lundi 5 novembre 2018

Rien ne se crée

La référence permanente faite en ce moment à l’ancien monde ne me parait rien d’autre que la version contemporaine de la -  très artificielle - querelle des anciens et des modernes. La ligne de démarcation trace-t-elle vraiment une irréconciliable différence entre progrès et autorité ? En lisant ces jours derniers le roman de Camille Pascal* qui fait le récit des mois d’été chauds et tumultueux qui virent quatre monarques se succéder sur le trône de France, des trois glorieuses jusqu’au couronnement de Louis-Philippe égalité, je n’ai pu m’empêcher de faire un lien avec le très beau Guépard de Visconti. Toutes les révolutions se ressemblent en ce qu’elles s’annoncent toujours avec fracas dans l'ambitieux vent d'un progrès rompant avec le monde ancien, et, souvent se terminent par la modeste brise du conformisme et l'affirmation autoritaire du nouveau pouvoir d'enfants opportunistes. Rien ne se crée, tout se transforme et tout n'est finallement qu'affaire d'imitation, de répétition, de plagiat plus ou moins bien réussi. Le vrai - le seul - génie créatif est, heureusement, suffisamment rare pour qu'on s'en souvienne.

L’Histoire nous enseigne qu’il en est des révolutions comme de la marche du monde lui-même,  "pour que rien ne change, il faut que tout change" comme le dit dans une célèbre réplique un Tancrède exalté mais cynique à son oncle don Fabrizio Corbera, prince de Salina, au moment de partir rejoindre les tricolores du Risorgimento pour faire « sa » révolution.

Apparemment tout semble s’organiser toujours pour que rien ne change. Mais après tout est-ce un mal ? Quand les Orléans succèdent aux Bourbons, est-ce vraiment le succès du progrès contre la réaction, de la supposée audace des modernes au détriment de l'expérience des anciens ? Les prophètes des temps nouveaux l'emporteraient toujours sur les conservateurs d'un passé révolu. Enfin, jusqu'au jour où le temps a passé et que les jeunes cons sont simplement devenus plus vieux. Jusqu'au jour où les présomptueux qui pensaient avoir définitivement réglé le problème de la relation à leurs pères sont eux-mêmes confrontés au questionnement de leurs fils. Au crépuscule de l'ancien monde  répondra toujours l'aube radieuse d'un âge nouveau, dont l'éclat finira, lui-aussi, inéluctablement, par pâlir. Non, décidément, rien ne se crée...


(*) Camille Pascal - L'été des quatre rois - Plon, 2018

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire