mercredi 16 juin 2010

Ne rien dire ou fermer sa gueule ?

C'est pas parce qu'on à rien à dire qu'il faut fermer sa gueule !


Avec ce très beau titre emprunté à Michel Audiard, ce film réalisé en 1974 sur une idée originale de Christian Clavier, Thierry Lhermitte et Gérard Jugnot, avait toute sa place sur ce blog. Pour le lecteur qui, comme moi je l'avoue, aurait pu oublier ce parangon de comédie comme seul  le cinéma français des années 70 savait en produire, on rappellera que le scénario raconte l'histoire de deux vrais zéros, incarnés à l'écran par Michel Serrault et Jean Lefèvre, qui projettent de faire main basse sur la caisse de retraite de la SNCF. La retraite, déjà, et qui plus est le régime spécial des cheminots... Car c'est bien là où je voulais en venir, cher lecteur :  la retraite.

N'ayant pas, comme certain photographe de renom, d'amie âgée suffisamment fortunée pour la soulager d'un milliard en prévision de mes vieux jours, je suis comme toi, je compte. Et en comptant, je me suis rendu compte qu'au rythme où vont les choses, je devrais encore cotiser une quinzaine d'années avant de pouvoir prétendre à quoi que ce soit, c'est à dire pas grand chose, ou mieux, presque rien. Dans le même temps, d'autres auront la possibilité de partir plus tôt. On attendrait que je les envie, que je les jalouse même. Et bien je n'en ai cure, et même mieux, je trouve ça juste et équitable. Après tout, comme me le disait récemment un mien camarade : "La retraite, je m'en fiche, je l'ai prise avant de commencer à travailler"!

Tant il est vrai que - et j'ai déjà eu l'occasion d'en évoquer quelques bons souvenirs sur ces pages -  ma jeunesse estudiantine m'a surtout permis, à l'instar d'un Baudolino Sorbonnard, de beaucoup m'amuser. Alors la retraite...

En la matière, mon grand père maternel a pourtant longtemps été pour moi une forme de modèle. Retiré des voitures (au sens propre comme au sens figuré) à quarante-cinq ans, je l'ai connu sybarite, rythmant son existence de parties de belote en parties de billard, d'apéros en gueuletons partagés entre amis, de chasses, de pêches, de siestes et de cueillettes ; campagnard et heureux de l'être ; lui, le Titi parisien à la casquette d'apache toujours vissée sur le crâne ; lui le limousin natif du plateau de Millevaches, le fils d'un militant socialiste qui avait choisi le communisme au congrès de Tours, qui, par bravade et pour emmerder son marxiste-léniniste de père, milita au sein de la section S.F.I.O. des usines Citroën ; lui l'ancien apprenti si élégant sur les photographies prises chez Maxim's à Paris ou au Grovesnor House de Londres ; lui dont la fierté était d'être diplômé de l'école hôtelière de Clermont-Ferrand ; lui qui fumait des gitanes sans filtres ; lui qui savait lever le coude et qui aimait la bonne chaire. Certes, il est mort de ses excès mais il a vécu, et tant, et bien. Tellement qu'à vingt ans je m'étais fixé comme une règle absolue de ne pas travailler au-delà de quarante-cinq...

Et puis il y a eu l'exemple de mon père, mort de l'avoir prise, sa retraite. Ou plutôt d'avoir arrêté de travailler. Ces châteaux n'étaient pas en Espagne mais il les rêvait en Riyad, de l'autre côté de la Méditerranée. Lui, le grand sportif qui n'avait jamais été malade, a souffert en une année à peine de tous les maux et s'en est allé sans avoir quitté Antony... Ces deux hommes, beau-père et gendre, reposent aujourd'hui l'un près de l'autre,  comme ils l'avaient demandé, dans un cimetière municipal de cette plaine d'Arbonne-la-Forêt où ils aimaient tant chasser et où ils ne  font  désormais plus rien. Rien pour l'éternité. Ensemble.

Vivons, ami lecteur ! Vivons pour éloigner la grande faucheuse. A l'inverse des futurs pensionnés qui rêvent de retraites heureuses pour pouvoir enfin mourir en bonne santé, je me contente désormais des petits riens que sont projets au jour le jour et menus plaisirs du quotidien. Un an déjà que j'ai quitté un travail matériellement confortable et tellement flatteur pour mon ego;  un an presque jour pour jour après avoir fait des choix que je n'arrive toujours pas à regretter. Je mesure au fil du temps qui passe le prix mais aussi le goût de la liberté. C'est un luxe dont j'ai conscience.
Devais-je ne rien dire ou aurais-je du fermer ma gueule ?

lundi 7 juin 2010

Réécouter Gérard Manset. Rien à raconter...

En 1975, comme de nombreux ados d'alors j'écoutais Gérard Manset chanter "il voyage en solitaire" à la radio le soir venu, au fond de mon lit, seul dans ma chambre. Plus que les paroles, c'est le son si spécial de sa voix, cette façon bien à lui de chanter qui m'emportaient loin, très loin de la rue du nord ; une production très unique dans le paysage artistique français si lisse et policé de l'époque ; une ambiance et un décor musical qui invitaient résolument au voyage. Chanson phare pour ma génération, elle a été redécouverte il y a peu à l'occasion d'une reprise très personnelle et pleine d'émotion enregistrée peu de temps avant sa disparition par Alain Bashung. Ce titre est resté jusqu'à présent le seul véritable tube de Manset, cet artiste à la créativité paraphrène et multiforme. En réaction à cette surexposition que lui, l'ancien lauréat du concours général en dessin, ne souhaitait pas, il publia l'année suivante un album intitulé "rien à raconter". Une manière de pied de nez sans doute à un succès qu'il jugeait un peu déplacé.

Il faut aussi réécouter sur le même album la très belle plage d'ouverture, "Y'a une route" :
"...Y'a une route, c'est mieux que rien..." 

Tous les futurs étaient encore possibles et le voyage plus important que la carrière. Chanter l'errance, le goût des ailleurs et de la découverte, comme il le dit si justement, c'est mieux que rien ; et puis l'évocation des souvenirs, même imparfaite, même brouillonne, surtout brouillonne, c'est  tellement mieux que n'avoir rien à raconter...

J'ai eu 13 ans en 1975, le jour de la naissance de David Beckham. Une semaine plus tôt la même année, la dernière DS sortait des chaînes d'assemblage de Citroën. La fin d'une époque productiviste et insouciante et l'entrée dans le tumulte anxiogène des années quatre-vingt et son marketing triomphant symbolisé par la naissance, quelques mois après, des Sex Pistols et, avec eux,  l'explosion du mouvement Punk.
Malcolm Mc Laren est mort, No Future !