dimanche 27 octobre 2013

Celui qui n'attend rien fait-il bien ? (Bis)

Soirée d'été, il est un peu tard. Demain nous quitterons la Corse. Un dernier verre avec Véronique, Seb, Zach et Wlad chez Tao, au cœur de la citadelle de Calvi. 

Soudain, alors que rien ne l'annonçait, nous allions vivre une séance de nostalgie rétro-futuriste à l'occasion d'un bœuf improvisé et inattendu d'Izia et Jacques Higelin répondant à l'invite de Tao-By.

Alors que le grand Jacques attaque seul au piano les premières notes de Banlieue Boogie Blues, les paroles de la chanson me reviennent « Parti de rien...T'as toutes les chances d'arriver nulle part »(*).

Jacques et Izia Higelin, boeuf chez Tao, août 2013


Alors je suis de nouveau l'adolescent d’Antony, ce lycéen de 1ère B bleue à qui son professeur d'économie, et professeur principal, promettait une "brillante carrière"... Que pouvait-il bien en savoir? Et quel drôle d'oracle cet adulte fort de son statut a-il fait lourdement peser sur les épaules du gamin de seize ans que j'étais. 

Bien loin de ces propos définitifs (!), en ce soir d'été 2013, je suis bien. Les garçons me regardent, un peu étonnés par mon enthousiasme, surpris même que je connaisse ce chanteur, cet air, ces paroles qui ne leur évoquent rien. Tout me revient, les mots sont là, ils coulent et je chante en chœur avec le chanteur. Je me paie même le luxe de souffler au vieil auteur-interprète à la voix cassée des paroles que le Libecciu qui souffle sur la Balagne a du emporter au large, vers le continent, loin de sa mémoire. Si en écoutant son disque dans ma chambre de la rue du Nord j'avais pensé qu'un jour je pourrais chanter avec lui...

 « Rien, je ne veux rien...
Rien, je n'attends rien du tout...
Et qui sait… » (**)

(*) Banlieue Boogie Blues - Jacques Higelin - No man's land - 1978; (**) Rien - Jacques Higelin - Alertez les bébés - 1976

vendredi 25 octobre 2013

Celui qui n'attend rien fait-il bien?

Celui qui n'attend rien fait bien. En lisant cette phrase au détour de ma lecture matinale, je perçois une forme de catéchisme pessimiste au premier abord séduisant. Pour autant, celui qui attend tout a t-il vraiment tort?  C'est une question que je me suis souvent posé.

N'espérant rien de bon - Jamais! -  j'avais, jusqu'à une période récente, tendance à considérer que cette posture ne pourrait me réserver que de, bien que rares, bonnes surprises. Il n'en fut rien.

Il y a maintenant de nombreuses années (et donc, tu me l'accorderas cher lecteur, prescription!...) je séjournais pour la toute première fois au royaume du Siam. La tête pleine des souvenirs émus de quelques "lectures" adolescentes (je fais ici référence aux œuvres immortelles d'Emmanuelle Arsan et de Gérard de Villiers...), j'abordais ce court séjour comme une aventure sensuelle et j'espérais connaître - enfin!- la  torride langueur des émois exotiques. Mais en fait d'émotion j'ai ressenti, dès la descente du taxi qui me déposait devant le Grand Hyatt Bangkok, une impression de malaise mêlée de dégoût. A peine avions-nous posé le pied par terre que des agents recruteurs aux gestes très explicites nous proposaient, photos très crues à l'appui, la farandole des plaisirs défendus dans un bouge proche. Était-ce l'effet des 11 heures 15 de vol, du décalage horaire ou le choc thermique, mais j'ai immédiatement été pris de nausée... 

