jeudi 29 décembre 2022

Rien ne vaut rien ?

« Toute vie n’est qu’acide nucléique. Le reste ce sont des commentaires » Isaac Asimov


Si, cher lecteur, je te dis un secret, me promets-tu de surtout le répéter ? En qualité (même ancienne) de juriste, je crois à la hiérarchie des normes, en tant que jeune con ayant pris de l’âge, je crois à une certaine hiérarchie des valeurs, j’adhère aussi à celle des systèmes et ne suis pas contre l’idée de hiérarchiser l’information. Bref! Je ne pense pas que tout se vaut et adhère assez peu à l’idée de relativisme normatif.

A l'école, alternant, au gré de mes gôuts et de mon intérêt pour la matière enseignée, le bon et le mauvais, j'ai malgré tout réussi à  obtenir la moyenne, même si ce fut très souvent par un jeu de notes plutôt contrastées, à l'image de l'analyse de ce que les statisticiens appellent un écart-type assez élevé du contenu de mes carnets de notes. Très bonnes ou très mauvaises, appréciations à l'identique, rarement vraiment moyennes, mais une certaine illusion d'optique entretenue par l'obtention d'une moyenne arithmétique - comme une forme de valeur intérmédiaire - à défaut d'être géométrique... Ni bon, ni mauvais élève, parfois bon, parfois mauvais, cela fit-il pour autant de moi un élève "moyen" ?

Grand chez les petits, petit chez les grands, au fond je me suis toujours senti un peu décalé, partout, jamais vraiment à ma place. En avance ou en retard, conservateur ou progressiste en fonction des sujets, rarement dans le tempo. Pour ma grande malchance je suis très souvent juste pas assez et parfois juste trop… pas vraiment moyen. Rarement dans l'instant. A de certains moments, perdu dans la nostalgie d'un passé souvent fantasmé et, à d’autres, adepte d’une foi inébranlable en l'avenir. Pourtant, jamais je n'ai revendiqué un désir de modifier le monde pour qu'il fut plus conforme au fruit de mon imagination. 

Dans notre étrange société humaine du XXIème siècle, où j'ai l'impression qu'être bien se résume de plus en plus à vouloir être seul à décider de sa place (même chimérique, même impossible), à considérer qu’il n’y a pas de norme, que tous les points de vue sont égaux et que tout est relatif, où se situer ?

Tout nous incline à ne pas dépasser ni être en retrait, juste à être "intégré", anonyme, bien rangé au milieu du troupeau. Et, contrairement à ce que ses promoteurs voudraient faire accroire, l'idéologie anglo-saxonne qui anime une grande partie des plus jeunes éléments de notre société, loin d'être "libératrice", nous y incline irrémédiablement, qui souhaite asservir le monde aux seules causes identitaires. Au nom de la "justice" sociale, de "l'égalité raciale", d'un "inclusisme" qui jette Darwin et la biologie aux orties, on réduit de plus en plus le sujet à quelques attributs identitaires, attributs qu'il convient non seulement d'affirmer (dominant/dominé, gentil/méchant...) pour mieux les gommer mais, rejetant tout à la fois l'humanisme et l'universalisme, tout incite chacun à se fondre dans une masse aux frontières floues et mouvantes - la "communauté" (Sic!). Cette théorie qui fait l'apologie du particulier pour mieux nier l'individu au nom d'une vision du monde globalisante et totalitaire dans laquelle tout se vaudrait, sans plus la moindre idée de hiérarchie - par essence, source d’oppression - repose sur une chimère où la réalité n'aurait plus d'importance, un réel qu’on encouragerait même à tordre pour qu’il fut plus conforme aux fantasmes de chacun.

Alors, tout se vaut-il ? Rien n'a-t'il vraiment d'importance ? Réel ou imaginaire, est-ce vraiment pareil ? A trop avoir théorisé que tout se vaut, le risque pointe, je le crains, de croire que plus rien ne vaut rien.

jeudi 8 décembre 2022

A peine plus que rien

" Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent."
Chamfort

A-conflicuel : Avec cet alpha privatif en préfixe qui construit et exprime la négation, on dit de moi que je suis "diplomate". Jolie formule pour souligner que je n'aime guère les situations conflictuelles que je cherche, aussi souvent qu'il est possible, le moyen d'éviter.

Cher lecteur, je t'invite à te poser la question suivante : Combien de fois as-tu déjà eu le sentiment de devoir faire semblant pour espérer plaire ? Il est rare, dans les relations extérieures au cercle intime, de pouvoir se montrer tel que l'on est. La vie sociale s'y prête encore moins qui, parfois, nous contraint à nous affubler de masques, à nous protéger derrière le voile d'une forme de paraître. On croit naïvement que ça va le faire et, plus souvent, ça rate...

Prenons, si tu le veux, l'exemple de cette fois où j'ai rejoint - au crépuscule des années quatre vingt - dans un restaurant à la mode un mien très vieil et cher ami, alors en compagnie d'un jeune acteur/animateur de radio de talent, à la renommée déjà très prometteuse. Patatras ! Lors même qu'il n'aurait dû s'agir de rien d'autre que d'une rencontre autour d'une bonne table entre potes (les amis de mes amis...), qui plus est de la même génération, du même milieu parisien et, pour tout dire, du même petit monde qui se croyait "branché", ce ne fut, de ma part, que pauses, ennuyeux étalage de platitudes et faux-semblants. Un tel désastre que je m'en souviens encore avec une certaine gêne. Enfin, ayant croisé de nouveau, quelques années plus tard, la route du même comédien avec qui j'avais partagé ce fameux dîner, je ne pus que constater que lui ne se souvenait de rien, pas même de moi d'ailleurs... Pourtant, j'avais cru alors qu'il suffisait d'afficher crânement, dans une forme de "position haute", la bonne connaissance qui était la mienne de quelques groupes à la mode du temps pour retenir son attention, largement émoussée, il est vrai, par les effets d'une excellente et (trop) abondante Vodka russe et glacée. Vanité...

Cela m'évoque d'ailleurs un autre exemple : ne t'est-il, comme moi, jamais arrivé d'avoir le sentiment que tu en savais davantage sur un certain sujet que ton interlocuteur mais, sa position de "sachant" étant solidement établie parmi la société qui le considérait alors, de te résoudre à l'écouter, à faire semblant d'être intéressé, en un mot de te résigner à paraître apprendre quelque chose que mieux que lui déjà tu savais, en enfilant l'humble masque de l'ignorant ? Jamais ? Allons, un petit effort de mémoire... Tu y es, ça te revient ? Faire semblant... Hypocrisie ? Tartufferie ou simple crainte de déplaire ? Pourtant, l'expérience m'a enseigné que si l'adoption d'une "position basse" peut présenter parfois un intérêt évident pour engager une interaction, l'humilité, si elle est ou même si elle paraît simplement affectée, dessert plus qu'elle n'aide à créer le lien recherché.

Alors faudrait-il toujours savoir être soi-même ? Trop fréquemment, en m'échinant à rester, en société, moi même, j'ai la triste sensation de ne pas parvenir à capter l'attention de mon interlocuteur. Faut-il, comme certains de ces comédiens à la timidité légendaire, absolument endosser l'habit d'un autre pour enfin parvenir à parler de soi ? Et, à l'inverse, se démasquer, est-ce vraiment toujours prendre le risque de se découvrir, au risque d'une certaine vulnérabilité ? 

Ces masques de séduction sociale que nous portons et qui nous protègent tout autant qu'ils nous cachent nous aident-ils à devenir quelqu'un ou nous empêchent-ils d'être qui nous sommes vraiment ? Car au fond, qui sommes nous ? A peine plus que rien. A peine. Expression sans alpha privatif cette fois, mais issue de l’adverbe latin ad paene qui signifie "presque, à peu près". A peu près rien.