samedi 28 mai 2022

Rien sur la vie - Dystopie

C'est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.
William Shakespeare - Macbeth


28 mai 2023. Après douze mois qui auront été marqués par un triste record en matière d’homicides de masse, la vente et la détention d’armes à feu - hormis celles destinées à la chasse - ont, à l’issue d’un des débats les plus tendus qu’ait connu Washington, été interdites le 1er mars dernier par le Congrès américain. Depuis quelques semaines, les ultras de la NRA, encouragés par les discours enflammés d’un Trump déchaîné, appelaient les patriotes à se soulever pour défendre, je cite, "les libertés fondamentales, leurs droits et la démocratie menacés ! "
En quelques jours, les affrontements armés entre les milices et les forces de l’ordre se sont multipliés et, lors, les statistiques s’affolent. Tant dans les effectifs des représentants de la loi que chez les émeutiers, déjà plusieurs centaines de morts sont à déplorer. Après la mise à sac et la destruction de bâtiments publics, dont plusieurs immeubles de l'ATF, du FBI et de la DEA, le lynchage de personnalités politiques de tous bords - au cri de "tous pourris!" - et de fonctionnaires fédéraux  - "tous collabos!" - la loi martiale a été décrétée par les Gouverneurs de douze états, mais rien n’y fait. Militants d’extrême droite, complotistes, adeptes des thèses Qanon et proud boys sont, cette fois, déterminés à laver dans le sang l’affront subi au Capitole le 6 janvier 2021 et les autorités, quant à elles, bien décidées à ne pas les laisser faire. La confrontation des idées au Congrès a désormais laissé place à l'affrontement des armes dans la rue. Plusieurs États du sud menacent de faire sécession et la Floride a d’ores et déjà unilatéralement proclamé son indépendance, immédiatement reconnue par Poutine, Maduro et Bolsanaro. La spirale de la violence est engagée et nul ne sait comment l'arrêter.

Les experts et les spécialistes de la société américaine sont désormais convaincus que les hostilités vont se généraliser et évoquent ouvertement le terrible scénario d’une nouvelle guerre de sécession. Après le conflit en Ukraine qui ensanglante l’Europe depuis plus d’un an, la crise alimentaire, l’instabilité sociale, les émeutes de la faim et les troubles politiques qui ont secoué l’Egypte, une partie du  Maghreb et une trentaine d’autres pays, c’est maintenant le spectre de la guerre civile qui menace le continent américain. 

Pourtant, l’adoption d’une législation nationale restreignant la circulation des armes à feu par le Gouvernement fédéral avait été saluée favorablement par une grande partie de la planète. Certains bien sûr craignaient des troubles mais personne ne s'attendait vraiment à une réaction d'une telle violence. C'était oublier un peu vite la réalité sociologique et l’histoire de ce pays-continent, et omettre que les seuls citoyens américains détenaient plus de la moitié des armes appartenant à des civils dans le monde. Comment croire que les choses auraient pu se passer autrement dans un pays où la proportion était en 2019 de plus de 120 armes pour 100 habitants et où le principal parti d’opposition affiche ouvertement et de façon répétée son refus d’une telle législation. C’était oublier que 75 millions d’électeurs avaient apporté leur voix à Trump à l’élection présidentielle de 2020 et que beaucoup de Républicains restent encore aujourd’hui convaincus que la victoire leur a été volée.

Ah ! le Gouvernement liberticide veut interdire aux braves patriotes de détenir des armes, et bien c'est par ces mêmes armes qu'il périra ! 

En invoquant le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique (adopté en 1791...) qui reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice « bien organisée » pour contribuer « à la sécurité d'un État libre »,  nombre de politiciens,  cyniques ou dans les mains des lobbys, n'ont, depuis des années, cessé de revendiquer le droit inaliénable pour tout citoyen américain de détenir des armes.

Il y a un peu plus d'un an, une fusillade dans une école primaire du Texas avait fait 21 morts, parmi lesquels 19 enfants. L'assassin avait 18 ans depuis peu et, alors même qu'il ne pouvait légalement pas encore prétendre à consommer ni acheter d'alcool, il avait pu, dans cet Etat, se porter, pour quelques dollars, acquéreur de deux fusils semi-automatiques et de centaines de munitions. Toujours dans la mesure qu’on lui connaît et n'étant pas à un paradoxe rhétorique près, l’ancien président américain, Donald Trump, s'exprimant, au Texas, devant la convention nationale de la NRA, avait appelé, trois jours après le drame,  à "armer les citoyens" pour "combattre le mal dans notre société", à l’origine, selon lui, de l’effroyable tuerie (sic !). Armer les américains, faire circuler toujours plus d'armes à feu, pour endiguer la violence et éviter les massacres, bon sang mais c’est bien sûr ! Il fallait y penser…

En ce printemps 2023, les américains paraissent prêts à s'entre-tuer, au nom de la liberté, pour les uns, de vivre sans crainte pour leurs enfants et, pour les seconds, de s'armer contre la peur de l'autre. Décidemment, les temps contemporains nous enseignent que les hommes n'ont rien appris sur la vie.

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