samedi 15 mai 2021

Penser moins, n’y perdre rien

On annonçait hier que la majorité municipale, cédant à une nouvelle crise d’idéalisme et renonçant définitivement à tout principe de réalité, souhaitait maintenant rendre totalement piétonnier l'ensemble du centre historique de Paris.

Autrefois, certains auteurs comiques voulaient déplacer les villes à la campagne, car l’air y est plus sain. Aujourd’hui les zozos de la mairie de Paris, ceux qui rêvent - mais est-ce si sincère ? - d’un monde débarrassé du Mal, voulant pousser toujours plus avant leur petit avantage idéologique préfabriqué, pensent à déplacer la campagne au cœur de la ville. Sans doute dans le louable dessein d’en assainir l’air ! Comme l’a si justement écrit Philippe Murray, « le moderne ne connait pas la marche arrière »!

La madone des Bobos

Ce que désirent, au fond,  les jusqu’au-boutistes qui gouvernent la ville c’est une forme de purification éthique. Leur Paris rêvé, c'est un Paris entre-soi, un paysage urbain désurbanisé, débarrassé des véhicules à moteur, des vieux, des pauvres et de toute forme de pensée différente, voir un tant soit peu réactionnaire ; une ville délivrée de toute source de pollution, qu'elle soit aérienne, sonore, visuelle ou même le simple fruit d'une conception différente de la vie. Du beau et du bon partout ! Un lieu hédoniste, exclusivement dédié au Bien ! Un espace idéal peuplé de jeunes bobos progressistes, non genrés et vegans, ne se déplaçant plus qu’à trottinette ou à vélo, de magasin bio en commerce équitable, au cœur d’une « réserve écolo » bâtie rien que pour eux, contre les autres, tous les autres ! Pour nous, banlieusards, c’est l’assurance demain d’une manière de congestion généralisée. Ce meilleur des mondes nous promet une thrombose urbaine géante, conséquence du déplacement de tous ceux - les pauvres ! - qui n’ont d’autre choix que celui de bouger pour travailler, faire leurs courses, se soigner, de circuler tout simplement, mais qui ne le pourront plus. Et que dire des Parisiens les plus âgés, des habitants des quartiers populaires, des handicapés, des artisans, des commerçants, des travailleurs... Que dire ? 

Bientôt, au nom de la lutte contre la pollution lumineuse, tu verras qu'ils iront jusqu'à éteindre l'éclairage public. Dès lors un nouveau type de couvre-feu, lugubre et permanent, sera imposé au centre de Paris. Un sombre silence s’abattra sur les rues de la capitale et la ville lumière s’éteindra. Fiat nox !

Sur les conseils - souvent avisés en matière littéraire - de Fréderic Beigbeder1, je lis en ce moment (enfin, me diras-tu !) le Grand Meaulnes. Dans ce très beau et puissant roman, deuxième livre français le plus traduit après le Petit Prince, Alain Fournier décrit une France rurale, un monde révolu qui, pour beaucoup, semble encore avoir un goût d’âge d’or. Pour ma part, je n’ai pas la nostalgie de la France du XIXème siècle, un pays où "des enfants mouraient, au retour de l’école, des conséquences d’une baignade dans un étang malsain"...

Mais, revenons à nos élus parisiens. Ils disent "Vouloir se réapproprier (sic !) la ville et recréer (re-sic !) l'esprit de village à Paris". Dans leur désir campagnifiant2, ils veulent rien moins que nier la ville. Car nier la ville c'est nier l'histoire même, qu'elle a contribué à forger, et imaginer qu'une autre réalité, une alter-réalité, serait possible.

Un autre monde est possible ? Sous couvert de vouloir améliorer la vie du genre humain en pensant la décroissance, les prophètes de malheur qui inspirent les "penseurs" de la mairie de Paris tournent en réalité le dos à la lumière. Leur idéologie qui nivelle et qui, dans une forme dévoyée d’immanence, veut réduire l’homme à l’état de nature, parmi les animaux, le contraint, de facto, à tourner le dos à sa transcendance. L’homme n’est pas un animal comme les autres car c’est un être rationnel, un être pensant dont la pensée est embellie par une espérance qui le dépasse et le transcende.

Alors, si je devais donner un avis, ou même oser un conseil aux édiles parisiens je leur suggérerais de penser moins, ils n’y perdront rien. Et nous y gagnerons en espérance...

1 - Frédéric Beigbeder - Bibliothèque de survie

2 - Néologisme emprunté à Philippe Murray

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