samedi 9 avril 2022

Rien plus juste ce qu'il faut

"Certains hommes changent de parti en fonction de leurs opinions, d’autres changent d’opinion en fonction de leur parti.”
Sir Winston Churchill


La France est engagée dans la dernière ligne droite du processus de désignation du Président de la République. Sur internet, sur les réseaux dits sociaux, dans certains cercles, on commence à voir fleurir des prises de position inquiétantes qui accréditent l’idée de la planification d’une fraude électorale massive, l'organisation d’une élection truquée, le risque d’une élection volée... Comme un délirant écho à la fièvre conspirationniste qui accompagna - largement alimentée par les rumeurs propagées par des trolls venus d'ailleurs - l’élection présidentielle américaine de 2020. On se souvient jusqu'où cela avait entrainé les plus dingues.

Taux d’indécision jamais atteint, lassitude démocratique (Sic!), délires complotistes, tous les ingrédients du mauvais scénario d’un mauvais film sont réunis. L’épidémie de Covid n'en finit pas de continuer à sévir, la guerre est aux portes de l’Europe, la conjoncture est tragique, l'économie incertaine, la crise menace, la peur s'étend. Jamais dans la période récente un suffrage ne s'était tenu dans un aussi anxiogène contexte.

Depuis longtemps, et jusqu'au 1er tour de cette élection, on a voulu nous faire accroire que deux camps s'affronteraient que tout semblait opposer. D’un côté il y aurait les grincheux, les complotistes en tout genre, les prophètes de malheur, les mauvais coucheurs et les philosophes rageux et réactionnaires, ceux qui regrettent "la France d’avant" et, de l’autre, les tenants d'un progressisme teinté de "culture" woke, les défenseurs de la théorie du genre, d’une écologie dite "de combat" aux relents néo-païens, les indigénistes, ceux qui prônent en tout le séparatisme et qui revendiquent la (dé)construction du  "monde d’après". On a voulu nous enfermer - et, je l'avoue, j'ai pu parfois me laisser faire - dans ce (non) choix manichéen entre deux partis décrits et vécus comme antagonistes et irréductibles. Mais quand l'Histoire est cruelle et l'essentiel en cause...

Au risque d’apparaître moi-même un tantinet manichéen, en ce qui touche à l’humanité je pensais être l'adepte d’une forme d’approche passablement dualiste des choses. Car, au fond, au-delà de ceux que j’aime, ma famille, mes ami(e)s, je ne reconnais que deux genres qui, fort heureusement, ne sont à mes yeux pas irréductibles : celles et ceux que j'aime quand même et les autres, tous les autres… Tu me diras, ami lecteur, et tu n'auras pas tort, que cela fait trois catégories et non pas deux. Et me voila rattrapé par une forme toute hégelienne de dialectique ternaire. Chassez le naturel... L’âge et l’expérience m’ont enseigné de me méfier de mes propres préjugés et, en introduisant la catégorie de ceux que "j'aime quand même", je me risque à une manière de synthèse entre ceux que j'aime et les autres. Une façon d'"en même temps" affectif. Et, si, souvent, j'ai pensé avec Hegel que c'est la confrontation qui faisait avancer le monde, je suis aujourd'hui convaincu que seule la réconciliation lui permet de le faire dans la bonne direction.

Alors, heureusement, en politique comme en toutes choses, il nous reste l'espérance. Non, rien n’est joué. Rien n’est écrit et la démocratie n’a pas dit son dernier mot. Le pouvoir, le vrai, c'est celui de choisir et l'arme la plus efficace que nous ayons entre les mains est un bulletin de vote. Seul le suffrage ne ment pas. N’en déplaise à tous les néo-cons souveraino-populistes et aux tenants d'une bien-pensance progressiste et moralisatrice aux relents sectaires, la France figure, et l'on devrait quotidiennement s'en réjouir, aux rangs des pays - leur nombre ne cesse malheureusement de diminuer - où liberté et démocratie se conjuguent réellement au quotidien. Ici, la voix de chacun compte et l'on peut librement décider du choix de ses dirigeants. Les plus récents évènements nous enseignent à quel point la liberté est chose fragile et nous obligent.

L'une des leçons que l'histoire retiendra de la campagne pour le 1er tour de l'élection présidentielle qui s'achève c'est que, même à la droite de la droite, on trouvera toujours plus extrême que soi, et que cela peut même contribuer à faire les affaires de certaine blonde candidate... Et que dire du camp d'en face ? On s'est, depuis belle lurette, habitué, dans un ordre d'idée similaire, à la présence totalement anachronique, sur la gauche de la gauche, de candidats se revendiquant ouvertement du Marxisme-Léninisme à la mode Trotski ou dans sa tout aussi tragique version Stalinienne (!!!). Les tenants de la lutte des classes, de la révolution permanente et de la dictature du prolétariat, candidats à une élection libre et démocratique !... La vie politique française est unique en son genre. En ce domaine aussi, le temps de la réconciliation est sans doute venu. Et si la solution était à trouver ailleurs que dans l'affrontement permanent entre deux partis, dans un choix se résumant exclusivement à devoir se positionner "pour" ou "contre" ? Et si, au moment où un certain terrible autocrate moscovite a tragiquement fait le choix d'abolir, sur le sol européen, l'humain dans l'humain, on décidait de s'affranchir, enfin, des idéologies irréconciliables héritées du XIXème siècle pour inventer une nouvelle voie politique, celle, par delà les passions partisanes, de l'ambition collective retrouvée et de la concorde. Comme l'a écrit la philosophe Simone Weil : "Seul le bien est un motif légitime de conservation. Le mal des partis saute aux yeux."*

Peut-être le résultat de la Présidentielle se jouera-t'il à pas grand chose, presque rien ; rien plus juste ce qu'il faut. Et déjà j'entends hurler avec les loups les procureurs en illégitimité. Mais c'est le principe existentiel du scrutin majoritaire qui veut qu'un l'emporte sur l'autre. Même d'une poignée de bulletins.  Le résultat, même s'il est serré, ne saurait, en démocratie, être questionné, et surtout pas en instruisant le procès en illégitimité du vainqueur. La victoire oblige et il appartiendra à celui qui sera désigné par les électeurs de tendre la main et, bien plus que d'ouvrir artificiellement le jeu, de rassembler - au-delà des mots - toutes les bonnes volontés. C'est possible. Alors, plus qu'en réponse à une situation qui l'ordonne, au devoir qui commande ou à des circonstances qui nous contraignent, avec raison, pour la défense des valeurs qui sont les nôtres et qui, je l'espère, rassembleront le plus grand nombre, j'ai choisi.

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