Pourtant, le soir venu, après un délicieux repas partagé dans le jardin tropical d'un restaurant vietnamien proche de l'hôtel, une fois rentré dans ma chambre, je n'ai pas résisté à la tentation (désir de chair, cher désir...) de composer le numéro qui figurait en gras sur de suggestives affichettes de "room service" disposées savamment sur la table de nuit, dans la salle de bains et même au dos de la porte des toilettes, pour le cas où un client distrait les aurait manquées. A peine avais je raccroché qu'une mama-san est venue frapper à ma porte pour me proposer les services d'une jeune femme à la mise pas très sage dans sa petite robe trop courte pour être vraiment traditionnelle... Une douche pour moi, un lavage en règle des pieds pour elle et me voilà allongé sur le King-size bed de ma Deluxe room palacière.

Après quarante-cinq minutes d'un très agréable massage aux vertus toutes relaxantes, l'experte manipulatrice me proposait, en échange d'une rallonge de 1000 bahts  un "body-body... Safe, sir... Hand sex only!" aux excitantes promesses. A ce moment précis la nausée m'a repris, et malgré la sensuelle présence de cette jeune femme exotique assise sur mes cuisses dont les mains huilées frôlaient - bien accidentellement (!) - la partie la plus intime de mon anatomie, malgré le trouble érotisme de la situation, je l'ai remerciée et congédiée. J'ai rarement lu une telle incompréhension ni un tel étonnement dans le regard d'un interlocuteur. Mais sans insister, sans poser de question, elle est repassée par la salle de bain, s'est rechaussée rapidement puis elle a quitté la chambre comme elle était venue, sans un mot. 

Quelques minutes plus tard, la sonnerie du téléphone me surprit dans mon premier sommeil. La mama-san très ennuyée appelait pour s'excuser, me demandant ce qui m'avait déplu et me proposant les services d'une autre de ses masseuses. Je n'eus pas le cran de lui dire que la proposition et l'idée même de pouvoir jouir de cette façon m'avait écœurée au point de m'ôter tout désir. En fantasmant ce voyage et cette situation, j'avais eu le tort d'en trop attendre et j'en avais nourri un réel dégoût qui, encore aujourd'hui quand j'y repense, me soulève le cœur.


samedi 28 septembre 2013

Mieux vaut rire de tout que pleurer pour rien

 
Pour le regretté Pierre Desproges, on pouvait rire de tout, mais pas avec tout le monde.

Je te le demande, ami lecteur : ne vaut-il finalement pas mieux rire de tout avec tout le monde que pleurer pour rien seul dans son coin?

La question, au-delà d'une formule, mérite d'être posée. On peut aussi pleurer de rire, mais c'est une toute autre histoire...

A propos de rire de tout, il me revient en mémoire un fait-divers terrible dont je fus le témoin direct au mitan des années 2000, celui qui impliqua Bérenger Brouns, le traiteur assassin du marché Saint Martin...

Bérenger - un blase pareil, ça ne s'invente pas - tenait son étal au marché couvert, rue du Château d'eau, dans le Xème arrondissement de Paris. A cette époque, j'habitais à quelques encablures , à l'angle de la rue Taylor, et j'avais au marché l'habitude de faire régulièrement mes courses de bouche. En 2005, ce garçon au physique un peu rond, au passé d'ancien marin, a, dans son arrière-boutique, découpé en morceaux son employée, le fils de celle-ci et son petit chien. L'histoire est évidemment affreuse et tragique, mais les circonstances n'ont cessé, par leur caractère grand-guignolesque, d'une certaine façon de m'étonner, et sa narration a parfois suscité chez certains de mes auditeurs un sourire incrédule et parfois amusé.

Tout le quartier s'était longuement apitoyé sur la tristesse de cet homme qui, en cette fin d'hiver, justifiait auprès de tous ses clients sa mine triste et fatiguée par le fait qu'un jour elle s'en était allée sans laisser d'adresse... On sentait bien pourtant, à son récit, qu'il ne pleurait pas seulement l'employée partie.

En effet, Christelle - c'était le prénom de cette jeune femme de 26 ans qui, depuis un an, travaillait à ses côtés - l'avait rendu, lui le père de famille marié depuis 20 ans, complètement dingue d'amour.

Je n'ai rien vu, rien compris, rien su... et il m'est arrivé même de partager un café avec ce charcutier affable et apprécié des autres commerçants que je trouvais fort déprimé et touchant depuis le très soudain et inexpliqué départ de sa vendeuse...

Au bout de quatre mois d'enquête, placé en garde à vue, Bérenger a craqué. Il faut dire que les condés avaient, paraît-il, trouvé dans la cave d'affinage de sa fromagère de femme un sac plastique contenant des effets féminins; surtout, un reporter de Détective avait relevé des traces de sang suspectes, totalement passées inaperçues aux yeux des enquêteurs, sur le chambranle d'une porte du petit logement qu'il louait pour Christelle à proximité du marché. Il a expliqué qu'au cours d'une dispute intervenue un dimanche de février, elle l'avait giflé. Alors, de rage sans doute, il l'a étranglée. Puis il a tué Lucas, le fils, et étouffé le chien. Il a ensuite transporté les corps dans son arrière boutique, les a méticuleusement découpés dans son atelier de charcutier et s'en est débarrassé en les dispersant dans les poubelles du quartier.


Pierre Desproges,
alors procureur du Tribunal des flagrants délires
Son avocat a eu beau plaider le crime passionnel, Bérenger a été condamné en 2007 à trente ans de prison. J'imagine l'exploitation qu'un Desproges aurait pu faire d'un pareil fait-divers au tribunal des flagrants délires. Nul doute qu'il aurait su nous en faire rire, avec une de ses formules bien à lui : "...le meurtrier était un ami de la famille. On frémit à l'idée que ç'aurait pu être un ennemi de la famille".

Aucune trace ne fut jamais trouvée du reste des corps suppliciés. J'ai pour ma part toujours cru (ou cuit, peu importe...) qu'il les avait passés à la moulinette; et comme il faisait des lasagnes à la viande délicieuses qu'il livrait régulièrement à la rédaction d'un célèbre hebdomadaire pour bobo dont les bureaux étaient situés rue René Boulanger, je te laisse imaginer ce que parfois même il m'est arrivé de penser... Sans rire.

jeudi 5 septembre 2013

Protégé de rien...

Du 27 décembre 1974 au 1er janvier 1975, se déroula le quinzième Congrès International des Pueri Cantores (*) à Rome. C'était sous le Pontificat de Paul VI; le vent réformateur du concile Vatican II soufflait encore sur l’Église catholique. Ce rassemblement de manécanteries venues du monde entier avait une saveur toute particulière puisque son organisation coïncidait avec les célébrations de l'ouverture de l'Année sainte. C'était une époque où mes doutes étaient encore vaguement tempérés par ce qui subsistait encore de ma foi d'enfant et où, avec la Maîtrise de Sainte Marie d'Antony dont j'étais au rang des Alti, nous avions pris le train pour un long voyage de 21 heures (si, si, cher lecteur; c'était bien avant les records de vitesse du TGV...!) nous menant de la ville lumière à la ville aux sept collines. Nous n'y allions pas nous, comme Max Lambert et Pierre Bizet, dit "le séminariste", pour y récupérer le magot d'un demi-milliard en or, enterré près d'une petite chapelle des environs de Rome...

Les petits chanteurs de Sainte Marie, à Rome, 1974

Mais je m'égare. L'Année sainte ne saurait en effet se résumer à un film de Jean Girault, fut-il excellent... Elle est d'abord, pour les Catholiques, une année durant laquelle  l'indulgence plénière, c'est à dire une rémission pleine et entière de toutes les peines dues en raison des péchés est traditionnellement accordée à certaines conditions, aux rangs desquelles figure le pèlerinage de Rome. Sans le savoir, en allant au Vatican pour y recevoir la bénédiction du Pape, pour qui nous avons chanté dans la chapelle Sixtine et la Basilique Saint Pierre, j'ai bénéficié de cette immense faveur. Si cette année-là, sans même m'en rendre compte, j'ai été sauvé de tout, je dois à la vérité de reconnaître que je n'ai malheureusement été protégé de rien...

