jeudi 19 mai 2022

S'agiter ou ne rien faire ?

« La vie intense est contraire au Tao » Lao Tseu


Nombre de commentateurs glosent sur le temps qui s'est écoulé entre l'élection du Président de la République et la nomination de la nouvelle Cheffe du Gouvernement, et, désormais, sur l'anormale durée (trois jours ont, il est vrai, passé !) pris par icelle pour désigner les membres de son Cabinet. Et tous d'être suspendus à la publication d'une liste de noms...

La tentation du mouvement, au risque même d’une certaine frénésie, voir d'une épuisante agitation, toujours vouloir faire plus, aller plus vite en pensant aller plus loin, tel est le lot très commun de la perception de l'efficacité chez une grande majorité de nos commensaux. Et l'immédiateté de la circulation de l'information, l'absence absolue de recul dans les analyses et les commentaires encouragés par les réseaux sociaux et le traitement, souvent hystérisé, de l'actualité par les chaînes d'information continue accentuent sans doute cette perception d'une manière d'exigence, en tout et pour tout, d'urgence permanente. Mais ce désir de faire, ce que Cioran appelle « tentation d’exister », s'il est mu, au fond, par l'espoir fou de repousser au plus tard possible l’inéluctable issue qui de nous fait des mortels et, partant, des hommes, n’a t’elle pas souvent le paradoxal effet de hâter la fin ? Alors faut-il continuer à s'agiter ou accepter parfois si ce n'est de ne rien faire mais d'au moins laisser un peu plus de temps au temps ?

Sommes nous condamnés à ne prendre conscience de nous-même que dans l’imminence de l'action, même au risque du trop plein, au risque de trop vouloir (en) faire ? Comment, alors que rien ne semble nous y disposer - nous qui passons une bonne partie de notre existence à toujours vouloir faire plus, plus vite - se défaire de l’anxiogène hantise du vide qui habite notre âme, de cette peur du rien qui sans cesse nous tourmente ?

Un proverbe populaire français nous enseigne que "la nuit porte conseil". Et si, plus que tout autre chose, notre bien commun - une part de cette humanité que nous avons en partage - résidait dans la capacité que nous avons tous quotidiennement de ne rien faire, de nous abandonner au repos, de dormir et de rêver ? Qui que nous soyons, il nous est physiologiquement et psychiquement vital de sombrer régulièrement dans les bras de Morphée, et tous, au cœur d’un sommeil dit paradoxal, nous rêvons. Peu, parmi nous, considèrent alors qu'ils lanternent. La nuit appartient à chacun et le secret de nos songes n’est heureusement encore accessible à nul autre qu’à nous-même. Que nous nous souvenions de nos rêves, ou pas, le sommeil est une période d’intense activité cérébrale - d’aucuns disent même que c’est l’inconscient qui parle alors - et, d’une certaine façon, les songes qui peuplent nos nuits nous permettent sans doute, au sens propre, de supporter les pressions de notre quotidien, d'accepter notre sort, de vivre, tout simplement. 

Alors puisque le rêve est unanimement partagé, il m'arrive souvent de me demander à quoi peuvent bien rêver ceux qui nous gouvernent. A quoi donc songe notre Président lorsqu'il dort (peu, dit-on...) ? Et - faisant référence à la plus cruelle des actualités - un autocrate, un dictateur, est-ce que ça rêve aussi ? Même le pire des hommes reste un homme. Philipp K. Dick posa la question de savoir si les androïdes rêvaient de moutons électriques. Les tueurs songent-ils toujours en dormant à leurs crimes ou font-ils encore de doux rêves d'enfants ? Je livre, ami lecteur, à ta méditation cette interrogation qui n'appelle évidemment aucune réponse immédiate en retour...

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