jeudi 8 décembre 2022

A peine plus que rien

" Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent."
Chamfort

A-conflicuel : Avec cet alpha privatif en préfixe qui construit et exprime la négation, on dit de moi que je suis "diplomate". Jolie formule pour souligner que je n'aime guère les situations conflictuelles que je cherche, aussi souvent qu'il est possible, le moyen d'éviter.

Cher lecteur, je t'invite à te poser la question suivante : Combien de fois as-tu déjà eu le sentiment de devoir faire semblant pour espérer plaire ? Il est rare, dans les relations extérieures au cercle intime, de pouvoir se montrer tel que l'on est. La vie sociale s'y prête encore moins qui, parfois, nous contraint à nous affubler de masques, à nous protéger derrière le voile d'une forme de paraître. On croit naïvement que ça va le faire et, plus souvent, ça rate...

Prenons, si tu le veux, l'exemple de cette fois où j'ai rejoint - au crépuscule des années quatre vingt - dans un restaurant à la mode un mien très vieil et cher ami, alors en compagnie d'un jeune acteur/animateur de radio de talent, à la renommée déjà très prometteuse. Patatras ! Lors même qu'il n'aurait dû s'agir de rien d'autre que d'une rencontre autour d'une bonne table entre potes (les amis de mes amis...), qui plus est de la même génération, du même milieu parisien et, pour tout dire, du même petit monde qui se croyait "branché", ce ne fut, de ma part, que pauses, ennuyeux étalage de platitudes et faux-semblants. Un tel désastre que je m'en souviens encore avec une certaine gêne. Enfin, ayant croisé de nouveau, quelques années plus tard, la route du même comédien avec qui j'avais partagé ce fameux dîner, je ne pus que constater que lui ne se souvenait de rien, pas même de moi d'ailleurs... Pourtant, j'avais cru alors qu'il suffisait d'afficher crânement, dans une forme de "position haute", la bonne connaissance qui était la mienne de quelques groupes à la mode du temps pour retenir son attention, largement émoussée, il est vrai, par les effets d'une excellente et (trop) abondante Vodka russe et glacée. Vanité...

Cela m'évoque d'ailleurs un autre exemple : ne t'est-il, comme moi, jamais arrivé d'avoir le sentiment que tu en savais davantage sur un certain sujet que ton interlocuteur mais, sa position de "sachant" étant solidement établie parmi la société qui le considérait alors, de te résoudre à l'écouter, à faire semblant d'être intéressé, en un mot de te résigner à paraître apprendre quelque chose que mieux que lui déjà tu savais, en enfilant l'humble masque de l'ignorant ? Jamais ? Allons, un petit effort de mémoire... Tu y es, ça te revient ? Faire semblant... Hypocrisie ? Tartufferie ou simple crainte de déplaire ? Pourtant, l'expérience m'a enseigné que si l'adoption d'une "position basse" peut présenter parfois un intérêt évident pour engager une interaction, l'humilité, si elle est ou même si elle paraît simplement affectée, dessert plus qu'elle n'aide à créer le lien recherché.

Alors faudrait-il toujours savoir être soi-même ? Trop fréquemment, en m'échinant à rester, en société, moi même, j'ai la triste sensation de ne pas parvenir à capter l'attention de mon interlocuteur. Faut-il, comme certains de ces comédiens à la timidité légendaire, absolument endosser l'habit d'un autre pour enfin parvenir à parler de soi ? Et, à l'inverse, se démasquer, est-ce vraiment toujours prendre le risque de se découvrir, au risque d'une certaine vulnérabilité ? 

Ces masques de séduction sociale que nous portons et qui nous protègent tout autant qu'ils nous cachent nous aident-ils à devenir quelqu'un ou nous empêchent-ils d'être qui nous sommes vraiment ? Car au fond, qui sommes nous ? A peine plus que rien. A peine. Expression sans alpha privatif cette fois, mais issue de l’adverbe latin ad paene qui signifie "presque, à peu près". A peu près rien.


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