Au risque de choquer mes amis croyants, ce séjour à Rome reste, dans ma mémoire, surtout évocateur de souvenirs en grande part profanes dont le rapport au prétexte religieux de ce beau voyage n'est - au mieux - que très lointain. A l'instar du réveillon du nouvel an et des meubles et vieux objets qui, symboles de l'année terminée,  s'envolaient dans un ballet fascinant par les fenêtres des immeubles romains en ce soir de la "Capodanno". On encore du goût unique de ces premières pâtes "al dente" que des bonnes sœurs à Cornette nous servaient comme le veut la tradition culinaire italienne, en primi piatti, à chaque repas au réfectoire du couvent où nous logions... Des cyprès se détachant sur le bleu du ciel ensoleillé et si lumineux de l'hiver du Latium ...

D'un moment d'éternité lorsque nous avons chanté, sous le plafond peint par Michelangelo, dans la chapelle Sixtine... Du tube au titre imprononçable d'Adriano Celentano - "Prisencolinensinaiciusol" - qu'on entendait alors en boucle sur les radios italiennes... De Saint Louis des français, aussi, et d'une messe chantée par l'ensemble des chorales françaises en l'honneur du Président de la République, protecteur de cette basilique romaine (Ô tempora...)... Assise, enfin, et une rencontre fraternelle avec de vieux Franciscains pour qui le vœu de pauvreté ne m'a pas semblé pas être un vain mot...

De tous ces petits riens qui font des souvenirs et que je garde précieusement en mémoire, de tous ces petits riens qui m'ont durablement donné le goût et l'amour de l'Italie. Quelques mois plus tard j'assistais à mon premier concert Rock. La bénédiction papale n'aura pas suffi à me tenir longtemps éloigné de cette musique du diable. Heureusement, je n'ai été protégé de rien...

(*)  La Fédération Internationale des Pueri Cantores est une Association internationale de Droit Pontifical réunissant les fédérations nationales de manécanteries.

lundi 14 janvier 2013

Des transports - bien trop - communs...

Les transports en commun sont à mes yeux, ami lecteur, des transports bien trop communs pour que je me résigne à  devoir les emprunter. Et à qui d'ailleurs les emprunterais-je ?
J'ai cinquante ans et au quotidien, je suis heureux de pouvoir - mais pour combien de temps encore ? - me permettre le luxe de rouler en véhicule automobile. N'en déplaise à MM. Baupin et consorts qui ont décidé, à force d'ubuesques travaux et de réglementations en tous genres, de dégoûter mes commensaux, j'aime conduire ma voiture. Et encore bien plus jouir du privilège d'y être seul et de pouvoir y écouter de la musique, fumer si ça me chante et râler contre mes contemporains!

Jamais je ne troquerai cinq minutes de Métropolitain bondé contre les quelques heures de "désagrément" solitaire que provoquent les encombrements ou l'exaspérante traque d'une place pour pouvoir garer ma voiture sans devoir descendre sous terre. Car pour ce qui est de m'enterrer, ça attendra...

Bientôt ils auront tant et si bien fait qu'ils vont finir par  asphyxier le cœur de Paris que le Baron Haussmann et le progrès triomphant du 19ème  siècle industriel avaient pourtant réussi à désengorger. Renouant avec les désagréments décrits  par Montesquieu dans les lettres Persanes, les rues du centre de la capitale sont au bord de l'apoplexie et ses habitants n'en peuvent plus. Certains esprits éclairés qui sont en cour à l'Hôtel de ville n'ont pourtant rien trouvé de mieux, pour améliorer les choses, que de réduire encore les voies de circulation en réservant aux "circulations douces" l'une des voies sur berge. Comme si pour lutter contre le risque de thrombose, un Diafoirus du moment nous expliquait que la solution consiste à davantage encore boucher les artères!