagement de ces équipages au service de la
puissance maritime de la nation. Un engagement qui allie discrétion et force
dans le cadre des opérations de lutte anti-sous marine engagées au profit de la
dissuasion.
Le souvenir que je garde de la navigation
en surface de ce bâtiment de plus de 2 500 tonnes reste associé à la très
inconfortable flottaison d'une coque ronde qui roule comme un bouchon de
liège ballotté par les flots et au sifflement d'un vent fort et désagréable sur
le massif. En revanche, après une courte mais indispensable immersion
périscopique et un très impressionnant exercice de plongée rapide, la
stabilisation de l'assiette à une profondeur de plusieurs centaines de mètres
sous le niveau de la mer me revient comme un agréable moment. Tout soudain,
plus un bruit ne vient troubler le silence de la mer, à l'exception des sons,
inquiétants je l'avoue pour le néophyte, de la coque épaisse se contractant
sous l'effet de la pression. Surtout, plus un mouvement. Ni tangage, ni roulis.
Juste un ronronnement discret et une très légère vibration dus au système de
propulsion. Bien loin du tumulte de la vie terrienne...
N'eut été l'alternance de lumière rouge et de lumière blanche, les quelques échos du sonar provenant du PCO et les données affichées par les diodes du profondimètre du carré dans lequel une bannette m'avait été assignée, aucun élément extérieur ne me permettait alors de me repérer dans le temps ou l'espace alors même que le sous-marin progressait, à l'aveugle, dans les profondeurs de la Méditerranée, seulement guidé par des sons, des bruits, des ondes. Je me craignais claustrophobe mais ce n'est pas l'enfermement qui m'a le plus marqué, plutôt cette curieuse impression d'être plongé comme "hors du temps", au sein - bien loin de la rue de Varenne - d'un "ailleurs" auquel rien sur terre ne ressemble, auquel rien ne prépare. Drôle de sensation...
En partageant - même pour quelques heures seulement - la vie de ces hommes, condamnés à cohabiter plus de quatre mois en vase clos dans un quotidien marqué par la promiscuité, l'urgence et une forme de vigilance extrême et permanente rythmée par les messages flash reçus par satellite de l'escadrille, on comprend assez vite pourquoi seuls les volontaires sont admis à servir sur un sous-marin.
Je me souviens avec délice de mon traditionnel baptême de sous-marinier. Je l'ai vécu tel un rituel initiatique bien codifié auquel, depuis, d'autres ont fait écho... Après que le commandant m'eut tendu un grand verre d'eau de mer puisée à - 300 mètres que j'ai du avaler cul-sec, ce fut au tour d'un excellent Saint-Emilion; un grand vin que l'on boit malheureusement d'un trait pour chasser le goût salé laissé dans la bouche par le premier breuvage.
Puis vint le temps des exercices et des simulations de tirs de torpilles et de missiles en direction de cibles qui ignoraient tout du terrible danger qui les menaçaient alors. Le professionnalisme, la concentration sur les manœuvres et le strict respect des protocoles et des ordres, dans cet univers où la "discrétion acoustique" est une règle absolue, marqueront pour toujours ces instants dans ma mémoire. Ce sont des instants qui permettent d'apprécier tout le poids des responsabilités qui pèsent sur les épaules du commandant et de ses hommes et la conscience aiguë qu'ils ont de la puissance de feu terrible que représente le bâtiment à bord duquel ils servent.
Carnet de plongée... |
Plus de 20 ans ont passé et le Rubis sera désarmé cette année. Mais en retrouvant aujourd'hui le livret personnel de plongée sur lequel furent consignés mes - très modestes - "états de service à la mer", je mesure pleinement la chance et le privilège que j'ai eus de pouvoir partager la vie tellement exceptionnelle de ces hommes engagés et discrets dont la seule ambition est de servir.
Si, trop souvent, notre actualité terrienne est chaude et agitée par le tumulte des passions, sous la mer, heureusement, tout est calme, rien ne bouge.
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