jeudi 9 décembre 2021

Rien à savoir

Un jour qu'un ami mien et cher conseillait à l'une de nos connaissances communes de réfléchir moins mais d'agir davantage, il obtint de l'autre l'étonnante réponse qu'"il allait y réfléchir"... Je laisse aux cliniciens et autres spécialistes de la psychologie des profondeurs le soin d'analyser le sens profond de cette réponse. Peut-être, à l'instar de certains de nos commensaux, n'avait-il jusqu'à cet instant pas su choisir entre l'effort intellectuel que nécessite l'acquisition d'un savoir (comme je l'ai écrit ici même : la bêtise c'est de la paresse) et le douillet confort d'une forme d'indifférence non agissante ? Car, à ce même ami qui lui demandait plus avant dans la conversation si le plus grand mal dont souffrait l'époque était à ses yeux l'ignorance ou l'indifférence, l'autre lui répondit : "Je n'en sais rien et d'ailleurs ça m'est bien égal..."

Faire plutôt que d'y penser ? Après les temps très heureux de ma jeunesse où, à l'issue des trente glorieuses et de leur utilitariste triomphe du "faire", ma génération - pensant devoir tracer les voies d'un humanisme moderne - a généreusement voulu réhabiliter l'"être", nous avons connu ce que d'aucuns ont appelé "la fin de l'histoire", ces folles années où seul comptait l'"avoir".

Nous sommes aujourd'hui entrés de plein pied dans l'ère d'une forme de "paraître" (par-être, être par quelqu'un ou quelque chose ?).

Peu importe d'être ou d'avoir, ni même de savoir ou de faire, dès lors que, grâce (ou, à cause de...) aux réseaux sociaux, à la téléréalité et aux talk shows des chaînes infos, chacun peut prétendre à son quart d'heure de gloire toute warholienne. Toutes prises de parole étant aujourd'hui également traitées, non pas dans une recherche quelconque d'équité mais à l'effet bien compris de ne pas stigmatiser les points de vue minoritaires, chacun peut désormais faire valoir avec pédanterie la vacuité de sa pensée, et peut-être et même surtout briller sur des sujets dont il ignore tout, ou presque... Entretenir un réseau de connaissances est désormais bien plus efficace pour afficher un savoir allégué que de prétendre accéder à la voie de la Connaissance en abdiquant des savoirs réellement acquis.

Sur l'âme humaine, on ne peut rien savoir, il n'y a rien à savoir*.

(*) Mohamed Mbougar Sarr - La plus secrète mémoire des hommes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire