vendredi 26 mars 2021

Rien n'est plus important

Dans les premières séquences du film Mon oncle d'Amérique1 d'Alain Resnais, qui voulait expliquer au début des années 80 les ressorts des comportements humains, le professeur Henri Laborit énonce : "la seule raison d'être d'un être, c'est d'être..." Est-ce si certain ? Quid du mouvement de la vie ?

Cette phrase toute empreinte d'une approche exclusivement ontologique nous renvoie à la question fondamentale du "Qui sommes-nous ?" Elle répond, en quelque sorte, à la question vertigineuse et souvent sans réponse du "Pourquoi sommes-nous ?" Mais est-il si essentiel de comprendre pourquoi nous sommes tels que nous sommes ? Est-il raisonnable (?) de consacrer tant d'efforts à vouloir rechercher dans le passé des causes qui nous échapperont toujours, en obéissant à une seule logique explicative ne se comprenant qu'en termes de causalité, plutôt que de nous efforcer à préparer un futur agissant, l'avènement d'un autre à-venir ? 

Ne faudrait-il pas davantage se poser la question du "Comment ?" Une question qu'il ne faudrait d'ailleurs pas uniquement aborder sous l'angle explicatif d'un enchaînement de raisons pouvant éclairer notre histoire mais bien sous celui plus implicatif, prospectif et ouvrant la voie à l'action, d'un agencement, d'une organisation permettant de devenir ce que nous sommes. En posant cette question, on changerait de plan et on aborderait la question existentielle sous la forme de l'action de l'homme sujet, acteur agissant de sa vie, plutôt que la simple essence de l'homme étant, objet passif de son destin.

Mais est-ce suffisant ? Ne faut-il pas aller encore plus loin dans la recherche du sens, de la raison même d'être ?

A un autre moment du film - à deux reprises d'ailleurs - la voix-off de Laborit dit au spectateur que "nous sommes les autres." A partir de là, il m'apparait que les deux premières questions posées (Pourquoi ? Comment ?) sont insuffisantes à donner un sens à notre existence. En acceptant l'idée que nous sommes l'autre en nous, il faut poser, me semble-t-il, deux autres questions : "Pour qui ? Pour quoi ?" Et, dès lors, ne  plus nous contenter du "Qu'est-ce qui m'a fait tel que je suis ?", ni même du "Où vais-je ?" et "Comment y vais-je ?" mais bien d'accepter l'idée que notre existence serait toute entière guidée par une démarche peut-être davantage métaphysique. L'homme - j'ai déjà eu l'occasion de t'en entretenir - est à mes yeux un être spirituel. Les causes que nous cherchons à l'extérieur, hors de nous, ne sont peut-être que des leurres visant à masquer notre quête existentielle de "supplément d'âme", cette connaissance intime de l'in-connu qui agit en chacun de nous. 

Après tout, rien dans le cheminement n'est plus essentiel que le chemin lui-même. L'action de celui qui chemine dans la vie ne saurait en aucun cas se résumer à son point de départ ni à son but, ni à sa naissance ni à sa mort, mais bien à sa manière singulière d'avancer, ici et maintenant, sur la voie qui ouvrira toujours la porte des possibles en faisant de lui le sujet capable et agissant de son existence, cette somme de petits riens d'un vécu qui toujours lui échappent et qui, mis bout-à-bout, formeraient le Tout d'un être. Pour qui ? Pour quoi ? Rien n'est plus important.

1 - Mon oncle d'Amérique - Alain Resnais, 1980

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