lundi 22 mars 2021

Perdre du temps à rien

" Tout en nous naît pour être inassouvi. "
    Emile Cioran 

Depuis plus d'un an maintenant, nous sommes nombreux à n'avoir plus que (trop) rarement pu quitter nos logements. Mais si les murs de nos maisons nous enferment, ils nous protègent aussi et peuvent même contribuer parfois à nous rassurer. Les lieux que nous habitons constituent souvent en effet, par leur douce familiarité, un véritable antidote à notre angoisse existentielle et donnent même au poète un espace où donner libre cours à sa fantaisie. Si je m'ennuie parfois d'être confiné, l'isolement ne m'ennuie pas. Le confinement imposé n'a guère entraîné chez moi de souffrance, tant il est vrai que toute ma vie peut m'apparaitre aujourd'hui comme une forme de longue préparation, un entraînement, parfois langoureux, souvent monotone, à cette interminable période de proscription - plus ou moins - volontaire et d'isolement qui, en donnant matière à nos contemporains de penser l'absence totale d'horizon, confine pour beaucoup à une manière de non-existence mais qui, chez moi, a été plus souvent propice à la rêverie. Car, comme l'a si joliment écrit Gaston Bachelard : " la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur..."

Je me suis souvent ennuyé. Alors, lire, écrire, s'ennuyer ! Songer, écouter, regarder, autour de soi et en soi, extravaguer, s'ennuyer ! Penser, s'ennuyer encore... Pour chasser la fastidiosité d'une vie confinée, faire, même peu, même pas grand chose, mais le faire, à l'effet d'occuper, en le remplissant de petits riens, le vide du Grand Tout de l'existence. 

Je regarde avec étonnement ceux qui, plus fous ou plus sages, croyant sans doute moins que l'être est dans le faire, ont adopté une philosophie de vie consistant à ne rien faire, mais à bien le faire. Je ne peux m'y résoudre et préfère me ranger derrière Cioran lorsqu'il écrit que "le plus dur n'est pas de faire quelque chose mais de vivre1."

J'adhère résolument au camp des amoureux du rien et de l'absolu, ceux qui cumulent, dans un temps qu'ils voudraient croire hors du temps, la recherche du même et son contraire. Je suis de ceux qui rêvent la vie dans une forme de dualisme rationaliste, et qui refusent d'opposer Eros et Thanatos, spirituel et corporel, physique et psychique, essence et immanence. Entre les débordements du tout et les contractions du rien, il me paraît que tout n'est rien, et réciproquement.

Plutôt que ne rien faire, j'aime perdre du temps à de petits riens. N'est-ce pas, au fond, le plus sur moyen de rester ouvert à tout, et, dès lors, mieux se préparer à laisser venir le Grand Tout ?

1- Cioran - Divagations, NRF/Gallimard 2019

1 commentaire:

  1. Comme il le disait si bien. je ne me suicideras pas tant qu'il me reste quelqu'un à décevoir...

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